Règle numéro trente-huit : mieux vaut parfois lâcher prise.

« I thought you loved me, you never gave a fuck, why did you have to go and take my life from me ? Note it in your eyes, I finally realize that everything you said was taking life from me. » Brokencyde.

J'allais plonger. À cause du meurtre de cette conne, j'allais plonger. Comment est-ce que j'avais pu être aussi stupide et aussi inconsciente ?
Quand l'inspecteur avait prononcé les mots « détention » et « provisoire », mon cerveau avait décroché une nouvelle fois.
Je ne me souvenais presque de rien, sauf que je m'étais réveillée dans une cellule, comme si j'avais été dans un cauchemar.
J'avais mis du temps à comprendre et à assimiler ce qu'il m'arrivait.
Toute notion du temps m'était désormais inconnue, j'avais l'impression d'être ici depuis longtemps, mais en même temps, je me demandais si ça ne faisait pas seulement quelques jours, ou quelques heures. Plus rien n'avait de sens.
De temps en temps, je recevais la visite de mon avocat. Il m'expliquait les procédures et les éléments qui seraient à mettre en avant au cours de mon procès afin d'appliquer une réduction de peine, ou je sais pas trop quoi, je l'écoutais d'une seule oreille.
Au début, ses visites furent les seules. Et puis, au bout de quelques nuits, j'avais reçu la visite de Léa.
Quand une gardienne était venue me chercher pour m'emmener au parloir, j'avais cru qu'elle plaisantait ou que c'était encore mon avocat qui était pourtant venu, il me semble, il n'y avait pas si longtemps.
Si je m'attendais à voir Léa...
Elle portait un petit chemiser blanc en soie, et un collier de perles agrémentait son décolleté. Toujours aussi élégante, même pour se rendre dans un centre de détention. Elle m'attendait, assise, les mains posées sur la table en inox, et les yeux remplis de pitié et de tristesse. Je m'étais assise en face d'elle et j'avais commencé à parler :
-        Je suis contente de te voir., avais-je dit dans un sourire un peu forcé.
-        Moi aussi..., avait-elle répondu.
Un silence s'était installé entre nous avant que je ne demande :
-        Tu n'as pas été... Interrogée ?
Par « interrogée », je sous-entendais bien entendu la question : « est-ce que les flics ont des éléments contre toi ? », mais Léa avait secoué la tête de façon négative.
Immédiatement, un soulagement s'était fait ressentir dans tout mon corps.
-        Je suis rassurée., avais-je exprimé en soufflant.
Léa avait baissé les yeux et tendu sa main gauche vers moi avant d'ajouter :
-        Ils m'ont appréhendée comme témoin direct. Je vais devoir témoigner à ton procès.
Je n'avais pas su quoi répondre. Léa connaissait toute l'histoire, toute celle qui concernait Daisy en tout cas, et elle risquait de se faire condamner pour faux témoignage comme pour complicité de meurtre. Dans tous les cas, elle risquait une grosse partie de sa vie et de sa liberté.
J'avais voulu lui dire que je regrettais de l'avoir entraînée dans cette histoire sordide avec moi, mais aucun son n'était sorti de ma bouche. Alors, elle avait continué :
-        Ils ne parlent que de toi aux infos, Cassidy. L'affaire a pris des proportions gargantuesques... Non seulement ils mentionnent Daisy et le fait que sa disparition serait en réalité un meurtre, mais ils parlent aussi d'Aurélie qui est, si je ne m'abuse, une ex de William. Et depuis quelque temps, ils mentionnent aussi la disparition inquiétante d'une dénommée Mathilde. Au début, je n'avais pas tellement relevé ni fait de lien, et puis ils ont montré sa photo et là, je l'ai reconnue. Tu me l'avais montrée au début de ta relation avec Will, je me souviens, c'est aussi l'une de ses exs. Alors... Cassidy, est-ce que tu as quelque chose à voir avec tout ça ?
Léa connaissait la réponse, dans le fond, et moi j'avais été incapable de lui dire quoi que ce soit.
Je n'avais pas eu la force de lui dire que oui, c'était moi, tout était de ma faute, toutes ces filles étaient mortes à cause de moi ; et si je lui avais répondu que non, elle aurait su que je mentais et les choses auraient été pires encore.
C'est comme ça qu'elle avait deviné, en regardant mes yeux, et les siens s'étaient bordés de larmes.
-        Cassidy...
Elle avait seulement eu la force de prononcer mon prénom. Le néon au plafond avait grésillé, comme pour appuyer sa voix, et avait rendu la pièce encore plus froide et inaccueillante qu'elle ne l'était déjà. Un lien s'était rompu entre Léa et moi, et je l'avais sentie s'éloigner alors qu'elle ne bougeait pourtant pas.
Après, le temps des visites avait touché à son terme, et notre semblant de discussion entrecoupé par les silences et les non-dits s'était achevé sur une plainte inaudible.
Léa avait pris le chemin de la sortie et était rentrée chez elle, libre, et moi, j'avais regagné ma si confortable cellule.

Après celle de Léa, les visites s'étaient enchaînées, mais jamais la même personne n'était venue me voir deux fois de suite. Hormis Maître Beaujardin, qui venait régulièrement et pour parler business, les autres avaient fait des visites uniques.
Il y avait eu Roger, mon collègue de boulot avec qui je m'entendais le mieux, qui était venu pour me dire qu'il me soutiendra quoi qu'il arrive, qu'il ne pouvait pas croire que j'avais quelque chose à voir avec ces histoires-là, et qu'il soupçonnait davantage William d'être derrière tout ça.
Je ne l'avais pas contredit.
Après lui, ou avant, je ne sais même plus, ce fut au tour de Jeff de venir me rendre une visite.
Jeff était bien la dernière personne que je m'attendais à voir lors de ma détention provisoire ou lors de mon procès. Je le croyais encore parti en cavale loin, très loin, à bidouiller des téléphones et des ordis portables pour obtenir son gagne-pain.
Quand j'étais entrée dans le parloir, je l'avais vu froncer les sourcils et grincer des dents comme jamais. À peine m'étais-je assise qu'il avait admonesté :
-        Tu te rends compte de la merde dans laquelle tu m'as mise, Cassidy ? À cause de toi, les flics ont débarqué à mon atelier et ont embarqué l'intégralité de mon matos ! Si j'avais su que tu voulais débloquer le téléphone et l'ordi d'une morte qui en plus, d'après ce que j'ai cru comprendre, est morte par ta faute, mais jamais je ne t'aurais aidée, tu m'entends ? Je fais peut-être des trucs de nature illégale, mais il y a une limite à ne pas franchir, même dans ce genre de cas. Bon sang, et moi qui avais passé des années à tout mettre en œuvre pour disparaître des petits papiers de la société et être enfin libre et indépendant, il a fallu que t'arrives et que tu foires tout en moins de trois mois !
Je n'avais rien répondu, hormis peut-être un « je suis désolé » marmonné au hasard, entre deux de ses reproches, et je l'avais laissé continuer son monologue en m'éloignant très loin de lui et de ses mots dans mon esprit.
Entre Jeff et Roger, ou avant, ou après, c'était Malorie qui avait fait l'effort de venir me distraire un peu.
Nous avions à peine parlé, je n'avais rien à lui dire. Alors elle avait commencé à me réprimander, à me faire des leçons de morale et à m'exposer ses grands principes sur la vie, à me demander comment j'avais fait pour me retrouver dans une situation telle que celle-ci, et j'avais ricané devant sa question idiote.
Comment crois-tu que j'avais fait, Malorie ?
En voyant mon visage se déformer dans un rictus, elle s'était emportée.
-        Et ça te fait rire en plus ? Mais la situation n'a rien de drôle, Cassidy, rien de rien !
Une fois de plus, comme je l'avais fait avec Jeff, j'avais laissé Malorie s'énerver toute seule et partir dans un grand discours où elle m'expliquait qu'elle devait tout gérer désormais, et qu'elle n'allait pas pouvoir être toujours derrière mon dos.
-        Mais je ne t'ai rien demandé., lui avais-je répondu, et elle s'était vexée avant d'interrompre notre pseudo discussion.
Ce fut la seule fois, depuis je ne sais même plus quand, où j'avais été contente de retrouver ma cellule.

Et puis, il y a quelques heures, une gardienne était à nouveau venue me chercher.
Ma dernière visite en date remontait à peut-être trois ou quatre nuits, et hormis Maître Beaujardin, je ne voyais pas qui pouvait bien vouloir venir me voir aujourd'hui.
Alors, quand la grille du parloir s'était ouverte et avait dévoilé le visage de William, j'avais cru m'évanouir de bonheur.
J'avais eu envie de courir jusqu'à lui et de me jeter dans ses bras, mais malheureusement, à cause de mes menottes et d'une gardienne qui me tenait fermement par l'épaule, j'en étais incapable.
Un énorme sourire s'afficha sur mes lèvres, et j'avançai vers lui. Je m'assis en face de lui et le dévisageai comme si je ne l'avais pas vu depuis des années, ce qui était le cas dans mes pensées.
Il portait son t-shirt fétiche, un t-shirt violet avec des motifs noir dessus, et sur son torse reposait un pendentif en argent en forme de plume accroché à un cordon en cuir brun. Je relevai les yeux en m'attardant sur la ligne de son cou, que j'avais très envie d'embrasser, et je détaillai son visage.
La ligne de sa mâchoire était toujours aussi parfaite, ses lèvres toujours aussi gourmandes, ses pommettes toujours aussi saillantes, et ses yeux toujours aussi profonds.
Pourtant, je n'y décelai aucune joie. En me concentrant moins sur chaque détail et en visualisant le visage de Will dans son ensemble, je pus remarquer qu'il était froid et désagréable. Sans doute à cause de l'ambiance de la prison.
-        Je ne m'attendais pas à te voir., dis-je en souriant et en tendant une main vers la sienne.
Il replia immédiatement sa main contre lui, comme s'il refusait que je le touche, et mon cœur se serra.
-        Il y a certaines choses qu'il fallait que je te dise en face, Cassidy.
Son ton était grave et glacial. Un frisson me parcourut l'échine, et mon cœur s'accéléra à cause d'un stress dont je ne parvins pas à identifier l'origine. La voix tremblante malgré moi, je demandai :
-       Lesquelles ?
Il se pinça les lèvres et avala sa salive.
-        Tu me dégoûtes Cassidy. J'ai appris tout ce que tu avais fait, et ça me dégoûte.
Cette phrase m'avait fait l'effet d'un coup de poignard en plein thorax. L'air me manqua, et mon cœur eut du mal à repartir sur un rythme convenable après avoir raté quatre ou cinq de ses battements.
-        Quoi ?, tentai-je d'une voix étouffée par la douleur.
-        Je suis sûr que tu as quelque chose à voir avec le meurtre de Daisy et de toutes les autres, ça ne peut pas être une coïncidence, voyons. De toute façon, t'étais bien trop jalouse pour être normale, il te manque vraiment une case, ma parole. Comment est-ce que t'as pu faire une chose pareille ?
Chaque mot que prononçait William intensifiait la douleur qui s'était installée dans tout mon être. À chaque phrase, mon cœur se contractait, mes membres se mettaient à trembler, et mes yeux s'étaient remplis de larmes. Je tentai de protester, mais il continua sur sa lancée :
-        Je voulais te le dire en personne, je voulais que tu saches à quel point je te méprise.
Il grimaça de dégoût, comme s'il allait vomir, et poursuivit :
-        Je témoignerai à ton procès, et j'ai bien la ferme intention de donner tous les éléments possibles pour que tu croupisses dans ce trou pour toujours et que je ne revoie plus jamais ton visage.
Je déglutis avec difficulté, au bout de mes forces et de ce que mon cœur pouvait encaisser comme douleur. Il se tordait dans tous les sens, il se brisait, il hurlait, et les larmes qui accompagnaient sa peine avaient noyé l'intégralité de mes joues.
Je voyais flou, et j'ignorais si c'était à cause des pleurs qui me brouillaient les yeux, ou si les forces qui abandonnaient progressivement mon corps y étaient pour quelque chose. Je dus m'accrocher fermement à la table pour ne pas m'évanouir de chagrin.
-       Je n'ai rien fait de mal..., réussis-je à articuler entre deux sanglots et entre deux respirations coupées. Tout ce que je voulais, c'est ton bonheur.
Ma gorge se serra sous le nombre incalculable de sanglots que je tentai de retenir. William ricana méchamment et se pencha vers moi.
-        Tu veux mon bonheur ?, demanda-t-il, et je hochai la tête pour approuver. Alors reste loin de moi.
La sentence acheva mon cœur et je le sentis se décrocher. Une douleur fulgurante s'installa dans ma poitrine et se propagea dans tout mon corps. J'avais l'impression que le sang qui circulait dans mes veines était empoisonné et me rongeait de l'intérieur.
Ce n'était plus du sang, c'était de l'arsenic, du cyanure ou de l'acide. Ça me brulait. Ça me faisait un mal de chien, j'en aurais hurlé. Pourtant les sons qui sortirent de ma bouche furent très faibles.
-        Je croyais que tu m'aimais., soufflai-je à moi-même comme à l'attention de William.
-        C'est ce que je croyais aussi.
Il se leva alors et me toisa lentement, froidement, si froidement que je sentis presque un souffle glacial m'effleurer la peau. Puis il s'en alla, et je tentai de faire bonne figure en mordant la langue presque jusqu'au sang pour ne pas tomber sous les coups psychiques qu'il m'avait infligé. J'attendis qu'il me tourne le dos et qu'il soit sorti du parloir pour m'effondrer.

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