Règle numéro onze : il n'y a pas de vérité.

« - Est-ce qu'elle est dangereuse ?
- Je ne sais pas. Elle est amoureuse, c'est tout.
- Alors oui, elle est dangereuse. »
(Buffy contre les Vampires.)

Je faillis me jeter sur elle pour le lui arracher. Je ne l'avais pas remarqué tout de suite, car le médaillon avait dû se décaler et était venu se loger dans le creux de son épaule, mais maintenant qu'elle était tournée vers moi, je pouvais le voir. Qu'est-ce qu'elle faisait avec mon collier autour du cou bon sang ?
Elle se dirigea vers son « atelier » pendant que j'essayai de me calmer en la suivant.
Si je m'emportais maintenant, tout mon plan aller échouer, et cela voudrait dire que tous les efforts que j'avais fournis jusqu'à maintenant n'auraient servi à rien.
La pièce qui lui servait de bureau était étroite et quasiment plongée dans le noir. Aurélie avait fermé les persiennes de l'unique petite fenêtre qui donnait sur l'extérieur, si bien que seuls quelques rayons de soleil filtraient au travers.
Pourtant il faisait une chaleur étouffante, sûrement à cause de tous les ordinateurs qui tournaient en même temps dans un si petit espace. J'en repérai trois fixes et un portable, avec quatre écrans juxtaposés au milieu d'une table collée contre le mur, juste en face de la porte.
Si Jeff avait été là, je suis sûre qu'il aurait jalousé de voir autant de matériel... Elle avait vraiment besoin de tout ça ?
Aurélie s'installa à la table, alluma ses quatre écrans et m'invita à la rejoindre en me désignant la vieille chaise en bois se trouvant à côté d'elle. Je la toisai et ne bougeai pas d'un cil.
- Joli collier., dis-je alors en reprenant ma voix normale.
- Il est cool hein ?
Elle sourit elle l'attrapa avec le pouce et l'index comme pour mieux me le montrer.
- Où tu l'as eu ?, demandai-je, anxieuse de connaître la réponse.
- Quelqu'un me l'a offert.
Quelqu'un ? Qui ? William ?
Peut-être que j'avais réellement perdu ce collier ailleurs que chez lui et qu'une autre personne était tombée dessus, qu'elle l'avait ramassé je ne sais où, et l'avait offert à Aurélie par le plus grand des hasards...
Je ne pouvais pas lui demander, cela aurait risqué de ruiner ma couverture.
Donc je m'assis à côté d'elle, sans rien dire, sur cette chaise rustique qui me fit mal au dos et aux fesses à partir de l'instant où je les posai dessus.
C'est alors qu'elle se pencha vers moi et me regarda avec instance.
- Une minute., dit-elle en fronçant les sourcils et en plissant les yeux. Je te connais. T'es la copine de William, non ?
Merde.
Je restai impassible, n'osant pas bouger de peur qu'un seul de mes mouvements ne trahisse ma surprise. Quand je parvins enfin à ralentir mon rythme cardiaque, au bout de quelques secondes qui me parurent très longues, je souris simplement en répondant d'un air bête :
- Qui ça ?
Elle s'éloigna alors de moi, se recula, se remit droite sur sa chaise et enchaîna :
- Ah. J'ai dû confondre alors, j'ai seulement vu des photos vite fait. En tout cas, tu lui ressembles.
Elle fit volte-face et se concentra sur l'un de ses écrans tout en tapant quelque chose sur son clavier.
J'en profitai alors pour sortir mon arme. Inutile de tergiverser, je devais en finir vite si je voulais être de retour chez William avant une heure du matin.
Quand Aurélie se retourna vers moi, elle baissa les yeux et vis immédiatement le flingue qui était braqué sur elle. Avant qu'elle n'ait pu comprendre ce qui était en train de lui arriver, je la menaçai :
- Si tu cries ou que tu tentes quoi que ce soit... Je tire.
Pour accompagner et appuyer mes propos, j'enlevai le cran de sûreté du Beretta. Elle hocha la tête en déglutissant.
- Qu'est-ce que tu veux ? Il n'y a rien à voler ici, à part les ordinateurs...
- Je ne suis pas venue là pour voler du matériel.
- Alors... Tu vas t'en prendre à moi ?, fit-elle avec un air de chien battu.
- On est perspicace à ce que je vois...
- Qu'est-ce que je t'ai fait ?
- À moi ? Rien., répondis-je en souriant. Mais tu as fait souffrir quelqu'un qui m'est très cher.
Elle voulut répondre quelque chose, mais je l'en empêchai. J'imagine que son cerveau ferait les connexions avec l'histoire du lycée et de William plus tard. J'enchainai :
- Tu as de l'alcool ?
Elle fronça les sourcils.
- Pour quoi faire ?
- Je t'ai demandé si t'avais de l'alcool..., insistai-je.
- Là, dans le buffet derrière toi...
- Parfait. Tu vas aller chercher une bouteille de ce que tu as de plus fort.
Elle se leva, visiblement déstabilisée, et se dirigea vers le meuble qu'elle m'avait indiqué.
Je visai alors sa jambe avec le Beretta. Si Mademoiselle tentait de se mettre à courir, je pourrais tirer dessus sans problème, et la couper ainsi dans son malheureux élan d'instinct de survie. Bien entendu, cela aurait compliqué les choses et le bon déroulement de mon plan de départ, mais il était hors de question que je prenne le risque de la laisser s'enfuir.
Mais elle ne tenta rien, elle resta docile et se pencha vers son buffet, ouvrit les deux portes et, après quelques instants à avoir balayé sa tête de droite à gauche et de gauche à droite, elle demanda d'un air peu assuré :
- De la vodka, ça ira ? C'est tout ce que j'ai qui est fort...
- Donne.
Elle attrapa une bouteille et revint vers moi. Je lui ordonnai de la poser sur la table et de venir se rasseoir, l'arme toujours fermement braquée sur elle. Elle s'exécuta et s'assit, droite comme un piquet, le visage fermé, comme si elle attendait mes nouveaux ordres.
- Ouvre-là., dis-je en désignant la bouteille d'un hochement de tête.
Elle obéit sans contester, mais je pouvais toujours lire l'incompréhension sur son visage.
Visiblement, cette bouteille était neuve, au vu du mal qu'Aurélie eut à dévisser le bouchon. Par précaution, je vérifiai tout de même. Je penchai mon nez au-dessus du goulot, mon arme et un œil toujours pointés vers Aurélie. L'alcool m'envahit les narines, m'arrachant un haut le cœur : c'était bien de la vodka, et elle était très forte.
- Parfait., fis-je avec un sourire.
- Alors, c'est bon ? Tu peux prendre la bouteille et partir maintenant, je te jure que je ne dirais rien à la police, Sarah...
Je faillis exploser de rire.
- Tu crois vraiment que je suis venue ici pour te voler une bouteille de vodka ?
- Je... Je ne sais pas..., répondit-elle, désemparée.
- Ma pauvre fille...
Elle se pinça les lèvres, ne comprenant décidément rien à ce qui se passait.
- Bois., ordonnai-je alors.
- Quoi ?, répondit-elle en haussant les sourcils et en écarquillant les yeux d'un air ahurit.
- Bois, je te dis.
Elle porta la bouteille à ses lèvres, but une petite gorgée et la reposa sur le bureau avec l'air satisfait d'un enfant qui avait bien appris sa leçon.
- Tu te fous de moi là en fait ?
- Je n'ai pas très soif..., répondit-elle d'un air suffisant.
Elle se croit maligne apparemment... Je pense même qu'elle essaye de m'énerver. Désolé pour toi ma grande, mais j'ai déjà donné dans l'impulsivité avec l'autre connasse, et ça ne m'a pas vraiment réussi.
Alors, dans le plus grand des calmes, je pointai mon arme vers sa tête et répétai :
- Bois.
J'imagine qu'elle avait davantage peur de prendre une balle dans la tête que dans le ventre, alors elle s'exécuta. Quand elle fut arrivée à environ la moitié de la bouteille, je lui ordonnai d'arrêter. Elle obéit tout de suite, et sa bouche se déforma dans une grimace de dégoût.
Boire de la vodka, pure, et en si grande quantité d'un seul coup devait être une expérience pour le moins traumatisante. Cela me rappela le temps où j'étais étudiante, et où j'avais passé des soirées entières à en boire en quantité astronomique dans le seul et unique but d'être la plus soûle possible ... L'insouciance de la jeunesse, ou de la stupidité à l'état pur.
Aurélie reposa violemment la bouteille sur le bureau. J'observai en vitesse son état : encore quelques minutes, et l'alcool fera effet. Je n'avais pas beaucoup de temps.
- Tu as un stylo et du papier ?, demandai-je alors.
Elle avala sa salive avant de me répondre.
- Oui...
- Va les chercher.
Elle déplaça sa chaise de quelques centimètres, non sans une légère difficulté, se pencha vers un tiroir qu'elle ouvrit et duquel elle sortit un bloc-notes orange et un stylo bille noir. Elle les posa devant elle et me regarda d'un air méchant. Je sortis alors mon téléphone portable, qui se trouvait dans l'autre poche et mon trench, et dis à Aurélie :
- Écris.
- Que j'écrive quoi ?, s'indigna-t-elle en attrapant son stylo et en le décapuchonnant.
Je déverrouillai mon téléphone et ouvris l'application « notes », dans laquelle j'avais pris le temps d'écrire un petit texte à la va-vite avant de venir chez elle. Quelque chose de très éloigné de mon style habituel, mais qui conviendrait. Je lui dictai.
Quand elle eut fini, je lui demandai de me montrer le bloc-notes, et relus rapidement le texte . Tout ce que je lui avais dicté était écrit mot pour mot avec son écriture, et en prime, quelques fautes. Le plan se déroulait parfaitement.
- Et maintenant ?, demanda-t-elle en tanguant légèrement, signe que l'alcool devait commencer à faire effet.
- Maintenant, tu vas mourir.
Je me levai, lui intimant de faire de même et de prendre la bouteille de vodka avec elle. Elle se mit debout avec difficulté, s'accrochant au dossier de sa chaise pour ne pas tomber. J'attendis quelques secondes qu'elle soit bien ancrée dans le sol et qu'elle ne risque pas de s'écrouler pour lui ordonner de me guider jusqu'à la salle de bain.
Elle marcha lentement, je la suivis, nous sortîmes de l'atelier, et, après avoir traversé le petit couloir qui lui servait d'entrée, elle poussa la porte de ce qui lui faisait office de salle de bain.
La pièce était encore plus petite que son bureau, on pouvait à peine rentrer à deux à l'intérieur. À gauche de la porte se trouvait un lavabo turquoise, assorti au carrelage qui recouvrait le sol et les murs, et, dans le fond de la salle, à mon grand bonheur, une baignoire.
Aurélie s'assit sur le rebord de celle-ci, sans doute pour reprendre des forces ou tenter d'arranger son état d'ébriété. Je ne sais pas trop si elle était toujours consciente de ce qui lui arrivait, ou si son cerveau avait été tellement endommagé par l'alcool qu'il avait oublié la situation, mais elle ne faisait plus du tout attention au pistolet braqué droit vers elle.
- J'ai envie de vomir..., geint-elle. Qu'est-ce qu'il m'arrive ?
- C'est normal., répondis-je, l'air de rien, avant d'enchainer : Où est-ce que tu ranges tes lames de rasoir ?
- Dans le tiroir... En dessous du lavabo...
- Va me les chercher.
Elle se leva et s'exécuta sans demander son reste, ouvrit le tiroir en question, et en sortit une petite boite dans laquelle se trouvait une dizaine de lames.
- Prends-en une et va te mettre dans la baignoire., ordonnai-je.
Visiblement, l'alcool rendait vraiment les gens dociles, car elle n'émit aucune résistance et fit exactement ce que je lui avais demandé. Elle serrait la lame tellement fort que du sang perla de ses doigts.
Je me penchai au-dessus d'elle, l'arme pointée dans sa direction.
- Taille-toi les veines., ordonnai-je.
- Quoi ?
Elle me regarda d'un air désemparé, mais semblait trop faible pour pouvoir lutter.
- Tu crois que la lettre c'était pour faire joli ?, insistai-je.
- Mais... Ça fait mal..., dit-elle d'une voix plaintive.
- Bois un coup, tu ne sentiras plus rien.
Aurélie vida le reste de la bouteille en quelques minutes. Ses pupilles s'étaient dilatées et ses paupières clignaient sans cesse. Sa tête tourna sur elle-même. Elle avait vraiment l'air mal. J'imagine qu'autour d'elle, le monde devait sembler flou, que tout tanguait, que sa vision devait lui jouer des tours et qu'elle ne comprenait plus rien. Je me demande si elle aurait la force de se tailler les veines elle-même, ou si je devrais l'aider.
Je réitérai mon ordre. D'un geste lent, elle tendit son bras droit et appuya faiblement la lame dessus.
Je m'impatientai.
Tout en posant mon arme contre sa tempe, je lui attrapai le poignet de ma main libre et appuyai de toutes mes forces contre son avant-bras. Je remontai la lame de la naissance de son poignet jusqu'au pli de son coude, accompagnant son mouvement. Sa tête bascula en arrière et son corps s'affaissa dans la baignoire. La lame de rasoir lui glissa du bout des doigts et vint s'échouer sur la céramique dans un petit bruit métallique. Aurélie avait dû s'évanouir à cause de l'alcool ou de la douleur. Le sang s'écoulait de son bras à un débit assez impressionnant, tant l'entaille était profonde. J'ouvris le robinet et laissai la baignoire se remplir progressivement d'eau, afin que le sang ne coagule pas et continue de s'écouler facilement.
Je m'appuyai ensuite contre le lavabo, remis le cran de sûreté du Beretta, croisai les bras contre ma poitrine et restai là, attendant qu'elle se vide de son sang.
J'ignorais si elle était déjà morte ou si elle avait seulement perdu conscience, toujours est-il qu'elle n'avait pas l'air de souffrir tant que ça.
Au bout d'un long et ennuyeux moment, bien après avoir coupé l'arrivée d'eau, je constatai que sa poitrine ne se soulevait plus comme avant : elle avait cessé de respirer. Je me penchai au-dessus d'elle et observai : sa robe, à l'origine verte, était devenue d'une couleur rouge-brunâtre à force d'absorber le sang qui lui coulait dessus, et l'eau qui remplissait la baignoire était rougeâtre et trouble. J'ignorais combien de litres de sang elle avait perdus, ni même combien le corps humain en contenait à vrai dire. Cinq litres ? Sept litres ? Peu importe, elle en avait perdu beaucoup, et c'était la seule chose qui importait.
Je m'approchai d'elle et plaçai doucement un doigt au niveau de son cou, juste sur l'artère. J'attendis quelques secondes : rien. Aucun pouls. Elle était morte.
Je sortis mon téléphone de ma poche et observai l'heure : vingt-trois heures et quelques.
Déjà ? J'avais mis près de deux heures trente à observer cette fille se vider de son sang ? Quelle perte de temps !
Mais au moins, mon plan avait fonctionné comme sur des roulettes. Aurélie n'interfèrerait plus ni dans ma vie, ni dans celle de William désormais.
Tu passeras le bonjour à Daisy, ma grande, vous vous tiendrez compagnie en Enfer.
Je calai mon Beretta dans mon dos, n'en ayant plus besoin, et sortis les gants que j'avais pris soin de glisser dans la poche intérieure de mon trench pour être sûre de ne laisser aucune empreinte en repartant.
Je voulus lui arracher le collier - mon collier -, qu'elle arborait fièrement autour du cou, mais je me résignai. Si je le récupérais et que William le voyait, il pourrait en déduire que j'étais allée chez elle. En admettant que le médaillon provienne de lui... Je ne pouvais pas prendre ce risque. Je n'aurais qu'à raconter à Léa que j'avais malencontreusement perdu son cadeau, à mon grand regret.
Je sortis de la salle de bain en prenant soin de ne toucher à rien. Je laissai donc la porte ouverte, la lumière allumée, et je traversai le couloir qui menait à la porte d'entrée. Je l'ouvris en laissant les clefs dessus. Rien ne devait bouger. Puisqu'il s'agissait d'un suicide, il ne devait y avoir aucune trace d'une autre personne qu'Aurélie elle-même. Mais l'avantage, c'est qu'au moins, je n'avais pas de preuves à faire disparaître. Le bonheur et la simplicité.
Je sortis de la maisonnette et rejoignis ma voiture, ouvris les portes, mis le contact et allumai la radio : Casey's last ride, de Kris Kristofferson. Je souris et démarrai. C'était la chanson qui collait parfaitement à mon humeur.
Je n'avais qu'une seule envie à présent : retrouver William.

[Un GIF ou vidéo devrait être inséré ici. Veuillez mettre à jour l'application pour le voir.]

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