Règle numéro douze : tous les signes sont bons à prendre.
Autour de moi, tout est bleu et rose pâle. J'ai l'impression de flotter sur un nuage.
Mais où est-ce que je suis ?
Je regarde mes pieds : ils sont dissimulés dans une voûte de fumée blanche. Je crois que c'est de la fumée... Je ne sais même pas sur quoi je marche, je ne sais pas comment est le sol, je ne le perçois pas, je ne perçois rien.
Je sens des odeurs sucrées de lavande et de miel, et je n'entends pas le moindre bruit, pas même un sifflement.
J'essaye d'avancer, mais pour aller où ?
L'odeur de miel s'estompe, elle est remplacée par une odeur qui m'est familière. Mais je la déteste, elle me donne envie de vomir... Le patchouli.
Je me retourne, et je la vois.
- Daisy ? Qu'est-ce que tu fais là ?
Elle croise ses bras sur sa poitrine en me dédaignant du regard. Aurélie apparaît à côté d'elle.
- On n'est pas les seules, Cassidy., me dit-elle.
Mais de quoi parle-t-elle ?
- Tu t'es débarrassée de nous deux, mais tu crois vraiment que c'est la fin ?
Daisy garde toujours les bras croisés contre sa poitrine et ne dit pas un mot. J'ai l'impression qu'Aurélie parle pour deux.
- Qu'est-ce que tu me veux ?, demandé-je enfin.
Elle sourit, de même que Daisy qui décroise ses bras et vient poser ses poings sur ses hanches, comme pour se donner un air sévère et imposant.
- Réfléchis., répond Aurélie. Réfléchis bien.
- Réfléchir à quoi, bordel ?
J'ai l'impression de m'énerver, mais mon rythme cardiaque reste toujours calme. C'est la plénitude. J'aurais voulu crier que je n'aurais pas pu... Aurélie poursuit :
- Si William t'a trompée une fois, tu ne le crois pas capable de recommencer ?
- Mais...
- Qu'est-ce qui te dit qu'il n'est pas déjà en train de le faire ?, me coupe-t-elle avant que je ne puisse répondre.
- Regarde les indices., prononce alors Daisy, toujours sans m'adresser le moindre regard.
- Mais quels indices ?
- Il passe beaucoup de temps sur son ordinateur, tu ne trouves pas ?, fait Aurélie en me montrant quelque chose d'un hochement de la tête.
Je me retourne dans la direction qu'elle m'a indiquée : William est là, assis à un bureau, devant son ordinateur portable. Je l'appelle, mais il ne m'entend pas. Il écrit quelque chose, il a l'air très concentré. J'essaye de m'approcher pour lire de quoi il s'agit, mais impossible de voir quoi que ce soit.
Je me retourne vers les deux filles et leur demande :
- Qu'est-ce que ça veut dire ?
- Observe et apprends., répond simplement Daisy.
Son visage se déforme alors dans une grimace hideuse, comme si elle était en train de hurler sans qu'aucun son sorte de sa bouche. Alors, tout devient sombre, j'ai l'impression que l'espace s'est réduit d'un seul coup. Une odeur nauséabonde m'envahit les narines. Le visage de Daisy n'est désormais plus qu'un tas de chair dégoulinante qui laisse entrevoir ses muscles à vif et ses os. J'observe Aurélie : son bras droit est en sang, et une grosse tâche brunâtre se forme sur ses vêtements.
Elles se rapprochent de moi et je suis incapable de m'enfuir. Mes jambes sont comme incrustées dans le sol.
- Regarde Cassidy., disent-elles d'une même voix. Regarde ce que tu nous as fait...
Je me réveillai en sursaut. Ma respiration et mon rythme cardiaque me donnaient l'impression d'avoir couru un marathon. J'étais en panique et en sueur.
Je m'assis, et observai rapidement les choses autour de moi pour reconnecter à la réalité : le soleil brillait légèrement à travers les volets, mais plongeait déjà la pièce dans une douce lumière chaude. J'étais dans la chambre de William, dans son lit, avec lui. Tout allait parfaitement bien. Je réussis à ralentir un peu les battements de mon cœur et à reprendre mon souffle. À côté de moi, Will se releva doucement et vint me caresser l'omoplate.
- Ça va ma chérie ?, demanda-t-il en enfouissant son visage dans le creux de mon épaule.
- Je... J'ai fait un cauchemar., réussis-je à articuler.
- Oh...
Il enroula ses bras autour de ma taille et me serra contre lui. Je sentis son torse contre mon dos brûlant et ses lèvres venir se poser dans mon cou qu'il mordit légèrement.
- Tu veux me raconter ?
Je niais d'un mouvement de tête. Hors de question que j'aille lui dire que j'avais rêvé de ses deux exs, qui au passage étaient désormais mortes, et que celles-ci m'avaient ordonné de... De quoi déjà ?
Ah oui. De faire attention aux indices.
Qu'est-ce que ça voulait dire, au juste ? Quels indices ?
J'ai toujours été convaincue que les rêves étaient là pour nous envoyer un message, qu'il fallait toujours les retenir le plus possible, les écouter et les analyser. Et là, je crois que le message était plutôt clair...
- Ça avait l'air si réel..., dis-je à haute voix, presque sans m'en apercevoir.
William embrassa mon cou de plus belle et glissa ses mains sur mes deux seins.
- Bah voyons..., fis-je en rigolant.
- Ben quoi ? Je te réconforte comme je peux.
Je me retournai vers lui et il m'allongea sur le lit tout en m'embrassant. Je passai mes bras autour de son cou, et me serrai le plus possible contre lui, l'attirant à moi de toutes mes forces.
- Dis donc, il a dû vraiment te perturber ce cauchemar... dit-il en s'étalant sur moi de tout son long.
- Je t'aime..., répondis-je spontanément.
Il prit alors appui sur ses deux bras pour se relever, me contempla quelques minutes en me caressant la joue et répondit :
- Moi aussi.
Après être restés quelques longues minutes à nous dire des mots doux et à nous faire des câlins, nous sommes tout de même sortis du lit et de la chambre afin d'aller prendre un petit-déjeuner. Il était déjà onze heures, aussi nous décidâmes de faire un brunch. William prépara des toasts et des œufs au bacon pendant que je faisais de la pâte à pancakes. J'avais une envie irrépressible de pancakes depuis quelques jours, c'était l'occasion de l'assouvir.
Pendant quelque temps, j'oubliai presque pourquoi j'avais été aussi perturbée par rapport à ce cauchemar. Rien que de voir Daisy et Aurélie en rêve suffisait à me traumatiser d'ailleurs, mais c'était davantage ce qu'elles m'avaient dit qui me rendait si nerveuse...
Elles avaient peut-être raison, je devais peut-être me méfier et ne pas accorder à nouveau trop vite ma confiance à William... Bien que je savais pertinemment qu'il m'aimait et qu'il désirait être avec moi, sinon, pourquoi m'aurait-il fait revenir dans sa vie de la sorte ? Néanmoins, les tentations étaient partout, et elles pouvaient très vite venir ruiner notre bonheur.
J'avais donc une solution très simple pour vérifier que tout allait parfaitement bien dans notre ciel amoureux : espionner l'ordinateur de Will.
Si la solution paraissait simple sur le papier, en revanche, l'appliquer dans la réalité le serait beaucoup moins. William protégeait évidemment son ordinateur à l'aide d'un mot de passe, comme tout le monde le faisait de nos jours, et en quatre ans de relation, il ne me l'avait jamais confié, pas même une seule fois. C'était d'ailleurs l'une des premières choses qu'il m'avait dites après notre rencontre : « je n'ai rien à cacher, mais je garde mes mots de passe pour moi, question d'intimité. » J'avais respecté son choix, de toute façon, je n'avais pas l'intention de les lui demander, et je ne l'avais jamais fait, mais cela m'aurait bien été utile présentement.
Je ne pouvais malheureusement pas faire appel à Jeff pour qu'il pirate son ordinateur, William s'en serait rendu compte. Je n'avais donc qu'un seul choix : tenter de décrypter son mot de passe par moi-même, ce qui serait loin d'être une mince affaire...
Après avoir fini de faire cuire tous les pancakes, et les avoir agrémentés de morceaux de fruits et de sirop d'érable, j'apportai l'assiette et la posai sur la table basse du salon. J'avais proposé à William de manger devant la télé, en continuant de regarder notre série préférée. Nous avions donc tout entreposé sur la table : les toasts, le café, le thé, le jus d'orange, les pancakes, la pâte à tartiner... Elle était envahie par différents mets tout aussi appétissants les uns que les autres. Je pense qu'on aurait de quoi tenir la journée, voire la semaine entière, au vu de tout ce qu'il y avait à manger.
William ouvrit son ordinateur, qui se trouvait dans le seul coin de la table qui avait été épargné par l'invasion de nourriture, et tapa son mot de passe.
Je l'observai du coin de l'œil, me faisant la plus discrète possible.
Il tapait extrêmement vite, aussi je ne pus voir que la première lettre et quelques chiffres de la fin et du milieu. Will était du genre à choisir des mots de passe très compliqués qui combinaient suite de lettres, majuscules, et chiffres complètement aléatoires. Je me demandais même comment il faisait pour retenir tout ça...
Je prétextai alors aller chercher de la confiture dans le frigo pour me lever et m'éloigner de lui. Une fois hors de sa vue, je sortis mon téléphone portable de ma poche et notais les lettres et les chiffres que j'avais réussi à voir, pour ne rien oublier. Apparemment, son mot de passe faisait bien dix caractères, et je n'en avais trouvé que trois pour l'instant...
Il m'appela pour me dire que l'épisode de notre série allait commencer, et je vins me rasseoir à côté de lui avec le pot de confiture que j'étais censée être partie chercher.
Ce n'est que le dimanche vingt-et-un août, au bout de quatre jours et au terme d'un certain degré de concentration, que je réussis à déchiffrer entièrement le mot de passe de William. Toutes les fois où il avait ouvert son ordinateur et où il l'avait tapé, je l'avais observé du coin de l'œil, en faisant semblant de jouer avec mon téléphone et d'être concentrée sur mon écran à moi.
En vérité, j'observais minutieusement son clavier et chacun de ses gestes, retenant chaque lettre, chaque chiffre, en les notant dès que je les voyais.
J'avais même pensé à le filmer, une fois, afin de revenir observer la vidéo plus tard et de tenter de décrypter les touches qu'il utilisait, mais j'avais trouvé cette solution beaucoup trop fastidieuse.
Alors, j'avais patiemment attendu, redoublant d'efforts et d'observations avant de pouvoir enfin connaître l'intégralité du mot de passe.
Ce dernier ne signifiait rien d'ailleurs, ce n'était qu'une suite de lettres et de chiffres qui n'avaient aucun lien entre eux. Je n'aurais jamais pu le deviner par moi-même, même en ayant passé des jours entiers à essayer.
Je n'avais plus qu'une seule hâte maintenant, pouvoir l'utiliser à mes fins.
Bien entendu, je faisais ça dans le seul et unique but de m'assurer que notre bonheur n'allait pas rencontrer une nouvelle ombre qui se serait nommée ex-petite amie sur le retour ou « amie » trop envahissante. Nous étions parfaits tous les deux, je n'avais pas l'intention de laisser quelqu'un, en l'occurrence quelqu'une, gâcher cela.
Ce n'était pas vraiment fouiller, c'était, disons, m'assurer du bon déroulement des choses. Je n'avais pas éliminé les menaces Daisy et Aurélie pour baisser ma garde maintenant. Surtout pas maintenant. Les choses étaient écrites comme cela, voilà tout.
Je posai ma tête sur l'épaule de William pendant qu'il portait sa bouteille de bière à la bouche.
- Tu travailles comment demain ?, lui demandai-je, l'air de rien.
- Je fais le service de journée, onze heures seize heures... Tu ne t'ennuieras pas trop sans moi ?, me taquina-t-il.
- Bof, je dois déjeuner avec Malorie alors..., répondis-je en feignant un air désintéressé.
C'était vrai, bien entendu, j'avais rendez-vous au restaurant avec ma sœur à treize heures, ce qui me laissait une bonne heure et demie pour fouiller un petit peu.
Juste une fois, et après, je serais tranquille. Juste histoire d'être sûre, de me rassurer...
William m'attrapa par la taille et se mit à me chatouiller très fort : mon point faible.
- Comment ça tu ne t'ennuieras pas sans moi ?, s'indigna-t-il pendant que je me tordais de rire.
- Mais si, mais si !, capitulai-je. Tu vas énormément me manquer !
Il s'arrêta et me regarda avec une moue sceptique.
- Mouais, admettons..., fit-il. J'espère que c'est bien Malorie que tu vas voir, et pas un autre garçon...
- Qu'est-ce que j'irais faire avec un autre garçon ?, répondis-je l'air désabusé.
- Je ne sais pas...
- Je t'ai toi, ça me suffit amplement..., lui déclarai-je.
Je m'accrochai alors à son cou et le couvris de baisers.
- Si tu crois que tu vas m'avoir comme ça ma grande..., dit-il, impassible devant le flot d'amour que je lui offrais.
- Tu vas céder..., affirmai-je entre deux baisers et en redoublant de plus belle tout en commençant à le déshabiller.
Comme je l'avais prédit, il ne fallut pas plus de trois minutes avant que Monsieur ne cède et ne réponde à mon élan d'affection. Il m'attrapa les poignets, me plaqua au canapé sur le dos, et nous oubliâmes totalement le film que nous étions en train de regarder.
Le lendemain matin, je prétextai faire la grâce matinée quand William se leva afin de se préparer pour aller au travail.
- N'oublie pas de te réveiller quand même., me dit-il en m'embrassant sur la joue. Je te rappelle que tu dois aller déjeuner avec ta sœur.
- Bah, c'est à treize heures..., marmonnai-je d'une voix endormie.
- Faut vraiment que t'arrêtes de te coucher à deux heures du matin toi., annonça-t-il en rigolant.
- Hum, la faute à qui, hein ?
Je rabattis la couette sur mon visage afin de signifier que j'étais vraiment fatiguée. C'était le cas, mais la curiosité me maintenait éveillée et me faisait presque oublier que je voulais dormir encore quelques heures de plus.
Alors, quand William partit, aux alentours de dix heures, j'attendis qu'il ait refermé la porte à clef derrière lui pour me lever d'un bond.
Je passai à la salle de bain pour me laver, me maquiller, me coiffer et m'habiller en quatrième vitesse, et allai dans le salon afin d'assouvir enfin cette curiosité quelque peu malsaine qui s'était installée en moi depuis près d'une semaine.
Je tremblai presque, j'étais terriblement stressée. Je posai mon téléphone à côté de moi, ouvert sur l'application dans laquelle j'avais retenu le mot de passe, et, dans une inspiration visant à calmer mon appréhension, j'ouvris l'ordinateur.
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