Règle numéro dix-sept : l'Amour ne se crée pas.
William et moi nous levâmes instantanément après avoir entendu la sonnerie du four retentir. J'avais très faim, et j'imagine que lui aussi vu la vitesse à laquelle il se précipita pour aller dans la cuisine récupérer notre délicieux repas.
Il ouvrit un tiroir, mis des gants de protection contre la chaleur, ouvrit le bâtant du four, en sortit la pizza et la déposa simplement sur une assiette qui se trouvait sur le plan de travail.
- On mange devant la télé ?, me demanda-t-il en ôtant ses gants.
J'acquiesçai d'un signe de tête. J'adorais ce genre de soirées télé et pizza que nous faisions de temps en temps, c'était simple, mais tellement convivial. Et les meilleures choses dans la vie sont souvent les plus simples de toute façon.
- Je vais chercher des bières., annonçai-je pendant qu'il emportait la pizza dans le salon.
J'ouvris le frigo, pris deux Delirium, refermai la porte d'un coup de hanche, attrapai le décapsuleur au passage et rejoignis Will sur le canapé.
Il avait déjà pris une part de la pizza et était en train de la porter à sa bouche.
- Fais gaffe tu..., commençai-je.
- Merde, c'est chaud !, s'exclama-t-il avant que je n'aie pu finir ma phrase.
- Tu vas te brûler, voilà ce que j'allais dire...
Je lui fis un petit sourire moqueur en posant les bières sur la table basse. Il reposa sa part de pizza dans l'assiette, et protesta :
- Oui bah j'avais faim figure-toi. Je t'ai attendu pour manger je te rappelle.
- Et t'en es mort ?, ironisai-je en décapsulant les deux bières et en lui passant la sienne.
- Très drôle. J'aurais pu. Imagine, je serais mort, qu'est ce que t'aurais fait ?
Je faillis répondre « j'aurais fait disparaître ton corps », mais je me retins. Rien que l'idée que William soit mort me donnait la nausée et envie de pleurer toutes les larmes de mon corps, alors m'imaginer découper son cadavre et le brûler ou le baigner dans du white spirit... Je frissonnai rien qu'à cette vision.
- Je me serais tuée pour pouvoir passer l'éternité à tes côtés., répondis-je enfin sur un ton dramatique avant de boire une gorgée de Delirium.
- C'est stupide, il faudrait que tu continues à vivre ta vie, tout simplement.
J'attrapai ma bouteille de bière et la levai pour trinquer avec William.
- On parle d'autre chose, tu veux ?, demandai-je. Je n'ai pas envie de t'imaginer mort ou je ne sais quoi...
Il leva sa bouteille à son tour, et la fin tinter contre la mienne en répondant qu'il était d'accord.
- Puisque tu veux changer de sujet de conversation..., poursuivit-il. Je me demandais si on n'aurait pas pu emménager ensemble, mais dans ta maison, tu vois.
Je faillis m'étouffer avec ma gorgée de bière.
Emménager ensemble, d'accord, mais dans ma maison... Qu'est-ce qui lui prenait tout d'un coup, lui qui avait toujours été si bien dans son petit F2 et qui ne voulait le quitter pour rien au monde ?
Devant mon air ahuri, il s'empressa d'ajouter :
- Oui en fait, c'est logique, c'est tout le temps toi qui viens ici alors que l'appartement n'est pas bien grand... Dans ta maison, on aurait quand même beaucoup plus de place, tu ne crois pas ?
- Mais..., balbutiai-je., Mais je l'aime bien ton appart moi, je m'y sens très bien ! J'y ai passé plus de temps les quatre dernières années que dans la maison de mes parents... D'ailleurs c'est ça, c'est la maison de mes parents, et je n'ai pas l'intention de la garder, tu sais.
C'était la vérité : cette maison me demandait trop d'entretien et me prenait trop d'argent, alors certes, c'était plaisant d'avoir un si grand espace pour moi toute seule, et j'y avais également un certain confort que peu de personnes de mon âge connaissaient, mais je n'allais pas pouvoir rester dans cette situation éternellement : je devais vendre. Non seulement parce que j'avais, d'une manière ou d'une autre, besoin d'argent, et aussi parce qu'elle était bien trop grande pour moi toute seule. Même pour William et moi, elle aurait été trop grande.
Quatre chambres, deux salles de bain, une pièce de vie principale de plus de quarante mètres carrés, un grand jardin... Une famille nombreuse aurait besoin de tout ça, mais certainement pas nous, et encore moins à nos âges respectifs.
Et puis, je n'avais pas envie qu'il s'installe dans la maison maintenant et qu'il y découvre certaines choses, comme les affaires de Daisy que je gardais encore, par exemple, ou même mon Beretta, bien qu'il soit précieusement rangé dans mon coffre blindé.
- Attends que je vende et on prendra un appartement plus grand si tu veux., ajoutai-je devant son air déçu.
C'était ce qu'on avait décidé au départ après tout, juste avant de se lancer sur le sujet du mariage. Pourquoi l'idée d'emménager dans une maison lui prenait de la sorte, tout d'un coup ?
Il avala sa gorgée de bière, reposa sa bouteille sur la table basse, et répondit d'un air distant :
- D'accord, comme tu veux. Je disais ça comme ça de toute façon...
Je fus quelque peu rassurée. Si c'était juste une proposition histoire de, ça allait vite lui sortir de l'esprit.
Il attrapa sa part de pizza, qui avait dû refroidir depuis le temps, et mordit dedans à pleines dents. Je l'imitai en prenant une autre part dans l'assiette et la portai à ma bouche.
Si Malorie me voyait, elle me dirait « ce n'est pas comme ça que tu vas améliorer ton capital santé », mais je m'en fichais royalement. Il fallait bien que je meure de quelque chose, et au moins, j'aurais profité de la pizza jusqu'à la fin.
- Tu veux regarder quoi au fait ?, demanda William en reposant sa part à moitié finie dans l'assiette.
Je m'apprêtai à répondre le nom d'une série que nous avions commencé à regarder ensemble quand la chanson Johnny B. Goode, interprétée par Marty McFly dans le premier volet de Retour vers le futur retentit depuis l'entrée. Ça, c'était mon téléphone qui sonnait.
Curieuse de savoir qui pouvait bien m'appeler à cette heure-ci, je me levai en dansant et allai chercher mon portable qui se trouvait sur la console. Je le laissai sonner encore un peu pour profiter de la musique avant de décrocher. Le nom de Léa était affiché sur l'écran.
- Oui ?, fis-je d'une voix enjouée en décrochant enfin et en portant le combiné à mon oreille.
- Cassie, devine quoi !, balança-t-elle instantanément sans même prendre la peine de me saluer.
- Euh... Je ne sais pas moi, un indice ?
Je retournai dans le salon et me rassis à côté de Will tout en écoutant Léa poursuivre :
- C'est à propos du boulot.
- T'as été engagée ?, jubilai-je.
Léa était actuellement en stage rémunéré dans le cadre de sa dernière année de médecine, et l'entreprise dans laquelle elle travaillait lui avait promis une embauche en CDI à la fin de son stage, à la condition que ses résultats eussent été concluants. Je me réjouissais donc que la nouvelle qu'elle m'annoncerait puisse être cela, étant donné qu'elle aurait adoré - je le savais tant elle m'avait rebattu les oreilles avec ça - travailler dans cette boîte sur le long terme.
- Non, mieux !, se réjouit-elle à l'autre bout du fil. J'ai un week-end de trois jours !
J'imaginai son énorme sourire et ses yeux bruns pétillant de joie au moment où elle avait prononcé et ces mots, et j'éclatai de rire. William tourna la tête dans ma direction et me regarda d'un air de dire « mais qu'est-ce qu'elle a, celle-là », je cachai donc le combiné du téléphone avec ma main libre, et lui chuchotai :
- C'est Léa.
Il lâcha un « ah » d'indifférence et retourna à sa bière et sa pizza. Léa continua :
- Du coup, tu veux venir regarder un film à l'appart demain soir ? Et tu pourras rester dormir, ça te changera de William.
J'étais particulièrement emballée par cette idée. Pas le « me changer de William », mais le fait de passer une soirée avec ma meilleure amie m'enchantait particulièrement. Cela faisait des mois qu'on n'en avait pas faite une, je ne saurais même pas dire à quand remontait la dernière.
- J'en serais ravie., répondis-je donc à Léa. On se retrouve à dix-neuf heures chez toi ?
- Ça marche. Bon, je te laisse avec ton amoureux. Tu lui passes le bonjour hein...
Je ricanai en approuvant, sachant pertinemment qu'elle disait ça à la fois par politesse et par provocation envers William, et raccrochai.
- Qu'est-ce qu'elle voulait ?, demanda Will d'un ton blasé.
- Elle te passe le bonjour., fis-je toute joyeuse.
- Ah bon., répondit-il, toujours sur le même ton froid et indifférent. Et c'est tout ?
- Non, je dors chez elle demain soir. Tu n'y vois pas d'inconvénient ?
Il haussa les épaules et prit une nouvelle part de pizza. William et moi avions eu l'habitude de nous laisser une certaine liberté entre nous, il pouvait voir ses potes autant qu'il le voulait, de même que je pouvais voir Léa dès que j'en avais l'envie, à condition que ça ne soit pas tous les jours, bien entendu ; mais cette fois, je ne sais pas vraiment pourquoi, j'éprouvais une certaine angoisse à laisser William tout seul.
Je crois bien que c'était à cause de Daisy.
Elle était morte et elle me traumatisait encore, mais je sais que dans mon subconscient, le lien était clair : si tu laisses Will tout seul, tu n'as pas peur qu'il aille trouver de la compagnie dans les bras d'une autre femme ?
Si. C'était exactement ce dont j'avais peur. Mais je ne pouvais pas m'empêcher de vivre à cause de cette foutue angoisse qui me trottait dans la tête et dans le cœur.
C'était stupide enfin, Daisy avait été une erreur pour William, un caillou sur son chemin. Il ne m'avait pas trompée une seule fois en quatre ans, pourquoi aurait-il recommencé maintenant ? Je connaissais toutes ses amies : elles étaient toutes soit en couple, soit lesbiennes, soit complètement désintéressées. Je savais que je n'avais rien à craindre d'elles, d'autant plus qu'il fréquentait davantage de garçons que de filles...
J'inspirai pour me changer les idées et terminai ma part de pizza.
- À quoi tu penses ?, demanda-t-il alors.
- À toi., répondis-je spontanément.
Il me sourit, m'embrassa sur la joue et se leva.
- Je vais mettre un film., dit-il. Si on regarde une série, je te connais, tu vas vouloir regarder la saison en entier...
Je me retins de rire : il me connaissait vraiment trop bien, peut-être même mieux que je me connaissais moi-même, parfois.
Il choisit comme film The Amazing Spider Man, le deuxième, et vint se rasseoir après avoir lancé le lecteur Blu-ray.
Je me blottis contre lui et constatai qu'il ne restait plus qu'une seule part de pizza dans l'assiette. Je remarquai que William lorgnait dessus, alors je lui dis d'un ton apaisé :
- Vas-y, prends-là.
- T'es sûre ?, s'étonna-t-il en faisant les gros yeux.
- Oui, je suis sûre. Je te laisse la dernière part de pizza, si ce n'est pas une preuve d'amour ça, je ne sais pas ce que c'est !
Il m'embrassa à nouveau, et se précipita sur cette dernière part qu'il engloutit en moins de cinq minutes. Il éteignit ensuite la petite lampe du salon afin que nous soyons plongés dans le noir puis se calla dans le dossier de la banquette, et je me blottis à nouveau contre lui en me concentrant sur le film qui commençait.
Je sentis mon corps être pris de secousses, ce qui m'arracha du sommeil dans lequel j'étais apparemment tombée. Un peu dans les vapes, je clignai des yeux et regardai autour de moi : la télé était éteinte, la lumière allumée, tout était calme et William me fixait d'un air insistant en continuant de me secouer avec son bras.
J'ouvris grand les yeux quand je réalisai ce qu'il s'était passé.
- Merde, j'ai dormi !
- T'as raté tout le film., enchaîna William.
- Mais fallait me réveiller !, protestai-je en me tournant vers lui d'un bond.
- J'ai essayé, mais tu ronflais tellement que j'ai préféré abandonner au bout de la troisième tentative.
- Vous devez me confondre avec quelqu'un d'autre Monsieur, je ne ronfle jamais !, plaisantai-je en me levant.
Je ne m'étais même pas sentie m'assoupir. Comment est-ce que j'avais pu m'endormir devant un film comme The Amazing Spider Man ? En plus, je ne m'étais presque jamais endormie devant un film. Sauf une fois, au cinéma, devant un long-métrage de deux heures particulièrement ennuyant.
Et aussi une fois devant Watchmen, mais cette fois là, il était tard et j'étais vraiment très, très fatiguée.
Je repensai à la journée que j'avais passée. Elle m'avait sans doute épuisée sans que j'en aie eu conscience, et avait provoqué mon endormissement. Après tout, découper et brûler un corps pour le faire disparaître n'était pas de tout repos...
J'allai dans la chambre de William et enfilai mon pyjama tandis que lui alla prendre sa douche.
Je me glissai dans le lit, mon téléphone à la main, et consultai en vitesse mes mails et les réseaux sociaux : rien d'intéressant, comme d'habitude. Pourtant, je me surpris à aller fouiller un peu sur la page de William. Je ne sais pas exactement ce que je cherchais, peut-être une trace de « J. » - que je savais inexistante sur Facebook pourtant - peut-être une autre victime potentielle...
Je devais vraiment arrêter de voir le mal partout et de tout interpréter à ma sauce.
Je fermai donc l'application, actionnai le mode avion de mon téléphone et le déposai sur la table de nuit, puis je m'étirai et m'enfonçai dans le lit quand William ouvrit la porte, vêtu d'un unique pantalon de pyjama gris et les cheveux dégoulinants d'eau. Il les essora avec une serviette qu'il balança ensuite sur le coin du lit.
- Je pensais que tu dormais déjà., fit-il remarquer.
- Presque., répondis je en baillant et en me tournant sur le côté de façon à être dans la position dans laquelle je dormais toujours.
Quelques secondes plus tard, je sentis Will se glisser sous les draps dans mon dos, et se coller contre moi. Instinctivement, je me retournai pour être face à lui et l'enlaçai avec mes jambes et mes bras. Il éteignit la lumière de sa main libre, la passa ensuite autour de mon cou, et nous nous endormîmes ainsi, collés l'un à l'autre comme deux inséparables.
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