Chapitre 1 : Le nouvel élève
— C'est hot ! Tu devrais trop lire ça ! s'exclama Claire en feuilletant son manga yaoi avec animation.
Allongée sur un banc, la demoiselle avait posé sa tête sur les cuisses jointes d'un Dominic qui, les bras étendus sur le dossier et la tête basculée en arrière, essayait d'attraper encore quelques minutes de sommeil avant le début des cours.
— Lâche-moi avec tes trucs de pédés à l'eau de rose, grogna-t-il sans ouvrir les yeux, ce qui lui valu un coup de poing dans les abdominaux.
— Parle pas comme ça ! C'est moche pour ton frère et tous les autres homos. Y a d'autres mots qui ne sont pas péjoratifs, tu sais ? Tu m'énerves. Tiens, t'as gagné ! Pour ton anniv', je t'achète un dictionnaire.
Dominic esquissa un rapide sourire avant de poser une main sur la tête de son amie pour lui ébouriffer les cheveux.
— Allez, bouge ! On y va. J'ai pas envie de courir.
Claire fut sur ses pieds en moins de deux et récupéra son sac à dos où elle rangea le manga avec révérence, au milieu de ses bouquins de classe.
— On commence par quoi déjà ? demanda le colosse en commençant à se diriger vers l'établissement scolaire qui se trouvait à une rue du petit parc où ils avaient l'habitude de buller avant de passer aux choses sérieuses.
— Comme tous les mardis depuis le début de l'année. Mathématiques. Tu suis, ça fait plaisir.
— Ça me saoule.
— Tout le monde a bien compris. Surtout le prof. T'as eu combien au dernier contrôle déjà ?
— T'occupes, p'tite tête. Avance.
— T'es encore plus ronchon aujourd'hui qu'hier. Ça va crescendo ? J'ai hâte d'être demain pour vérifier.
Après avoir fait mine de vouloir l'étrangler, Dominic laissa son bras autour des épaules de son amie et ils poursuivirent leur route. Le lycée devant lequel ils arrivèrent était considéré comme un des plus modernes de la ville. En vérité, les carrés multicolores de la façade lui donnaient un côté années 70 qui déplaisait à la plupart des élèves, mais l'uniforme qu'ils devaient porter n'était pas trop mal. Bleu marine avec quelques touches de rouge, au col et sur la broderie du logo de l'établissement. Ces dernières années, l'accent avait été mis sur les arts et la musique. À la rentrée, le directeur avait inauguré un studio de danse et même un studio d'enregistrement.
Aucune de ces disciplines n'intéressait toutefois Dominic Bellwether qui marqua une halte avant d'entrer pour extirper une cravate rayée bleu marine et rouge de sa poche de pantalon. Il passa l'élastique autour de son cou en soupirant et rabattit le col de sa chemise par-dessus. Son uniforme était à présent complet et il ne risquerait pas un avertissement. Le directeur l'avait déjà prévenu à plusieurs reprises qu'il risquait la sanction.
Les couloirs étaient déjà bondés d'élèves beaucoup trop enthousiastes et exubérants pour une heure aussi matinale. Son amie Claire le taquinait souvent sur le fait que son animal totem devait être un ours, à cause de sa carrure impressionnante pour son âge et son affection pour le sommeil, comparable à l'hibernation. Le Gallois avait de larges épaules et des bras musclés. Il aimait l'exercice physique, mais il avait toujours refusé les avances de l'équipe de rugby. Même quand le coach avait essayé de le soudoyer en arguant qu'il lui offrirait la tenue pour les matches s'il s'inscrivait. L'équipe était bien classée aux inter-lycées, mais elle aurait sans conteste pu bénéficier d'une carrure de deuxième ligne comme celle de Dominic. Pour le colosse des Bellwether, le rugby avait malheureusement un problème majeur qui l'empêchait d'accepter de participer : c'était un sport d'équipe. Où il fallait donc parler avec d'autres gens et, pour plus d'efficacité, s'entendre avec eux. Or, du point de vue de l'adolescent, les membres de l'équipe de rugby du lycée étaient une brochette de sombres crétins trop sûrs d'eux. Ce n'était que lorsqu'il avait dit ça à l'entraîneur, en fin d'année dernière, que celui-ci avait fini par laisser tomber l'idée de le recruter.
— Essaye de pas t'endormir, conseilla Claire en se laissant tomber lourdement sur la chaise de la place isolée qu'elle occupait d'ordinaire, au fond, près de la fenêtre. Le prof postillonne quand il s'énerve et c'est vraiment dégueu.
— Je ne fais pas de promesse que je ne tiendrai pas.
Comme ils n'avaient plus le droit d'être à la même table ' – à cause des bavardages de la demoiselle –, Dominic s'installa juste de l'autre côté de l'allée, sur une table qui pouvait accueillir deux élèves. Il savait qu'il l'occuperait seul parce que leur classe n'était jamais pleine. Leur professeur ne tarda pas à débarquer, avec son petit cartable en cuir ringard et ses épaisses lunettes qui menaçaient seconde après seconde de sauter du bout de son nez. Un jeune homme marchait derrière lui, visiblement mal à l'aise. Il portait l'uniforme de l'école. Son visage disparaissait presque sous une épaisse chevelure bouclée noir d'encre.
— Un peu de silence, s'il vous plaît. Vous avez eu toute la journée d'hier pour vous raconter votre weekend. C'est pour ça que je ne veux jamais les cours du lundi. Nous allons commencer celui-ci par l'introduction d'un nouvel élève qui nous arrive de, euh... Glasgow, c'est ça ? Je te laisse te présenter aux autres.
La demande eut l'air de mortifier le garçon. Au bout de cinq secondes de silence embarrassant, il desserra les dents et lâcha sobrement :
— Lukas Bishop.
La classe se mit à rire, ce qui n'arrangea rien au trac de leur nouveau camarade. Le professeur patienta encore quelques instants pour voir s'il voulait ajouter quelque chose, puis il vint à son secours :
— Bien. Tu peux aller t'asseoir où il y a de la place.
Rapide comme l'éclair, Claire leva le bras et se mit à gesticuler en désignant la table de Dominic :
— Là ! Là ! Y a une place libre.
Ce qui lui valut un regard noir de son meilleur ami. L'adolescente obtint néanmoins gain de cause et eut la satisfaction de voir le jeune homme timide se diriger vers l'endroit qu'elle lui avait désigné. Pendant que le professeur commençait à écrire son charabia de chiffres au tableau, elle se pencha dans l'allée pour lui tendre la main par-dessus le bureau :
— Moi, c'est Claire Darber, murmura-t-elle, un grand sourire aux lèvres avant de désigner son ami. Lui, c'est Dominic Bellwether.
Son interlocuteur hocha doucement la tête et lui serra la main avant de tendre la sienne à Dom, pour être poli. Le colosse hésita, parce qu'en règle générale, il évitait les contacts physiques qui lui étaient désagréables, mais il finit par la serrer à son tour, en prenant garde à ne pas lui broyer les os. Lukas avait de longs doigts fins, encore plus fins que ceux de Claire. Quand il retira sa main, il la trouva gracieuse. Quand elle attrapa son crayon à papier aussi. Quand elle ouvrit son cahier également. Ensuite, il arrêta de regarder.
À la fin du cours, alors que tout le monde s'empressait de ranger ses affaires pour se tirer vers la discipline largement moins barbante qu'était l'informatique, Claire fit manifestement exprès de traîner. Le colosse eut l'intuition qu'elle allait encore partir dans un de ses délires. Quand elle emboîta le pas au nouveau, Dominic sut qu'il avait vu juste.
— Donc tu viens de Glasgow, Lukas ? J'y suis jamais allée. C'était cool comme ville ? Sois honnête avec moi : vous accrochez le portrait de la Reine dans votre salon là-bas ou vous en avez fait une poupée vaudou ? T'es gay ? Tu manges avec nous à midi ? Tu ne trouves pas que Dom est canon ? Tu regardes le rugby ? T'as donné ta langue au chat ? Tu...
Tout en marchant, Dominic attrapa son amie par la taille et lui colla une main sur la bouche pour la faire taire.
— Pas son premier jour, Darber. Il va te fuir et tu vas passer le reste de l'année à t'en plaindre. Souviens-toi de Kenny Whitlow. Il fait demi-tour dans le couloir quand il te voit.
Comme d'habitude, Claire lui lécha la paume de la main pour qu'il la lâche et son ami l'essuya sur son épaule avec une moue dégoûtée.
— Non mais, tu sais, plus j'y réfléchis et plus je me dis que c'est une coïncidence, se défendit la demoiselle.
— C'est pas une coïncidence.
Lukas observait leur numéro comique en essayant de retenir un sourire. Quand leur petit groupe arriva en vue de la prochaine salle de cours, la chamaillerie cessa et le jeune homme s'éclaircit la gorge pour répondre doucement :
— Oui. Pas mal. Le portrait accroché dans le salon. Non. D'accord. Je n'ai pas d'avis sur le sujet. Un peu. Et, non, mais je ne sais jamais quoi dire aux gens.
Claire le fixa quelques secondes, bouche bée, alors qu'elle comprenait qu'il avait retenu toutes ses questions et qu'il lui répondait dans l'ordre. Puis elle lui sauta au cou pour l'éteindre avec force en s'écriant près de son oreille :
— J'suis sûre qu'on va être super potes tous les trois !
Dominic songea à la tirer en arrière pour éviter qu'elle ne traumatise le nouvel élève dès son premier jour parmi eux, mais la mine timidement réjouie de Lukas l'arrêta. Il l'observa du coin de l'œil. C'était un peu ridicule d'être heureux pour un simple câlin, non ? Surtout avec une inconnue qui venait de lui faire perdre trois points d'audition.
Le cours d'informatique passa relativement vite. Comme les bureaux étaient disposés en cercle, Claire fit des pieds et des mains pour faire décaler tout le monde jusqu'à ce qu'une place soit libre entre Dominic et elle afin d'y incruster Lukas. La furie brune se fit réprimander plusieurs fois par le professeur parce qu'elle faisait des messes basses à son voisin, mais cela n'entacha en rien son enthousiasme.
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