XIII . MASCARADE FINALE ★

Les ténèbres s'intensifient, rampant à travers tout ce qui se trouve en son pouvoir et imprégnant chaque parcelle du monde qu'elle a conquis.

Aylin est à terre, elle ne bouge plus. Elle a essayé dans un premier temps de suivre Finn et son ravisseur, mais la douleur du coup porté à ses côtes sévissait, alors elle a laissé tomber. A présent, elle reprend son souffle, réfléchit sans doute à la mesure à prendre maintenant qu'elle est seule dans cette obscurité omniprésente, en proie au danger tout comme l'est Finn.

Elle se met debout, regarde autour d'elle, semble chercher quelque chose. Et elle le trouve.

— Je te conseille de ne plus bouger, jeune fille. Peux-tu m'expliquer où tu vas comme ça ?

Aylin ne m'écoute pas et agrippe la poignée de la porte par laquelle elle et Finn sont arrivés plus tôt.

— Très imprudent de ta part. Tu ne voudrais tout de même pas que Finn meurt par ta faute, n'est-ce pas ?

Aylin se fige. Finalement elle revient sur ses pas, et se plantant au milieu de la pièce, elle fixe un coin supérieur. Elle ne le sait sans doute pas, mais son regard insolent est dirigé sur l'une de nos caméras infrarouges, me donnant l'impression que ses yeux colériques sont directement posés sur moi.

— Encore une tentative d'évasion et je lui coupe la tête, à toi de voir.

J'éteins mon micro.

Aylin, déterminée, s'en va franchir la prochaine porte. Elle pénètre dans une nouvelle pièce, mais n'hésite pas comme dans les autres. La colère bouillonnant en elle comme en moi, elle cherche directement ce qu'elle sait qu'elle doit trouver avant de pouvoir avancer.

Je l'entends pester.

— Aïe !

Ses pieds se prennent dans des débris et elle trébuche. Sa tête heurte une surface dure, Aylin tombe lourdement. Tandis qu'elle se tient le front d'une main là où du sang a perlé sur sa chair, elle avance l'autre vers le bois épais. Elle sait ce que c'est, elle tente alors de se relever, et c'est avec difficulté qu'elle y parvient. Titubant mais trouvant finalement son équilibre, elle trouve un point d'appui et attend.

La lumière jaillit presque immédiatement.

La même musique douce et lente plane et brise légèrement le silence. Les mêmes poupées. Celle à l'accoutrement rouge, l'autre vêtue de noir. Dans la même position que sur l'ilot de la cuisine. Blotties l'une contre l'autre. Ensemble, amoureuses, liées. Une seule différence est notable, cependant : la présence de deux nouvelles poupées. Moins grandes, certes. Mais tout aussi jolies et inspirant subtilement la peur. L'une des petites nouvelles est habillée de blanc et a la chevelure bouclée et dorée, tandis que l'autre présente un habit sombre et des cheveux en cascade d'un noir aux reflets bleus. Toutes deux ont le même teint de porcelaine, à l'instar des plus grandes, mais ont des prunelles vertes et bleues à l'intensité différente.

— Certains en sont privés, mais eux étaient riches de ce trésor qu'est d'avoir une famille.

Aylin semble décontenancée. Elle regarde les poupées sous tous les angles, les observe jusqu'au moindre détail. Elle cherche un sens à cette mascarade, et sa confusion mêlée d'angoisse se lit dans ses yeux, de nouveau braqués sur la caméra dissimulée dans un coin obscur. Elle semble sur le point de s'adresser à moi, mais sa bouche se referme sans émettre un son. Elle finit par secouer lentement la tête, comme si elle était dégoûtée de l'auteur de ces mises en scènes. Sois donc dégoûtée, Aylin, tu n'as encore rien vu. Et comme si elle m'avait entendue, comme si elle se voulait défiante, elle se détourne vivement et atteint la porte d'un pas énergique.

Cette maison est étrange, se dit certainement Aylin. Cet enchaînement de pièces contigües, sales et dépravées. La structure des choses ne va pas, comme si tout a été bâti à tort et à travers. Cette maison, cette demeure, est particulière. Particulière en aspect, particulière en fond. En tout cas, cet endroit respire la perfidie et l'atrocité. Aylin s'est fixé l'objectif de retrouver Finn dans ce labyrinthe, à ses risques et périls. La mort l'encercle en ce petit monde perverti et elle en est parfaitement consciente.

Cette pièce, à première vue loin d'avoir un quelconque détail spécifique comparée aux autres, est peu large. Celle-ci est la plus ordinaire qu'Aylin ait parcouru jusque là. Mais c'est en observant mieux qu'elle remarque que, face à elle, non pas une mais deux portes se tiennent. Celle de droite porte le numéro un, celle de gauche porte le numéro deux.

— Qu'est-ce que c'est ?

Et en plus, elle se permet de me crier dessus.

— Tu auras des explications en temps voulu. Je te conseille en attendant de baisser d'un ton.

Aylin me lance à travers la caméra un regard furibond.

— Bien, grogne-t-elle. Où sont ces satanées poupées ?

En veux-tu, en voilà.

La lumière apparaît, encore et toujours. Les mêmes poupées. Toujours les mêmes poupées.

A une exception près... La marionnette habillée de rouge a disparu. Mais la scène qui se dresse devant les yeux désormais vitreux d'Aylin n'en est pas moins dérangeante. La plus agitée des poupées est celle vêtue de noir, la plus grande des trois. Elle se déplace vite, ses bras vont dans tous les sens. Elle tournoie partout, semblant porter ses mains à sa tête comme si elle était affolée suite à une tragédie. On croirait ce personnage fou. La petite poupée à la robe blanche et aux boucles dorées est debout en retrait. Elle ne se déplace que momentanément, ses membres tremblants et secoués de temps à autre de soubresauts, ses yeux figés. Celle-ci à l'air en état de choc. Quant à la dernière, la poupée à la robe sombre et au regard obscur, elle est calmement assise sur une chaise, tournée vers ses deux semblables paniqués. Elle est tranquille, mais surtout immobile. Beaucoup trop immobile. Elle est la seule ici à être entièrement inanimée.

— Le cœur des choses parfois explose, un morceau disparait à jamais, créant un déséquilibre, un grand chagrin. Les morceaux restants le pleurent, mais il y en a toujours un pour s'en réjouir ou bien rester de marbre.

— Sérieusement ?

Aylin est confuse, pauvre chou.

— Quoi donc ?

— Qu'est-ce que c'est que ce cirque ?!

Je me penche vers mon micro.

— Ta descente en enfer, ma chérie.

— Qui es-tu ?

Je ris.

— Qui je suis ? Mais là n'est pas le problème, ma petite. La vraie question est « pourquoi ? », et je parie que tu as déjà tout compris.

Aylin lève les yeux vers moi.

— Peut-être, dit-elle faiblement. Mais... mais j'ai un doute.

— Oh. Un doute, hein ? Un doute sur le fait que la personne à laquelle tu penses puisse encore exister après tant d'années, c'est ça ?

Elle ne dit rien, et son silence en dit long.

— Peu importe, soupirai-je. Oui, plus rien n'a d'importance maintenant.

— A-a-attends...

Un bruit assourdissant vient déchirer le silence, et j'esquisse un sourire. Aylin n'est plus en état de terreur ou de panique, mais sur le point de défaillir. Le bruit résonne dans toute la maison, fort. Le bruit effrayant d'une tronçonneuse en marche. Aylin regarde autour d'elle, guettant le danger de tous côtés. Mais c'est uniquement quand des cris horrifiés viennent se joindre au mécanisme de la machine qu'Aylin tombe à genoux en se couvrant les oreilles.

— Arrête ! Arrête !

— Un choix t'est imposé, Aylin. Les deux portes renferment deux surprises différentes. Pour continuer, tu dois choisir un chemin. La porte N°1 te mènera vers ceux qui comptent le plus pour toi... à l'exception de Finn, que tu trouveras derrière la porte N°2. Note bien que les concernés sont en danger... Tu as bien entendu ce bruit horrible prêt à déchiqueter la chair des êtres que tu aimes le plus ? Vite, leurs cris douloureux commencent à me faire saigner les oreilles !

Je laisse à Aylin une seconde de digérer la chose.

— Tu as cinq minutes.

Cette fois, elle ne tient plus et se met à sangloter bruyamment. Ah ! Comme je me délecte de lui inspirer tant de peur ! La voir angoissée, impuissante et extrêmement vulnérable me remplit de joie et me fait sentir incroyablement puissante. En fait, je possède tout pouvoir sur elle. Je pourrais lui arracher un bras, qu'en dites-vous ? Ou commencer par lui extraire les globes oculaires avant de la forcer de venir à bout de ce périple dans le noir de la cécité ? Elle est ma marionnette, et je peux en faire ce que je veux.

Oh, on dirait qu'elle veut me parler.

— Une question, peut-être ? demandai-je innocemment.

— Est-ce que... Qui sont là au juste ?

Le vacarme de la tronçonneuse et des hurlements reste incessant.

— Tu veux savoir qui je retiens enfermé en plus de Finn ?

— Oui.

Je laisse échapper un rire pour toute réponse.

Peu importe si je lui dis ou pas. Vous croyez qu'elle accepterait de sacrifier Finn pour quelqu'un d'autre ? Que ce soit Nelly, Riley, Laurel, n'importe qui... Même moi. Même elle. Elle laisserait tout tomber pour lui, elle ferait du mal à qui bon lui semble pour lui, elle ferait l'impossible pour lui. Que les autres crèvent, si ça leur chante ! L'essentiel est la sécurité de Finn. Lui seul compte.

Et c'est pour cela que son point faible reste indéniablement Finn. Là où toute personne a échoué, Finn fait exception. Certains auront attiré l'attention d'Aylin, d'autres profité un peu de son temps. Peu de personnes auront gagné son amitié, encore plus rares sont celles qui auront eu son amour. Et même si l'individu y arrivait, cela ne saurait durer. Voilà où Finn a un avantage sur tout le monde. Il a non seulement retenu son intérêt, réussi à se rapprocher d'elle, remporté son amitié. Mais il a aussi conquis son cœur. Il est devenu son âme-sœur. Finn a tout acquis. Et ce, à vie.

Mais voilà que maintenant, tout ça se retourne contre Aylin.

— Tic tac, ma chérie ! Les minutes s'écoulent et tu n'as toujours pas fait ton choix.

Aylin, toujours à genoux, fixe les deux portes. Qui sauvera-t-elle ?

Plus qu'une minute quarante deux. Si elle ne prend pas de décision très vite, je me verrai obligée de la punir...

Elle se relève.

Les bras ballants, avant de se concentrer de nouveau sur les portes. Puis c'est d'un doigt tremblant qu'elle désigne la porte numéro deux.

— Tiens, tiens... Quelle surprise ! dis-je d'un ton dégoulinant d'ironie. Eh bien ceci était totalement inattendu !

Elle me regarde à travers la caméra d'un air excédé, ce qui me provoque un énième rire.

— Allons donc, Aylin. Va rejoindre ton prince charmant, mais dis d'abord adieu aux autres...

Aylin plaque sa main gauche sur la première porte, et un court instant j'ai cru qu'elle a changé d'avis. Mais elle baisse la tête, et je comprends qu'elle est effectivement en train d'adresser ses adieux à voix basse:

— Pardonnez-moi, je suis désolée...

Je la laisse marmonner, et en attendant je vais vous révéler un secret. On est alliés maintenant, n'est-ce pas ? Alors voilà, en réalité... Les deux portes donnent sur deux couloirs différents, mais qui débouchent sur le même endroit. Pourquoi je lui ai menti ? Oh, je voulais juste lui donner un bon coup de stress en l'obligeant un faire choix qui n'en est pas un. Et ça marche, plus elle avance, plus elle perd la raison. Et puis... Oh allez, je peux bien vous le dire : « les autres » ne mourront pas. Eh non ! Enfin, du moins pas maintenant. Encore une chose : contrairement à ce que vous pouvez penser, je ne retiens pas les amies d'Aylin. Une traînée et une briseuse de couple. Une belle brochette de menteuses ! Mais ces filles ne m'intéressent pas, je laisse le Karma faire le sale boulot pour moi. Mais qui sont alors ces personnes chères à Aylin et que je garde enfermées ? C'est une surprise que j'ai organisée pour elle.

Mais chut, pas un mot !

Aylin passe la porte deux pour pénétrer dans un couloir long et obscur. Dégoûtant et aussi horriblement oppressant, il donne l'angoissante sensation que les murs veulent se refermer, nous empêcher de respirer. Le silence revenu aussitôt qu'elle a fait son choix, on ne peut distinguer rien d'autre que la respiration saccadée d'Aylin.

La lumière jaillit.

Aylin ne s'y attendait pas, elle sursaute quand la musique discorde se déclenche. Les mêmes poupées. Toujours les mêmes putains de poupées. Effectuant des danses macabres, offrant un spectacle malsain. La plus grande marionnette représentant l'homme git à terre, allongée dans une position guère naturelle, ce qui ne l'empêche pas de remuer étrangement. Juste à côté se tient la poupée à la robe blanche, gigotant en tous sens, les mains liées fermement. La dernière, la poupée à la robe noire, est debout sur la gauche complétant la ligne de ses gestes brusques et désordonnés, l'air hilare. La poupée à la robe rouge manque toujours à l'appel. Aylin a du mal à porter son attention sur elles. Elles lui évoquent trop de mauvais souvenirs, elles lui donnent envie de vomir. Ces affreuses poupées remuent dans tous les sens, comme possédées elles prennent des postures et des allures étranges, on dirait presque que leurs visages sont animés d'expressions démoniaques. Au dessus de leurs têtes, sur le mur de la maison de poupées, se dresse une inscription carmin.

— Toc toc. Qui est là ? La malédiction frappa cette nuit-là. Une victime, un coupable et un accusé. Personne ne sût retrouver la vérité quand aux mensonges elle fût mêlée. Regardez, écoutez et ressentez... Le poison s'insinue dans nos veines tandis que la mort s'impose reine.

Ces paroles portent le coup de grâce à Aylin, qui s'écroule immédiatement. La musique aux notes désordonnées, sans mélodie ni harmonie aucune, cesse en même temps que les gesticulations exagérées des poupées. Aylin, le dos contre le mur, ramène ses genoux à sa poitrine et se tient la tête.

— Ca ne va pas ? demandai-je d'une voix mielleuse.

Aylin renifle, et je devine qu'elle est en train de pleurer. Oh my, que cette vision est délicieuse.

— Allons, ne pleure pas chère enfant, tu...

— Va en enfer !

J'éclate de rire pour de bon.

— Mais ma petite ; je suis le diable, l'enfer est ma maison. Et c'est en ma demeure que je t'invite, pour que de mes flammes tu brûles une fois pour toutes tes ailes d'ange, faire fondre ton masque d'innocente beauté, et enfin révéler le monstre hideux qui se cache en toi.

— Tu as toujours vu en moi le mal.

— Tu sais aussi bien que moi que le mal t'habite. Regarde où tu en es, Aylin... Tu ne peux pas nier que si tu es là, c'est uniquement de ta faute.

— NON !

Je ne réponds rien. Je la vois qui observe de nouveau les poupées à présent inanimées. A son regard, et vu avec quelle aversion elle les détaille, je peux être certaine qu'elle a compris. Je sais qu'elle a compris.

Toc toc.

On dirait des coups à la porte. Mais qui toque, toque à cette porte ? Le couloir abrite le noir et le froid, le silence est intense mais on toque à cette porte là. Quelqu'un est là, juste là à quelques pas, juste là derrière cette porte là. Aylin se lève prudemment et sans bruit aucun. Toc toc ! Le visiteur frappe encore une fois, demandant à entrer, demandant le chemin. Toc toc ! Mais qui est donc cet inconnu qui ne cesse d'insister ? Toc toc ! Aylin tremble de peur, elle n'ose plus bouger ni parler. Toc toc ! Toc toc ! Toc toc !

La porte s'ouvre lentement dans un grincement.

La respiration d'Aylin se bloque instantanément et ses yeux s'ouvrent en grand. L'entrebâillement de la porte par laquelle est passée Aylin découvre une personne debout sur le seuil, une personne dont uniquement la silhouette se détachant dans l'obscurité révèle la présence. Les contours du corps de l'inconnu montrent un détail de plus. Dans sa main, on dirait...

Ce ne serait pas la forme d'une tronçonneuse ?

Aylin recule en même temps qu'il s'avance. C'est là qu'elle le reconnait : c'est l'individu qui l'a attaquée avant d'emmener Finn. Son visage toujours recouvert d'un masque effroyable, il est muni cette fois d'un objet loin d'être rassurant. Est-ce lui l'origine du vacarme qu'elle a entendu ? Allait-elle être la prochaine victime ?

— A-A-A... A...

Essaye-t-elle de prononcer mon prénom ? Elle veut m'appeler à l'aide, peut-être ?

— Oui, Aylin ?

— Arrête ça !

— Arrêter quoi ?

— Je ne veux pas mourir !

— Oh ! Vraiment ?

— Arrête... Dis-lui de partir...

Je m'adresse à Nolan.

— Associé ? Tu veux t'en aller ?

Nolan fait un « non » de la tête.

— Désolée, Aylin. On dirait qu'il ne veut pas te laisser.

— S'il te plait ! Je t'en supplie, je t'en supplie dis-lui d'arrêter, je ferai tout ce que tu voudras !

Aylin qui me supplie ? C'est nouveau.

— Hum, c'est une offre intéressante. Mais tu fais déjà tout ce que je veux, alors... Bonne chance !

— Non... Non...

La voix d'Aylin s'étrangle.

Nolan démarre sa tronçonneuse.

Aylin hurle.

Quand elle a enfin le réflexe de bouger, elle traverse le couloir en courant avec Nolan sur ses pas. Elle pose ses mains partout, tape le mur dans chaque recoin. Elle n'y voit rien ! Mais dieu merci sa main trouve une poignée de porte, enfin. Elle la tourne, traverse le seuil et se retrouve de l'autre côté. Elle claque la porte derrière elle et sans réfléchir elle se met à courir, à courir toujours plus vite. Elle se retrouve face à plusieurs pièces dont l'accès à été barré. Aucune issue pour se cacher ! Mais elle tourne la tête et voit des escaliers. Ces escaliers sont son unique chance de s'échapper, de fuir l'homme masqué qui déjà la rattrape. Vite ! Elle monte les marches quatre à quatre, prend une direction hasardeuse et entre dans une pièce pas très spacieuse. Elle ferme la porte derrière elle, ce qui couvre un tant soit peu le vacarme incessant de son tueur et de sa machine. Aylin regarde autour d'elle. Une baignoire, un lavabo, une armoire à pharmacie, un miroir. Paniquée, elle part se planquer dans la baignoire. Un rideau de douche à moitié arraché est resté accroché, et il représente à cet instant l'infime moyen qu'a Aylin de se dissimuler. Elle l'ouvre au mieux et reste collée dans un coin, peinant à neutraliser sa respiration folle.

— Aylin, chantonnai-je.

Je la vois qui se raidit.

— Ca va, pas trop peur ?

Elle m'intime de me taire en portant un index à sa bouche.

Chut.

Nolan fait des allers-retours dans le couloir, feignant ne pas l'avoir vue pénétrer dans l'ancienne salle de bain. Le bruit de sa tronçonneuse augmente ou diminue en fonction de sa position par rapport à la cachette d'Aylin. Je la vois qui a l'air un peu soulagée quand il s'éloigne, mais elle semble au bord de l'hystérie dès que le danger revient si près.

Nolan se campe devant la porte.

— Associé ? Tu chauffes !

Nolan ouvre brutalement la porte. Il fait mine d'inspecter la pièce, en prenant soin de se rapprocher dangereusement de la cachette évidente d'Aylin à plusieurs reprises. Il fouille, il cherche, arrive juste devant le rideau... Si ça continue, le cœur d'Aylin va exploser.

Dans un mouvement de panique, elle saute sur Nolan, arrachant au passage les restes du rideau de douche. Elle l'écrase de tout son poids tout en le recouvrant du rideau. Mais l'idiote n'a pas pris en compte la machine toujours en marche, et dont la lame dentée lui taillade la jambe. Son sang gicle sur la baignoire. Elle hurle.

Nolan se débat et il réussit à faire tomber Aylin. Cette dernière se met debout sur sa jambe valide et tente de prendre la fuite. Mais sa cuisse douloureuse et dégoulinante de sang l'en empêche et elle trébuche. Nolan en profite pour saisir sa cheville et la tirer en arrière. Parfait. Aylin crie en lui donnant des coups. Mais cela ne se montre pas très effectif, jusqu'au moment où elle atteint avec son pied le visage de Nolan.

— Salope !

Aylin se rue dans le couloir, enfin aussi vite que quelqu'un peut courir à cloche pied. Nolan se traîne par terre pour la rattraper, ce qui la force à accélérer malgré sa douleur insoutenable. En sautillant, en rampant, en marchant, elle fait tout pour arriver à se tirer de là. Et finalement, cette garce coriace réussit à s'échapper.

Le bruit de la tronçonneuse s'estompe petit à petit. Je regarde ; Nolan se relève, il a seulement l'air un peu amoché. Tout va bien.

Quant à Aylin, elle fait deux pas de plus avant de s'écrouler, essoufflée. Sa jambe est poisseuse, recouverte du liquide rouge sombre qui se déverse encore abondamment de sa blessure. Elle semble à deux doigts de défaillir, mais comme je l'ai dit, elle est coriace. Elle tient bon.

Je la vois qui tente de se repérer. La maison est grande, on peut facilement s'y perdre. Mais elle n'est pas allée bien loin, et de ce fait, les escaliers sont tous près. Mais je doute qu'elle puisse les voir de là où elle est, surtout avec sa vision trouble. Elle tente d'arrêter l'hémorragie en appuyant sur la blessure, mais son sang coule toujours. Elle lève la tête et voit des flèches. Celle face à elle est dessinée sur le mur et pointe sur la droite. Une autre identique est à quelques mètres. Aylin est dans la bonne direction.

En dépit de tout, elle se met debout. Elle avance lentement en s'aidant du mur et s'oriente grâce aux flèches. Si elle suit les instructions c'est qu'elle a fini de se rebeller. Elle tombe entièrement à ma merci. Elle laisse tomber.

Ses mouvements sont néanmoins arrêtés quand une mélodie surgie de nulle part entonne une chanson à l'air guilleret.

Lord help the mister who comes between me and my sister,

And lord help the sister who comes between me and my man.

Sisters!

Sisters!

Sisters!

Don't you come between me and my man!

Aylin fronce le nez.

— Félicitations, tu t'en es sortie vivante, Aylin. Te voici à destination. Ouvre donc cette porte pour recevoir ta récompense !

Aylin pose son regard sur la porte en question. Nulle hésitation, elle s'y dirige vivement même sur un pied. Elle souffle une dernière fois, se prépare mentalement une dernière fois.

Elle ouvre la porte.

Elle met un pied dans la pièce, fermement agrippée à la poignée. Elle me regarde de la tête au pied comme si je n'étais pas réelle, comme si je ne pouvais pas être réelle. Et je vois son visage se décomposer tandis que la réalité lui donne la confirmation de ses craintes.

Je lui souris.

— La vie est imprévisible, n'est-ce pas ?... Tout comme moi.

Sa fureur et sa peur brillent dans ses yeux. Sa mâchoire tremble avant qu'elle ne prononce un mot, les dents serrées.

— Alyssa.

Et si nous revenions quelques années en arrière, qu'en dites-vous ?

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