XII. CACHE-CACHE ★
— Où est-ce que tu vas ?
Riley, les mains sur les hanches, regarde Aylin d'un air suspicieux.
— Quelque part.
Aylin tente de se défiler, mais bien sûr personne n'échappe à Riley.
— Viens ici, jeune fille !
Elle la retient par les épaules et lui fait face.
— C'est quoi ces manières ? Laisser tomber tes chères amies pour aller « quelque part » ! Et en douce, en plus !
— Riley, je dois vraiment y aller.
— Où ?
— Je ne peux rien te dire.
— Dis plutôt que tu ne veux pas me le dire.
Les deux, en fait.
— Je te préviens, si tu ne me dis pas où tu vas, tu n'iras nulle part !
— Riley, dit Aylin d'une voix suppliante.
— Qu'est-ce qui se passe ici ?
Laurel les observe depuis l'entrée du salon.
— Figure-toi que notre petite Aylin essayait de s'échapper.
— Et pour aller où ?
— Vas savoir ! Ne t'inquiète pas, je vais lui tirer les vers du nez.
Aylin soupire.
— Pas la peine, je me rends.
Un sourire satisfait apparaît sur le visage de Riley.
— Nous t'écoutons.
Aylin prend un petit air d'enfant qu'on aurait surpris en train de faire une bêtise.
— À vrai dire, je comptais rejoindre Finn.
— Oooooh ! font Riley et Laurel à l'unisson.
Aylin fait un geste vers la porte d'entrée.
— Je peux y aller, maintenant ?
— Mais bien sûr ! s'exclame joyeusement Riley.
— Merci.
Aylin ouvre la porte en grand et fait un pas dehors. Alors qu'elle porte sont téléphone à l'oreille – sûrement pour joindre Nelly qui n'a pas l'air de répondre – Riley lui saute dessus, manquant lui faire dégringoler les marches du perron.
— Surtout n'oublie pas d'en profiter pour lui toucher ses petites fesses, lui chuchote-t-elle à l'oreille.
Aylin pouffe de rire.
— Ouais, c'est ça.
Elle les prend à tour de rôle dans ses bras. Sous le regard surpris mais ravi des deux jeunes filles, elle leur dit qu'elle les aime. Enfin, agitant la main en guise d'au revoir à l'adresse de ses deux amies, Aylin s'en va.
🌛
— Enfin !
— Désolée, c'est Riley tu la connais.
Aylin se glisse à l'avant de la camionnette avant de déposer un baiser sur la joue de son compagnon.
— Tu veux bien me remontrer le message ? dit celui-ci.
— Oui.
Aylin lui tend son téléphone.
Toute énigme a une solution, une réponse que l'on obtient tout seul ou en donnant sa langue au chat. Mais vous, vous devrez aller jusqu'au bout. Rendez-vous demain au 313 Blackbird à 21 heures, les réponses au mystère sont au bout du chemin.
— Doll Face
— Tu as reçu ça hier ?
— Dans la matinée, oui.
— Et le « vous » désigne nous deux, c'est ça ?
— Logiquement.
Finn lui rend son téléphone.
— Nous n'y irons pas.
— Quoi ?
— Sais-tu au moins où Doll Face nous a donné rendez-vous ? Dans la maison abandonnée, tu sais, celle dite « hantée ». Non seulement elle est effrayante, mais c'est aussi une bonne cachette, de sorte qu'on ne nous entende pas crier à l'aide et qu'on ne puisse pas s'échapper facilement. Il se peut qu'on se retrouve nez à nez avec Doll Face, et qui sait ce qu'il nous fera. Moi je dis que c'est une grosse prise de risque.
— Une bonne cachette... Tu crois que Doll Face habite là-bas depuis tout ce temps ?
Finn hausse les épaules.
— Peut-être, c'est possible après tout. Depuis des années, personne n'a approché cette bâtisse. Il a pu le remarquer et s'y installer. Beaucoup d'histoires à propos de cette maison ont circulé, mais au fond tout le monde s'en fiche.
Aylin montre sa crainte.
— Doll Face se vengera si on manque le rendez-vous.
— Peut-être pas, si on fait le nécessaire pour tout bonnement l'arrêter.
— Tu suggères quoi.
— Aller voir la police et lui dire ce qu'on sait.
Aylin secoue la tête en signe de refus.
— Mais si on nous accusait ? contre-t-elle. Après tout nous sommes en possession d'une vidéo de surveillance qui n'a rien à faire chez nous.
— C'est vrai, mais n'oublie pas tous les messages signés Doll Face qui sont enregistrés dans ton téléphone – et qui concordent parfaitement avec tous les incidents qui se sont produits récemment.
— Les messages pourraient constituer une preuve tangible qu'on me harcèle depuis un bout de temps, certes, mais ça ne veut rien dire ; ils pourraient très bien nous accuser de nous être envoyé ces messages exprès depuis un téléphone prépayé dans le but de nous couvrir.
Aylin braqua son regard lointain droit devant elle.
— Doll Face... J'ai toujours aimé les poupées, Finn.
« A » est la première lettre de mon prénom, tout comme le mot Assassin, Anonyme... ou comme Aylin.
Finn fronce les sourcils. Aylin reporte son attention sur lui et poursuit.
— La police rame depuis le début. Ils ont beau prétendre avancer dans leur enquête, c'est faux. Je suis sûre que s'ils disposent de preuves c'est qu'elles sont si minimes qu'elles sont irrecevables. Tu crois que si deux ados comme nous lui présentaient des messages de menace et une vidéo de surveillance liés explicitement à deux meurtres ils hésiteraient à nous jeter derrière les barreaux ? Non, Finn. Ce serait se jeter dans la gueule du loup.
— Je ne pense pas, Aylin. Il en faudrait bien plus pour nous enfermer. Et puis de toute façon, quel serait notre motif ?
— Il est très facile d'imaginer un mobile, surtout que nous n'avons pas d'alibi. Nous étions présents à bord du train dans lequel Quinn a été assassinée, et il aurait aussi été possible qu'on ait tué Ian. Pour le motif, ils peuvent inventer n'importe quoi : jalousie, triangles amoureux, folie, et j'en passe. Et même s'ils ne nous accusent pas directement, on se serait fait remarquer avec de tels indices en possession et les soupçons seraient définitivement sur nous.
Finn écoute, hoche vaguement la tête, se plonge dans ses pensées, réfléchit. Aylin lui agrippe la main, quand enfin il dit :
— Je ne suis pas convaincu, je pense toujours que la police pourrait au contraire nous être d'une grande aide ou tout au moins nous mettre en sécurité. Mais j'ai déjà été témoin des représailles de Doll Face en cas de désobéissance, alors...
Il lui pressa à son tour la main et dit :
— Nous sommes en danger dans tous les cas, alors courons le risque d'y aller. Mais nous devons bien sûr prendre des précautions.
Les heures passent. 21 heures approche à grands pas. Aylin et Finn, en attendant cette heure fatidique, discutent des manières de contrer les attaques possibles de leur ennemi, de s'échapper, et de contacter une personne extérieure qui pourrait les aider dans les plus brefs délais.
— C'est bientôt l'heure, fait remarquer Finn après avoir consulté sa montre.
Aylin laisse aller sa tête sur le dossier de son siège tout en regardant Finn.
— Et s'il nous arrivait quelque chose ? dit-elle.
— Ne sois pas pessimiste.
— Je ne suis pas pessimiste, je me montre réaliste.
Finn la dévisage comme s'il savait qu'il y avait autre chose qui l'effrayait et dont elle ne lui a pas fait part.
— On fera de notre mieux pour nous protéger mutuellement.
Peu rassurée, Aylin détourne le regard vers la vitre à sa droite et ne parle plus. Du moins, durant un court instant car elle finit par reposer ses yeux sur son ami.
— Je ne le dis pas souvent, mais tu sais... Je t'aime.
Finn a un petit rire nerveux.
— C'est vrai, je ne le dis pas assez, insiste Aylin. Je devrais pourtant. Chacun de nous deux peut s'en aller à tout moment, et beaucoup de mots resteraient à jamais non prononcés – ou dits, mais pas assez. Ce soir, ça peut être la fin de tout, et...
— Aylin, ne dis pas ça...
— Non, laisse-moi finir. On va se retrouver tous deux face à un tueur, et on ignore quelle sera l'issue de cette soirée. Alors voilà la vérité : je t'aime, je t'ai toujours aimé. Depuis qu'on était enfants, tu te souviens ? Depuis que tu es venu me voir sur ce banc d'école, depuis tout ce temps, je ne t'ai jamais oublié ni cessé de t'aimer.
L'émotion est peinte sur chacun de leur visage, et leurs lèvres peinent à exprimer tous les sentiments et les mots que leur cœur abrite. Alors, elles se joignent tandis qu'ils échangent un long et passionné baiser.
Front contre front, une dernière étreinte, et Finn déclare avec regret :
— Il est temps d'y aller.
🌛
Ils arrivent, je les vois. Finn et Aylin sont en train d'écarter les branches des arbres non coupées afin de pouvoir remonter l'allée vers la maison. Bientôt, ils rentreront à l'intérieur. Ils seront alors entre nos mains, contraints à vivre la nuit la plus éprouvante de leur vie. Ils seront piégés pour de bon.
Je les attends.
🌛
— Attends, laisse-moi faire.
Finn, du bout des doigts, subtilise une épingle des cheveux d'Aylin. Cette dernière fait la moue quand une mèche lui tombe sur la moitié du visage, mais Finn l'ignore. Il met un genou à terre et rapproche son visage de la porte. Se concentrant sur la serrure, il entreprend de la crocheter en y insérant l'épingle.
Aylin croise les bras et le regarde faire.
— Finn...
— Je vais l'ouvrir.
Il tente toujours.
— Finn, tu...
— Attends, j'y arrive presque.
Il remue encore l'épingle dans la serrure. Mais le cliquetis indiquant son ouverture ne se fait pas entendre.
— Mince. Et pourtant, ça marche toujours dans les films !
Encore une tentative suffit à impatienter Aylin.
— Abruti.
— Vas-y, si tu as une meilleure idée !
Aylin lui fait signe de bouger de son emplacement. Finn s'étant mit sur le côté, elle agrippe la poignée et la tourne. La porte s'ouvre en grand.
— Je te rappelle que c'est une maison abandonnée dont personne ne s'est visiblement occupé depuis longtemps, dit-elle. Personne ne se soucie donc du fait qu'elle soit verrouillée ou non.
En effet.
Aylin sourit et entraîne vers l'intérieur Finn, resté penaud.
Néanmoins, dès l'entrée quelque chose les arrête.
Une grande pancarte couverte d'une écriture grande et irrégulière les accueille, annonçant la couleur.
D O L L H O U S E
Bienvenue dans le labyrinthe des souvenirs !
Plongez-vous dans les méandres d'une vie brisée, balayée et effacée. Revivez ses instants les plus noirs et les plus troublants. Ceux que vous avez vite fait d'oublier – mais plus pour longtemps !
Venez, mes chers amis.
Venez, redécouvrez cette existence malheureuse et voyez de vous-mêmes que l'enfer en paraît largement plus drôle.
Passez une bonne soirée !
Et puissiez-vous en ressortir vivants
Finn finit de lire et jette un regard interloqué à Aylin, restée impassible. En dessous de ce charmant message d'accueil, une flèche rouge indique la direction à suivre. Lentement, les deux jeunes gens s'y dirigent, ne sachant point ce qui les attend.
Ils empruntent un premier couloir. La lumière y est réduite, mais les murs délabrés au papier peint détaché sont bien visibles, tout comme le sol poussiéreux et semé de débris. Abandonnée depuis plusieurs années, cette maison entière a perdu son aspect chaleureux. Ne restent plus que des déchets aux côtés du verre brisé et du bois rongé. Et rien que ce premier couloir n'est pas très rassurant.
— Il n'y a rien ici, constate Finn en avançant.
Mais c'est avant qu'ils arrivent devant une porte close, et qu'il pose sa main sur la poignée. Il en franchit prudemment le seuil, Aylin le suivant de près et jetant des coups d'œil inquiets derrière eux. Elle doit avoir l'impression d'être observée. Quelle horrible sensation.
Tous deux pénètrent dans la pièce sombre, je les vois. Grâce au dispositif qu'à mis au point Nolan, je peux me tenir informée de chacun de leurs gestes.
Leurs yeux mettent du temps à s'habituer à l'obscurité, si bien qu'ils restent plantés un moment devant la porte entrouverte, prêts à s'échapper si besoin. Les pauvres ignorent qu'à la seconde où ils ont mis les pieds ici, plus aucune issue n'existerait.
— Finn Davy, Aylin Fell ; je vous souhaite bien le bonsoir.
Ma voix informatique et horriblement déformée résonne entre les quatre murs. Aylin pousse un petit cri de surprise et Finn a le réflexe de lui attraper la main.
— Qui est là ? dit-il d'une forte voix.
Ils regardent partout autour d'eux, espérant peut-être que je me mette à découvert aussi facilement. Je laisse échapper un rire.
— Patience, mon ami. Tu le sauras bien vite. Pour l'instant, je vous demanderai de détruire vos téléphones.
Finn braque son regard dans un coin du plafond comme j'y étais accrochée.
— Il n'en est pas question.
Insolent.
— Allons, Finn. Tu ne voudrais pas qu'il t'arrive un malheureux incident, n'est-ce pas ? Pas plus qu'à ta chère campagne, je suppose.
D'une voix plus ferme, j'ajoute :
— Obéissez. Vous avez trois secondes. Une...
Finn et Aylin se regardent.
— Deux...
Subitement, ils jettent leur mobile à terre et les écrans volent en éclats sous leurs coups de pieds.
— Sage décision. Tâchez tous deux de ne pas faire de bêtises.
Je laisse un petit silence planer.
— Ou je pourrais bien vous le faire regretter.
Et ma voix meurt. Mais rien que le temps d'une inspiration, et la porte derrière eux claque, les faisant se retourner vivement. Trop tard, ils se ruent vers la porte déjà verrouillée et résistante à leur tambourinements frénétiques.
Ils sont piégés.
— Laissez-nous sortir !
Mais ces mots sont vains, ils le savent. Aylin agrippe le bras de Finn.
— Il doit y avoir une sortie quelque part. Tu y vois quelque chose ?
— Pas grand-chose, non. Essayons de découvrir ce qu'il y a autour de nous. Fais attention où tu mets les pieds.
Aylin soupire.
— Je ne comprends pas. Pourquoi nous enfermer ici dans le noir ? A mon avis, il y a quelque chose à faire.
— Je ne sais pas si... Qu'est-ce que c'est que ça ?
A tâtons, ils ont traversé la pièce en tâchant de ne pas trébucher sur ce qui traîne par terre. Ayant atteint le mur d'en face, quelque chose heurta la main de Finn, mise en avant paume ouverte devant lui.
Aylin l'imite.
— On dirait une...
Le mécanisme se met en marche.
Une lumière jaillit et éclaire seule ce qui semble être une pièce de maison de poupée, en un peu plus grand. Une poupée de cire jusque là dissimulée, habillée d'une robe rouge et aux cheveux bruns bouclés, s'avance entre les trois murs comme si elle rentrait enfin chez-elle. Ses mouvements entrecoupés tandis qu'elle se déplace entre des piles de livres miniatures, ses gestes brusques et insensés tandis qu'elle heurte les petits meubles de la chambre à la surface dure. Cette poupée, si belle soit-elle, n'est pas très rassurante de par son attitude. Comme vivante, elle bouge et semble regarder autour d'elle telle une vraie personne. Finalement, elle se laisse tomber dans une petite chaise à bascule. Ses grands yeux verts ne reflètent rien. Se balançant doucement sur sa chaise, elle se contente de fixer d'un air absent Finn et Aylin, qui regardent en retour sa face inexpressive, troublés.
— Pétales douces et délicates, une fleur des plus belles, pleine de vie et de rêve.
Finn et Aylin ne savent plus où porter leur attention. Ils cherchent la source de la voix dans chaque coin, mais reviennent vite vers la poupée. Est-ce elle qui a parlé ?
— C'est quoi ce fichu bordel... ?
Finn ne put que murmurer, tant la situation devenait sacrément effrayante. Aylin secoue la tête devant lui, l'air aussi perdu.
— Cherchons vite une issue. Je ne veux pas rester ici plus longtemps.
Elle jette un dernier coup d'œil sur la paire d'yeux verts.
— Dieu, je vais commencer à détester les poupées, ajoute-t-elle plus bas.
— Il y a de quoi.
Le mince jet de lumière servant à éclairer la petite scène donne un peu plus de clarté à la pièce : on peut à présent mieux distinguer les formes se découper dans la pénombre.
Finn enjambe un tabouret réduit en morceaux. Aylin le rejoint au moment où elle a entendu le bruit de la porte qu'il a ouvert.
— Reste derrière moi.
Ils vérifient d'abord l'autre côté avant de passer le seuil. Personne, à première vue. Cette pièce est plus large que la précédente. On peut percevoir les restes d'une table basse, et quelques bris de verre issus de cadres photos volatilisés ou des fenêtres barricadées. L'ancien salon, peut-être.
— Putain... On n'y voit qu'à peine.
Aylin pose les mains sur les fenêtres – ou plutôt ce qu'il en reste.
— Tout est fermé, dit-elle. Les fenêtres sont toutes sans issue.
Finn détaille du mieux qu'il peut les planches épaisses qui laissent à peine filtrer un peu de lumière et d'air.
— Ah oui, je m'en souviens...
— De quoi ?
Finn laisse courir ses doigts sur le bois.
— Des histoires qu'on racontait à propos des gens qui vivaient ici. Toutes ces barricades, ces saletés, ces choses qu'ils faisaient et disaient...
— Attends une minute. Je croyais que les issues ont été bloquées par Doll Face.
— Non, non. C'est la famille qui habitait ici qui les avaient mises en place. Le temps commence à les abîmer, d'ailleurs.
— Mais, pourquoi ?
Finn commence à arpenter la pièce, longeant les murs.
— Eh bien, tout comme le reste des gens, je ne les connaissais pas bien. On savait juste que les parents et leur fils étaient... Spéciaux. Certains allaient à dire qu'ils étaient fous. Personnellement, je n'en sais rien. Tout ce dont je suis au courant, c'est que cette famille était du type très religieux. Du genre qui abhorrait le moindre petit « péché ». Ils évitaient beaucoup les autres, parce qu'ils les considéraient comme malfaisants. Une rumeur disait même qu'ils faisaient partie d'une secte... Durant les derniers mois qu'ils ont passé ici, à Oldwood, ils ont commencé à nourrir une certaine conviction : que l'apocalypse était proche est que le monde serait bientôt perdu.
— Quoi ?
— Oui je sais, c'est dingue. Mais ça ne s'arrête pas là : ils ont entrepris de sécuriser au mieux leur maison : barricades aux fenêtres et aux portes, isolement progressif, réserve de provisions comme de la nourriture et des médicaments... Il paraîtrait même qu'ils pensaient à construire une sorte de bunker pour l'ensemble de la secte. Une chose est sûre, on ne les a plus jamais revus depuis.
Aylin pousse du pied un bout de plastique.
— Eh bien, ils nous rendent aujourd'hui un chouette service.
Puis, baissant la tête, elle aperçoit une forme rectangulaire au sol.
— Regarde... dit-elle à l'adresse de Finn. On dirait une photo.
Finn dépoussière puis examine le cliché en mauvais état.
— C'est bien eux. Sais-tu ce qui leur est arrivé ?
Aylin secoue la tête.
— Personne ne le sait avec exactitude, à vrai dire. Sont-ils morts, disparus, ou tout simplement partis ?
— C'est un mystère passionnant, Finn, mais nous devrions nous concentrer sur...
Une lumière jaillit, au coin de la pièce.
— Merde...
Une poupée de cire apparaît, raffinement vêtue d'un costume et d'un chapeau noirs. A l'instar de la première, elle a des mouvements frénétiques et entrecoupés. D'une démarche presque robotique, elle fait son entrée parmi des tas de feuilles et des éléments renvoyant à l'écriture. Ses cheveux sont d'un noir corbeau, ses yeux grands et noirs ne montrent qu'un néant atroce.
J'approche ma bouche de mon micro.
— Esprit large, plein d'imagination, enfermé dans un corps d'une élégance propre à lui.
Finn regarde la figurine s'installer à un bureau adapté à sa taille, ensuite fixer un point au loin d'un œil perçant.
— C'est nous, déclare-t-il au bout d'un moment. Les poupées, ce sont nous.
Un sourire apparait sur mon visage en entendant ça.
— La première poupée, poursuit-il, elle te représente.
— Mais je ne possède pas de robe rouge.
— Le choix des vêtements doit être fortuit.
— Hum, bizarre quand on connait le sens du détail de Doll Face.
Tout ceci devient amusant.
— Oui..., concède Finn. Moi non plus je n'ai pas de vêtements semblables à ceux-ci, mais regarde le physique et l'univers des poupées. Ils collent plus ou moins aux nôtres.
Aylin hoche la tête, comme son cerveau commence à accepter l'idée.
— Quel est le but de Doll Face, à ton avis ? demande-t-elle en chuchotant. Je veux dire, s'il veut nos prendre au piège pour nous tuer, pourquoi tout cela ?
— Il a le goût du spectacle, dit-il les yeux dans le vague. Il veut nous faire vivre la pire nuit de notre vie... Avant de nous achever.
Une seconde plus tard, il se rend compte qu'Aylin l'observe étrangement.
— Viens, allons dans la pièce suivante. Le spectacle de marionnettes n'est à mon avis pas encore fini.
En effet.
Ils poussent la porte vers une nouvelle pièce.
Celle-ci est visiblement l'ancienne cuisine ; munie d'un comptoir à la surface lisse mais très poussiéreuse, de tiroirs et de placards nombreux mais désespérément vides, contenant au mieux des toiles d'araignées et d'autres bestioles. Des tuyaux cassés sont visibles çà et là, et un petit ilot trône au centre de la pièce, ne servant plus à rien. Comme dans les pièces précédentes, on peut y trouver les vieux restes d'objets. Les interrupteurs ne marchent pas.
— Fait chier... marmonne Finn.
— Toujours pas de lumière. Et toujours moins d'air.
Finn manque de casser l'interrupteur.
— Nous devrions peut-être chercher un moyen d'y voir plus clair.
— Dommage. Nous n'avons pas pensé à amener des lampes torches.
— En même temps, nous ne pensions pas tomber dans une baraque aussi dysfonctionnelle.
Tu ne t'attendais quand même pas à ce que je t'accueille dans un palace ?
Finn tente d'ôter l'une des planches qui recouvrent une partie de la fenêtre. A main nues, il n'y parvient pas. Aylin s'apprête aussi à la tâche et tout deux se mettent à tirer de toutes leurs forces. En vain.
— Bon sang ! Il n'y a donc rien qui marche dans cette maison ?
— Calme-toi, Finn. La colère n'arrangera rien.
Finn donne un coup dans le bois épais.
— Bon, essayons autre chose. Il fait noir, mais assez de lumière filtre de dehors pour nous laisser deviner ce qui se trouve là-dedans. Cherchons quelque chose qui pourrait nous ouvrir une voie – et si nous n'y arrivons pas, nous n'aurons qu'à attendre le prochain...
Lumière.
— ... numéro de marionnettes.
Sous les yeux de Finn et Aylin, deux poupées identiques aux précédentes prennent place au centre de l'ilot. Main dans la main, les yeux dans les yeux, toutes deux sont placées assises, se blottissant amoureusement l'une contre l'autre. Une musique douce accompagne la mise en scène, comme si elle voulait souligner la tendresse que dégagent déjà bizarrement les poupées effrayantes.
— Amour naissant, amour perdurant, l'amour est parfois une illusion mais eux ne faisaient point semblant.
Le silence revient après mes mots, et les yeux de Finn se mettent soudain à briller.
— Doll Face nous raconte une histoire, Aylin. Notre histoire. Oublie la fenêtre, nous devons avancer pour en connaître la suite.
— Quoi ? Finn, chaque pas en avant est un pas de plus vers notre perte.
— C'est la reconstitution de notre histoire. Et ça pourrait bien nous mener droit vers Doll Face, on saura enfin tout.
— Okay, nous sommes venus pour avoir des réponses, mais nous sommes clairement en danger. Trouver un moyen de sortir d'ici, ou tout au moins avoir la certitude de pouvoir nous échapper à un moment donné ne serait pas une mauvaise chose.
Avant que Finn puisse répliquer, j'interviens.
— Sauf si vous me mettez en colère, mes chéris. Là, ce serait une très mauvaise chose.
Aylin gémit.
— Finn... Je n'aime pas ça du tout.
— Je sais, Aylin, moi non plus. Mais plus nous avancerons, plus nous approcherons de la vérité.
— Non, Finn ; s'il te plait, faisons demi-tour.
— Alors, on baisse les bras ? m'adressai-je à Aylin. Tu me déçois. Nul retour en arrière n'est possible, inutile donc de fuir. Tu sais que c'est trop tard, hein, Lilin ?
Aylin lève brutalement la tête.
— Lil...
La porte derrière eux claque.
Le deux se retournent vivement. Aylin est la première à sursauter.
— Oh, mon dieu ! souffle-t-elle. Finn... ? Est-ce que... Est-ce que tu le vois ?
Finn fend la pénombre du regard.
— Oui. Oui, je le vois.
Il recule légèrement.
— Reste derrière moi, Aylin.
Discrètement, il glisse sa main derrière son dos.
— Qui êtes-vous ? demande Finn d'une voix relativement calme.
La silhouette reste sans piper mot.
— Qui êtes-vous, répète Finn plus fermement.
La silhouette s'avance d'un pas vers les fins rais de lumière. D'une ombre il est passé à un inconnu, le visage recouvert d'un masque d'une horreur sans nom. Il avance encore. Finn perçoit ce mouvement comme une menace, et je le vois qui sort lentement quelque chose de derrière lui.
Un couteau.
— N'approchez plus.
Et il menace l'homme en mettant à découvert son arme, lame luisante et manche fermement emprisonné dans sa main.
Audacieux, le gamin.
Mais Nolan, notre charmant homme masqué, n'obtempère pas. Au contraire, il attaque Finn.
Aylin hoquette.
— Non !
Nolan frappe Finn avec vivacité. Finn vacille sur le côté mais tient le coup. Il se rue sur Nolan et tente de le maîtriser en lui assenant des coups de poing d'une main et en brandissant son couteau de l'autre. Nolan donne un coup aux genoux de Finn et le fait tomber. Il l'écrase de tout son poids et le prend à la gorge. Finn se débat mais, étant loin d'avoir l'habitude de se battre, perd vite l'avantage.
— Arrêtez ! crie Aylin.
Elle saute sur Nolan et le tire par les cheveux, tout en l'exhortant de laisser Finn tranquille. Elle le couvre de coups, certes pas assez forts mais nombreux. Nolan s'en débarrasse comme d'un insecte minuscule et insignifiant, et se remet à frapper Finn au visage.
Aylin ne lâche pas l'affaire. Elle se saisit d'une planche en bois traînant au sol, et dans un élan de fureur, elle l'abat sur l'arrière du crâne de Nolan.
Je retiens mon souffle.
— Lâchez-le !
Aylin le frappe, plusieurs fois. Nolan pousse un grognement et se désintéresse de Finn pour s'occuper d'Aylin. Le couteau dans la main, il se rapproche dangereusement de la jeune fille, prête à se défendre avec sa planche. Nolan est sur le point de donner un coup à Aylin, mais Finn se rue sur lui et le fait tomber.
Nolan lâche un juron avant de se remettre debout. Aylin se relève la première, presque aussitôt suivie par Finn. Nolan a tout juste le temps de frapper Aylin assez fort pour qu'elle retombe à terre avant de se faire assaillir de nouveau par Finn. Aylin se tient les côtes, poussant des gémissements de douleur et n'étant plus capable de défendre Finn. Ce dernier tente de désarmer Nolan en lui saisissant le couteau qu'il lui a subtilisé, mais il n'y arrive pas. Nolan lui donne un coup pour le calmer et la lame tranchante du couteau se plante dans la chair de Finn. Il pousse un cri tandis que Nolan lui taillade l'épaule.
— Finn !
Aylin rampe pour rattraper sa planche tombée un peu plus loin.
Nolan ne laisse le temps d'agir à aucun des deux. Il donne à Finn un coup de pied aux genoux et le jeune homme s'écrase à terre. Il le saisit par les pieds et commence à le traîner.
Finn, sachant qu'il ne pourra pas s'échapper, cesse de se débattre.
— Aylin ! Cours !
Bientôt, son cri est englouti par le silence.
Finn a disparu.
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