IV. ÔTEZ VOS MASQUES ! ★
Plusieurs semaines se sont écoulées après les deux tragédies ayant frappé Oldwood et dont les habitants se remettent petit à petit. Ce petit havre de paix n'a pas l'habitude d'être au cœur de l'attention générale pour cause de deux meurtres sans motif apparent. Oh, mais j'en avais, des motifs. Le meilleur c'est que la police quête désespérément des suspects. Pour le moment, les recherches semblent être centrées sur les familles des victimes. A part ça, je n'ai pas plus d'informations. Mais il est facile de deviner que l'investigation rame complètement. Après tout, comment fonder une théorie plausible et logique quand il n'y quasiment aucune piste visiblement liée à l'affaire ? Comment pourraient-ils connaitre mon existence ? Evidemment, Aylin pourrait faire allusion à certains messages menaçants et douteux afin de dénoncer l'existence d'un dangereux individu en liberté. Mais elle a de bonnes raisons de ne rien dire à la police. Ni à personne d'autre, d'ailleurs.
Comme je vous l'ai dit précédemment, je vais faire en sorte de créer un nouveau couple: Finlyn. Ca sonne bien, non ? En fait, je viens d'inventer ce nom à la va vite, et c'est tout ce qui me vient à l'esprit. Mais leur surnom n'est pas le plus important pour le moment. Je dois encore les faire se rapprocher suffisamment afin qu'ils se mettent ensemble pour de bon. Pour me mettre à balancer un bon concentré de vérités à propos d'Aylin. Et devinez quoi ? J'ai une occasion en or : le bal d'hiver.
Cette fois-ci, les élèves sont un peu moins enthousiastes à l'idée d'assister à ce divertissement. Il faut dire qu'ils ont eu leur dose de festivités ces derniers temps, si vous voyez ce que je veux dire. Cependant, en tant que bons citoyens et amis loyaux, forts et courageux en période de deuil, ils feront ce qui est en leur pouvoir pour honorer la mémoire de Quinn et Ian. Et oui, ces jeunes gens partis trop tôt se verront attribuer un dernier hommage.
Un dernier hommage avant que tout le monde se débarrasse de ce masque de chagrin surjoué. Ils prétexteront que c'est la vie. Que la mort en fait partie, qu'elle n'en fait qu'à sa guise et qu'elle frappe comme bon lui semble. Et sous cette citation – véridique en un sens, mais beaucoup moi dans l'autre – « La vie continue ! », ils retourneront à leurs propres vies, tandis que celles de leurs amis disparus sombreront dans l'oubli.
La dure loi de la vie.
Déjà, les bêtises et autres balivernes commencent. Les garçons invitent les filles à être leurs cavalières – histoire de draguer et pourquoi pas faire un strike à la fin de la soirée. Les filles en extase devant eux choisissent leurs robes pour devenir des princesses le temps d'un soir. Un genre de conte de fées pour ceux et celles qui y croient encore – franchement, à leur âge ! Je n'ai jamais aimé ces histoires à deux balles. J'ai vite comprit qu'elles ne sont que niaiserie et foutaise. Quelqu'un avec un minimum de QI devrait s'en rendre compte, quand même – Et pendant que ces jeunes gens profiteront de leur soirée de rêve, moi, je me trouve une place de choix pour assister à l'union de mes élus.
— Il me semble que Laurel a parlé d'un bal d'hiver. Un bal masqué, c'est bien ça ?
Nelly tient une tasse de café chaud de ses deux mains. Encore une fois, elle essaie de faire la conversation à Aylin, qui elle garde un silence inébranlable. Elle se contente de faire oui de la tête. Nelly, quelque peu déçue du mutisme constant de la jeune fille, revient à la charge avec des questions exigeant des réponses autres que oui ou non.
— C'est quand ?
— Ce week-end.
— Ca finit à quelle heure ?
— Je ne sais pas.
— Tu vas y aller ?
Aylin hausse seulement les épaules pour dire que ce n'est pas sûr.
— Je me suis dit qu'on pourrait aller te choisir une robe. Mais si tu n'y vas pas...
Nelly repose sa tasse sur la table, ses yeux baissés. On dirait que le lien mère/fille tissé la veille s'est vite défait. Et ça attriste Nelly qui fait tout pour être plus proche d'elle. En fait, elle et Aylin s'entendent bien, et des fois même elles ont des fous rires entre elles comme une mère et sa fille, deux sœurs ou deux amies. Mais Aylin préfère rester dans sa bulle, même si elle doit en sortir quelques fois pour en savoir assez sur son entourage et pouvoir le manipuler à sa guise.
Bip.
Quelqu'un se ferait une joie de t'inviter à danser, Aylin.
Tu sais que ce n'est autre que Finn.
Aller à ce bal tu dois.
Autrement, échapper à ta punition tu ne pourras.
— Doll Face
Prenez un instant pour admirer mes rimes.
Quelque peu crispée, Aylin lève les yeux de son écran et force un sourire qui passe pourtant bien comme un vrai. Nelly, intriguée, laisse apparaître un petit sourire interrogateur.
— Quelqu'un t'a demandé de l'accompagner au bal ?
Aylin prend un air timide.
— Eh bien, il y a ce garçon...
Le visage de Nelly s'illumine.
— Qui est-il ? Comment il s'appelle ? Quel âge il a ? Est-ce qu'il est gentil ? Est-ce que vous êtes amis ?
Nelly devrait savoir que parfois, poser trop de questions s'avère être dangereux. Sa curiosité va possiblement la mener à quelque chose de pas joli. Je le sens.
— Il s'appelle...
Aylin s'arrête. Hésitation ? Je lui conseille de ne pas songer à donner un autre prénom que celui qu'elle est dans l'obligation de prononcer.
— Finn.
Bien. Ca ne répond pas à toutes les questions que Nelly a posées, mais ça lui suffit. Pendant deux secondes.
— Est-ce qu'il t'aime ? Tu es amoureuse de lui ?
— Nelly ! s'exclame Aylin.
— D'accord, d'accord.
Elles ont toutes les deux un petit rire.
— Tu devrais y aller, à ce bal.
De préférence.
— Oui.
— Super. Si tu veux, je peux t'accompagner pour choisir ta robe. Qu'est-ce que tu en dis ? Ou alors tu préfère y aller avec tes amies ?
— Elles ont déjà les siennes. On n'a qu'à y aller, toi et moi.
Nelly en est ravie.
Aylin avale vite ce qu'il reste de son café au lait. Enfilant son manteau et son bonnet, elle attrape son sac-à-dos et prend sa tartine entre les dents.
— Shalut.
— A plus tard, ma chérie.
Un vent frais se lève, fouettant son visage. La neige a commencé à tomber il n'y a que peu. Ce qui ne l'empêche pas de déjà recouvrir la ville entière d'un voile blanc majestueux. Le froid s'accroît de plus en plus. Aylin rentre ses mains dans les manches de son manteau. Un réflexe qu'elle a toujours eu.
— Je t'ai appelée plusieurs fois, affirme une voix.
— En effet.
— Le principe est que tu répondes.
— Je n'en avais pas envie.
Finn lui agrippe l'épaule pour la faire ralentir.
— Ha. Tu aimes les tartines avec du Nutella. Moi aussi. Nous avons tellement en commun.
— Le Nutella, c'est la vie.
— Tu l'as dit.
Aylin fronce les sourcils.
— Depuis quand tu prends cette route pour aller au lycée, toi ?
— Depuis que je sais où tu habites et que j'aie décidé de te suivre.
— Tu es flippant.
— Merci.
Aylin semble hésiter, mais reprend la parole.
— Ecoutes. Avant que j'oublie. Toi. Moi. Bal masqué. Ok ?
— Ok... Attends, est-ce que c'est une réponse positive à ma demande ? Sortir avec moi, s'entend.
— Pas tout à fait.
— Qu'est-ce que ça veut dire, alors ?
— Eh bien... Ma mère et mes amies pensent plus ou moins que... Que tu me plais.
Finn s'arrête de marcher. Aylin lui lance un regard coulant puis détourne immédiatement les yeux. Le visage du jeune homme semble hésiter entre exprimer son incompréhension et libérer son hilarité.
Il choisit l'hilarité.
Aylin soupire et le pousse. Finn faillit tomber en plein sur un bonhomme de neige, toujours mort de rire.
— Tu as fini ?
— Non, attends.
Finn poursuit son rire. Quand il respire enfin de nouveau, il dit :
— Ca y est, j'ai fini.
— Génial.
— Tu m'expliques, maintenant ?
— Il n'y a rien à expliquer. Elles se sont mises à se faire des films toutes seules. Et plus je démens, plus elles croient que je craque pour toi.
C'est un peu toi qui les as laissées s'imaginer ça, Aylin.
— Du coup, c'est ça qui fait que tu viens au bal avec moi.
— Pour avoir la paix, oui.
— Tu ne l'auras pas.
— Pardon ?
Aylin se montre presque suspicieuse. Mes messages amicaux lui sont certainement revenus – si toutefois ils ont déjà quitté son esprit.
— Parce que si tu viens avec moi au bal, c'est qu'effectivement, tu m'aimes bien. Point illogique si on en croit ta motivation, à savoir les amener à ne plus en parler. Ca peut vouloir dire deux choses : que tu penses vraiment qu'elles vont te laisser tranquille en jouant ma cavalière, ou que tu veuilles secrètement l'être...
Bonne analyse, gamin.
— Quoiqu'il en soit, moi je ne te lâcherai pas, ajoute-t-il.
En effet. Il ne la lâchera pas. J'en ai l'intime conviction.
Résumons la situation. Finn est visiblement attiré par Aylin et d'après ses propres dires, il ne lâchera pas l'affaire jusqu'à obtenir ce qu'il veut : être avec elle. Aylin, elle, n'est pas indifférente au charme de Finn. Elle a autant envie que lui de former le joli petit couple qu'ils feraient. Elle laisse entendre à son entourage restreint qu'elle l'aime bien, mais sans plus. Là où ça se complique, c'est qu'elle a le besoin et la nécessité de rester le plus éloigné possible de lui.
Pour se protéger elle-même. Pour le protéger lui.
Il fait nuit. Aylin se regarde dans le miroir de sa chambre. D'abord de haut en bas, pour vérifier son allure dans sa belle robe noire choisie avec l'aide et l'avis de Nelly. Puis au moment où elle essaie d'arranger ses cheveux, ses gestes se suspendent. Elle se rapproche du miroir, de plus en plus, jusqu'à avoir la figure presque collée à son reflet. Elle détaille son visage d'un œil étrange, comme si elle ne se reconnaissait pas. Son regard est lointain, son esprit ailleurs.
Une main se pose sur son épaule.
Aylin sursaute violement. Dans son mouvement, elle entraîne une chaise qui tombe dans un grand bruit.
La voix de Nelly se fait immédiatement entendre depuis le rez-de-chaussée.
— Aylin ? Est-ce que tout va bien ?
— Oui, Nelly. Oui... Ne t'inquiète pas.
Elle reprend son souffle, comme si elle venait de faire un exercice physique intensif.
— Whoa... Excuses. Je ne voulais pas te faire peur à ce point.
— Tu mérites vraiment que je te casse la gueule.
Aylin ramasse la chaise et par la même occasion les vêtements tombés entraînés dans la chute. Cette réaction me fait sentir sa persistante anxiété. Peut-être est-elle nerveuse à cause de cette petite mascarade dansante de l'hiver. Mais j'aime mieux penser que c'est moi qui lui inspire cette peur. Elle revient vers le miroir et pousse un léger grognement en voyant ses cheveux emmêlés.
— Qu'est-ce que tu fais là ? Tu arrives bien tôt.
— Je voulais assister à ce genre de spectacle.
Finn est là, élégamment adossé à l'encadrement de la porte entrebâillée. Vêtu d'un vieux costume sans cravate – sans doute appartenant à son père – il ne ressemble en rien à l'un de ces mannequins parfaits en tout point. Finn est Finn, un mec qui n'a pas besoin d'être chic pour être attirant. Mais en l'occurrence, son apparence ne fait qu'accentuer son charme non négligeable. Inutile de préciser le fait qu'Aylin fond actuellement intérieurement, mais n'en laisse rien paraître, bien qu'une lueur s'enflamme dans ses yeux uniquement en la présence du jeune homme.
— Problème capillaire ? raille-t-il.
Aylin lève les yeux au ciel.
— Laisse-moi tranquille.
— C'est techniquement toi qui m'as demandé de t'accompagner à ce bal. Ma présence est donc justifiée par ta volonté.
— Non véritable volonté, tu veux dire.
— Quoiqu'il en soit, je suis ici suite à ta demande. Et un peu de ma propre envie, cela va de soi.
Elle empoigne un peigne et s'engage dans l'épreuve ardue du démêlage de cheveux. Il arrive derrière elle et observe attentivement l'opération.
— C'est donc à ça que ressemble le combat quotidien de la gente féminine dotée de cheveux d'une longueur considérable ? Quelle tâche difficile. Je compatis.
— Il t'arrive de te taire ?
— Pas vraiment, non.
Finn, tel un parasite, lui tourne autour et l'empêche d'achever ce qui ressemble vaguement à un chignon improvisé. Celui-ci retombe immédiatement, d'ailleurs.
— Tu n'es vraiment qu'un gamin.
— Ne me traite pas de la sorte.
— Cesse donc de te comporter ainsi.
Aylin se résout à faire une tresse sur le côté. Tout ce qu'il y a de plus banal, mais la seule solution à laquelle elle a recourt en cas de flemme de faire de ses cheveux une œuvre d'art.
— Prends donc exemple sur moi, dit Finn en passant une main dans sa tignasse. Messy hair, don't care.
— C'est bien gentil, tes conseils, mais je ne veux pas ressembler à un idiot dans ton genre.
Finn la rejoint en deux pas et la tourne face à lui, rapprochant son visage du sien au maximum et la forçant à le regarder droit dans les yeux.
— Un idiot, peut-être, mais un idiot qui va t'embrasser.
Finn se penche tout doucement sur une Aylin pétrifiée. Ses lèvres sont à deux doigts de se coller à celles de la jeune fille, à deux doigts de franchir un pas vers l'accomplissement de sa volonté – et de la mienne. Mon dieu, cette scène est d'un romantisme. Plus que quelques centimètres...
— Tenez-vous prêts pour la photo ! s'exclame une voix guillerette.
Nelly. Franchement, ce n'est vraiment pas le moment.
Finn et Aylin se séparent si brusquement qu'on peut presque affirmer qu'ils ont littéralement fait un bond de plusieurs mètres chacun d'un côté. Ils détournent à l'unisson les yeux dans des directions opposées, tentant de cacher leur évidente gêne.
Nelly, elle, devinant qu'elle a interrompu un moment privé, fait une grimace d'excuse. Elle tripote l'appareil photo dans ses mains et le retourne dans tous les sens en faisant des pas en arrière vers la porte.
— Finalement, je vais attendre en bas pour la photo, d'accord ?
— Non, non. C'est bon, nous pouvons la faire maintenant.
Aylin fait quelques pas en avant.
— Tu veux qu'on se mette où ?
— Peu importe.
Aylin et Finn se rapprochent de nouveau, sans se regarder. Tous deux affichent un sourire au moment de la prise du cliché, afin de faire bonne figure sur la photo.
— Parfait.
Nelly les contemple avec enthousiasme.
— Vous êtes très beaux. Allez, filez maintenant !
Tous trois descendent l'escalier. Arrivée au seuil de la porte d'entrée, Nelly s'arrête et prend le temps de regarder Aylin et Finn marcher le long de l'allée. Tout à coup, elle semble se rappeler quelque chose.
— J'oubliais !
Les deux se retournent.
— Le couvre-feu est pour vingt-deux heures.
— Euh...
— Bon d'accord. Minuit tapantes. Pas une minute de plus.
Les deux jeunes gens s'éloignent.
— Et pas de bêtises ! crie une dernière fois Nelly.
— Promis !
Ils montent dans le véhicule délabré qui attend sagement au bord de la route.
— Désolé de devoir t'emmener dans cette poubelle, mais hélas c'est tout ce que j'ai pu avoir pour ce soir : la vieille voiture de mon père.
— Elle est en mesure de se déplacer, non ? Le reste n'a pas d'importance.
— Je te suis reconnaissant de penser ainsi.
— Je ne vais quand même pas faire un scandale pour si peu.
Bah oui. Manquerait qu'il vienne l'emmener à bord d'un carrosse tiré par des chevaux blancs. Bref, Finn démarre et la voiture s'éloigne. Je les laisse me devancer. Vous n'étiez pas au courant ? Je me rends aussi à la fête. Je suis même sur mon 31 ce soir. Je ne voudrais pas rater les festivités, ce serait incongru de ma part de manquer un tel évènement, surtout qu'il y aura non seulement l'élection de la reine du bal – surnommée « La reine des neiges » – mais aussi un pas vers l'union de mes protégés.
Comment je peux être d'une telle certitude au sujet de mes élus ? Mais parce qu'ils peuvent dire ce qu'ils veulent, ils ne trompent personne en affirmant n'être qu'amis – pas même les plus aveugles, les plus crédules d'entre eux. Et puis, s'ils se mettent ensemble, tant mieux. Mais être dans une telle relation de manière officielle n'est pas une obligation, car ils sont d'ores et déjà amourachés l'un de l'autre. Le coup porté ne manquera donc pas de faire des dégâts.
Je suis à l'entrée du gymnase, que j'ai du mal à reconnaître car entièrement transformé. Les élèves responsables de la décoration ont dû suer tout le week-end pour donner à cet endroit l'aspect convoité. J'avoue que leur travail m'impressionne. Des centaines de petits flocons de neige en papier sont accroché au plafond. Des paillettes de savon neigent aux quatre coins de la salle. Des guirlandes à la lumière blanche ornent les contremarches des gradins. Plongée dans le silence ça se rapprocherait plus d'un songe d'une nuit d'hiver.
Sauf que le silence n'est pas au rendez-vous. Le brouhaha de la foule, le raffut du DJ, le vacarme des basses, les bruissements des couples se trémoussant sur la piste de danse, les deux ou trois personnes engagées pour jouer aux serveurs. Tout ça gâche un peu les choses à mon goût. Surtout ces décolletés plongeants. Strass et paillettes. Smokings et cravates à couleurs flamboyantes. Accoutrements extravagants dans le but de se démarquer. Ah pour se démarquer, oui c'est réussi : on dirait que c'est à qui aura la laideur la plus atroce.
Je distingue dans l'assemblée Finn et Aylin, maintenant un masque recouvrant le haut de leurs visages à l'instar de tous les autres – moi compris. Ils sont facilement repérables grâce à Aylin, laquelle est la seule vêtue d'une robe noire, ne respectant pas vraiment les couleurs du thème étant blanc et argent. J'ai un angle de vue idéal sur eux, qui sont assis dans un petit coin légèrement retiré, et un champ de vision parfait pour pouvoir percevoir une multitude de petites scènes tout autour de moi. En revanche, un inconvénient se présente : je ne peux rien entendre des discussions depuis mon emplacement, à part la musique de qualité médiocre lâchée au volume maximum.
La foule est en constante animation. J'y aperçois des visages familiers. Entre autres, je vois des filles agacées par le comportement pourtant attentionné de leurs cavaliers – jamais contentes, celles-là. Tout comme son frère Liam, Laurel est absente car elle a refusé d'assister à ce bal sans Ian. Elle est plongée dans son chagrin encore trop douloureux. Je ressens un pincement de culpabilité par rapport à ça. Mais je rejette vite cette sensation. Pas le temps pour ça. Riley, elle, est bien là au bras d'un souriant garçon que je n'ai jamais remarqué auparavant. Elle balaie Aylin et Finn d'un regard appréciateur. Et elle n'est pas la seule à les admirer. Aylin, même le visage à moitié caché, est si jolie que c'est à en hurler. Finn doit être du même avis, et les autres sont très susceptibles de crever de jalousie. Je devine qu'Aylin et Finn, n'y prêtant aucune attention, sont occupés à se moquer tout comme moi des clowns en robes meringues ambulants. A parler de tout, à rire pour rien.
Le couronnement de la reine approche. Quinn n'est plus de la partie. Qui donc l'emportera ? En attendant d'avoir une réponse, c'est l'heure du slow. Je me retire. Il n'y a personne pour danser avec moi, de toute manière. Je me retourne vers mes protégés. Aylin est seule. Les premières notes de la chanson sélectionnée pour le slow se font entendre – je remercie quiconque a choisi cette première chanson non merdique de la soirée.
I have a problem but I cannot explain, I have no reason why it should have been so plain...
Je vois Aylin se lever et ramasser un ballon blanc. Elle le serre contre elle et commence à danser. Quand Finn revient, il laisse échapper un petit rire. Sans un mot, il lui agrippe la main et la traîne vers la piste de danse, où il la prend par la taille et commence à la guider doucement. Les yeux rivés sur eux, je ne l'ai pas vu approcher. Quelqu'un m'attrape les mains et me fait tournoyer. Des yeux bleus détaillent mon visage, les lèvres étirées en un sourire. Quelque chose d'étrange monte en moi. Je me contente de sourire et de suivre la danse.
— Je ne savais pas que tu savais danser, je chuchote.
— J'ai bien de talents cachés.
Have no questions but I sure have excuse; I like the reason I should be so confused...
Je garde les yeux fermés ayant envie de savourer ce moment jusqu'au bout, mais je me ressaisis vite. Je cherche du regard Aylin et Finn. Ils sont là. Bien. Je soupire. Je ne devrais pas me laisser distraire de la sorte.
I, I know how I feel when I'm around you. I don't know how I feel when I'm around you. Around you...
La chanson s'achève. Une autre plus rythmée la suit de peu, et tout le monde accélère les pas de danse.
— J'y vais, me prévient sa voix.
Je hoche la tête.
Je me rends compte à quel point je m'ennuie à l'instant. Un changement d'ambiance s'impose. Dans vingt et une minutes, très exactement. En attendant, je vais m'amuser un peu.
Finn entraîne Aylin dehors. Parfait.
Je les laisse un moment. Silencieux, tout deux regardent le ciel crachant des petits flocons de neige. Au bout d'un moment, ils se regardent. Cette fois, il n'y a rien pour les interrompre. Finn embrasse Aylin, qui au lieu de le traiter de gamin ou d'abruti, se laisse faire.
Minuit approche, le temps d'ôter ton masque est arrivé. Peut-être t'aimera-t-il plus si tu lui dis qui tu es. À moins que tu aies oublié ta réelle identité... Souhaites-tu que, avec ma langue bien pendue, je me charge de le lui révéler ?
— Doll Face
Aylin sursaute. Je la vois qui se raidit. Quand elle lit le message, elle devient blême, regrettant amèrement le fait de devoir faire ce qu'elle voulait à tout prix éviter.
— Ca va ? C'est Nelly ?
Elle touche l'épaule de Finn.
— Il faut que je te dise quelque chose.
Finn fronce les sourcils.
— Tu avais raison. Je t'ai menti.
— Tu m'as menti. Et à quel sujet ?
Aylin prend une profonde inspiration. Ca y est, on y est.
— Mon nom de famille... Le vrai... n'est autre que Fell.
Boom !
Finn se fige.
— Fell ? Comme Aylin Fell, mon amie d'enfance ? Mon amie qui est partie du jour au lendemain sans prévenir ?
— Elle-même.
Finn est déconcerté.
La suite ne se déroule pas comme prévu.
Expectation VS Reality.
Expectation : La scène telle que je l'ai imaginée est digne d'un stupide film à l'eau de rose dégoulinant de romance à vous faire gerber tout ce que vous avez ingurgité durant la journée. Quelque chose comme « Finn, à la fois ému et stupéfait, en reste bouche bée. Détaillant le magnifique visage de la jeune fille dont il est épris, un sourire des plus tendres fleurit sur ses lèvres. Avançant une main, il lui caresse la joue, doucement. Aylin ne peut s'empêcher de sourire à son tour. Et c'est la tête pleins de jolis souvenirs vagabondant dans la mémoire de chacun d'eux que les jeunes gens s'embrassent sous la douce et pâle lumière de la lune, amoureux comme jamais après tant d'années de séparation ».
Reality : Là, ça fait mal.
Finn à la fois ému et stupéfait, en reste bouche bée. Scrutant le visage de la jeune fille avec confusion, il fait quelque pas en arrière.
— Aylin Fell. Evidemment. Cette fille que j'ai toujours connue, ce visage que je n'ai pourtant pas su reconnaître. Qui pouvais-tu être d'autre ?
Aylin, fortement embêtée, détourne les yeux. Finn la force à le regarder.
— Je crois qu'au fond, je le savais. Mais je ne pouvais pas le croire. Sérieusement, combien de chances il y avait pour qu'on atterrisse tous les deux dans le même coin ? Après tout ce temps... Pourquoi ? Que... Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Pourquoi as-tu changé de nom ? Qui est Nelly ? Où est ta famille ?
Il pousse un léger grognement.
— J'ai tellement de questions, je...
— Il ne faut pas que tu saches, dit Aylin d'une voix dénuée d'émotion.
— Qu'est-ce que tu veux dire par là ?
— Beaucoup de choses que tu ignores se sont produites, Finn. Des choses dont je ne peux tout bonnement pas te dire un mot. Pas un seul.
— Alors quoi ? Tu comptes me laisser deviner pourquoi tu as brusquement disparu de ma vie après tant d'années d'amitié ?
— Je ne peux vraiment pas...
Finn secoue la tête.
— Tu as tellement changé.
Et, en colère, il retourne à l'intérieur. On dirait qu'Aylin se retient de pleurer. Une première.
Je doute qu'à ce stade, vous puissiez totalement comprendre ce qui vient de se passer. Pour résumer : Aylin et Finn sont amis depuis pratiquement la naissance, et un beau jour... Pouf ! Plus d'Aylin. Un autre, elle décide de resurgir comme si son absence n'a été que de courte durée. Finn, ayant été blessé et laissé noyé dans sa confusion infinie, lui en veut.
Aylin restée immobile dehors sous la neige et le froid, se résout à rentrer. Seize minutes sont passées. L'heure du couronnement est annoncée. Les candidates montent en fil indienne sur l'estrade. Tout sourire, elles saluent le peuple. La tradition veut que ce soit à la reine de l'année précédente de remettre la couronne à la nouvelle élue. Encore une fois, Quinn n'est plus là, donc une fille un peu dodue qui m'est étrangère s'en charge.
Après un suspense inutile, le verdict tombe : Lily Young l'emporte. Celle-ci est en pleine euphorie de sa victoire. Les autres tentent de paraître fair play et applaudissent, mais on voit qu'elles ont la rage.
— Félicitations, Lily !
La couronne est placée sur le haut de son crâne.
— Merci infiniment. Quinn aurait été tellement fière de moi.
Elle t'aurait cassé les dents, oui.
— Son absence ce soir ainsi que celle de Ian sont douloureuses, déclare-t-elle en portant une main à sa poitrine. Ca reste un vrai coup dur pour toute la ville. Nul ne mérite un tel sort.
Dit la fille qui a dansé toute la soirée avec son petit copain sans se soucier une seule fois d'autre chose qu'elle-même.
- Bref, je souhaite dédier ma victoire à...
Silence. Sans crier gare, Lily et les filles restées alignées derrière elle s'écroulent. Un hoquet général se fait entendre. Je peux presque les entendre penser avec angoisse « Oh non, pas encore ». Sur le mur derrière l'estrade, le film rendant hommage à Quinn et Ian apparait... Avant que l'image ne se détériore. Elle laisse place à des séquences dérangeantes, agrémentées d'une musique sombre et entrecoupées par quelques phrases. « Minuit approche, le temps d'ôter ton masque est arrivé. Révèle qui tu es, ce que tu seras à jamais. Montre ton vrai visage, monstre damné ! ». Je vois des personnes courir et s'acharner à interrompre la vidéo. Trop tard. « Ôtez vos masques ! Ôtez vos masques ! ». Je me recule vers un endroit précis, me tenant à mon poste. Il est l'heure. Je déclenche l'alarme incendie.
Et c'est le chaos.
L'eau arrose l'assistance. La sono crachote des étincelles fusant de toute part. Les lumières des guirlandes clignotent, avant que les ampoules explosent une à une. Les flocons dégorgeant d'eau s'écrasent au sol, les paillettes de savon se transformant en une mélasse moussante et glissante. Un énorme craquement retentit. Une des enceintes tombe près d'un groupe de mecs. Des hurlements retentissent à mes oreilles, et les élèves courent dans tous les sens en s'efforçant de vider les lieux et de fuir la pluie d'éclat de verre et d'étincelles.
Les filles soulèvent leurs robes longues et tentent de ne pas glisser, leur mascara coulant sur leurs joues. Les garçons, yeux grand ouverts, courent, dérapent, tombent, se relèvent, n'offrant aucune aide à qui que ce soit.
Ainsi, ils ont tous ôté leurs masques. Qui se cache derrière ? Des monstres.
Cessons de blablater, à présent. Vous verrez bientôt une autre partie de la vie d'Aylin être révélée au grand jour, ainsi qu'un indice majeur sur mon identité – cette fois ce n'est pas une blague. Trêve de plaisanteries, je me suis juré de gâcher sa vie où qu'elle aille. Et je m'y prends plutôt bien, non ?
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