IV. À JAMAIS PRÈS DE TOI ★

Aujourd'hui s'annonce être une journée chargée. Je vais devoir traverser la ville plusieurs fois si je veux pouvoir observer mes proies du jour.

Commençons par Riley.

Ses longs cheveux blonds sont la première chose que j'aperçois quand j'arrive au niveau de la haie. Ce n'est pas dans le jardin des Mills que je me trouve, mais dans celui d'un gars qui m'est complètement inconnu. Riley, que je vois accompagnée de deux garçons dans un garage, est en train de bidouiller sa guitare pour les répétitions.

Quand je me trouve un petit coin à l'abri des regards, un bruit assourdissant vient me déchirer les tympans.

— Rileeeey !

Un des copains de Riley – on va l'appeler Bouclettes – serre les dents tandis que l'autre – Pétards – couvre ses oreilles de ses mains.

— Ton bend est de pire en pire, fait remarquer Bouclettes.

— Je fais de mon mieux ! proteste Riley.

— Si les gars d'Iron Maiden t'entendaient je ne sais pas ce qu'ils feraient, dit Pétards.

— Vous savez tous les deux que je suis plus douée avec le tapping, se défend Riley.

— Oui mais on ne va pas jouer du Metallica éternellement, râle Pétards.

— Faut évoluer à un moment, renchérit Bouclettes.

Riley se tourne vers Bouclettes.

— Je croyais que tu étais de mon côté !

Bouclettes se contente d'hausser les épaules, un sourire contrit.

— Vous savez quoi ? On va faire une pause.

— Quoi ? Mais on vient de commencer !

Riley laisse tomber sa guitare, et part s'affaler dans le canapé du coin. Le garage aménagé semble servir de chambre à l'un des amis de Riley. De là où je suis, les fauteuils m'ont l'air bien confortables. Bouclettes et Pétards soupirent et imitent leur amie, ayant l'air d'être habitués à la situation. Riley est le capitaine du navire.

Pétards allume la chaine stéréo et une musique que je reconnais vaguement s'échappe des enceintes.

— Au fait, Riley. Tu peux nous expliquer ça ?

Bouclettes lui montre son téléphone et Riley, qui bouge le pied en rythme en grignotant des chips trouvés sous le canapé, se relève pour voir l'écran.

Ses yeux s'écarquillent.

— Oh oh... fait-elle tout bas.

Elle se laisse retomber sur son canapé, une expression perdue entre la contrition et l'amusement. Pétards se racle la gorge puis lit à haute voix.

— Scandale : en réponse au cliché douteux la montrant avec deux jeunes vagabonds, Riley Mills, jeune élève de terminale dans notre cher lycée, affirme avoir, je cite, des « plans à trois torrides » avec les deux individus.

Cette fois, Riley éclate d'un rire hystérique.

— Ils ont osé nous traiter de vagabonds !

— Déjà qui dit encore le mot vagabond ?

— C'est quoi ce journaliste que vous avez ?

— Et puis pourquoi y a tant de partages sur les réseaux sociaux ?

Riley a ri tellement fort qu'elle en est tombée de son canapé, pratiquement en train de se rouler par terre avec ses chips.

— C'est pas ma faute si les gens croient tout ce qu'on leur dit !

Bouclettes s'esclaffe.

— C'est ce que tu diras à tes parents quand le principal va tomber sur l'article et les convoquer ?

Riley s'arrête immédiatement de rire.

— Merde.

C'est au tour de Bouclettes et Pétards de se moquer.

Si Laurel est connue pour être consciencieuse, Riley est tout le contraire : elle agit puis elle réfléchit.

Au bout de quelques minutes, les trois sont d'accord pour se remettre à leurs répétitions. Mais Riley a à peine le temps d'empoigner sa guitare que son teint devient livide.

En moins de deux secondes, je la vois courir au dehors et vider le contenu de son estomac dans un bac à fleurs.

🌛

La soirée se poursuit en musique.

Le soleil décline déjà à l'horizon quand j'arrive devant la demeure des Davy. Ils se sont installés ici il y a quelques années pour pouvoir s'occuper de la grand-mère Davy, hospitalisée. Ce qu'il y a de bien, c'est que leur salon se trouve du côté arrière de la maison, là où je peux mieux me cacher parmi la broussaille de leur jardin. Je vois Finn confortablement installé sur le canapé avec sa guitare, près de sa petite sœur Lena qui observe le mouvement de ses doigts sur les cordes tandis qu'il entonne une mélodie. Margo, leur mère, fait des allers-retours réguliers vers la cuisine. Aucune trace de leur père, cependant, mais c'est parce qu'il arrive toujours pile au moment du dîner – ça a été le cas toutes les autres fois.

Au bout d'un moment, Lena finit par se lasser.

— Finny ? dit-elle avec la bouille mignonne dont seuls les Davy ont le secret. Tu me chantes une chanson?

— Bien sûr ! Mhmm, voyons...

Quelques secondes de réflexion suffisent pour que Finn fasse un choix. Très vite, ses doigts passent sur les cordes de sa guitare et les notes qui s'en échappent produisent un air reconnaissable entre mille.

Yesterday, all my troubles seemed so far away. Now it looks as though they're here to st...

Quand elle reconnait la chanson, Lena secoue énergiquement la tête.

— Non, Finn, pas celle-là!

— Pourquoi ? intervient Margo qui vient de pénétrer la pièce. Je l'aime bien.

— Non, c'est trop triste. Moi, j'ai envie de danser.

Finn rit.

— Très bien, alors...

D'un sourire affectueux, il tente autre chose. Cette fois, la musique est plus rapide et donne envie de bouger sa tête en rythme. L'air ne me dit rien, néanmoins ; contrairement à Lena puisqu'un gros sourire illumine son visage.

Some people say my love cannot be true. Please believe me, my love, and I'll show you.

La voix de Finn est profonde et agréable. Lena bouge la tête de droite à gauche, et se joint à lui.

I will give you those things you thought unreal. The sun, the moon, the stars all bear my seal.

Puis, à l'unisson, ils crient d'une voix suraigüe : « Oh yeah ! ».

Lena, Finn et Margo éclatent de rire, et je ne peux m'empêcher de sourire aussi. Quand Finn continue de jouer, Lena se lève et se met à danser tout en chantant. Margo l'encourage en tapant des mains, mais doit s'arrêter à un moment car Lena s'est emportée et a pris la table basse pour une scène.

L'instant qui se déroule sous mes yeux est si réconfortant que je m'y perds. Il en va toujours ainsi dans cette maison : la complicité de ses membres ainsi que l'harmonie qui les garde unis sont des plus rares. Je continue à les regarder jusqu'au moment où Papa Davy rentre, et que le spectacle soit interrompu pour le dîner.

Je me retourne et, refoulant mon envie d'aller les rejoindre, je m'éloigne dans les rues trempées de la ville. Je soupire et serre mes bras autour de moi. Ayant si vite quitté la chaleur de la famille Davy, l'air me semble soudain bien froid.

🌛

Cette fois, vous avez droit à un récapitulatif. Pourquoi ? J'en ai décidé ainsi.

Vous connaissez la malédiction du mensonge ? Non ? Normal : je viens de l'inventer. Mais je vois que cette malédiction s'applique parfaitement à Aylin : en un mois, elle a pratiquement tout réussi.

Elle a fait la connaissance de Laurel et Riley et forment maintenant une hyper super bande de meilleures amies. Ses relations avec Finn vont cependant moins bien. Ah oui, c'est vrai, je ne vous ai pas raconté. Après la mini dispute de la dernière fois, ils sont restés en froid. Ils se voyaient au club de lecture – qui a gagné quelques membres supplémentaires –, ou pendant quelques classes qu'ils ont commun. Mais ils ne s'adressaient pas la parole. Cependant, ils se jetaient des regards en permanence comme s'ils avaient envie de se parler, de se rapprocher. Comme s'ils étaient connectés même s'ils faisaient tout pour être loin l'un de l'autre. C'était comme s'ils se connaissaient depuis toujours... Peut-être est-ce le cas. Ou peut-être pas !

Bon, passons. Elle a rejoint la chorale. Vous avez levé les yeux au ciel ? Moi aussi. J'ai voulu zapper cet épisode car c'est d'un ennui ! Bon, ok. Ils manquaient cruellement de membres, et on lui a proposé de les rejoindre. Eh, mais j'ai oublié de vous dire : comme si Aylin n'avait déjà pas assez de cordes à son arc, mademoiselle sait chanter ! Eh oui ! Une jolie voix, très envoûtante, vraiment. Elle a hésité mais finalement accepté. Je vous ai prévenus que c'était ennuyeux.

Bref. Quoi aussi ? Ah. Bien sûr. En plus de sa beauté, sa perfection naturelle, il y a son intelligence. Evidemment, les profs l'adorent déjà. Jolie, intelligente, et une liste infinie de qualités que j'ai sérieusement la flemme de citer. Oh là là. Une vraie Mary-Sue du monde réel, n'est-ce pas ?

Vous réalisez qu'elle a réussi à se faire une place dans ce milieu hostile en à peine un mois ? La plupart n'y arrivent pas même après quatre ans. Bon, il y a aussi cette garce de Quinn qui n'a pas hésité à lui rappeler qu'elle était toujours celle à régner sur le territoire. Mais à part ça, je vois que tout est parfait. Sauf que vous oubliez un détail... Moi ! À votre avis, pourquoi ai-je appelé ça une malédiction ?

Aylin est tranquillement allongée sur son lit. C'est le week-end, et tout est incroyablement calme dehors. Aujourd'hui, elle doit retrouver les autres chez Laurel. Elles ont prévu de faire une soirée pyjama ce soir même. D'après ce que je sais, il y a eu des événements récents dans la vie de chacune d'entre elles. Des événements plutôt intéressants qu'elles se cachent mutuellement et très minutieusement. Ne sont-elles pas meilleures amies ? Ne sont-elles pas supposées partager leurs secrets, même les plus noirs ?

Elle se lève et regarde le réveil posé sur sa table de nuit. 18h. Elle sort un sac de son armoire et y fourre le strict nécessaire de vêtements.

Son téléphone reposant sur son bureau fait un petit bruit. Elle s'en approche et constate l'arrivée d'un nouveau message dont l'expéditeur est inconnu.

Alors, comme ça, on ignore mon message ? Tu es très courageuse. Ca te ferait réagir si je te disais que je sais tout ? En particulier à propos de cette nuit-là ? J'imagine que oui. Je ne sais pas si tu t'en rends compte, mais je te surveille de près. De TRÈS près. Pas encore effrayée ? Tu le seras.

Doll Face

Aylin cligne très vite des yeux. Je crois que j'ai touché un point sensible. Cependant, elle ne réagit pas tant que ça. Croit-elle toujours que Finn tente de lui jouer un mauvais tour ? Se doute-t-elle de mon retour ? Pense-t-elle seulement qu'il y a possibilité à ma réapparition ?

S'en fiche-t-elle ?

Quoiqu'il en soit, après ce qui semble être un moment de réflexion, elle secoue doucement la tête comme si elle rejetait une idée ou une pensée, et fourre son téléphone dans sa poche comme si de rien n'était.

Empoignant son sac, elle quitte sa chambre, descend les seize marches de l'escalier et se retrouve dehors. Pendant qu'elle verrouille la porte d'entrée, mon agacement croissant se fait ressentir. Son indifférence commence à me mettre hors de moi. Mais elle finira par avoir peur, j'en ai la certitude.

Traversant la route, elle fait quelques pas tout droit avant de tourner à droite et de longer la rue. Deux minutes à peine, et Aylin est debout devant chez les Davis. Elle toque trois fois. Des bruits de pas approchent, puis la porte s'ouvre.

— Oh, c'est toi. Bonsoir.

C'était Liam, en t-shirt Bob l'Eponge et du chocolat autour de la bouche. Il l'invite à entrer, et appelle sa sœur. Quand celle-ci descend, elle entraine son amie dans la petite cabane dans le jardin. Là, se trouve déjà Riley.

Une bonne partie de la soirée s'écoule sans qu'il se passe quelque chose en particulier. Elles ont dîné, parlé, ri, échangé des objets et balivernes en tous genres. Et puis Riley a profité d'un petit silence pour changer le programme, ce qui n'était pas de refus.

— J'ai rencontré quelqu'un. A la soirée de Ian d'il y a quelques semaines.

Laurel redresse la tête.

— Attends, tu as été invitée chez Ian ?

Riley lève les yeux au ciel.

— Comme si Ian savait que j'existais. Il n'a d'yeux que pour toi. N'est-ce pas, Laurel ?

Cette dernière détourne soigneusement les yeux et fait mine d'être fascinée par les rideaux.

— Bref, continue, marmonne-t-elle.

Riley laisse échapper un petit rire.

— Donc je disais, j'ai rencontré ce mec... Cole.

— Cole ? Le gars qui cartonne dans ses études et dont toute la ville est fière ?

— Lui-même.

Ah... le type qui habite à trois portes de Riley et qu'elle reluque en permanence.

Laurel se penche vers elle.

— Et ?

— Et... on sort ensemble.

— Pourquoi tu es aussi crispée ?

Riley ajuste nerveusement son oreiller.

— Aux répétitions, j'ai dû m'arrêter en plein milieu pour aller dégueuler sur les pâquerettes de Mme. Collins.

— Tu as sûrement eu une intoxication alimentaire, dit Laurel. Combien de fois t'ai-je répété de ne pas abuser de chips au fromage ? Je suis sûre que tu as enchaîné au moins trois paquets. Mais attends, quel rapport avec Cole ?

Riley a un sourire mi-figue mi-raisin.

— Je crois que c'est autre chose que mes chips.

Je vois tout s'immobiliser dans la pièce tandis que la suggestion de Riley s'insinue dans la tête de ses copines.

Patientez une minute. Elles sont lentes.

— Oh... fait Laurel. Mais... Tu es sûre ? Je veux dire, tu as...

— Non. J'ai peur de vérifier.

Laurel regarde Riley, sans répondre. Riley se redresse.

— Vas-y, Laurel. Passe-moi un savon, je suis sûre que tu en meurs d'envie.

C'est la première fois que je vois Riley sans son enthousiasme.

— Je n'en ai pas l'intention. A vrai dire, je ne sais même pas quoi penser.

Riley laisse échapper un rire sans joie. Le silence s'éternise, où seules leurs respirations sont audibles. Je m'endors presque dans ma cachette, quand j'entends de nouveau la voix de Riley, presque aussi rieuse que d'habitude.

— Ton tour, Laurel. Raconte-nous un des tes horribles secrets.

— Je ne sais pas quoi dire.

— Dis-nous, je ne sais pas... Tiens, comment va Ian ? demande Riley d'un air taquin.

— Comment je le saurais ?

— C'est le meilleur ami de ton frère, et à ce que je sache, il passe beaucoup de temps chez-vous, et...

— Ca va, ça va. Ian et moi... On sort plus ou moins ensemble, si c'est ce que vous voulez savoir.

— Je le savais ! s'écrie Riley, triomphante.

Laurel croise les bras.

— Molly va me tuer si elle l'apprend, grommelle-t-elle.

D'après mes récentes recherches et selon toute apparence, Molly est la petite amie actuelle de Ian. Ou devrais-je dire l'autre petite amie actuelle de Ian.

— Quoi ? Ne me dis pas qu'il est encore avec cette poupée gonflable.

— Si.

— Et la situation te semble normale ?

Riley n'en croit pas ses oreilles et moi non plus.

— C'est compliqué.

Laurel détourne les yeux. Riley secoue la tête mais ne lui dit rien.

— C'est ton tour, Aylin, déclare Riley.

Laurel sursaute légèrement. Je parie qu'elle avait complètement oublié sa présence, elle qui n'a prononcé aucun mot depuis un bon moment. Aylin, quant à elle, hausse les épaules.

— Je n'ai pas grand-chose à dire. Mais... bon. C'est Finn. Je ne sais pas quoi penser de lui.

— Finn ? Le mec de ton club de lecture ?

— Celui qui te tourne autour ?

— Oui.

— Tu ne disais pas qu'il était...

— Agaçant. Oui. Mais... Je ne sais plus trop.

Traduction : « Il me fait complètement craquer, mais, je le tiens loin de moi parce que ce n'est pas aussi simple que ça. Et aussi, c'est le plus petit de mes secrets, alors ça m'arrange énormément de choisir celui-là, vous comprenez ? ».

— Très bon choix, en tout cas, dit Riley en lui faisant un clin d'œil.

Aylin esquisse un petit sourire.

— Hey, maintenant on doit promettre de ne rien répéter à qui que ce soit.

Elles se prennent toutes par la main et répètent en chœur : « Je promets de garder ces secrets pour toujours et à jamais ».

Regardez-moi ça. On dirait une confrérie de sorcières.

Pauvres petites choses. Elles ne voient pas que les secrets de ce genre peuvent salir une réputation, voire détruire une vie? Bon, Aylin a été assez maligne de n'avoir révélé rien de grave. Au pire, tout le monde est courant, et puis quoi ? Et puis rien. Il se pourrait même qu'elle sorte un jour avec Finn. Enfin, si elle arrive à garder toujours aussi bien son secret affreux. Ce qui ne va pas être si facile que ça, avec moi et mon envie de foutre le bordel dans les parages. Mais je les remercie quand même. Ces filles ne m'intéressent nullement hormis Aylin, mais j'ai bien noté tout ce qui a été dit de compromettant, et je compte bien m'en servir à l'avenir si l'une d'entre elle ose se mettre au travers de mon chemin. En attendant, je choisis de faire une petite intervention.

Elles se mettent à rire pour je ne sais quelle raison stupide et tout redevient pour le mieux dans le monde des Bisounours. Puis, un bruit du côté de la fenêtre les alerte et le calme s'installe subitement. Laurel se lève doucement et jette un coup d'œil prudent au dehors. Personne. Elle referme les rideaux à la couleur sombre et repart s'assoir. Quelques secondes s'écoulent, où elles pensent que tout va bien, et un téléphone sonne. Elles se regardent, l'air vaguement inquiet. Aylin prend son téléphone et son inquiétude, mêlée d'incompréhension, se confirme et apparaît intensifiée sur son visage.

Les garces doivent mourir.

Et, félicitations, tu en es une !

Faites très attention, toi et tes copines.

C'est la saison d'ouverture sur les menteuses et je suis en chasse...

Doll Face

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top