II . PIÉGÉE ENTRE LES JOLIS MURS DE LA FOLIE

Avant, je détestais la pluie.

Elle m'empêchait d'aller jouer dehors, elle était synonyme de tristesse. Sa vue était froide et monotone, comme si le ciel nous envoyait sa détresse. J'observais les nuages gris couvrant les rayons de soleil, encore et toujours debout à ma fenêtre. Cela devenait une habitude, d'appuyer mon front contre la vitre et de regarder en travers le monde obscur qui s'offrait à moi.

Avant, je n'aimais pas la pluie, mais depuis quelque temps je lui trouvais une réelle beauté. Elle m'évoquait des larmes, de la joie et de la misère à la fois ; sa densité et sa force représentaient la violence d'un flot d'émotions. Une folle envie d'aller danser sous ses innombrables gouttelettes d'eau me prit, ainsi que remplir mes poumons de son odeur atypique.

Je me sortis de mes pensées et partis m'emmitoufler dans ma couverture. J'étais fatiguée, j'avais froid. Après une minute de réflexion, je décidai d'aller faire un tour dans la salle commune. Les livres que les infirmières m'apportaient m'ennuyaient pour la plupart, et de toute façon j'avais beaucoup trop de mal à me concentrer suffisamment pour lire.

La salle commune était, à ma connaissance, la pièce la plus large de l'institut. Point de rencontre entre les patients, elle représentait une salle de repos où avaient lieu parties de cartes, d'échec, de lectures solitaires ou de grandes séances de bavardage. Quand j'y pénétrai, la première chose que je fis fut de chercher Dylan et Iris parmi les visages présents. Aucun d'eux n'y était, à ma déception. Je ne connaissais quasiment rien d'eux, mais j'avais besoin de visages amicaux tels que les leur pour me faire tenir dans ce taudis. Je m'assis sur un canapé, vaquant à ma grande passion qu'était de regarder par la fenêtre.

Mais alors que je croyais avoir un peu de tranquillité, un infirmier se dirigea vers moi.

- Le Dr. Hellington est prêt à vous recevoir.

Une fois de plus, je franchis le seuil de ce maudit bureau. Décidément, je ne m'y ferai jamais à cette sensation de renfermé et à cet homme que j'arrivais à peine à supporter.

Comme d'habitude je le trouvai assis fin prêt à me recevoir.

- Bonjour, dit-il avec un sourire absolument faux.

Je ne pris pas la peine de répondre et attendit qu'il me pose une de ses questions stupides. Quelle joie de le voir me dévisager de la sorte. Vieux schnock.

- Comment allez-vous ?

Sérieusement ?

- Je suis putain de joyeuse.

Il eut une moue désapprobatrice.

- Hum, je vois.

Je soupirai.

- Vous ne voulez visiblement pas discuter, alors ne perdons pas de temps et rentrons immédiatement dans le vif du sujet.

- Vous voulez en savoir plus à propos de ma mère ?

- Je voudrais pour l'instant que vous me racontiez exactement ce qui s'est passé cette nuit-là.

Saisissant le sens de ses mots, je me rembrunis.

- Et je veux la vérité, ajouta-t-il. Du moins, la vérité telle que vous la concevez.

« Telle que vous la concevez ». La vérité... Il n'y avait qu'une seule vérité, et lui suggérait que je m'en inventais une autre. J'en avais assez de cette insupportable pression, de ces incessantes accusations.

Assez.

- Je l'ai fait.

Une lueur de triomphe brilla dans ses yeux.

- Qu'avez-vous fait, Alyssa ? Je vous écoute.

- Je l'ai tué. J'ai tué mon père. Et après j'ai tenté d'assassiner ma sœur, Aylin.

- Comment avez-vous procédé ?

Je repensai aux mots d'Aylin. « Tu as déjà entendu parler du cyanure ?... Incolore et indolore... ». J'eus un sourire en coin.

- J'ai découvert que certains produits contenaient du cyanure. Si vous êtes assez malin, vous devriez déjà avoir compris que j'en ai profité pour empoisonner mon père. Une petite quantité versée dans un verre d'eau qu'il avala avec ses somnifères suffit à l'achever. J'allais me recoucher comme si de rien n'était, mais Aylin m'a surprise et je me suis sentie obligée de la balayer de la liste des témoins légèrement... compromettants. Mais ses cris ont alerté nos grands-parents, qui ont débarqué ensuite.

Je lâchai un petit rire.

- Vous saviez qu'on utilisait le cyanure aussi pour le jardinage ?

- Hum.

Je le regardai noter ses petits trucs sur son fichu calepin. Quel con.

- Pouvez-vous me dire ce qui vous a poussée à le faire ? Tout va bien, tout ce que vous me direz restera entre nous, m'encouragea-t-il.

Je doutais sérieusement de l'exactitude de son affirmation, mais je soupirai et poursuivis :

- Il nous a menti.

- A quel propos ?

- Notre père nous a bourrées ma sœur et moi de mensonges terribles au sujet de notre mère. Il nous a fait savoir qu'elle était morte. Mais elle ne l'est pas.

- Votre mère est bel et bien morte, Alyssa.

- Non, je l'ai vue.

Il parut intrigué.

- Que voulez-vous dire par « Je l'ai vue » ? Parlez-vous de quelque apparition paranormale ? Déclarez-vous avoir vu un fantôme, un spectre représentant votre mère ?

J'ai voulu m'arracher les cheveux.

- Non ! Je l'ai vue, et elle était en chair et en os, haletai-je.

- Ah. Et quand croyez-vous l'avoir vue ? Vous le rappelez-vous ?

- Oui. Très tard dans la nuit, je me suis réveillée et quand je me suis approchée de la fenêtre, je l'ai vue s'en aller. Elle fuyait. C'était la nuit qui a précédé l'annonce de sa fausse mort.

- Etait-ce après minuit ?

- Je crois bien... Oui, c'est bien ça. Après minuit, je m'en souviens maintenant. Mon réveil affichait 2 heures du matin.

- Mais cela est impossible, contre-t-il. Votre mère est décédée dans son sommeil bien avant minuit.

N'allait-il donc jamais comprendre ?

- Puisque je vous dis qu'elle n'est pas morte ! hurlai-je.

- Très bien, très bien, dit-il afin de me calmer.

Mais calmée je n'étais pas. Comment garder son calme face à quelqu'un qui s'obstine à altérer chacune de vos paroles ?

- Donc, vous dites avoir tué votre père pour cause de mensonge sur... la véracité de la mort de votre mère.

- Oui.

Quel sordide mensonge...

- Qu'en est-il de votre jeune sœur ? Qu'à-t-elle fait, hormis être au mauvais endroit au mauvais moment, pour susciter chez-vous l'envie de la tuer ?

- Elle...

Ma fureur si longtemps refoulée vint exploser de nouveau.

- C'est un démon ! m'exclamai-je d'une voix acerbe et lourde de ressentiment.

L'homme hocha la tête tranquillement.

- Je vois. Vous voulez affirmer que votre sœur cadette est possédée par un démon.

NON ! Toujours à déformer mes paroles ! Cette fois je ne pus me contenir.

- Vous ne voyez rien du tout, criai-je. Vous dites vouloir m'aider mais vous êtes comme tous les autres ! Vous êtes tous aveugles, vous ne savez pas discerner le vrai du faux. Elle vous a tous diaboliquement trompés !

Le médecin me regardait, l'air nullement ému par mes mots.

- Ne le voyez-vous pas ? Ne comprenez-vous pas l'étendue de votre bêtise et de votre aveuglement ? Vous vous obstinez tellement à me faire passer pour une folle que vous ne songez même pas à envisager les autres perspectives, les autres facettes de la situation – celles qui révèlent la vérité effroyable que vous vous bornez à ensevelir et ignorer !

Je me levai et m'approchai de lui, avec une terrible envie d'étrangler ce vieux Hellington. J'étais même prête à le faire.

- Très bien, j'ai compris, lui crachai-je au visage. Je perds la boule. Je deviens dingue. C'est ce que vous voulez ? Que j'admette être folle?

Deux infirmiers débarquèrent dans la pièce comme s'il suffisait d'appuyer sur un bouton pour les faire apparaître. Chacun m'agrippa fortement un bras et je me retrouvai bientôt neutralisée malgré mes gestes et mes cris hystériques.

- Emmenez-là je vous prie, dit le docteur.

- Elle est le diable ! Elle est le diable !

Mais ma dernière tentative de les convaincre resta vaine.

Les infirmiers, sans ménagement, me traînèrent dans le couloir et me poussèrent dans ma chambre.

Ma cellule.

Ces bâtards m'avaient droguée.

Ils m'ont injecté je ne sais quelle substance douteuse dans le sang et je me suis écroulée dans mon lit pour une durée indéterminée. J'ai dû rester assommée une bonne partie de l'après-midi, car je voyais le ciel virer à l'orange depuis ma fenêtre. Nauséeuse et un poil étourdie, je partis m'installer à mon petit bureau. Seules quelques feuilles blanches reposaient sur le meuble aux côtés de crayons identiques à ceux de Dylan, des crayons qu'on ne peut pas se planter dans la gorge ou dans les yeux. Dommage. Je soupirai et pris de quoi écrire.

Te souviens-tu comme tu me tenais la main ?

Grâce à toi mon cœur était de nouveau plein

Et quand ta lumière et ta magnificence apparurent

Mon âme redevint vivante et mes pleurs se turent

Mais tu m'as été enlevé, mon ami, mon amour

Un amour qui, hélas, n'a pas pu voir le jour

Génial. J'écrivais des poèmes, moi, maintenant. C'est que mon cerveau ne devait pas aller bien du tout. Comment s'appelait déjà ce poète qu'Aylin et Finn affectionnaient tant ? Poe ?... Oui c'est bien ça. Edgar Allan Poe. Ce poète et auteur du XIXe siècle, il me semble. Eh bien, ma vie était assez dramatique comme ça pour aller m'empêtrer des malheurs des autres. Surtout que tous les poètes exagèrent dans leurs textes.

- C'est joli, ce que tu écris.

Mon sang se glaça dans mes veines et je me figeai instantanément. Cette voix... Je l'aurais reconnue entre mille.

- Finn ? dis-je au bord des larmes.

Je me retournai, et il était là. Ce petit garçon qui me souriait et qui me regardait de ses grands yeux innocents. Mon cœur se remplit d'un tel bonheur que je ne me demandai même pas comment il pouvait être là.

Il n'est pas réel.

- Est-ce que c'est de moi que tu parles dans ton poème ?

Je le regardai encore un moment. Je n'en revenais pas.

- O-oui, dis-je finalement.

Il se rapprocha un peu.

- J'ai entendu des choses horribles sur toi, Alyssa. Est-ce qu'elles sont vraies ?

Je savais qu'on allait lui raconter des atrocités à mon sujet.

- Non ! Bien sûr que non ! Finn, tu dois me croire. Je t'en supplie.

- Evidemment que je te crois.

Je le fixai, surprise. Il me sourit pour toute réponse, un sourire rassurant, et posa une main sur mon épaule, juste comme la fois où il était venu me voir quand je pleurais. Je fermai les yeux à son contact.

Il n'est pas réel.

- Si tu savais comme tu m'as manqué, Finn...

Je le pris dans mes bras, passant ma main dans ses cheveux et humant l'odeur de sa peau.

- Toi aussi tu m'as manqué. Il faut que tu rentres à la maison, Ally.

- Ils ne me laisseront pas.

Il se détacha un peu de moi pour me regarder.

- Est-ce que tu es heureuse, Alyssa ?

Que dire ? J'étais profondément triste, et depuis longtemps, mais le revoir en ce moment où je me sentais si seule et rejetée était le soulagement dont j'avais besoin.

- Eh bien... commençai-je, hésitante. Tu sais, ce n'est pas la joie, ici.

- Oui... Mais tout finit par s'arranger, n'est-ce pas ?

Je lui souris. Un sourire nostalgique car son optimisme m'avait manqué, un sourire triste car ce qu'il venait de dire n'était pas toujours vrai.

- Oui, c'est ce qu'ils disent. C'est ce que tout le monde dit. Mais regarde-moi. Est-ce que je te semble heureuse ?

- Tu pourrais l'être si tu le voulais. Tout ce que tu as à faire, c'est de me prendre la main et de fermer les yeux.

J'entrelaçai mes doigts avec les siens et fermai les paupières, laissant des larmes silencieuses baigner mes joues. Je savais qu'il n'était pas vraiment là. J'étais consciente que c'était irréel. De le voir ici me tenir la main, me réconforter et raviver mon âme de son simple regard bleu brillant. Tout ça était faux. Et pourtant, je me sentais bien en sa compagnie imaginaire. J'étais heureuse en ce moment précis.

Et je n'aurais voulu arrêter ça pour rien au monde.

Je tentai de me remettre de mes émotions, en vain.

Quand j'avais rouvert les yeux, Finn n'était plus là. Je restai allongée dans mon lit un bon moment à fixer le vide, jusqu'à l'heure du dîner que je passai la tête baissée. Une fois le ventre rempli, je sortis du réfectoire pour retourner me morfondre dans ma chambre quand Dylan me retint par la main.

- Viens me rejoindre dehors à 21h, me chuchota-t-il à l'oreille.

N'attendant point de réponse, il s'en alla immédiatement. Encore un peu sonnée, je ne me posai aucune question et partit me réfugier quelque part en attendant. Je croisai de nombreuses âmes brisées en errant dans les couloirs. Certaines d'entre elles étaient-elles ici de leur plein gré ? Certaines d'entres elles étaient-elles ici à tort ? Le temps me parut passer au ralenti avant que l'aiguille de l'horloge pointe enfin sur le neuf. C'est l'heure.

Je sortis dehors et fit quelques pas dans le jardin à peine éclairé par la lune. Nulle trace de vie ne me faisait signe, mais très vite, je sentis de petits tapotements su mon épaule.

- Tu es venue, constata Dylan.

- Quelle perspicacité !

Il lâcha un petit rire avant de m'entraîner à l'arrière de l'établissement.

- Par ici, c'est rarement surveillé la nuit, expliqua-t-il. Nous pouvons être tranquilles.

Nous nous assîmes par terre, sur l'herbe desséchée. L'air humide me refroidit quelque peu, je me frottai les mains pour les réchauffer.

- Tu voulais me dire quelque chose ? demandai-je à Dylan.

Il haussa les épaules.

- Rien de bien précis, je voulais juste qu'on passe un peu de temps ensemble.

Il ricana face au regard que je lui donnai.

- Quoi ?

- Les gens ne veulent pas « passer un peu de temps » avec moi, d'habitude.

- Pourquoi ?

- Vas savoir.

Il secoua la tête.

- Ils ont tort.

- Tu ne me connais pas.

- C'est vrai... Mais ça pourrait changer, non ?

- Ca pourrait, en effet. Si tu acceptes de répondre à quelques questions, toi aussi.

- Tout ce que tu veux.

Il n'y avait qu'une question que je brûlais d'envie de lui poser, mais commencer en douceur me paraissait être le mieux.

- Tu viens d'où ?

- La capitale, mon amie !

- Cool ! Je viens d'Amentia.

Il parut réfléchir.

- Jamais entendu parler.

Je pouffai de rire.

- Tu as quel âge ? demanda-t-il.

- Treize ans.

- Seize. A toi.

Je lui lançai la première chose qui me vint à l'esprit.

- Ta couleur préférée ?

- Le noir. On n'arrête pas de dire que ce n'est pas une couleur, mais c'en est une.

- Vrai. Moi c'est le vert.

- Le vert émeraude ?

- Le vert de tes yeux.

Qu'est-ce que je venais de dire ? Oh, bon sang ! Dylan eut un adorable sourire amusé qui s'élargit quand, moi, tout ce que je trouvai à faire était de rougir violemment.

- Pourquoi tu es ici, Alyssa ?

- Parce que tu m'as demandé de venir.

Il rit un peu.

- Non, je veux parler de Beechworth. Qu'est-ce qui t'a amenée ici ?

J'avais évidemment compris, j'avais juste espéré pouvoir éviter ce point. Mais puisqu'on en était là...

- Meurtre doublé de tentative de meurtre.

- Ouah...

Il me dévisagea d'un air franchement étonné.

- Je ne l'aurais jamais cru. C'est impressionnant.

- « Impressionnant » ? Tu n'as pas peur ? Tu n'es pas dégoûté ?

Il s'allongea, les bras derrière la tête.

- Non, je trouve ça simplement surprenant. Tu es... si gentille. Tu n'as rien d'une meurtrière.

- Peut-être que je ne le suis pas... répondis-je vaguement.

Il m'interrogea du regard.

- C'est... compliqué. A toi maintenant. Raconte-moi ce qui a bien pu te faire enfermer ici, car je n'en ai aucune idée.

- Oh, tu sais, c'est une histoire banale. J'étais un gars à problèmes. La risée de la famille – un total déshonneur, comme disait mon père. Mes deux grands frères ont réussi leur vie, tu vois, et moi j'étais le petit dernier qui ne servait à rien. Un jour, j'en ai eu marre. Quand on te traite de moins que rien parce que tu ne sais rien faire à part prétendre être un artiste en faisant des gribouillis à longueur de journée, ça devient chiant à la longue. Alors, j'ai eu l'idée de brûler la maison.

Je levai les sourcils.

- Tu as volontairement déclenché un incendie chez-toi ?

- Pas que, dit-il un sourire au coin. J'ai même tenté de brûler vive toute ma famille, moi y compris. Les pauvres, ils n'ont rien vu venir. D'une petite étincelle à de grandes flammes. Le feu est parti très rapidement et a englouti presque toute la maison le temps que les pompiers arrivent. Le bilan : on m'a trouvé à demi-mort dans ma chambre, mes parents ont été sauvés à temps, un de mes frères a péri et l'autre s'en est sorti avec de grosses brûlures. Je n'ai pas nié avoir fait ça. J'aurais pu finir en pensionnat ou en détention, mais ils m'ont jeté ici. Je suis à Beechworth depuis un an, et c'est assez pour rendre n'importe qui dingue.

Le feu... C'est alors que je me rappelai ce dessin que j'avais vu la première fois dans le carnet de Dylan : une maison en flammes. Sa maison. Je m'allongeai près de lui.

- C'est très loin de l'idée que je me faisais de toi.

- Les apparences sont trompeuses, voilà au moins qui est sûr.

Il se tourna vers moi.

- Tu ne m'as donné aucun détail, toi. Qui as-tu assassiné ?

Je le regardai droit dans les yeux.

- Est-ce que je peux te faire confiance, Dylan ?

Il me fixa intensément en retour.

- Bien sûr. Et je sais que je peux te faire confiance aussi.

J'hochai lentement la tête.

- J'espère ne pas me tromper à ton sujet.

Sur ce, je lui racontai la petite histoire qui m'avait valu une place de choix dans cet institut, ce qui le laissa pantois.

- Je n'arrive pas à y croire.

- Je sais, soupirai-je.

Personne ne pouvait le croire, de toute façon.

- Tu aurais dû tuer ta sœur tant que tu en avais l'occasion. C'est du moins ce que j'aurais fait.

Je tenais un couteau à la main. Je lui courais après. Si mes grands-parents n'étaient pas intervenus, je l'aurais facilement attrapée. Et après ? Aurais-je été capable de la poignarder par excès de colère ? Cette question me troubla quelque peu, mais je n'en laissais rien paraître.

- Peut-être.

Puis, je changeai brusquement de sujet.

- Tu sais comment sortir d'ici ?

- Tu veux t'enfuir ? Aucune chance. Cet institut est mieux gardé que Buckingham Palace.

Je ne m'arrêtai pas sur son exagération et grognai.

- Tu en es sûr ?

- La moitié des règles de sécurité instaurées l'ont été suite à mes multiples tentatives d'évasion. Crois-moi, j'ai tout essayé.

C'est ici que notre conversation toucha à sa fin. Nous nous contentâmes de regarder le ciel noir au dessus de nos têtes, tous deux perdus dans nos pensées.

Le couvre-feu était de 22h. A cette heure précise, les lumières s'éteignaient et les portes étaient verrouillées ; et il aurait mieux valu pour vous que vous soyez dans votre lit à ce moment-là. Dylan et moi nous sommes levés ; nous avions cinq minutes pour rentrer. Je me tournai vers lui.

- Dylan ?

- Mm ?

- Merci.

Un merci pour m'avoir occupée, m'avoir fait oublier durant un court instant. Hélas, dès que je m'allongeais sur mon lit à la nuit tombée, mon cerveau se mettait à travailler au lieu de se reposer. Ma tête bouillonnait de pensées obsédantes et parfois contradictoires.

L'adolescence est une période difficile dans la vie d'une personne, vous savez. Les premières fois, les expériences, le goût du nouveau. Les questionnements, l'incompréhension, la dépression. On grandit et on commence à ouvrir les yeux. Se chercher, se trouver, pour se perdre de nouveau. Vraiment très confus, surtout quand, adolescent, les grands s'attendent à ce qu'on se comporte en adulte tout en nous traitant comme un enfant. Si seulement j'avais pu vivre ça. Faire des conneries, me faire réprimander par mes parents, faire ce qu'une adolescente normale est censée faire. Moi, Dylan, Iris, et tous les autres enfants et jeunes coincés ici. Nous méritions tellement mieux.

Nous étions forcés de gâcher notre jeunesse dans ce foutu institut.

Maintenant que j'y pensais, allais-je seulement me sortir de là, un jour ? Je n'avais plus de famille qui veuille s'occuper de moi, mon médecin s'acharnait sur moi, mes amis... J'avais Dylan, mais son amitié était-elle capable d'empêcher la folie de me ronger ?

J'avais dit la vérité, ils ne m'ont pas crue. J'ai fini par leur donner ce qu'ils voulaient, ils m'ont qualifiée de dérangée. Que me restait-il à faire ? Fuir ? D'après Dylan, il n'y avait aucune issue. Et je ne pouvais pas prendre de risque pour l'instant. J'étais encore nouvelle, je devais d'abord étudier l'endroit au complet avant d'établir un plan. Me rebeller ? Jouer à la patiente difficile ne mènerait qu'à de mauvais traitements. Tenter d'être docile ? Je ne voyais pas à quoi ça me servirait, hormis peut-être me mettre les médecins et le personnel dans la poche – seulement, je n'avais aucune envie de me plier au règlement instauré par des personnes qui, de toute façon, se fichaient bien de ce que je pouvais dire ou faire. Il ne me restait qu'une solution.

Mourir.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top