II. LE POIDS DES MENSONGES ★
— Vous affirmez donc avoir trouvé le corps dans le deuxième compartiment, désert depuis un moment ?
— Oui... Oui, c'est bien cela.
La police a débarqué il y a un instant. Le train est définitivement arrêté et immobilisé. Les passagers, encore sous le choc de leur découverte macabre, sont tous au dehors. Seules des personnes qualifiées et chargées d'inspecter l'intérieur du train y ont accès. Depuis l'arrivée des renforts, l'agitation s'est accentuée. Un certain degré de panique s'est installé, et la tension est palpable. Parce que tout le monde est piégé. Chaque personne se retrouve à se faire poser d'innombrables questions. Chacun d'eux est suspect.
Quant à moi, je me suis tiré de ce merdier. Je n'ai pas la possibilité de tout voir, ni la capacité de tout entendre de là où je me tiens. Mais me cacher et assurer ma sécurité est ma priorité à cet instant précis. Ce serait bête de me faire attraper maintenant et publiquement me révéler être un imposteur.
Au fur et à mesure, des personnes sont renvoyées chez elles. Nous ne sommes pas très loin de Oldwood, le train ayant fait près de la moitié de la boucle qu'il devait effectuer avant que je ne prenne les choses en main. D'ailleurs, jouer avec un engin pareil, c'est très amusant.
Ma voiture est là, où je l'ai dissimulée bien avant le départ du train. J'insère la clé dans l'espace qui lui est dédié et je mets le contact afin de retourner en ville. Mais ma putain de bagnole toute cabossée refuse de démarrer. Sacré problème que j'aurais dû prévoir. Et voilà qu'à défaut d'avoir anticipé cet obstacle, je me retrouve avec ce véhicule qui a tout bonnement décidé de se retourner contre moi. Il ne me sert plus à rien. Et en plus de me décrédibiliser, c'est honteux de se trimballer ce truc quand on est quelqu'un d'aussi fabuleux que moi, et qu'on souhaite de surcroît percer dans l'art de la vengeance.
Mais que voulez-vous.
Je me suis éloigné de l'endroit initial où je me cachais pour arriver dans un lieu assez retiré. En tout cas, la route est déserte et je ne vois personne. Je me retrouve donc dans un coin plutôt isolé, sans nulle compagnie et avec un véhicule n'ayant plus aucune utilité.
Cependant, avec rapidité, je trouve une solution. Un simple appel et le tour est joué.
— J'ai besoin d'aide, dis-je simplement.
Quelques minutes s'écoulent où je dois poireauter misérablement sur le côté de la chaussée, puis une voiture débarque sur le chemin sinueux et non fréquenté. Le véhicule ralentit sitôt que la personne au volant m'aperçoit. Celle-ci semble mécontente. Voire très irritée.
J'ouvre à peine la portière du côté passager pour m'installer à l'intérieur que la voix colérique s'élève et m'assaille de reproches.
Quel culot !
— Arrête de me crier dessus comme ça, dis-je entre mes dents.
Je me raidis. En temps ordinaire, je sais garder un self-control et un sang froid irréprochables. Mais à cet instant précis, conserver mon calme m'est difficile. Notamment parce que je n'aime pas qu'on prenne un ton condescendant avec moi. Je déteste quand quelqu'un a cet air supérieur, se croyant tout permis à me gueuler dessus que j'aie raison ou tort.
Je lui jette un regard glacial comme je sais si bien le faire. Les remontrances s'achèvent, et l'individu se tenant à côté de moi ferme les yeux, semblant se calmer un tant soit peu. Il garde quand même la mâchoire crispée et les traits tendus.
— C'est que tu peux m'incriminer, dit-il. Le fait que je me sois déplacé jusqu'ici alors que j'étais avec plein de gens qui peuvent témoigner de mon absence peut me foutre dans un sacré pétrin. Et le truc, c'est que tu t'en fiches. Je te connais assez pour avoir conscience de ton aisance à jouer avec les gens. Assez pour savoir que tu es capable de me filer toutes sortes d'ennuis et me laisser payer pour ton délire !
C'est bien vrai, je le reconnais. Il est souvent de mon pouvoir de mettre les gens dans l'embarras. Mais seulement si j'en ai la raison et la volonté.
Mon regard d'acier se change en un regard qui se veut las, mais il est presque certain que j'aie stupidement laissé passer par inadvertance une once de déception dans mes yeux.
— Si tu penses ça, alors tu me connais mal.
La discussion s'achève là. Définitivement. Du moins, jusqu'à destination, ou nous nous accordons un simple et froid « Bonne nuit ». Alors ne soyez pas trop curieux. Ce petit entretient ne devrait même pas vous regarder.
Comme vous pouvez le remarquer, je suis d'assez mauvaise humeur. Je ne saurais vraiment expliquer mon état. D'habitude, quand je m'embrouille avec quelqu'un, c'est différent. Je peux être profondément triste, en colère, ou bien même avoir des envies de meurtres vis-à-vis de la personne qui ose me réprimander : je me refuse à lui donner la satisfaction de m'avoir rabaissé et humilié, à tort ou à raison. A la place, je ravale ce que je peux absurdement éprouver et affiche un sourire dédaigneux et insolent – ce qui ne manque pas d'enrager davantage l'individu face à moi. Et je me dis qu'au final, je m'en contrefiche de ce que peuvent penser les autres, que ça ne doit pas m'atteindre. Alors ça va mieux.
C'est pour cela que je ne pige pas ce qu'il se passe, là. Je me sens presque... triste ? Ou est-ce seulement l'agacement engendré par cette futile dispute mêlé à la pression et la fatigue de la soirée ? Je ne sais plus trop à quoi ressemblent les émotions qu'un être humain peut ressentir normalement. Je reste toujours en confusion par rapport à ce genre de choses. Pour cause, j'ai fait taire les miennes il y a un moment. Et notamment pour apprendre à ne plus me soucier des tourments des autres. Les sentiments peuvent constituer un vrai point faible, voyez-vous. Et c'est pour cela que depuis, je ne connais que le vide absolu. Tout ce qui me reste est la colère qui vient raviver mon être.
Je ne vous dis pas tout ça pour que vous ayez pitié de moi. Honnêtement, je n'en ai rien à faire de votre compassion. Et je ne vois pas pourquoi vous auriez de la peine pour moi maintenant.
Gardez votre sympathie à mon égard pour plus tard. Le plus gros reste à venir.
Je dois dire que je commence sérieusement à m'énerver. Car il y a une chose que les gens ne semblent pas comprendre, et qui n'est visiblement pas rentrée non plus dans la petite tête de ce malotru censé m'aider sans protester : c'est moi qui commande. J'aime bien diriger, donner des ordres. Ca n'a pas toujours été le cas. Mais j'ai changé du tout au tout. Et je suis bien mieux comme ça.
Mais assez parlé de moi.
12h19, le lendemain. C'est la pause déjeuner au Oldwood High. La cafétéria est comme toujours bondée. Bon, peut-être un peu moins que d'habitude. Il semblerait que certains parents ont préféré ne pas envoyer leurs enfants au lycée aujourd'hui. Soi disant pour les garder à l'écart d'horreurs telles que celle de la veille. Débile. Ils me sous estiment ou quoi ? Je peux m'introduire dans n'importe quelle propriété et à ma guise. Ce n'est pas le fait de s'enfermer qui va les sauver, ah ça non. Mais laissons-les se croire en sécurité. Ca ne fera qu'augmenter l'effet de surprise si jamais l'un d'entre eux m'agace suffisamment pour que je décide de m'occuper de son cas.
La seule différence qui reste remarquable est l'absence d'une certaine personne à la table du milieu – vous vous souvenez ? Celle des petits cons populaires. Au moins il y a Truc-Machin et Chose-Bidule qui se font une joie de chiper l'ancienne place tant convoitée de leur amie : le trône, en quelque sorte. D'ailleurs, je parie qu'elles ne tarderont pas à se chamailler bêtement pour des broutilles comme qui sortira avec l'attirant – et stupide – beau gosse de l'équipe de football.
Dans un coin près de la fenêtre, nous pouvons percevoir une bande de trois jolies filles. Riley, la blondinette rockeuse. Laurel, la plus posée et la plus sensible du groupe. Et Aylin, la fille réservée et mystérieuse.
Vous le savez déjà. Mais c'est une chouette façon de les introduire, non ? De plus, notez que j'ai mis à part les méchancetés – chose due au sommeil réparateur. Devrais-je le remercier pour avoir réveillé en moi cette soudaine amabilité ? Mais bon, on s'en fout un peu, parce que de toute manière elle s'évaporera aussi vite qu'elle n'est apparue.
L'ambiance à cette table est toujours la même, et les conversations tournent autour de sujets qui ne changent que peu.
— Mais qu'est-ce qu'il est con ! s'exclame Riley après avoir raccroché son téléphone. Je n'arrive pas à croire que cet imbécile ait cassé ma guitare. Je vais le tuer.
— Il ne l'a sûrement pas fait exprès, suggère Laurel.
— Comment on peut tordre à ce point le manche d'une guitare accidentellement ? s'indigne Riley.
— Ca craint, compatit Laurel.
— Argh, taisez-vous un peu, s'écrie une fille depuis la table à côté. Je n'arrive plus à m'entendre penser, et je dois réviser ce dernier passage avant la sonnerie.
— Oh, ça va, boude Riley. T'es qui toi, déjà ?!
— Ca craint, répète Laurel.
Quand à Aylin, elle se goinfre continuellement de manière à avoir la bouche pleine et éviter de parler.
Ceci est la routine au sein de ce croisement de plusieurs « clans ». Je me demande comment elles arrivent à se supporter vu leur totale différence de caractère et les nombreuses querelles – tensions futiles, mais bon, il faut bien qu'il y en ait.
Finn apparaît dans le décor. Non pas qu'il soit une anomalie dans ce cadre. Mais sa présence est assez importante pour être soulignée.
Et Riley est du même avis que moi.
Elle se penche vers Aylin d'un air de confidence.
— Eh. Derrière toi.
Aylin, par curiosité, se retourne. Finn n'est debout qu'à quelques mètres.
— Qu'est-ce que tu attends ? Dis-lui de se joindre à nous.
Aylin pousse un léger grognement et se concentre de nouveau sur son assiette. Riley n'en démord pas.
— Finn ! appelle-t-elle.
Aylin bondit sur sa chaise.
— Mais qu'est-ce que tu fais ?
Riley paraît satisfaite quand Finn les aperçoit et s'approche d'elles.
— Salut, dit-il prudemment.
Riley se lève et lance un regard significatif à la fille sur sa droite.
— Nous devons y aller.
— Où ça ? demande Laurel.
Riley prend un air sévère.
— Tu as oublié ? Nous avons ce... truc à faire.
— Je ne m'en rappelle pas...
Riley est exaspérée. Et encore plus en voyant que Laurel, en plus de ne pas comprendre, ne prend même pas la peine de relever les yeux de son livre pour lui répondre.
— Laurel ? prononce Riley d'une voix grinçante et menaçante.
Laurel lève la tête. Elle dévisage chacune son tour les personne qui l'entourent, comme si elle ne les reconnaissait pas. Ses yeux se posent sur Finn, sur Aylin, puis sur le regard insistant de Riley. Elle a l'air d'avoir une illumination. Eh bien. Elle qui, d'après ses propres dires, possède un cerveau à l'intelligence supérieure... Ce n'est pas trop tôt. Pas grave, nous allons mettre ça sur le compte de l'inattention. Elle se lève en traînant avec elle ses affaires, tout en dévisageant Finn.
— A plus tard, Aylin ! lance Riley avant de s'en aller allégrement, son amie sur ses pas.
Finn s'installe sur le siège occupé il y a peu par Laurel, de manière à se placer en face d'Aylin. Il semble avoir compris ce que faisait Riley – en même temps, qui ne l'aurait pas saisi ? – mais il n'en dit rien. Il se contente de sourire à Aylin, pour à la fois se moquer d'elle et lui exprimer son amusement.
Aylin tente de se rabattre sur sa nourriture, mais se rend vite compte qu'elle en a épuisé le stock et que par conséquent, elle devra lui parler. Bien qu'elle n'en soit pas obligée. Mais c'est cette envie dissimulée de se rapprocher de lui qui la poussera à le faire. Pour ça, c'est certain.
Elle n'émet aucun son. Mais ce n'est qu'une question de temps avant qu'elle ne cède devant le regard insistant de Finn.
— Arrête de me regarder comme ça, marmonne-t-elle.
— Comme quoi ?
— Comme un abruti.
Aylin se lève précipitamment. Finn, ne s'attendant sûrement pas à ce qu'elle s'en aille de la sorte, est pris au dépourvu. Il décide de la suivre.
— Tu me fuis ?
— A ton avis ?
Ils débouchent sur le dédale de couloirs. Aylin avance vite, tandis que Finn lutte pour garder la bonne cadence et ne pas la perdre de vue.
— Je ne comprends pas pourquoi tu te sauves comme ça. Est-ce que ce sont mes cheveux qui t'ont fait peur ? Regarde, je peux les arranger.
— Ta gueule.
Aylin tente de le semer en enchaînant plusieurs tournants. Sauf que Finn s'accroche.
— Serais-tu si intimidée par moi ? Je le comprends. Après tout, je suis à coup sûr le gars le plus fantastique que tu aies jamais rencontré.
— Il t'arrive de te la fermer ?
Elle s'arrête et lui fait face. Finn la regarde innocemment.
— Cette course poursuite était amusante.
— Qu'est-ce que tu me veux ?
Ils sont dans une impasse. Enfin, pas tout à fait. Le passage menant à la cour extérieure est juste à gauche d'Aylin, lui offrant la liberté – du moins, jusqu'à ce que Finn la rattrape. Elle reste néanmoins là, à fixer le jeune homme après s'être rendu à l'évidence qu'elle n'arriverait pas à se débarrasser de lui. Finn en profite pour se rapprocher un peu d'elle et par la même occasion lui bloquer l'accès à la cour. Cette proximité fait reculer Aylin, qui s'adosse au mur.
— Je voulais te lancer un défi, déclare-t-il.
— Un défi. Vraiment.
Finn hoche la tête.
— Si tu échoue, tu devras faire ce que je te dis.
— Et si je refuse ?
— Alors, tu as perdu.
Aylin laisse sa tête aller en arrière contre le mur.
— Mais qu'est-ce que j'ai fait pour t'avoir sur le dos ?
— Ah ça, je ne sais pas. Mais tu as beaucoup de chance.
Aylin le regarde de nouveau, un sourire en coin.
— Ben voyons. Et c'est quoi ton défi ?
— C'est simple. Au prochain cours qu'on a en commun, tu devras crier « Je me porte volontaire comme tribut ! » quand le prof interrogera la classe.
Aylin laisse échapper un rire.
— C'est stupide.
— Tu te dégonfles ?
Aylin lui lance un regard provocateur. L'air ingénu de Finn se dissipe et son fameux sourire – beaucoup moins innocent, pour le coup – réapparaît de nouveau sur ses lèvres, lentement. Encore une fois, Aylin s'en va sans ajouter un mot, laissant Finn en plan.
Encore un court moment et la cloche sonne. Les couloirs sont instantanément bondés. Aylin suit le courant jusqu'à son premier cours de l'après-midi. Tout se passe normalement durant cette heure de mathématiques interminable.
Ce n'est pas juste que j'aie à me bourrer la tête avec ce tourbillon de x et de y.
C'est au bout d'une heure supplémentaire non moins pénible que Finn débarque. Il fait un clin d'œil à Aylin en allant s'assoir.
— N'oublie pas. Tu as une heure.
Les minutes s'écoulent et passent une à une. Le prof pose plusieurs fois des questions à l'intention de l'ensemble de la classe. Aylin ne se manifeste pas. Finn l'observe de temps à autre – pour ne pas dire en permanence. Il pointe de son index son poignet gauche pour lui faire remarquer que l'heure avance. Finalement, l'heure s'achève dans un calme habituel.
Vous devriez avoir remarqué qu'Aylin n'a nullement demandé à être informée des intentions de Finn au cas où elle échouerait. Et son visage bien que de marbre durant le cours, laissait entrevoir son amusement pendant qu'il l'avertissait de l'imminente fin du temps imparti. Pour ainsi dire, tout me porte à croire qu'elle l'a fait exprès.
Dans l'intention d'échouer.
Pourquoi ? Me direz-vous. Réfléchissez. Si elle perd, elle a un gage de la part de Finn. Et si à la base Finn lui a lancé ce défi c'est parce qu'il veut quelque chose de précis. Même sans lui avoir demandé de quoi il s'agit, Aylin sait pertinemment quel genre de truc ça peut être. Et j'imagine qu'avoir la surprise sur la tâche à accomplir en cas d'échec lui pimente la partie.
Ils semblent tous les deux aimer jouer. Et ça tombe bien : moi aussi. De plus, Aylin a l'air d'apprécier le jeu que lui impose Finn autant que lui. Et que moi. Sauf qu'ils ne sont pas au courant de l'existence d'un troisième joueur.
— Tu as perdu ! annonce Finn triomphalement en quittant la salle de classe.
— Oui, et ?
— Et, dit Finn lentement, tu as un gage.
Il marque une pause. Que de suspense !
— Je veux que tu me donnes ton numéro.
Huh ?
Aylin éclate de rire.
— Sérieux. C'est tout ? Tu ne pouvais pas me le demander directement ?
— Ca n'aurait pas été très drôle. Et puis je te rappelle que je te l'ai déjà demandé gentiment, mais que tu as catégoriquement refusé de me le donner.
— Ah ouais, c'est vrai.
Elle plisse les yeux.
— Imaginons que j'aie réussi le défi. Comment tu aurais fait ?
Finn hausse les épaules.
— J'aurais trouvé un autre moyen. Mais je m'attendais un peu à ce que tu ne le fasses pas. Je sais que tu en es capable, surtout si ça te donne la satisfaction de gagner. Mais pour une raison ou pour autre, tu as choisi de ne pas le faire... Ce qui est intéressant.
Et hop ! Un sourire plein de sous-entendus. Aylin fait semblant de ne pas comprendre.
— Je ne voulais pas me faire coller, voilà tout.
Sur ces mots, elle sort un stylo de son sac. Et au lieu de prendre normalement et par la même occasion une feuille, elle se tourne vers une affiche quelconque collée non loin et en déchire une grosse partie. Elle agrippe Finn, qui grimace tandis qu'elle le pousse contre le mur et prend appui sur lui pour écrire la suite de chiffres. Pour finir, elle lui tend le – très gros – bout de papier et tourne les talons.
— Pas si vite, l'interpelle Finn.
Elle fait volte-face. Finn prend son téléphone et compose le numéro.
— Juste au cas où.
Quelques secondes s'écoulent avant qu'une sonnerie de téléphone ne retentisse.
— Satisfait ?
— Très.
Aylin s'apprête à partir mais une fois de plus elle est retenue. Elle fait une moue, feignant l'agacement.
— Quoi encore ?
— Je veux que tu sortes avec moi.
Fichtre ! Aylin ouvre de grands yeux.
— Tu rêves, mon gars.
— Tu remarqueras que ce n'était pas une proposition, donc par conséquent tu n'as pas le choix.
— Voyez-vous ça.
C'est assez drôle de voir Finn user de mille et une ruses pour se rapprocher d'elle. Peut-être que cet acharnement vous paraît stupide. Et il est possible que vous voyiez Finn comme étant un mec lourd, collant et pitoyablement accroché à l'espoir de plaire à une jolie fille comme Aylin. Chacun sa vision des choses, après tout. Mais moi, je ne suis pas du même avis. Et puis, il m'aide pas mal pour le coup, voyez-vous. Car ses tentatives de rapprochement servent mes intérêts, notamment pour ce qui est de la déstabiliser. Plus son secret est en danger, plus ça la fera paniquer jusqu'à entièrement s'exposer. En principe. Car le problème est là : cette fille sait se montrer très sournoise.
— On verra ça plus tard, ajoute-t-elle.
Et elle le plante. Encore.
Sympa.
Il est temps de rentrer. Les filles ont aussi terminé leurs cours et ont collé Aylin pour l'accompagner chez elle. Décidément, tout le monde est d'humeur à jouer au pot de colle aujourd'hui.
Le côté réservé et secret d'Aylin entreprend d'intriguer ses amies – elles ont en mis du temps pour avoir des soupçons, sérieusement. Ou peut-être en avaient-elles dès le départ de leur amitié mais sans que ça ne les pousse à se poser de sérieuses questions à propos de la nouvelle venue. Quoiqu'il en soit, les quatre filles commencent à l'interroger sur des points qui mettent Aylin dans des situations gênantes, dans la mesure où elle doit donner des réponses concrètes et tangibles. Mais la petite n'est pas stupide. Elle a préparé un scénario tout à son avantage. Une histoire, une vie étonnamment banale quand on sait qu'elle est sortie des méandres aussi inquiétants que tordus de son imagination.
— Ma mère est au boulot, en ce moment.
Elle sort ses clefs et les rentre dans la serrure. Elle réalise vite que la porte n'est pas verrouillée. Aylin fronce légèrement les sourcils avant d'ouvrir la porte à la volée. A peine ayant passé le seuil, elle s'arrête net. Ses amies restées derrière se rentrent dedans à l'arrêt brusque de leur guide. L'affirmation de celle-ci s'avère tout de suite être fausse.
— N-Nelly ! s'écrie Aylin de manière un peu trop vive.
Nelly est là, debout comme si elle a passé la journée à attendre leur arrivée. Elle affiche un sourire bienveillant. Les filles ont un petit moment de surprise. Aylin, se rendant compte de sa gaffe, rectifie au plus vite.
— Maman. Tu n'es pas censée travailler aujourd'hui... ?
Nelly cligne des yeux rapidement, surprise par cette appellation inhabituelle.
— J'ai pu terminer plus tôt. C'est chouette, non ?
Oui, très.
Aylin acquiesce. Tout le monde reste planté là à ne rien faire.
— Oh, s'exclame Aylin. Maman, je te présente Laurel et Riley.
Les deux filles saluent la femme, qui les gratifie d'un sourire.
Que c'est charmant. Aylin qui gaffe, c'est formidable tout ça.
Les jeunes filles montent à l'étage et s'enferment dans la chambre d'Aylin, jusqu'à ce que Nelly les rappelle pour un bon petit goûter. Toujours aux petits soins, cette Nelly. Aylin reste silencieuse presque tout le long de leur quatre-heures, tandis que Nelly tient la conversation avec ses amies. Elles ont l'air de bien s'entendre en plus.
— Ta mère est gentille, dit Laurel au moment de partir.
— Je sais.
Et Aylin referme la porte. Elle se rue vers les escaliers pour se réfugier dans sa chambre, mais Nelly la retient.
— Eh. Reviens ici.
Aylin s'exécute d'un pas trainant.
— A quoi tu joues ? lui demande Nelly d'un ton neutre.
— A rien du tout.
— Tu ne m'as jamais appelée maman, avant.
Nelly se plante en face d'elle. Sa voix est redevenue douce. Et celle d'Aylin prend un ton jamais entendu jusqu'ici.
— C'est que... Je te considère un peu comme ma mère, tu sais.
Nelly ne dit rien. Son expression indique qu'elle est émue parce que vient de dire Aylin. Cette dernière prend un air semblable. Et elles s'étreignent.
Ouah... Je pouffe de rire malgré moi devant l'absurdité de la scène. Zut ! Je me baisse vite au moment où Nelly tourne la tête vers la fenêtre. J'entends ses pas approcher, et très vite le bruit de la fenêtre qui se referme suit.
Encore un moment et je me risque à me relever. Lentement, discrètement. Plus personne en vue.
En tout cas, j'aime bien comment Aylin a réussi à attendrir Nelly. Franchement, c'était très amusant. Aylin qui se sert de Nelly pour se couvrir, et celle-ci qui gobe ses bobards aussi facilement. C'est à se demander si Aylin est vraiment maligne ou si c'est les gens qui sont incroyablement naïfs ?
L'un ou l'autre, ça permet à Aylin de dormir sur ses deux oreilles. Quoiqu'elle gardera toujours un œil ouvert. Car je sais qu'elle est sur la défensive, qu'elle est méfiante. Sans que cela ne se voit. Elle est parfaitement calme à la surface mais elle reste sur ses gardes. La menace plane toujours. Elle le sait. Elle le sent. Mais pour l'instant, la sécurité de son chez soi lui offre la chance de souffler et se reposer.
Dors, petite. Tant que tu le peux.
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