Chapitre 7 : Nina

— Déstresse, Nina, me conseille Scarlett en me voyant arriver le lendemain matin, le visage pâle, le corps manquant de mon habituelle assurance et de mon sourire quotidien.

Je salue mon amie avec mon sourire timide tandis qu'elle se met en face de moi et pose ses mains sur mes avant-bras.

— Ne t'en fais pas, je vais rester avec toi une grande partie de la journée. Dans les cours magistraux, vous êtes deux-cents, tu peux presque facilement te fondre dans la masse. Et de toute façon, je suis persuadée qu'il n'a aucune envie de revenir vers toi après tout ce qu'il t'as fait.

Je soupire. Mon amie a en partie raison mais avec la chance que j'ai, je suis persuadée que je vais avoir à faire à lui au moins une fois dans la journée et rien que d'y penser, un frisson de peur me parcourt.

— N'y pense plus, me dit-elle en m'offrant un grand sourire. Pense à ta première journée de cours en tant qu'étudiante de fac ! Tu te rends compte ? On est à la fac ! À l'université ! Bientôt, on aura un métier ! Une situation ! Une maison, peut-être !

Je serre les dents afin de chasser les dernières pensées et lui rends son sourire.

Elle a raison. Je dois penser au fait que je pourrais enfin être indépendante.

Je me suis toujours imaginée plus tard. À quoi je ressemblerais, comment je vivrais, où habiterais-je... Le futur est peut-être l'une des choses les plus intrigantes. J'aimerais avoir une petite maison en campagne avec des animaux et quelqu'un qui m'aimerait. Des enfants ? Je ne sais pas.

Tant de doutes viennent ensuite agiter mes pensées.

Où est-ce que je vais, vraiment ? L'université, les études, c'est censé ouvrir des portes, mais est-ce que cela me libérera vraiment de tout ce passé douloureux ? Je veux croire que ça le peut, mais il y a cette ombre persistante qui me suit. Ryan.

Et si c'était un signe pour me dire que je devrais laisser tomber l'université ? Et si je devais plutôt faire autre chose, aller dans une filière moins longue même si ça ne me plaît pas ? L'anglais est le seul domaine qui m'intéresse potentiellement et j'ai soudain l'impression d'avoir fait une grave erreur en choisissant l'université.

Tout ça à cause de Ryan.

Ryan, Ryan et encore Ryan.

En quelques heures seulement, j'ai plus entendu et pensé à lui qu'à autre chose !

— Tu commences dans trente minutes, toi aussi ? demandé-je à mon amie, coupant ainsi le fil de mes pensées distordues.

Mon amie me confirme que oui par un hochement de tête et d'un murmure.

Évidemment, hier, après avoir mangé chez elle, Scarlett et moi nous sommes échangées nos emplois du temps afin de pouvoir repérer les moments de la journée où nous n'avons toutes les deux pas cours et aussi pour voir quels jours nous finissons en même temps.

Nos emplois du temps ne sont pas tout à fait compatibles mais je me réjouis de voir que nous pourrons manger ensemble presque tous les jours et que nos soirées pourront être partagées.

Ce sont les moment que je préfère. Dormir chez Scarlett. Ses parents sont très gentils et j'aime passer cet instant de la journée avec ma meilleure amie. C'est en soirée que nous avons le plus de fous rires à cause de la fatigue et je dors beaucoup mieux avec la présence de mon amie à côté de moi.

Aujourd'hui, par exemple, nous pourrons manger ensemble et quitter l'université en même temps sans avoir besoin d'attendre l'autre.

— Donc là, tu as deux heures de cours et moi aussi et ensuite on va se trouver un coin sympa pour manger ?

J'acquiesce.

— Et tu commences par quoi ? me questionne-t-elle ensuite.

— Français et toi ?

— Oh, tu as encore du français ? Je n'avais même pas fait attention en consultant ton emploi du temps ! Chouette ! Moi je commence avec droit privé. J'ai hâte de voir en quoi ça consiste !

Je lui souris. Effectivement, j'ai encore du français dans ma filière. Il est sûrement jugé important de maîtriser aussi parfaitement notre langue native.

— Bon, cette fois par contre, on n'est pas du tout au même endroit ! s'esclaffe-t-elle. Tu vas t'en sortir pour trouver ta salle ?

— Je pense, au pire je demanderai de l'aide.

Mon amie hoche la tête et se retient de rire. Évidement, elle doit sûrement se souvenir de ce jour où je l'ai perdue de vue dans le centre-ville de Paris lors d'une sortie et que je me suis ensuite perdue moi-même. J'étais paniquée mais heureusement, j'avais mon téléphone ! Elle me guidait depuis l'autre bout du fil mais je ne comprenais rien. Et pas question de regarder un plan dans ce genre de situation, je ne sais pas lire une carte et ça me perd encore plus ! De plus, je n'osais même pas demander mon chemin à un passant. Ai-je déjà précisé que parler à des inconnus m'effraie ? Probablement. Je sais que je ne les reverrai jamais mais j'ai peur.

Au contraire, Scarlett n'est pas du tout effrayée quand il s'agit d'appeler des inconnus à minuit lors de nos soirées pyjamas déjantées ! C'est une chose que je n'oserai jamais faire.

Même lorsque je dois prendre rendez-vous chez un spécialiste comme le coiffeur, je dois écrire ma réplique et la répéter trente-six fois, comme si j'étais une actrice.

— Je suis au même endroit qu'hier. On se rejoint ici tout à l'heure ?

— D'accord ! Je suis en salle 226B puis dans l'amphithéâtre Pasteur.

Mon amie hausse un sourcil interrogateur.

— Tu commences les TD dès aujourd'hui ? Moi j'ai que mes cours magistraux cette semaine !

— Bizarre mais tant mieux pour toi, tu auras sûrement plus de trous dans ton planning !

Scarlett me murmure un « c'est pas faux » avant de se lever du banc sur lequel nous étions assises depuis quelques minutes. Elle plisse sa jupe dans un geste presque trop élégant puis m'annonce qu'elle va aller à la recherche de son amphi.

— À tout à l'heure, alors, lui répondé-je.

— À tout à l'heure, Nina ! Fais attention à toi.

Elle m'offre un bisou imaginaire puis tourne les talons en direction des escaliers qui mènent au premier étage. Je la regarde jusqu'à ce que je ne la vois plus puis pars à mon tour chercher ma salle.

Avais-je déjà précisé que j'aime la façon dont Scarlett se déplace, faisant presque converger tous les regards sur elle ? Peut-être que je l'ai déjà dit mais Scarlett pourrait presque être mon idole. À moins que ce ne soit déjà le cas ?

Pendant quelques minutes, je cherche ma salle sans la trouver puis je réalise que je ne suis même pas allée voir au sous-sol. Je redescends donc tous les étages que j'ai monté puis me dirige vers le sous-sol. Lorsque j'arrive, la première chose que je vois est une charmante cafétéria qui semble vendre de tout, sandwiches et pâtisseries. Je tâcherai d'en parler à mon amie. J'aperçois ensuite un couloir au loin avec des salles. Je dois être au bon endroit. Je vais tout de même vérifier le numéro sur la porte et me réjouis d'avoir trouvé ma salle même avec mon très mauvais sens de l'orientation.

Il reste une bonne vingtaine de minutes avant le début de mon premier cours en petit groupe. Je me réoriente donc vers la cafétéria et me pose sur l'une des tables. Je m'assieds sur l'une des chaises au hasard et sors mon téléphone afin de jouer à un jeu stupide pour passer le temps. Je sors même mes écouteurs et laisse la voix grave de Slimane me bercer tandis que mes doigts essaient de faire des lignes avec des cubes. J'ai bien employé le verbe essayer car mes doigts tremblent et mon téléphone ne coopère pas. J'aimerais le changer mais je n'en ai pas les moyens pour l'instant. Peut-être que je trouverais du travail en dehors des heures de cours pour pouvoir m'en offrir un meilleur, je ne sais pas.

Les minutes passent vite et je me réjouis quand il ne reste plus qu'une dizaine de minutes à attendre avant le premier cours de l'année et de la journée.

Je me lève gentiment et reprends mes affaires avant de m'avancer vers le couloir. Au moment où j'allais faire un pas de plus vers ma salle, une voix familière parvient à mes oreilles et me glace aussitôt le sang.

Je reste immobile comme une statue et songe à prendre la fuite vers les toilettes en attendant le début du cours.

Pourtant, je prends le courage de me retourner.

Et je ne sais même pas grâce à quoi. Mon cœur ou mon cerveau ? Qui est le coupable ?

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