Chapitre 36 : Nina 

« Après, si tu veux, j'ai un meilleur argument. Je suis nul pour patiner. Tu aurais une occasion de me voir tomber. »

Sa phrase se répercute en échos dans mon esprit. Je prends conscience au bout de quelques secondes que je le fixe bêtement, les joues rougies.

Je sors de ma transe pour lui lancer un « d'accord » timide.

— Ce soir, juste après le dernier cours, ça te va ?

J'acquiesce, reconnaissante de sa proposition. Il me salue puis s'éloigne et je suis surprise de la vitesse à laquelle tout se déroule.

Wow, comment lui dire que je n'ai jamais patiné non plus ?

Ça va être une catastrophe mais j'avoue que l'idée de le voir se casser la figure ne me déplaît pas du tout.

La suite de la journée est plutôt longue. Je n'ai que deux heures de cours mais c'est comme si j'en avais huit.

Je vais faire du patinage avec Ryan. Incroyable. Qu'est-ce qui m'arrive ?

J'ai du mal à y croire. Du mal à croire que tout va s'arranger. Plus je le revois et plus les souvenirs me reviennent en mémoire, chaque fois un peu plus douloureux.

Les deux heures de cours finissent par passer mais très lentement et je soupire quand la journée est enfin finie. Enfin, je sais qu'elle n'est pas encore réellement finie.

Je sors de l'amphithéâtre et Ryan me suit. J'ai prévenue Scarlett. Comme elle avait fini les cours, elle est rentrée chez elle mais bien sûr, après m'avoir ordonnée de tout lui raconter. Évidemment. Scarlett est mon journal intime sur pattes.

— On doit passer par où ? je demande.

— Le même bus que tu prends pour rentrer chez toi. C'est quelques arrêts après.

— Ok.

Nous quittons l'enceinte de l'université et nous dirigeons vers l'arrêt. Le bus est prévu pour dans une minute selon l'application sur mon téléphone alors nous accélérons la cadence pour ne pas le manquer et devoir attendre sept minutes de plus.

Nous montons dans le véhicule et nous asseyons vers le fond. Ryan se met côté vitre et je me sens obligée de m'asseoir à côté de lui. Cette soudaine proximité m'effraie un peu et je n'ose pas trop le regarder, de peur d'y voir un autre souvenir du passé. Au lieu de ça, je fixe l'écran de mon téléphone et me laisse emporter par le néant des vidéos Instagram.

Le trajet est bien plus long que d'habitude et je suis anxieuse. Ryan regarde par la fenêtre le paysage qui défile, l'air songeur.

Scarlett m'envoie des messages et je ne peux m'empêcher de sourire lorsque je lis le dernier qu'elle m'envoie.

« Assure-toi de prendre une photo de lui le cul par terre ! »

Grâce à elle, les minutes défilent plus vite. Parce qu'à quelques centimètres de Ryan, je me sens mal à l'aise.

Je me sens fondre. Littéralement. Et je sais que ce n'est pas bien.

—  On s'arrête au prochain, m'annonce Ryan.

Son bras frôle ma nuque lorsqu'il appuie sur le bouton de l'arrêt demandé et des frissons parcourent mon corps.

Bon sang.

Je quitte mon siège pour me diriger vers les portes et Ryan fait de même.

Je me demande ce qui pourrait traverser l'esprit des gens qui croisent nos regards. Pensent-ils que Ryan est un ami ? Car là, nous mettons de la distance entre nous. Une sacrée distance.

Je repère la patinoire au loin et je m'étonne de ne jamais l'avoir vue auparavant.

— Elle n'est ouverte que depuis quelques semaines, m'explique Ryan, comme s'il lisait dans mes pensées.

Un simple mot. Un simple « Ah » sort de ma bouche. Ça promet, si à chaque fois c'est le seul son que je peux émettre !

Nous marchons encore quelques mètres puis arrivons sur une allée de cailloux blancs qui mènent à l'entrée principale de la patinoire. Mon cœur bat de plus en plus fort au fur et à mesure que nous nous approchons et je redoute tant ce moment où nous allons nous retrouver sur la glace.

À l'accueil, une dame nous demande notre âge et Ryan s'occupe de payer nos deux places. J'en profite pour jeter un regard vers la glace et je suis vite ébahie.

C'est la première fois que je rentre dans ce genre d'endroit et je trouve cela magnifique. Des lumières bleues éclairent l'immense salle. La glace est lisse et propre, reflétant la lumière avec éclat. L'air est vibrant d'excitation alors que des patineurs glissent. La plupart sont des enfants venus avec des adultes, probablement leurs parents qui doivent à peine être sortis du travail. Le plafond est peint à l'effigie d'un ciel constellé d'étoiles et rend l'endroit encore plus sublime.

La dame de l'accueil nous souhaite une agréable soirée après nous avoir expliqué le fonctionnement des casiers et donné une clé.

Nous nous dirigeons alors vers une rangée de casiers contenant des affaires personnelles. Ryan en choisi un puis m'invite à déposer mes affaires, à savoir mon sac de cours et mes baskets. Puis je me retrouve à enfiler des patins et à les lacer avec une certaine appréhension.

Bon sang, pourquoi ai-je dit oui ? Je tiens déjà à peine debout en baskets sur le sol normal mais alors là !

Une fois nos affaires en sécurité, Ryan m'invite à le suivre sur la glace. Il pose un pied sur le sol gelé et manque déjà de s'étaler. Je m'esclaffe et gagne un regard noir de sa part.

— Viens donc, tu feras moins la maligne après ça.

J'hésite longuement avant de poser un pied puis l'autre devant moi. Par miracle, je ne tombe pas tout de suite.

Je m'accroche à la rambarde tandis que Ryan tente d'avancer tout seul, sans la moindre aide. Il manque tomber plusieurs fois mais sans jamais le faire. Je renonce à espérer le voir tomber et m'avance vers lui.

Au départ, Ryan reste cambré comme un bossu, essayant à tout prix de ne pas tomber devant moi. Puis, je vois une réelle progression. Il se relève petit à petit et finit par être complètement debout en quelques minutes tandis que je suis agrippée à la rambarde.

— Tu vois ! Ce n'est pas si dur, réplique-t-il, fier de lui.

J'ai beau essayer de me détacher du bord, impossible, j'ai la sensation que je vais tomber à chaque pas. Ryan le voit bien et me tend une main rassurante. D'abord pleine de doute, je finis par accepter et je réussis à me détacher peu à peu de la barrière.

Nous parvenons à rester debout main dans la main quelques secondes avant que je ne repose une main tremblante sur mon amie la rambarde.

J'entraîne presque Ryan vers moi et il manque de tomber avant de se rattraper en faisant gestes totalement ridicules.

Mince ! Scarlett va devoir attendre encore un peu avant de le voir le cul parterre !

Il agite les bras en l'air pour retrouver l'équilibre et j'explose de rire. C'est plus fort que moi.

Je dois l'avouer, je passe un bon moment.

— C'est pas si dur, hein ? je rétorque.

— Dis ça la fille qui se tient au bord comme si c'était son ours en peluche fétiche, renchérit-il. Aller, viens plus au centre !

Il tend le bras et m'attrape. Il me tire sauf qu'en glissant, je le pousse accidentellement contre un autre bout du bord et mes lèvres atterrissent à exactement... quelques centimètres des siennes. Mes doigts se retrouvent d'ailleurs entremêlés aux siens.

Le monde autour de nous disparaît un instant et mon regard plonge intensément dans le sien. Tout devient flou, même la lumière bleue qui éclaire la patinoire entière disparaît un instant. Je me sens totalement possédée par ses yeux. Mon bas-ventre se contracte et je sens le sang pulser dangereusement dans toutes mes veines.

Je me pince les lèvres et détourne enfin le regard pour m'éloigner un peu. A-t-il vu quelque chose ? A-t-il vu à quel point il me perturbe ? 

Ryan me retient encore et je crains la suite des évènements. Va-t-il... Tenter quelque chose ? Je secoue la tête. Comment puis-je penser une chose pareille ? Mais est-il possible que je sois en train de perdre le contrôle face à lui ?

Nina, tu dérailles ! Il ne s'est strictement rien passé !

— Aller, essaie d'aller toute seule au centre ?

J'écarquille les yeux mais accepte tout de même le défi, mettant de côté ce qui vient de se passer. Je m'éloigne un peu mais ne lâche pas mon camarade des yeux.

Je désespère de ne pas le voir tomber mais soudain, par je ne sais quelle chance, Ryan percute quelqu'un et ses jambes lâchent, le faisant tomber sous mes yeux. Je m'amuse aussitôt.

Outch !

Je crois que j'aurais presque pu oublier  que je le déteste si un énième souvenir amer ne s'était pas manifesté dans ma tête à l'instant même où ses fesses touchent la glace, transformant mon sourire moqueur en un soupire d'amertume.

Il est huit heures du matin et je suis consciente que c'est une nouvelle journée à subir la violence de Ryan.

Il pleut aujourd'hui, alors je me suis réfugiée sous le préau en attendant la sonnerie du début des cours.

Il fait tout gris et le vent est fort. Les arbustes entourant le collège se balancent dangereusement et rendent le moment très effrayant.

Alors que la pluie continue de tomber, Ryan débarque dans mon champ de vision. Il semble venir à ma rencontre sauf qu'à la dernière minute, le temps semble se figer quand Ryan met le pied dans une flaque d'eau et perd le contrôle. De l'eau jaillit de part et d'autre de lui et retombe.

Je le regarde tomber et un léger sourire se dessine sur mon visage. Les collégiens autour de moi commencent à se moquer et je sens mon sourire s'étirer davantage. Mais ça ne dure pas. Ryan se relève rapidement, se dirige vers moi et me pousse brutalement, l'air sinistre.

— Qu'est-ce t'as à rigoler ? C'est moi qui te fais rire ? Je suis tombé et tu trouves ça drôle ? Tu vas voir si c'est encore drôle dans deux secondes, Nini.

Sa voix est froide et tranchante, comme d'habitude.

Je suis incapable de bouger. Il me pousse à nouveau et cette fois, c'est moi qui tombe à terre.

Et ça fait mal.

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