Chapitre 14 : Nina

Je me dégoûte. Je me déçois moi-même de la rapidité à laquelle j'oublie l'ordure qu'il a été avec moi au collège. Suis-je vraiment si faible face au sexe masculin ? Ou bien suis-je seulement faible face à lui ?

Mais je suis aussi faible face à mon père. Mais mon père, je l'aime. Ryan, non. Hors de question de m'imaginer un jour pouvoir lui dire que je l'apprécie.

Je suis en train de pactiser avec l'ennemi. Incroyable.

Mes pensées partent dans tous les sens tandis que je suis incapable de lâcher des yeux l'écran de mon téléphone, appareil avec lequel j'ai communiqué avec lui.

J'ai accepté.

J'ai accepté de passer du temps avec lui.

Mais on le sait tous, je ne lui pardonnerai pas.

Pas après ce qu'il m'a fait.

Tandis que je m'allonge sur le lit, des bribes de souvenirs me reviennent en mémoire.

— Elle est morte de quoi, ta mère ? me demande un garçon aux cheveux noirs charbon et aux yeux bruns perçants tandis que j'ouvre mon sac pour en sortir mes affaires. 

Je ne sais pas vraiment comment il le sait mais ça m'est égal. Après tout, le collège entier est au courant que j'ai perdu ma mère l'hiver dernier.

C'est le nouveau. Ryan. J'ai entendu dire qu'il s'est fait exclure de son ancien collège pour sa turbulence. J'espère qu'il ne va pas faire de moi sa victime. Je frissonne à l'idée qu'il est peut-être violent, surtout avec les filles.

Je grimace en me remémorant l'accident de ma mère, ce soir là.

— Elle est morte d'un accident de voiture, répondai-je, timidement, ou plutôt craintivement.

— Ah et elle allait faire quoi ? Elle allait où ?

Je ne sais pas vraiment pourquoi il me pose toutes ces questions mais je sais qu'il risque de se fâcher si je ne réponds pas alors j'opte pour la décision la plus sage à mes yeux. Je lui réponds gentiment, calmement.

— Chercher mon gâteau d'anniversaire.

— Ah, elle est morte à cause de toi alors, enchaîne-t-il avec un sourire que je ne pourrais pas qualifier.

Je frissonne mais je sais qu'il a raison.

Ce soir là, en rentrant chez moi, je pleure parce qu'il a raison et que ma maman me manque.

                                                                                 *

Je soupire en pensant à ce qui m'attend le lendemain : côtoyer Ryan. Enfin, du moins, c'est ce que j'imagine. Il s'est promis un mois pour me montrer que je peux lui pardonner et je suis convaincue qu'il va commencer ses efforts dès aujourd'hui. Après tout, qui n'aurait pas fait ça à sa place ? Même moi, je n'aurais pas hésité à commencer dès le premier jour. C'est à peu près comme lorsque l'on se fixe un objectif. On souhaite le réussir au plus vite alors on utilise le plus de temps disponible.

Je suis en train de me mettre à la place de mon ancien harceleur.

Oh Nina, que t'arrive-t-il ?

Mais bon, je n'ai pas le droit d'annuler. J'ai accepté le défi, à moi de tenir ma parole et de ne pas regretter mon choix. Après tout, je le fais pour moi. Et pour Scarlett. Ma très chère Scarlett, qui se soucie de moi presque plus que je ne me soucie de moi-même.

N'est-ce pas magnifique, l'amitié ?

Comme à mon habitude, je sors de la maison et rejoins le bus. Je sais qu'il sera probablement là. Nous commençons à la même heure, les probabilités que nous prenons exactement ce bus là sont fortes, sachant qu'il y en a un toutes les quinze minutes et que prendre le prochain signifie arriver en retard.

Je m'avance vers l'abri mais je ne le vois pas. Bizarre.

Je suis en train de le chercher au lieu d'apprécier ma journée... Pathétique. Je perds le contrôle.

Mes écouteurs sont toujours enfoncés dans mes oreilles. C'est une habitude chez moi. Être presque tout le temps accompagnée de musique. C'est le meilleur moyen d'être apaisée. Sauf si j'écoute des musiques tristes.

Alors que la douce voix d'Ava Max et de sa chanson Diamonds and Dancefloors résonnent en moi, Ryan apparaît dans mon champ de vision ainsi que le bus, qui s'arrête à un feu rouge non loin de nous.

— Nina, me salue Ryan.

Je ne réponds rien et me contente de le fixer avec mes yeux encore à moitié endormis. Il faut dire que la reprise des cours m'a fatiguée.

Et cette histoire aussi.

— Tout va bien ? continue-t-il sérieusement.

— Pourquoi ça n'irait pas ? demandé-je.

Il passe sa main dans ses cheveux tandis que le bus se rapproche et finit par s'arrêter juste devant nous.

— Tu n'as pas l'air dans ton assiette, c'est tout.

— Ne crois pas que je vais sourire pour tes beaux yeux.

Je le laisse ainsi et monte dans le bus, en tentant de rester aussi loin que possible de lui.

                                                                                               *

Ce matin, je n'ai qu'une heure de cours. Je m'en réjouis. La fac a cet avantage. Moins de cours, même si cela signifie qu'il faut fournir plus de travail personnel. Je suis donc ravie de finir ma matinée à traîner dans les couloirs avec ma bonne musique, échangeant quelques messages avec Scarlett de temps à autre lorsqu'elle se met en ligne.

— Nina ? m'interpelle quelqu'un au loin.

Argh. Je me retourne pour me trouver face à lui. J'ai cette impression constante qu'il est en fait un agent de la CIA qui se contente de m'espionner pour essayer de soutirer le maximum d'informations qu'il peut sur moi.

J'ai regardé trop de films et maintenant c'est bien fait pour moi si mon cerveau s'imagine les pires choses possibles en terme de scénarios.

— Qu'est-ce que tu veux ?

Ma voix est dure et sèche et mon esprit se demande si je n'en fais pas un peu trop.

— J'aimerais te proposer, après les cours, qu'on se retrouve quelque part pour discuter, par exemple au lac, si ça te convient ?

Bingo ! Je l'avais prédit. J'avais prédit qu'il voudrait qu'on commence notre « petit jeu ».

Et j'en suis morte de trouille. Tellement morte de trouille que je lui souffle un « non » catégorique avant de tourner les talons et de fuir.

                                                                                                   *

J'erre encore quelques minutes dans les couloirs, ma musique étant ma seule compagnie. Des fois, je m'assois sur un banc pour méditer puis je me relève et pars en direction des toilettes pour me rafraîchir le visage avant de revenir sur mes pas. Je devrais peut-être relire mes cours, mais je préfère le faire à tête reposée.

Je soupire quand je vois mon amie au loin qui avance dans ma direction, le sourire aux lèvres. Elle est accompagnée d'une autre fille.

— Coucou Nina, me salue-t-elle. Je te présente Lila ! Elle est dans ma promo et on a fait connaissance.

Lila, une jolie rousse aux yeux bleus, habillée très élégamment, me sourit, dévoilant des dents parfaitement alignées.

— Salut, tu dois être Nina ! Ravie de te rencontrer !

Je la salue en retour.

— Si tu es d'accord, Nina, on peut aller manger en centre-ville ? J'ai amené quelques trucs à manger.

J'accepte tandis que nous marchons, Scarlett, sa nouvelle camarade et moi, en direction de la sortie de l'établissement.

— Alors, ça été ta matinée ? me questionne Scarlett.

— Plutôt bien, répondé-je, faisant abstraction du petit dialogue entre Ryan et moi. Et vous ?

— L'un de nos profs s'est pointé une demie-heure après le début du cours, m'explique Lila.

Tandis qu'elle me raconte que leur professeur attendait tous ses élèves dans un autre amphithéâtre, j'en profite pour détailler Lila un peu plus en détails que tout à l'heure. Ses grands yeux bleus sont plein de gentillesses. Une très belle couleur rose pare ses lèvres fines. Ses cheveux roux sont attachés en une très jolie natte interminable qui se balance dans la ligne de son dos. Elle porte un pull en laine blanc et une jupe marron en dessous un très grand manteau qui tombe sous ses genoux, presque dissimulés par deux bottines qui rendent son style parfait.

Elle est vraiment très belle.

— Tu n'as eu qu'une heure de cours, c'est bien ça ? enchaîne Scarlett.

Au même moment, nous traversons une rue piétonne assez sombre et arrivons sur la place centrale de la ville. Au loin, j'aperçois Ryan, accoudé à la terrasse d'un bar, le regard perdu dans le vide. Scarlett semble l'avoir vu aussi.

— Tiens, il t'as parlé alors depuis la discussion au téléphone ?

J'oriente mon regard pour qu'il croise celui de ma meilleure amie et fais une grimace qui veut tout dire.

— Ah, des histoires de crush peut-être ? s'interroge Lila en nous voyant toutes les deux regarder Ryan.

— Alors, là, tu te trompes totalement, se marre aussitôt Scarlett, ce qui lui vaut un regard noir de ma part.

— Ah, alors si je me trompe...

— Disons que ça aurait pu être une histoire comme ça si Ryan n'avait pas été un vrai connard avec moi au collège, confessé-je à Lila, qui ne doit sûrement rien comprendre à la situation.

— Qu'est-ce que tu veux dire ? s'étonne Scarlett.

Je soupire. Nous nous sommes brusquement arrêtées au milieu de la place. Les gens nous tournent autour et le bruit de la fontaine vient accompagner les battements sauvages de mon cœur.

— Je veux dire que si Ryan ne m'avait pas fait vivre un enfer au collège, les choses auraient été différentes. Il est pas moche, on va pas se mentir. Et bizarrement, j'ai l'impression qu'il a envie de m'emmener dans tous les endroits romantiques de la terre.

Mon amie ne comprend rien. Lila non plus. Elle observe encore le garçon qui est le sujet de notre discussion.

— C'est vrai qu'il est canon, lâche-t-elle. Mais s'il a été dur avec toi, en effet, ça doit pas être simple.

— Il s'est passé quoi, ce matin ? Tu l'as vu à l'arrêt de bus, c'est ça ?

J'acquiesce. Mon cœur se serre et je pince les lèvres quelques secondes avant d'expliquer à Lila, à qui je fais déjà confiance :

— En gros, Ryan m'a harcelée au collège et maintenant, il est prêt à tout pour se faire pardonner. Et ce soir, il voulait que j'aille au lac avec lui.

Lila ouvre la bouche mais ne dit rien. Elle me fixe de ses grands yeux bleus tandis que Scarlett me demande :

— Tu lui as dit oui, je suppose ? Pour que cela s'arrange le plus vite possible ?

Cette fois, je ne me pince pas les lèvres mais me les mords.

— J'ai refusé.

— Ah.

Scarlett ouvre son sac et je me demande ce qu'elle peut bien vouloir chercher. Elle en sort quelques secondes plus tard son carnet et me montre une page déchirée.

— J'ai donné ton numéro à Ryan pour que vous puissiez parler. Va lui dire que tu le vois ce soir. Et évite de lui dire que tu sais que je lui ai donné ton numéro. Je lui ai promis une belle punition s'il te le dis. Histoire de pimenter les choses. J'ai envie que dans dix ans, on rit de cet épisode.

Scarlett parvient à m'arracher un sourire.

— Alors, d'après le peu que j'ai compris, tu dois fréquenter Ryan quelques jours pour voir s'il mérite d'être pardonné ? Je ne veux pas me mêler de ce qui me regarde pas mais si j'étais toi, je ne dirais pas non. Histoire de récolter quelques informations ce soir et t'amuser. À prendre dans le sens que tu veux.

J'écarquille les yeux.

— Bon, ok, je réexplique, continue notre nouvelle amie après s'être éclaircie la gorge. Va le voir, parle-lui, fait un dossier sur lui et ramène le moi. Je suis une experte en garçon, je te dirai si ça vaut le coup de lui pardonner.

Je lui offre un sourire et manque de m'esclaffer. Je pense immédiatement aux scénarios dans lesquels on imagine des filles récolter des informations sur leur crush.

Même si Ryan n'est pas un crush, mais un problème de passé.

— Aller, va le voir, me force Scarlett.

Je décide d'obéir même si j'ai peur à l'intérieur et me dirige vers le bar. Ryan, dorénavant fixant le vide, me voit arriver et une lueur passe dans son regard sombre. Il sourit légèrement et mes battements se sont accélérés.

— C'est oui pour ce soir au lac. Mais fais gaffe, un seulfa faux pas et Scarlett te fera manger ta langue ou je ne sais quoi. Tu veux qu'on parle ? On va parler.

Je ne dis rien de plus et fais demi-tour.

Je ne lui pardonnerai pas. Je vais plutôt m'amuser, comme dirait Lila.

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