💛 CHAPITRE 10 💛

De toutes les chansons stupides que l'on peut chantonner ou hummer sous la douche, Jérémy est le champion toutes catégories pour trouver celle qui vous hante, même à la nuit tombée. Néanmoins, quand Jérémy chante, c'est bon signe, c'est une sorte d'automatisme naturel qu'il fait quand il est heureux et je ne suis même pas certaine qu'il s'en rende compte. Personnellement, je ne lui en ai jamais parlé comme je ne lui ai jamais parlé de beaucoup d'autres choses. De ses tics et de ses tocs. De certaines de ses mimiques quand il essaye de mentir ou de garder un secret - chose qu'il n'arrive toujours pas à faire après dix-sept ans de vie - mais aussi de tous ces petits détails du quotidien dont moi seule ait le secret. En fait, je me sens privilégiée de le connaître à ce point-là. On devrait tous connaître quelqu'un comme cela dans nos vies, mais on ne prends malheureusement plus le temps pour. C'est à peine si aujourd'hui, on retient les dates d'anniversaire. On finit par oublier ces petits détails du quotidien, anodins, mais qui pourraient en fait, tout changer dans une relation. Dans nos relations.

Je ne suis pas une partisane de la maxime du «L'homme est un animal social», mais je reste persuadée qu'il est difficile d'évoluer en étant seul. Même si certains trouveront une manière de me le prouver par A+B. On a tous besoin de se trouver un petit quelqu'un. Un proche. Un ami. Un frère. Une sœur. Quelqu'un qui est et sera toujours là pour nous. On a besoin de cette béquille sociale comme on a besoin de nos poumons pour respirer. C'est vital.

- Jamais on a vu, jamais on ne verra. La famille tortue, courir après les rats !

Jérémy chantonne encore. Cela va faire dix minutes. Il chantonne sous la douche en étant persuadé que le bruit de l'eau qui coule couvre sa voix devenue plus grave avec le temps. Sauf que non. J'entends absolument tout ce qu'il chantonne, marmonne et se dit aussi à lui-même. Je l'entends prévoir notre soirée. Je l'entends se demander si je vais bien. Je l'entends se faire des plans sur la comète tout comme je l'entends siffler à tue-tête.

- Jérémy ! Si tu ne te dépêches pas, on va être en retard ! crié-je

Comme quoi, il n'y a pas que les filles qui mettent deux heures dans la salle de bain.

Pendant que je l'entends glisser, se cogner et jurer dans sa barbe, je me refais un diaporama des photos prises précédemment lors de notre promenade. Assise en tailleur, à même le sol, le dos appuyé contre le lit, je parcours les centaines de photos réalisées. Certaines sont floues. D'autres sont improbables. Certaines ont été prises sur le tas. D'autres ont été cadrées. Certaines sont de moi et beaucoup d'autres sont de Jérémy. Je le reconnais bien là. Il a prit une dizaine de photos de moi et uniquement de moi. On m'y voit me goinfrer, sautiller, m'éclabousser avec une autre fontaine, renifler des savons artisanaux, acheter une énième brioche aux pépites de chocolats, sourire et il y a cette photo. Celle qui m'a fait m'arrêter dessus.

On m'y voit regarder au loin comme si l'avenir se reflétait dans mes yeux.

Je ne sais même pas quand est-ce que Jérémy a prit celle-ci et je ne doute en rien que c'était lors d'un moment d'inattention de ma part, mais je ne sais pas...cette photo a quelque chose qui trouve son écho au plus profond de moi-même. Ce n'est ni de la joie, ni de la tristesse, non. Il y a quelque chose d'autre dans mon regard, mais je ne saurais dire quoi.

- Qu'est-ce que tu regardes ? me dit-il subitement en surgissant derrière moi tout en bondissant sur le lit

- Seigneur !

Je manque de peu de lâcher l'appareil, mais le retiens d'une main alors que l'autre vient trouver mon coeur venant de rater un battement. Je déteste quand il fait ça ! Il sait très bien que j'ai une sainte horreur des surprises, mais Monsieur continue à bondir comme un ninja de temps à autres.

Il pose alors son menton sur le haut de ma tête et je peux sentir quelques gouttes me tomber dessus comme un début de pluie un jour d'automne.

- Tu ne t'es même pas séché les cheveux ! fis-je en m'éloignant

- Ce n'est pas pour l'épaisseur que j'ai sur la tête que cela va changer quoique ce soit. Tu verras, dans une heure, ça sera tout sec !

- Et en attendant, tu te balades à moitié à poil, mouillé dans la chambre ! Tu sais que c'est le meilleur moyen d'attraper la mort ça ?

Il rit et je rouspète. Toute notre relation pourrait se traduire à ses deux mots. Il passe sa vie à rire et je passe la mienne à rouspéter. Je ne sais pas si c'est grave d'avoir le corps d'une adolescente de dix-sept ans et l'esprit d'une grand-mère de quatre-vingt, mais je trouve que je conjugue formidablement bien les deux. Après tout, j'aime les choses simples de la vie : Le thé, la photographie et...Et c'est tout. C'est déjà beaucoup !

- File-moi ta serviette, fis-je en me redressant

- Oui maman ! raille-t-il en s'allongeant de tout son long sur le matelas

Je viens trouver une place à ses côtés tandis qu'il attends pour poser sa tête sur mes genoux. De là, je pose la serviette sur ses cheveux légèrement bouclés et commence à frotter. Il mériterait que je lui décape la tête, mais je n'ai pas la force nécessaire pour lui faire mal. Tout ce que je peux faire, c'est essayer, à ma petite échelle, de prendre soin de lui faute qu'il le fasse lui-même parce que Jérémy, c'est tout de même un grand gamin.

Il ferme les yeux, tout sourire tandis que je m'applique à la tâche et pendant un certain laps de temps, aucun mot ne sort.

- Tu sais, j'aime beaucoup ce genre de petits moments. Juste toi et moi, chuchote-t-il pratiquement à lui-même, J'aimerais que ça dure...

Malheureusement, toi et moi le savons mieux que personne, n'est-ce pas Jérémy ? Toutes les bonnes choses ont une fin.

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