8 - Aller de l'avant - Cours particuliers

Partie 2 Des cours particuliers 

Dix ans plus tôt

Seattle – cafeteria de la faculté

Phil Collins — A Groovy Kind Of Love

Il faisait froid. Décembre était déjà là et la neige tombait en fins flocons qui fondaient en une boue grisâtre dès qu'ils touchaient les trottoirs ou les routes. Les amis s'étaient regroupés autour de Stephen, le centre de leur groupe, pour dévorer des spaghettis bolognaises qui, à défaut d'être bonnes, étaient chaudes. Missy venait de les rejoindre et avait pris place entre Rosalie et Jason, ce dernier d'ailleurs avait légèrement grimacé lorsque la gentille brune l'avait sans faire attention éloigné de la sœur de Thomas. Emma était, elle, coincée entre Thomas et Stephen. Elle affichait en ce moment le même air dégouté que les deux autres filles.

— Mon Dieu, les garçons dites-moi que tout ça n'est que de la... légende s'écria Rosalie en tripotant son assiette du bout de sa fourchette l'air totalement révulsée par son contenu tout à coup.

Jason ne put s'empêcher de rire et lui piqua une partie de ses spaghettis : il avait fini les siennes depuis un moment déjà.

— Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi on reste avec vous quand vous passez votre temps à nous raconter des histoires aussi... dégoutantes, se demanda Missy qui avait carrément repoussé son assiette loin devant elle.

Thomas esquissa un mince sourire avant de parler.

— Parce qu'on est... gentils ? proposa-t-il

— Non, dit Jason, c'est parce qu'on est les plus beaux et les plus intelligents ! Les filles secouèrent la tête, moqueuses, devant l'air sûr de lui de Jason

Stephen n'avait rien dit. Il s'était contenté de ricaner à la réaction des filles lorsqu'il avait raconté son histoire : l'an dernier les élèves de deuxième année de médecine auraient prélevé quelques doigts lors de dissection et les auraient mis dans les plats de la cafétéria.

Humour fin d'étudiants en médecine.

-Je sais, dit- il soudain de sa voix musicale.

— Quoi ? lança Rosalie légèrement agressive.

— Je sais pourquoi tu restes avec nous, ainsi qu'Emma et Missy., affirma t'il en posant sa main sur le genou de sa voisine.

Il se sentait bien. Il était heureux avec ses amis. Il adorait blaguer et se moquer gentiment d'elles.

Emma soupira et se tourna vers lui tout en reposant négligemment la main de Stephen sur les genoux de son propriétaire.

Elle avait mis un mois à se glisser dans ce rôle « d'amie ». Un mois, pour museler les réactions de son corps en le voyant. Un mois, pour piétiner les sentiments qu'il lui inspirait toujours. Un mois, pour adopter les bons réflexes à ces taquineries.

Tout était « ok » maintenant, sauf les images de ses rêves qui persistaient à la perturber nuit après nuit.

— Alors Stephen on attend ? demanda Missy.

— C'est pourtant évident... vous restez avec nous parce que vous nous aimez. Vous ne pouvez pas vous passer de notre présence ! finit par lâcher le jeune homme écroulé de rire.

— Tu sais ce que j'aimerai Stephen ? demanda brusquement Emma agacée par cette plaisanterie un peu trop proche de la réalité pour la faire rire.

— Non ? dis-moi, demanda Stephen redevenu sérieux en une seconde en entendant le ton d'Emma.

— Je voudrais comprendre ce que vous enseigne vos professeurs pour que vous riiez ainsi de la mort et vous moquiez du respect dû aux... cadavres ?

Les trois futurs médecins se regardèrent, ils savaient qu'ils étaient allés un peu trop loin. Leurs blagues ne faisaient rire qu'eux, une façon de dédramatiser un peu les premières dissections toujours difficiles à réaliser. C'était un peu compliqué d'expliquer ceci à ... un étudiant d'une autre discipline.

— Tu sais ce truc, des doigts, c'est une légende qui est racontée chaque année. Personne n'a jamais fait ça, dit Thomas, un peu gêné, enfin j'espère.

— Exact, ajouta Jason, à chaque fin de dissection les profs vérifient : ils comptent les orteils, les doigts et tout. Pour éviter le vol !

Rosalie se pencha en arrière, passant son bras derrière Missy et tapa fortement derrière la tête de Jason.

— Si tu arrêtais là s'il te plait !, ajouta-t-elle agacée.

Stephen ne disait rien. Il regardait Emma pensif. Puis il sourit tout à coup de ce magnifique sourire qui éblouissait toutes les filles à chaque fois, en particulier parce qu'il n'en était pas vraiment conscient.

Il se pencha sur le dossier de sa chaise, allongeant ses longues jambes sous la table et regardant les trois filles pensivement.

— Vous aimeriez savoir en quoi consistent nos cours ? Vous aimeriez y assister ? C'est faisable, dit-il les défiant de ses yeux émeraude.

Missy et Rosalie se regardèrent et immédiatement, secouèrent la tête de gauche à droite et Missy répondit pour elles deux

— Nous ? Non ! Hors de question. Emma ? interrogea Missy qui cherchait à comprendre ce que souhaitait son amie.

Emma Stone hésitait à répondre franchement. Elle avait envie de comprendre de voir cet enseignement particulier si loin de son propre choix. Elle voulait comprendre les choix de Stephen qui par ailleurs était si proche d'elle dans ces choix musicaux et littéraires. Elle n'avait pas envie par contre d'être la seule fille de leur groupe. Elle regarda Missy qui secouait légèrement la tête, interrogative. Rosalie lui fit un signe qui se voulait discret, mais que Stephen aperçut. Il fronça les sourcils.

Pourquoi Emma aurait-elle besoin d'être encouragée par ses amies ?

— Ok ! Moi, ça m'intéresse. J'aimerais assister à un cours si c'était possible, finit-elle par dire.

— Super, s'enthousiasma Jason, on l'emmène où ? En physio ? Ou au cours de statistiques ? Là, elle va comprendre qu'on est des têtes !

— Arrête, laisse-la choisir, répliqua Thomas, curieux de voir sur quelle matière se porterait son choix

— A vrai dire, commença Emma en se mordant la lèvre.

Elle choisit alors de se taire, ne sachant pas vraiment comment présenter son envie.

Elle se tourna vers Stephen. Il ne disait rien, ne faisait rien pour lui faciliter la tâche. Il avait lancé cette idée mais soudain elle ne lui paraissait plus aussi bonne. Il ne comprenait pas vraiment pourquoi. Avoir son amie à côté de lui en cours était a priori plutôt agréable.

— Stephen, tu crois que je pourrais assister à plusieurs cours en amphis ? Si c'est comme chez nous les professeurs ne font pas attention à qui est présent ou pas... Sauf pour les travaux de groupe.

Les autres se taisaient. Sidérés. Elle voulait suivre plusieurs cours. Stephen la fixait toujours affichant un masque insondable, si différent de l'air ouvert et sympathique qu'il arborait d'habitude. Emma était de plus en plus gênée.

— Laissez tomber j'ai rien dit. C'était juste une idée en passant.

— Non, c'est intéressant. Quel jour tu veux m'accompagner en cours, lança soudain Stephen.

— Euh le mardi, je n'ai que deux heures de cours en fin d'après midi alors je suis disponible tout le reste du temps.

— Emma, t'es la meilleure, lança Jason

Emma regarda rapidement son amie Rosalie.

— Si, il suffit de ça pour être la meilleure je connais beaucoup de filles bien meilleures que moi, souffla doucement entre ses dents, Emma, assez agacée de cette admiration mal placée.

Elle n'était pas sûre d'avoir la bonne motivation pour suivre une journée de cours de médecine, mais ça elle ne l'avouerait à personne.

Quelques jours plus tard

Stephen admirait son amie. Debout derrière elle, il suivait d'un regard attentif sa fine silhouette qui se glissait entre les étudiants en médecine en essayant de rester discrète.

Il l'accompagnait dans l'amphi pour la dernière fois de la journée. Elle avait suivi avec attention les cours de Psychologie de l'enfant déclamé par le Dr Finkil, toujours perdu dans des délires impressionnants sur les différents stades de développement du très jeune enfant. Trois mois après la rentrée, cet « enfant » n'avait encore que 6 mois.... À ce rythme, ils seraient tous diplômés de l'Université de médecine de Seattle avant qu'il ait atteint l'adolescence. Elle avait souri discrètement ensuite pendant les deux heures d'explications du Docteur Lamarque sur la fonction de nutrition. Stephen, lui, avait souri à son tour, en contemplant Emma et Jason, somnolents côte à côte, à 13h, pendant le cours de statistiques de Madame Island.

C'était maintenant le tour du Pr Roy. Il était curieux de savoir comment elle allait réagir au cours d'anatomie. À l'ère du « tout numérique » et de l'internet, le professeur Roy était un dinosaure ou un fossile, un fossile très attachant qui usait de la craie sur l'immense tableau vert qu'il était le seul à utiliser. En deux ans, il ne l'avait jamais vu projeter un schéma ou même allumer l'ordinateur. Il dessinait.

Il choisit pour ce cours de descendre de l'amphi prenant Emma par la main et l'entrainant presque au premier rang. Hésitante, elle le suivit lâchant toutefois la main tiède qui l'enserrait dès que ce fut possible. Elle était plus à l'aise maintenant, elle avait compris que personne ne faisait attention à elle, mais aurait préféré, comme pour les autres cours l'anonymat du fond de la salle. Haussant les épaules, elle suivit Stephen et Thomas. Ils devaient avoir leurs raisons.

Ils s'installèrent sans dire un mot, Emma s'asseyant entre les deux garçons. Jason avait choisi de rester au fond de l'amphi n'ayant pas totalement fini sa sieste. Cette zone de l'amphi semblant réservé aux dormeurs, comme dans toutes les universités, cela n'avait en rien surpris la jeune littéraire.

Puis dans le brouhaha, un drôle de personnage entra. Emma était stupéfaite, il ressemblait au professeur Quirell dans Harry Potter furent les premières pensées d'Emma. Puis elle fut subjuguée par le personnage.

Il était grand et mince et avançait dans la salle sans regarder personne, semblant extrêmement timide et réservé. Comme craintif. Les épaules en avant, la tête penchée vers le sol, il avait les mains dans les poches de sa veste de costume et ne portait aucun livre ou document. Il était âgé, proche de la retraite, estima la jeune fille.

Puis, il monta sur l'estrade et commença son cours sans le moindre support ou la moindre note. Il dévida à toute allure d'une voix passionnée qui ne faiblit pas un instant les particularités anatomiques internes et externes du cerveau humain. Il n'interagissait absolument pas avec ses étudiants. C'était un cours magistral dans tous les sens du terme. Il lui tournait même le dos à ses étudiants, car tout en parlant il créait sur le tableau son œuvre. Des dessins et schémas explicatifs des circonvolutions cérébrales prenait vie sur la grande surface verte. En coupe, en projections, légendées et en couleur, ces images précises et explicitées de cet organe magique et essentiel fascinait Emma qui ne quittait pas des yeux la silhouette du professeur Roy. Stephen n'écoutait pas le cours pour une fois. Il aimait les cours d'anatomie, mais préférait espionner les réactions de sa voisine. Emma était étonnée par la beauté de cet organe qui l'avait jusqu'ici plus passionnée par son contenu que par le contenant qu'elle imaginait jusque comme une masse blanchâtre et molle.

L'heure passa à la vitesse de l'éclair et lorsque le professeur Roy remonta rapidement les marches de sa démarche élastique destinée à fuir les étudiants et les questions, elle le suivit des yeux avant de regarder son calepin sur lequel elle avait tenté de prendre des notes toute la journée afin de se souvenir de cette expérience. Elle s'aperçut, un peu honteuse, en même temps, que Thomas et Stephen qu'elle avait recopié fidèlement chacun des schémas de leur professeur sans même s'en apercevoir.

— Euh... si vous en avez besoin. Je vous laisse la page, proposa-t-elle, comprenant qu'elle s'était laissé emportée par la passion de l'enseignant.

— Moi je veux bien, lança Jason qui venait de les rejoindre en prenant la page et déposant un baiser sur la joue d'Emma, merci ma puce. J'avais rien suivi. Tu reviens quand tu veux.

— Non merci, je crois que j'ai saisi pas mal de chose. Par contre, Jason, tu viens étudier Roméo et Juliette avec moi quand tu veux.

Il grimaça.

— J'invite aussi Rosalie à suivre ce cours, poursuivit-elle le taquinant.

Pour seule réponse, il lui tira la langue avant de remonter rapidement vers la sortie, Thomas le suivant de près.

— Alors, Emma ? Le bilan de la journée ? souffla Stephen dans son cou.

Elle sursauta, elle n'avait pas oublié sa présence, mais ne le pensait pas si proche d'elle.

— On remonte d'abord ? suggéra Emma, consciente qu'ils étaient maintenant seuls dans cet amphi obscur que tous les étudiants avaient déserté.

Comme souvent il lui reprit d'un geste naturel la main pour la guider vers la sortie, Emma se demandait alors comment lui expliquer sans trop se dévoiler qu'elle avait adoré suivre les cours avec lui et comprendre un petit peu ce qu'était la médecine. Elle soupira avant même de rejoindre le grand jour en compagnie de son ami. 

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