5- Amis - Une douce fin d'après-midi


Partie 1 Une douce fin d'après midi 

De nos Jours – Seattle – Aire de jeu de Brighton

Ambiance : Ant Clemons, Justin Timberlake— Better days

Je n'ai mis que cinq minutes pour arriver à l'école de Lily et Tom. Ils m'attendent tous les deux dans la classe de leur marraine. Rosalie joue avec eux, assise sur le sol de sa salle. Concentrée sur leur activité, elle tire légèrement la langue, espérant gagner contre eux deux. Les longs cheveux blonds de mon amie sont sortis de son impeccable coiffure habituelle, signe que la bataille a dû être dure. Mon cœur se serre à la vue de cette scène. Elle aime tant mes enfants que je ne regrette en aucun cas le choix que j'ai fait de les lier à elle et son frère. Ils ont été si présents, lors de ma grossesse, si essentiels. D'ailleurs sans Thomas, mes enfants ne seraient pas là. 

Je me souviens encore de nos débats enflammés lorsque quelques jours avant d'accoucher, alors que tout allait mal dans ma vie, nous recherchions tous les trois des prénoms pour les jumeaux. Dans ma tête leurs prénoms se sont imposés et Thomas désespérait de me faire changer d'avis, alors que Lily riait d'imaginer les confusions à venir. Entre deux crises de larmes et de rire, j'avais tranché, je m'étais imposée pour la première fois depuis 8 mois et Thomas avait abdiqué. Mes enfants porteraient les noms de ceux qui m'avaient aidé, de ceux que j'aimais. Ils s'appelleraient Tom et Lily.

Je dois faire un peu de bruit car Rosalie relève la tête et me voit sur le seuil.

— Bonjour, Emma ! Tu as été rapide aujourd'hui. Pas de petit à accompagner au bus ce soir ? me taquine-t-elle

— Humm, non mais si tu continues, je ne te dirais pas ce qui m'attendait dans la cour de l'école.

Pour faire bonne mesure, je lui tire la langue en la narguant.

Mon Dieu que l'on pouvait être gamines elle et moi parfois.

Elle me regarde de haut en bas puis ses yeux remontent et croisent les miens. J'essaye de soutenir son regard. Elle se lève souplement, élégante comme toujours, puis époussette tranquillement son pantalon en lin noir avant de s'approcher de moi. Elle saisit mon menton et tourne mon visage à gauche et à droite avant de crocheter son regard vert dans le mien. C'est pas vrai ! Elle reprend notre vieux jeu de la vérité, celui qu'elle faisait à chaque fois que je voyais Stephen.

— Maman, il y avait quoi dans la cour ? demande Tom interrompant ce moment gênant.

— Un vieil ami, répond Rosalie à ma place, en me fixant attentivement.

Je ne peux déterminer si elle était contente ou pas. En tout cas son «détecteur de Stephen Mancini » comme elle l'appelait, fonctionne toujours. Un gros soupir m'échappe.

Elle savait toujours, il y a dix ans, quand je le rencontrais. Rosalie m'a avoué plus tard, bien plus tard, que lorsque je le voyais, je devenais plus ou moins rose ou rouge. Elle m'a aussi expliqué que je vibrais d'une énergie bizarre après mes rencontres avec Stephen. Je me sens rougir en repensant à tout ça. Je dois m'avouer qu'il me trouble encore. Peut-être pas comme avant. Mais son invitation à le rejoindre au parc avec nos enfants respectifs a failli provoquer une crise cardiaque. J'ai réellement senti mon cœur manquer plusieurs battements quand il a touché mes cheveux. Ce geste qui lui était si familier et sa proximité inattendue m'ont fait comprendre qu'il savait qui j'étais. Depuis le début.

Evidemment je me sens très bête en repensant à nos deux rencontres précédentes où ni lui ni moi n'avons voulu être le premier à admettre que nous nous connaissons.

Quels idiots ! Nous nous comportons presque comme des adolescents !

L'intervention de Garrett m'a permis, heureusement, de retrouver un peu de mon sang-froid même si je sais que Matthew a lui aussi compris de qui il s'agit dès que je les ai présentés l'un à l'autre. Là aussi, j'aurais droit à un interrogatoire serré. Avoir des amis c'est bien, mais qu'ils me laissent rougir en paix !

Et puis Stephen a dit « Emma, j'aimerais que tu viennes avec nous. Il me semble qu'on a pas mal de choses à se raconter depuis le temps, non ? ». Mon cœur a connu, à nouveau, quelques ratés. J'avais totalement oublié l'effet qu'il a sur mon organe vital. La surprise, le plaisir et la joie m'ont clouée sur place. J'avais à nouveau dix-huit ans et Stephen Mancini m'invitait à me promener avec lui.

Avec lui et son fils. Et mes enfants. Je reprends dix ans en une seconde mais j'ai accepté cette invitation bien entendu, sous le regard moqueur de Matthew.

Celui-là, il ne perd rien pour attendre. Lui aussi devenait idiot lorsque Leah lui adressait la parole au moment où 'ils ont fait connaissance, je saurais lui rappeler.

— Maman, le vieil ami on le connait ? demande Lily

— C'est qui maman ? est la question de Tom qui fuse à la même seconde.

Je baisse la tête vers les jumeaux. À cinq ans, ils ont encore souvent tendance à poser les mêmes questions au même instant.

— Ouep, vous le connaissez... un peu. Et vous le connaîtrez mieux dans... humm quinze minutes, on va le retrouver au Brighton Park.

Je glisse un regard vers Rosalie qui soupire.

— Et voilà ! Ça recommence, grommèle-t-elle tout bas

— Je t'ai entendu.

— Je sais, tant mieux !

Je l'embrasse sur la joue et elle me souffle à l'oreille

— Bonne chance mais soit prudente

— J'ai plus dix-huit ans, je sais ça...

Qui est-ce que je cherche à convaincre ?

Cinq minutes plus tard, je me gare sur le parking à l'entrée du parc et inspire longuement avant d'essuyer mes mains moites sur mon jean.

Toujours ces réactions de midinette ! Secoues toi ma belle, ce n'est que Stephen Mancini.

Oui. C'est bien là le problème. J'espère que lorsque nous aurons discuté un peu, lui et moi, lorsque j'aurais eu des réponses aux milliers de questions qui m'envahissent ... ce trouble disparaîtra.

Oui bien sûr et les licornes viendront pâturer dans mon jardin.

— Maman ? Tu nous ouvres ?

Je regarde dans le rétroviseur et vois mes enfants sagement assis qui attendent que leur mère rêveuse les détache et déverrouille la portière de la voiture. Ils n'ont pas le droit de le faire seuls, et n'outrepassent pas à mes ordres. Pour cela du moins.

— Bien sûr Tom. Mais rappelez-vous, vous restez pas loin de moi et n'embêtez pas Garrett avec vos questions ?

— Oui, maman, répondent en cœur mes deux anges blond et brun.

Je les libère et mes deux adorables diables gagnent la porte du parc et se ruent sur le premier tourniquet où j'aperçois Garrett assis tranquillement. Il rêvasse en regardant ses chaussures. Je souris à cette image, tignasse uniformément blonde mise à part, je retrouve l'expression de son père quelques années plus tôt. J'avance vers les enfants doucement en cherchant du regard Stephen.

— Hello, Emma, tu admires mon grand gaillard ?

La voix veloutée qui s'élève derrière moi me fait sursauter, mais je reconnais immédiatement celle de mon ami.

— Humm. Admirer je ne sais pas. Il fera des ravages parmi les filles de sa classe, mais pour l'instant ça ne l'intéresse pas, au grand désespoir de mes petites élèves. En deux jours, il a déjà plusieurs admiratrices.

— Les filles sont toujours plus mûres que les garçons. Elles voient les choses avant nous.

Je me tourne alors vers lui, essayant de comprendre ce qu'il sous-entend mais son profil parfait est muet. Il semble... nostalgique en regardant nos trois enfants qui font connaissance.

Lily est réservée et prudente, Tom est timide mais ensemble ils arrivent sans aucun problème à se lier avec qui ils veulent. Garrett par contre a le même don que son père pour les relations humaines. Je sais que tous les trois n'auront pas de problème. Je crains juste un peu l'alliance des jumeaux contre lui pour lui poser une tonne de questions indiscrètes. Je me dirige donc vers les enfants car je commence à plaindre Garrett connaissant leurs méthodes mais je vois soudain ma fille rougir. Cela est tellement inhabituel que je m'arrête de marcher et Stephen qui est juste derrière moi me bouscule légèrement.

— Que se passe-t-il ?

Il parle doucement contre mes cheveux, et je sens son corps proche du mien. Sa chaleur et son parfum me parviennent et je fais comme ma fille. Je rougis.

Qu'ils soient damnés, ces satanés Mancini et leur charme irrésistible. !

— Je ... rien... je pensais à quelque chose.

Il me saisit la main et m'entraîne vers un banc sous un chêne à une vingtaine de mètres de l'aire de jeu.

— Laisse les enfants tranquilles. D'ici on peut surveiller que ta princesse ne mange pas mon bonhomme. Ils sont jumeaux n'est-ce pas ?

— Oui... Ils auront six ans dans deux mois.

Je me laisse guider vers le banc et je m'assois les jambes coupées par l'émotion. Il lâche alors ma main mais je continue à ressentir un picotement et une douce chaleur sur ma paume. Stephen ne s'assoit pas mais pose à côté de moi un grand sac d'où il sort comme un prestidigitateur plusieurs boîtes de viennoiseries à l'odeur alléchante. Faisant mine de réfléchir, il me regarde rapidement et fait semblant d'hésiter.

— Alors pour le goûter de miss Emma, je vais te proposer quoi ?

Mon Dieu ce n'est pas vrai ? Il ne va pas oser... Je me tais et attends, me léchant presque les lèvres d'anticipation.

Il se souvient de ça aussi ?

— Je crois que ceci devrait convenir...

Il sort alors de la dernière boite un mini-éclair au chocolat.

Oh mon Dieu... il a osé !

Je tends la main, ne pouvant me retenir, vers la pâtisserie. Il retire alors la sienne, en secouant la tête, mettant ma pâtisserie préférée hors de ma portée. Comme avant.

— Non, Emma ! Tu te souviens ?

Je cède alors. Il connait mon point faible et je ne peux rien contre cela.

— Oui ... Pose ta question, Mancini. Dépêche-toi ! dis-je d'un ton agacé.

J'ai repris sans y penser mes manières d'il y a dix ans quand il me faisait enrager. Je sais que je me vengerais. Je ne sais pas quand ou comment mais je me vengerais.

— Alors ... une question, un éclair, on est d'accord ?

— Oui, Mancini et vite.

— Bon : Quelle est l'importance de Townsend dans ta vie ?

Je fronce les sourcils. En quoi cela peut-il l'intéresser ?

Mais j'ai promis. Je respire longuement avant de débiter mon histoire sur un ton neutre.

— Mike Townsend était un ami. Je l'ai rencontré il y a presque huit ans je crois. Il voulait plus que de l'amitié mais je ne le savais pas. Il y a eu une soirée trop arrosée. Beaucoup trop. Il m'a fait des avances que je n'ai pas refusées. Après la suite est très bête. Tu as dû l'entendre mille fois dans ton cabinet de médecin... Je ne prenais pas la pilule. Il a insisté pour m'épouser et « jouer son rôle de papa » dès qu'il a su que j'étais enceinte et que je refusais d'avorter. Mais deux mois avant la date prévue pour l'accouchement, il s'est engagé dans l'armée... et m'a laissé un petit mot « je n'ai pas le courage. Tu seras forte pour deux ».

Je soupire bruyamment, toujours un peu amère, au souvenir de ce moment très désagréable. Puis je reprends mon récit.

— Un mariage ne doit jamais être basé uniquement sur des enfants, il faut plus que ça pour faire un... couple. J'ai accouché un peu en avance et deux jours après la naissance des enfants, j'ai reçu le dossier de demande de divorce. Je ne l'ai pas vu depuis. Il ne nous a jamais contactés. Il vit à l'étranger je crois. Les enfants ne l'ont jamais vu. Pour eux... l'image du père c'est ... Thomas je pense. Voilà. Fin de l'histoire.

J'ai parlé rapidement sans le regarder, fixant sans les voir les enfants qui font tourner le tourniquet en riant aux éclats. Je déteste parler de Mike. Rassemblant mon courage, je regarde Stephen et cherche avec crainte une trace de pitié sur le visage de Stephen. Je suis surprise. Il semble figé, complètement surpris par mon récit. J'en profite pour prendre l'éclair et le glisser dans ma bouche.

Hum merveilleux...

Cela mérite de raconter la lâcheté et l'abandon de Mike. Et ma stupidité. Même si j'ai encore peur d'être jugée par Stephen.

Il se ressaisit et sa question me surprend encore une fois.

— Tom, comme Thomas mon ami ?

Il a vraiment du mal à se remettre de mon récit.

— Oui Stephen, Tom n'est plus un prénom très courant.

— Il y a quelque chose entre Thomas et toi ? demande-t-il brusquement.

C'est à mon tour d'être choquée par ce qu'il sous-entend. Mais comme cela semble important pour lui, je lui réponds doucement.

— Non ! Thomas est mon ami, et Rosalie aussi. Depuis 10 ans. Ils sont restés près de moi et ont été là pour moi quand j'ai eu besoin de quelqu'un.

Il semble alors très gêné et la tristesse qui se peint sur ses traits me serre le ventre. Il s'assoit sur le banc et regarde à son tour les enfants. Je pose ma main sur son bras doucement.

— Stephen ?

Il se tourne vers moi et nos yeux s'accrochent. J'ai du mal à soutenir le vert étincelant de ses prunelles. Je déchiffre alors en elles une grande peine et je caresse sans m'en rendre vraiment compte son avant-bras, espérant le consoler peut-être, de cette douleur dont je ne connais pas la cause.

— Stephen, je ne parle pas pour toi. Je sais que si tu es parti... c'est que tu n'avais pas le choix. Je l'ai compris la nuit où tu es passé me voir.

La même douleur sourde, qu'il y a dix ans, me déchire le ventre au souvenir des mots qu'il a prononcés ce soir-là, au souvenir de son air malheureux lorsqu'il m'a dit au revoir. Le temps passé n'atténue en rien les émotions violentes ressenties alors. Je chasse résolument ce souvenir trop difficile.

— Je me souviens moi aussi.

— Et maintenant, dix ans plus tard, tu peux m'expliquer ce départ brutal ?

— Maintenant ? Je DOIS te l'expliquer.

Stephen insiste sur cette obligation, sans lâcher mon regard il pose sa main sur la mienne, l'emprisonnant dans sa chaleur.

— Lorsque tu as dit tout à l'heure que ton histoire était très bête, et que je devais connaître le scénario... je ....

— Papa ? Lily a faim. On peut prendre notre goûter maintenant.

Garrett, Lily et Tom viennent de s'approcher de nous, apparemment affamés. La magie de l'instant est rompue. Je fais une petite grimace désolée à Stephen, avant de répondre à Garrett.

— Cela me semble raisonnable. Mais il n'y a pas que Lily ici. Tu as faim toi aussi Garrett ?

Il me sourit et je faillis craquer. Le sourire made in Mancini version junior. Bon, mon explication est remise à plus tard. Mais je sais que ce n'est que partie remise.

Je prends les choses en main et distribue les sucreries et boissons dont Stephen a fait provisions. Les enfants s'assoient sur l'herbe autour du banc et je vois que Lily se place de façon à pouvoir surveiller le moindre geste de Garrett. Alors que celui-ci bavarde avec Tom comme s'ils n'avaient pas 4 ans d'écart. C'est assez rare car les enfants à cet âge ont tout à fait conscience des différences d'âge et ont tendance à en profiter.

Stephen me tend un gobelet de café avant de prendre le sien qu'il accompagne d'une bouchée d'éclair au chocolat. Je ferme les yeux une seconde en voyant la gourmandise disparaître entre ses lèvres fines.

Le parc est calme, il fait bon sous le soleil d'automne et lorsque Stephen, allonge ses longues jambes devant lui, glisse son bras sur le dossier derrière moi, je décide de profiter sans me poser de question de cette fin d'après-midi inattendue. 

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