Partie 1 Tous les chemins mènent à Seattle....(2)
Ambiance : ColdPlay Viva la vida
6 ans plus tôt - Juneau
Il n'y croyait plus. Le bonheur qui l'étreignait l'empêchait de respirer. Il sortit du tribunal et rechercha immédiatement la silhouette de ceux qui était la cause de sa joie.
Il se précipita vers Richard Hilton, le père de Cindy, et le serra dans ses bras. Celui-ci tenait Garrett par la main et avait un léger sourire malgré le voile de tristesse dans ses yeux.
— Je ne te remercierais jamais assez pour ton témoignage et ton aide.
— Tu n'as pas à me remercier. J'ai fait ça pour Garrett et toi. Vous le méritez. Vous serez bien mieux tous les deux seuls ensemble qu'avec ma fille. Je devais la vérité au tribunal. Les juges ont statué avec raison.
Stephen le remercia encore une fois et s'agenouilla devant son fils. À presque quatre ans, il était de plus en plus beau. Ses yeux verts et graves, tellement semblables à ceux de Stephen, comprenaient que quelque chose d'important avait fait plaisir à son papa. Donc tout allait bien.
Papi aussi était heureux. Cela se voyait même s'il avait pleuré un peu tout à l'heure. Garrett avait essayé de le consoler en lui faisant un câlin et Cindy, qui était en train de gronder Papi, était partie en parlant très fort. Tant mieux. Garrett n'aimait pas Cindy. Elle criait souvent et elle sentait trop fort le parfum. Elle ne voulait pas non plus qu'il s'approche d'elle depuis qu'il avait renversé sans le faire exprès son verre de jus de fruit sur sa jupe. Alors il ne s'approchait pas d'elle. Elle était comme la neige. Jolie, mais pas chaude. Pas comme son papa qui brillait comme un soleil. L'enfant regarda les cheveux clairs de son père et passa la main dessus, frottant sa joue contre celle de son Papa.
— Je suis content comme toi, Papa, même si je ne sais pas pourquoi tu es si content.
— Tu es adorable. Je t'ai déjà expliqué hier. Le juge a décidé qu'il était d'accord pour que je m'occupe de toi. Pour toujours.
— Tu t'occupes déjà de moi, répondit Garrett après un instant pendant lequel il plissa le nez comme sous l'effet d'une intense réflexion.
Il n'avait pas tort.
— Cela va changer, car maintenant que je suis médecin, je peux aller travailler où je veux. Et je veux t'amener avec moi partout où je déciderais de vivre.
— Et tu veux aller où ?
Stephen soupira un peu. Il avait une envie.
— Je voudrais te demander quelque chose. Je voudrais faire quelque chose d'important, mais pour cela je dois partir quelques jours. Sans toi. Tu veux bien rester avec Papi ?
Il attendit la réponse, un peu inquiet. Il n'avait jamais laissé son fils.
— Avec Papi ? Oui. Mais longtemps ?
— Trois jours. Trois dodos... et je serais là. C'est promis.
Quoiqu'il se passe, quoi qu'il trouve à Seattle, il reviendrait chercher son fils.
Garrett se jeta dans ses bras et Stephen respira profondément l'odeur du jeune garçon. Il ferait n'importe quoi pour lui.
Son diplôme en poche, il n'avait souhaité qu'une chose, arrêter de céder aux menaces de Cindy, obtenir la garde totale et complète de son enfant et partir. Grâce à Richard, le père de Cindy qui n'avait pas hésité à témoigner de l'attitude indifférente de Cindy, de ses manquements à son devoir de mère, il a eu gain de cause : il était libre maintenant, enfin séparé de la jeune femme avec évidemment la garde exclusive de Garrett. Libre de partir avec son fils où il voulait. Il le prit dans ses bras et regarda Richard dans les yeux.
-Merci. Pour tout.
ooOoo
6 ans plus tôt — Une semaine plus tard. - Maroc
L'enfant dormait à côté de lui. Il n'était pas gêné par la chaleur. Le bruit du petit bimoteur qui les conduisait dans le village de Guelmin à plus de mille kilomètres au sud de la ville de Marrakech où ils avaient fait escale la veille, ne semblait pas le déranger.
Stephen regarda les chaînes de montagnes arides et désertiques qui entouraient la petite vallée. Il découvrait la petite ville où il allait prendre son premier poste de médecin.
Le travail. La solitude. Le désert et son fils. Cela devrait lui suffire. Tout allait bien.
Il devait oublier cette journée à Seattle, il y a cinq jours. Il avait vu Emma. Une magnifique Emma souriante et... très enceinte, accrochée au bras de Thomas. L'image qui flottait encore devant ses yeux l'avait percuté et il avait renoncé à son rêve, renoncé à lui parler. Maintenant, cette page était tournée. Il devait aller de l'avant. Tourner définitivement le dos à ce passé inaccessible.
Stephen avait repris le premier avion pour Juneau et accepté le poste à l'étranger qu'on lui proposait. Il sentit crisser dans la poche de son jean, les deux courriers qui avait changé sa vie et qui l'attendait à son retour de Seattle : son engagement à Médecins du Monde et la lettre de Cindy, lettre où elle renonçait définitivement à tout droit sur son fils : un abandon pur et simple de Garrett, devant notaire. Il en était heureux et dégoûté à la fois. Bien décidé à éloigner définitivement le petit garçon de la folie et de l'indifférence de sa mère.
Il souleva doucement son fils toujours endormi et le porta pour descendre les quelques marches de l'avion.
ooOoo
Quatre ans plus tôt – Inde – Province de Jaipur.
Stephen Mancini sortit du dispensaire entouré des deux médecins qui l'accompagnaient dans sa tournée de vaccination dans les écoles. Les docteurs Victoria James et Phil Simons souriaient encore de l'histoire qu'il venait de leur raconter. Mancini était connu pour s'adapter à toutes les situations et partageait ses mésaventures tout autour du monde avec plaisir. Ses collègues l'appréciaient autant pour ses qualités professionnelles que pour l'ambiance heureuse et tranquille qu'il arrivait à construire de lui. Quelques mètres plus loin, le jeune médecin attrapa doucement par le cou deux garçonnets rieurs qui couraient nu-pieds sur l'esplanade et qui venaient de le bousculer. Ils étaient tous deux vêtus d'un short dont la couleur oscillait entre le blanc ou le gris et d'un tee-shirt bleu clair taché de boue. Les sourires des jeunes enfants s'agrandirent lorsqu'ils se rendirent compte de qui les avaient attrapés ainsi.
— Doc ! Arrêtez j'ai mal ! gigota le petit diable brun à la peau halée qui était secoué par le rire.
— Papa ! Lâche-moi ! essaya de crier l'autre diablotin à la peau tout aussi bronzée dont les boucles blondes flottaient en désordre autour d'un visage hilare et malicieux.
Stephen resserra au contraire son étreinte, il salua ses collègues et prit les deux garçons d'environ six ans sous ses bras avant de s'éloigner de son pas souple et rapide pour rejoindre la petite maison blanche qui lui était allouée pendant la durée de sa mission.
— Vous savez très bien qu'après l'école, c'est la douche d'abord, puis les devoirs. Les jeux, et la course dans la rue, c'est uniquement après que j'ai vérifié si vos oreilles sont bien roses et vos têtes pleines de sciences et de tables de multiplication, dit Stephen d'un ton faussement sévère qui ne faisait peur à personne.
Mani, le jeune indien, ami de Garrett, se ressaisit rapidement. Il savait qu'il avait de la chance d'être pris en charge par le Doc Mancini. Il fit un clin d'œil à Stephen se souvenant de la mission que le Doc lui avait attribuée le matin même : éloigner Garrett de la maison et surtout de la terrasse jusqu'au soir.
La mère de Mani, une jeune veuve indienne, calme et discrète venait faire les repas et un peu de ménage pour les Mancini et c'est ainsi que les deux jeunes garçons s'étaient peu à peu liés. Ils allaient à l'école ensemble, car Stephen avait insisté pour que Mani soit scolarisé et, le soir, Stephen surveillait leurs devoirs lorsqu'il n'était pas en tournée dans la province.
Les Mancini étaient arrivés en Inde il y a près d'un an après un court passage au Cap-Vert. Grâce à la mère de Mani, Garrett trouvait enfin une figure féminine dans son entourage, ce qui avait incité Stephen a prolonger sa mission.
Ils avaient déménagé assez régulièrement depuis plusieurs années, mais Stephen s'arrangeait maintenant pour faire coïncider ses missions avec les années scolaires. Garrett était un jeune garçon ouvert et facile à élever. Il était intéressé par tout ce qu'il voyait et trouvait. Stephen ne comptait plus le nombre d'animaux blessés ou abandonnés qui avaient dû subir ses soins médicaux attentifs suite aux supplications du petit garçon. Il avait toujours autant de mal à résister à son fils.
Le Doc Mancini, ainsi que tout le monde l'appelait à Shapurah, cachait à tous les regrets qu'il avait d'entraîner ainsi son fils dans cette vie de bohème. Celui-ci ne semblait pas se plaindre et même apprécier de vivre sans le confort qu'il aurait connu dans un autre monde, si lui, Stephen avait choisi une autre voie. Mais cela n'empêchait pas le jeune homme de culpabiliser en particulier aujourd'hui où, encore une fois le garçon allait connaître un anniversaire spartiate sans I-Pad, ou voiture télécommandée. Sans famille surtout. Le pincement de cœur qu'éprouva Stephen s'accentua lorsqu'il regarda les deux garçons se disputer gentiment en s'éclaboussant sous l'eau tiède de la douche rudimentaire installée dans la courette à l'arrière de la maison.
Il entendit alors le glissement discret des pas de Parvati, la mère de Mani, derrière lui et d'un petit geste de la main, elle lui fit comprendre que tout était prêt pour la petite fête organisée sur la terrasse de la maison. Les camarades de l'école devaient être arrivés ainsi que Richard, le grand-père de Garrett qui avait fait le voyage depuis l'Alaska où il résidait toujours. Il se cachait depuis la veille à l'hôtel pour faire la surprise à son petit- fils.
ooOoo
Un an plus tôt – Manacapapuru — Brésil
La nuit était claire et tiède. Les deux « hommes » étaient allongés, côte à côte, sur le dos sur le toit terrasse de leur maison. Ils regardaient les étoiles en cette nuit de janvier. Loin de la pollution des villes, dans ce village de la forêt amazonienne situé à une trentaine de kilomètres à l'ouest de Manaus, le spectacle nocturne était extraordinaire. Ils avaient l'impression de partager quelque chose de spécial. C'était comme si l'immensité de la voûte céleste qui s'offrait à eux leur ouvrait le monde et des milliers de possibilités.
Le plus jeune après un long silence se décida à parler.
— Papa, tu crois que Papi Richard et Papi Luigi sont tristes en ce moment ?
Étonné de cette remarque inattendue, Stephen Mancini tourna son visage vers son fils cherchant à deviner la raison de cette question. Ils venaient de passer les fêtes de Noël avec la famille que Stephen avait à Maple Valley, à quelques kilomètres de Seattle et Richard Hilton les avait rejoints afin de voir son petit-fils. Ils avaient eu des vacances agréables et sereines tous ensemble. Un peu folles aussi, car Allison, sa jeune sœur qui venait de terminer ses études, semblait prendre plaisir à entrainer son jeune neveu dans toutes les bêtises possibles et imaginables.
— Que veux-tu dire ? demanda-t-il prudemment.
Un long silence lui répondit, le jeune garçon aux boucles blondes fixait toujours les étoiles. Stephen faillit ne pas entendre le murmure de son fils.
— Ça doit être dur pour eux de ne pas te voir souvent. Je n'aimerais pas vivre loin de toi. Même les étoiles que nous voyions maintenant, ils ne les voient pas comme nous. C'est Papi Luigi qui me l'a expliqué une nuit. Nous sommes trop loin et on ne voit que les étoiles du Sud alors que chez Papi ce sont les étoiles du Nord Tout est ... à l'envers pour nous si j'ai bien compris.
Le choc fut considérable et Stephen fut content que l'obscurité cache son expression à son fils.
Pour la première fois depuis longtemps, Garrett avait pu passer du temps avec ses grands-parents et un lien particulier s'était noué entre lui et le père de Stephen. Le grand-père avait abandonné, une fois n'est pas coutume son cabinet médical pendant les quinze jours de leur présence afin de passer le plus de temps possible avec son petit-fils. Le résultat était là. Garrett était triste, car sa famille lui manquait. C'était la première fois qu'il exprimait, indirectement peut-être, une envie d'être proche des siens. Garrett avait besoin de cette famille lointaine qu'il avait appris à connaître. Stephen Mancini ne savait pas quoi dire, quoi penser et comment répondre à ce besoin nouveau qui s'exprimait. Son fils ne lui laissa pas le temps de trouver des mots pour le réconforter. Il venait de se tourner vers lui à demi-assis, prenant appui sur son coude. Voyant l'intense concentration se peindre sur le visage de Garrett, Stephen devina que la suite n'allait pas forcément lui plaire.
— Papa ?
— Oui ?
— La maison de Maple Valley, c'était ton foyer quand tu étais petit ? Papi m'a montré les photos avec Mamie Liliane, toi et Tatie Allison toute petite comme moi. Tu as passé tous tes Noël là-bas. Tu n'as pas eu, comme nous deux de Noël ailleurs ?
— Euh non, en effet, Noël c'était toujours à la maison.
— Est-ce je peux dire que la maison de Papi et Mami est mon foyer aussi ? C'est quoi exactement un foyer ?
Merde ! Merde et merde !
Il ne voulait même pas savoir d'où son fils sortait cette notion de foyer... Il fallait tout changer et vite ! Il respira longuement avant de répondre avec sincérité à son fils.
— Ton foyer, c'est l'endroit où tu te sens bien je crois. Quand j'étais enfant, c'était la maison de Mapple Valley, oui... Mais maintenant, c'est avec toi. N'importe où que tu sois.
Il laissa passer le temps de deux ou trois respirations avant de se décider, et de reprendre.
— En juin, mon contrat ici se termine. Serais-tu d'accord pour aller vivre près de Maple Valley, à Seattle peut-être ?
Le gamin regarda vivement son père puis rigola soudain comme si une idée l'amusait soudain.
— Abandonner nos étoiles du Sud ? On peut essayer et revenir ici si ça ne marche pas.
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