14 - Réflexions - Seuls

Partie 1 Seuls

Seattle 10 ans plus tôt

Ambiance : Justin Timberlake : I think she knows

Emma sortit rapidement de la douche. Elle n'avait aucune envie d'ôter de sa peau le parfum de Stephen, mais elle savait que remettre les pieds sur terre assez rapidement était nécessaire. La douche était un moyen comme un autre, le seul dont elle disposait en fait, pour se réveiller totalement et tenter d'éloigner de son esprit les caresses de la nuit.

Elle s'enveloppa dans son peignoir mauve et frictionna ses longs cheveux tout en se regardant dans le miroir brièvement. La jeune fille ne trouva aucune trace visible de la nuit qu'elle venait de passer. Son corps « souffrait» de légères courbatures, mais les cernes mauves qui ombraient ses yeux venaient autant de la soirée difficile qu'elle avait passée que de la nuit de rêve qui l'avait suivie.

Rien n'avait changé. Elle se regarda avec curiosité : il n'était nullement inscrit sur son front qu'elle avait connu le bonheur, qu'elle avait perdu sa virginité dans les bras de Stephen pour apprendre ensuite qu'il partirait. Elle haussa les épaules devant les pensées de midinette qui lui venaient. Elle s'était levée discrètement et avait quitté les bras de Stephen pour éviter ce style de réflexion. Elle se sentait curieusement calme. Alors que n'importe lequel des livres romantiques qu'elle lisait aurait transformé l'héroïne en une pleureuse désespérée, elle ne ressentait pas cela. Elle ressentait... une bulle d'isolement. La nécessité d'y rester aussi et de ne pas chercher à comprendre, à réfléchir.

Emma revint sur la pointe des pieds dans sa chambre et attrapa le premier vêtement qu'elle trouva. Sans bruit, elle mit son jean et enfila un grand sweat vert pâle informe qui cachait les courbes de son corps. Sa tenue de passe-muraille disait Rosalie. Elle refusa de regarder une seconde le jeune homme qui dormait encore dans son lit et partit à la cuisine. Elle avait faim. L'amour donnait faim. Elle avala rapidement un beignet et but un verre de lait avant de préparer un plateau. Il était encore tôt et l'aube pointait à peine son nez par la fenêtre du salon.

De retour dans la chambre, elle déposa sa charge sur la commode et s'installa sur le rocking-chair en rotin qui était placé dans un des coins de la pièce. Pensivement elle s'accorda alors le droit de contempler le jeune homme. Elle l'avait recouvert de la couette en se levant et elle n'apercevait que son visage de profil, appuyé sur une de ses mains. Il s'était retourné dans cette position lorsqu'elle l'avait doucement repoussé en se levant et depuis il n'avait pas bougé, une mèche de cheveux cuivrés retombait sur le large front pâle, elle s'interdit de s'approcher pour la remettre en place.

Qui avait dit qu'un homme ivre ronflait ?

Qui avait dit qu'un homme ivre avait un sommeil remuant et désagréable ?

Il était ivre. Il avait énormément bu, elle le savait et si ses baisers et son regard suppliant, perdu ne l'avaient pas totalement hypnotisés dès son arrivée tard dans la soirée, elle aurait réagi à cela. Elle ne l'avait pas fait et ne regrettait rien. Ni pour elle, ni pour lui. Elle le referait si cela était possible.

Son état d'ébriété assez avancé ne l'avait pas empêché d'être un amant doux, attentif et expérimenté qui lui avait apporté beaucoup plus que ce qu'elle aurait imaginé.

Après qu'il a expliqué la raison de son retard, et de sa consommation abusive, ils avaient refait l'amour une fois, tendrement, et elle avait eu l'illusion qu'il ressentait la même chose qu'elle, l'illusion qu'elle lui était autant indispensable que lui, Stephen Mancini, était indispensable à Emma.

Puis, il s'était endormi, un bras possessif autour de sa taille et sa tête posée sur la poitrine de la jeune femme. Il n'avait plus bougé jusqu'à ce qu'elle se lève. Même maintenant alors qu'elle surveillait son sommeil, il était paisible, un souffle régulier soulevait son torse. Le léger sourire qui paraissait relever le coin de ses lèvres parfaites témoignait aussi de sa tranquillité. Emma perdit la notion du temps à le contempler comme elle était restée longtemps dans la nuit à l'écouter respirer alors qu'il était encore dans ses bras. Malheureusement, maintenant le temps lui était compté.

Elle se rappelait les paroles douloureuses qu'il avait eues. Elle se souvenait des raisons qui l'avaient poussé à boire et à décider de partir.

Emma eut brièvement la vision d'une petite fille rousse aux yeux verts ou d'un garçonnet blond qui aurait le regard émeraude de Stephen. Son cœur se serra de jalousie un instant.

Elle ne se rendit compte soudain qu'elle avait commis, elle aussi, l'erreur d'avoir des rapports non protégés avec Stephen. Elle préféra éloigner cette pensée. Chaque problème serait à traiter en son temps.

Elle soupira. Contre une femme, Cindy ou toute autre, elle se serait battue. Elle sentait qu'entre Stephen et elle quelque chose de beau de grand aurait pu exister. Mais la situation incluait un enfant. Un enfant en devenir. Un enfant que Stephen voulait voir naître. Il avait fait ce choix. Contre cela, Emma ne pouvait rien. Elle l'admirait d'ailleurs d'être prêt à sacrifier beaucoup pour prendre en charge de nouvelles responsabilités sur ses épaules de jeune homme.

Il était Stephen. Entier et responsable. Elle ne voyait pas d'autre choix que de lui faciliter les choses avant qu'il ne lui en veuille. Elle ne s'aperçut des larmes qui roulaient sur ses joues que lorsqu'elle se leva et s'avança vers le lit. Elle les essuya rapidement d'un revers de main avant de s'agenouiller au chevet de son compagnon d'une nuit et dans la lumière naissante, elle frôla son visage, remontant enfin cette mèche de cheveux soyeux et indisciplinés. Elle observa la barbe naissante qui assombrissait son menton, les lèvres fines et douces qui lui avaient procuré tant de plaisir. Emma se pencha en avant, juste au-dessus du visage masculin en fermant les yeux. Il dormait toujours. Elle ne voulait pas le réveiller. Elle voulait juste... sentir une autre fois son odeur, juste sentir une dernière fois le grain de sa peau. Elle serra les dents tandis que son cœur se brisait.

Reculant progressivement, sans bruit, elle sortit de la chambre, puis de l'appartement, ressentant dans toutes les fibres de son corps que la journée serait longue et vide.

Comme les journées à venir.

Sans se retourner une seule fois, elle referma délicatement la porte derrière elle.

ooOoo

Le léger bruit ou autre chose le réveilla. Stephen Mancini voulut ouvrir les yeux, mais une curieuse sensation l'en dissuada. Une impression de « déjà vu » assez désagréable le tarauda. Il avait mal à la tête. Et envie de vomir. Il fallait qu'il se lève. Prudent, il ouvrit un œil. Il n'était pas chez lui. Il ne connaissait pas cette chambre. Les symptômes qu'il ressentait et les derniers souvenirs qu'il puisa au fond de l'espace embrumé par l'alcool augmentèrent sa nausée, il ne mit que 10 secondes à trouver la salle d'eau et les toilettes.

Il était chez Emma et Rosalie. Pourquoi ? Il n'en savait rien. Lorsque les contractions de son estomac décidément trop malmené depuis deux ou trois jours, se calmèrent, il se nettoya le visage. Attrapant une serviette, il s'en ceignit les reins dès qu'il se rendit compte de sa nudité. Il tenta alors de rassembler ses idées.

Cindy. Elle était à l'origine de tout. Son coup de téléphone vers 19 heures alors qu'il se préparait pour rejoindre Emma lui revint en mémoire. Elle pleurait, criait, menaçait au bout du fil. Il avait fini par comprendre ses exigences et avait tenté de la calmer. Premier coup de tonnerre, elle était enceinte de lui. Ceci il voulait bien le croire, il avait cette vague peur en décembre lorsqu'il s'était rendu compte qu'ils avaient eu un rapport sans préservatif. L'idée qu'un enfant de lui était en train de croître quelque part dans le monde était perturbante. Il s'était assis, assommé par cette nouvelle. Mais elle avait continué ensuite ses cris et menaces de suicides s'il ne la rejoignait pas.

Puis il se souvint avoir réussi à contacter Richard Hilton, le père de la jeune fille pour obtenir plus de renseignements. Ils se connaissaient un peu et le contact fut malheureusement très fertile en révélations. Celui-ci était très inquiet : sa fille avait disparu depuis deux jours après s'être violemment disputée avec sa mère. Richard lui avait appris que Cindy était sous traitement anxiolytique et antidépresseurs depuis un an. Lorsqu'il avait raccroché, Stephen avait décidé qu'il n'avait plus le choix. Avoir un enfant à un peu plus de vingt ans ne faisait pas partie de ses projets, mais le chantage de la jeune femme était sérieux. Elle n'était pas stable psychologiquement. S'il lui avait laissé croire à un moment, il ne savait comment, qu'elle était importante pour lui, c'était un malentendu. Ce malentendu ne devait en aucun cas être la cause de son suicide. D'un autre côté. Un enfant, un enfant de lui existait ? Ou plutôt cet enfant allait exister et il avait une responsabilité dans ce fait. Il avait cafouillé, négligé le préservatif et il devait en assumer les conséquences.

Sa tête allait exploser. Il savait qu'il avait bu. Beaucoup trop bu apparemment, car il ne se souvenait de rien après les quatre ou cinq ou sept verres ou plus qu'il avait avalé en toute hâte au pub. Il voulait oublier Cindy. Ce n'était pas très réussi, par contre pour la suite : écran noir. Rideau. Il ne savait même pas comment il était arrivé dans cet appartement.

Il ressortit dans la chambre où il n'y avait personne. Dans le salon, ni Rosalie, ni Emma ne répondirent à ses appels. L'appartement semblait vide. De retour dans la chambre d'Emma où il avait passé la nuit, il repéra ses vêtements soigneusement pliés et un plateau posé sur une commode.

Doliprane. Lait. Beignets. Un petit mot plié en quatre était posé à côté de la boîte de comprimés. Emma était passée par là. Sa sauveuse, deux fois en deux jours. Et il ne pourrait même pas la remercier de prendre soin de lui. Il avala rapidement deux comprimés avec un grand verre de lait et déplia le carré de papier.

« J'ai un rendez-vous. Je dois partir. Prends soin de toi. » Emma

Il fixa longuement la brève ligne écrite de la main de la jeune fille. Cela ne lui apportait aucune indication précise. Il ne pouvait en déduire ce qu'elle savait, ce qu'il avait dit ou fait. Cela le tourmentait. Il grignota un beignet sans appétit avant de s'habiller, glissant le bout de papier dans sa poche arrière de son jeans.

Il se sentait nerveux. Il devait partir aujourd'hui. Il avait décidé de ne même pas prévenir ses amis. Jason et Thomas auraient sûrement de bons arguments pour tenter de le retenir et puis surtout il ne se sentait pas le courage de les décevoir tous.

Il vérifia sur son téléphone le numéro de la réservation qu'il avait fait la veille au soir. Le départ pour Juneau était à 15 heures.

Un curieux malaise l'envahissait : il y avait autre chose. Il hésitait à quitter l'appartement. Quelque chose n'allait pas. Pourquoi Emma ne l'avait-elle pas attendu ? Que lui avait-il dit pendant qu'il cuvait l'alcool ?

D'où venait cette impression qu'il oubliait quelque chose d'extrêmement important. Il s'assit sur le lit se tenant la tête entre les mains cherchant à extirper du fond de sa mémoire ce qu'il avait fait la nuit. Probablement, pas grand-chose., vu l'état d'ébriété qui était le sien. Si Emma était sortie, c'est qu'elle avait un rendez-vous et rien d'autre. Il n'était pas le centre de sa vie. Même s'il l'aurait bien voulu. En soupirant il secoua la tête. Il n'arriverait à rien dans cette pièce dont chaque objet lui rappelait Emma.

Celle qu'il avait perdue.

Il se décida à quitter l'appartement. Sans jeter le moindre regard en arrière, il ferma la porte derrière lui doucement, mais fermement.

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