13 - Choisir - Salle d'attente

Seattle - De nos jours

Ambiance :  Kaleo - I walk on water

POV Stephen

Je fais les cent pas dans la salle d'attente. Je déteste les hôpitaux. D'accord, c'est bizarre pour un médecin. Je rectifie : je viens de décider que je déteste les hôpitaux. En tant que famille du patient en tout cas.

Je regarde Emma. Elle s'est habillée à la hâte de son jean et de son sweat taché de peinture, l'inquiétude et la fatigue se lisent sur son beau visage. Thomas est assis auprès d'elle et a pris ma place, la tenant dans ses bras où elle semble trouver un peu de réconfort. Je crois que je déteste mon ami aussi.

Je continue de marcher de long en large dans la petite pièce pour faire passer mon agacement et mon stress.

Je m'en veux de réagir ainsi. Mes nerfs sont mis à rude épreuve depuis plusieurs heures. Nous attendons sans nouvelles depuis des heures.

Et puis, je suis incapable de comprendre. Incapable de prendre une décision. Je suis en colère contre Emma de n'avoir rien dit avant. De ne pas m'avoir giflé pour repousser l'imbécile que j'étais il y a dix ans. De ne pas avoir giflé pour repousser l'imbécile que je suis encore maintenant aussi... Mais il m'est difficile de rester en colère contre une mère qui a peur pour sa fille. Les émotions tourbillonnent en moi et je tente de les contenir en usant le sol lisse du couloir de l'hôpital.

L'appel affolé de Rosalie est intervenu juste après notre étreinte. Juste après que je me « souvienne ». Finalement, ma colère se dirige surtout contre moi.

Quel imbécile je suis ! Je n'en reviens pas. Ma mémoire a effacé le souvenir de ma dernière nuit à Seattle il y a dix ans. J'ai oublié que j'ai fait l'amour à Emma, oublié que je lui ai pris sa virginité.

Oublié que je suis parti le lendemain de sa chambre sans la voir et sans aucun souvenir de la nuit.

Mais l'appel de Rosalie a interrompu mon besoin d'explications, mon désir de m'excuser.

Petit flash back.

Lorsque son portable sonne, Emma bondit hors de notre lit. J'ai 'impression qu'elle cherche à me fuir, mais immédiatement, d'un ton alarmé elle se justifie :

– C'est Rosalie ! Les enfants sont chez elle, me souffle-t-elle avant de s'isoler pour répondre, enroulée dans mon drap.

L'instinct maternel a pris le dessus. Je me retrouve seul et abandonné sur les couvertures du lit témoin de notre passion, mes questions restant sans réponse.

Emma revient en larmes dans la chambre et en hoquetant à travers les sanglots qui la secouent, elle récupère rapidement ses vêtements sur le sol. Elle s'habille à la hâte.

– Lily est malade. Rosalie et Jason l'emmènent aux urgences !

– Qu'est-ce qu'elle a ?

– Rosalie me dit qu'elle a de violentes douleurs abdominales.

Sans même m'en rendre compte, je me suis habillé en moins de cinq secondes et décide de la conduire à l'hôpital. Elle tremble et je ne peux, ne veux plus l'abandonner. Dans la voiture, je fixe sa ceinture et pose ma main sur sa cuisse. Elle s'agrippe à elle sans un mot et durant tout le trajet, silencieux, mon poignet est broyé, mais je suis heureux d'être présent pour elle. Nous retrouvons dans les couloirs du service de pédiatrie Jason et Rosalie ainsi que le petit Tom très inquiet lui aussi.

Pendant que Jason explique à Emma qu'il s'agit sûrement d'une appendicite aiguë et que le chirurgien est en train d'examiner Lily, je m'agenouille devant le petit garçon silencieux.

– Bonjour bonhomme, ce n'est pas un jour formidable apparemment ?

Il esquisse un demi-sourire triste. Tom me tend la main comme un adulte. Je la serre avec sérieux.

– Lily va aller bien, me répond le bonhomme comme pour me rassurer, elle me l'a promis avant que le Docteur en blouse bleue ne vienne.

- Bien sûr qu'elle va aller bien. Elle sait que toi et ton copain Garrett vous vous vengeriez d'elle si elle osait vous rendre triste.

Ma boutade déclenche un joli petit rire.

– Oui, une fille, ça ne doit pas rendre les garçons tristes. Et le contraire non plus, c'est tante Rosalie et maman qui le disent souvent.

Je m'assois sur la chaise la plus proche et attrape le bonhomme pour le hisser sur mes genoux, sans aucune protestation de sa part.

– On va attendre que ta maman et ton oncle Jason aient fini de discuter ici, ça te va Tom ?

– Oui Stephen. Je peux t'appeler Stephen ? Maman n'aime pas trop mais... "Docteur" c'est bizarre, en plus t'es le papa de Garrett.

Sa petite moue me montre sa préférence.

– Bien sûr. Pas de Docteur entre nous. Stephen, ça me va.

Je regarde le petit bonhomme et l'idée curieuse qu'il aurait pu être mon fils dans d'autres circonstances se promène sous mon crâne. Comme l'attente s'éternise, il s'endort contre moi et c'est avec un peu de regret que je l'allonge sur une banquette disponible afin qu'il soit plus à l'aise. Je vois alors Emma revenir de l'accueil où elle a dû remplir les formalités d'admissions et signer les autorisations nécessaires à l'opération.

– Que disent les médecins ?

Depuis une demi-heure, je ne suis au courant de rien et cela me perturbe un peu.

– C'est bien une appendicite aiguë.

OK. Je respire doucement et tente de garder un air serein pour Emma. J'en ai opéré plus d'une dans des circonstances autrement moins bonnes en Afrique ou en Inde, mais celle-là me tourmente. Il s'agit de notre princesse Lily. Sans plus réfléchir je saisis Emma par la taille pour l'attirer contre moi. Elle se laisse faire et acceptant mon étreinte, laisse sa tête reposer sur mon épaule.

– Ça va aller. Ne t'inquiète pas. Lily est forte et ici une appendicite, c'est de la routine.

Elle sourit doucement et contemple Tom endormi sur la banquette.

- Merci, Stephen, d'avoir pris soin de Tom. Je l'ai un peu oublié avec ma peur.

– C'est normal, Emma. Il va bien lui aussi. Repose-toi un peu. L'attente risque d'être un peu longue.

Elle se blottit contre moi comme si je n'étais pas le type qui l'avait plaqué dix ans plus tôt. Et cela réveille ma colère contre moi. Le temps s'écoule doucement alors que nous rongeons notre frein. Je vois Jason sortir pour partir aux renseignements alors que Thomas arrive précipitamment dans le couloir où nous patientons.

Immédiatement il prend Emma dans ses bras alors qu'elle s'est levé pour lui expliquer la situation. Un grand vide me remplit alors.

Retour au présent.

Alors que je tourne comme un fauve en cage, je ne peux m'empêcher de jeter de brefs coups d'œil vers Emma et Thomas. Il lui parle, remet ses cheveux en place, lui caresse la joue. Il la soutient comme je voudrais avoir le droit de le faire. Les observer, proches et complices me blesse. Alors j'essaie de les oublier. Rosalie et Jason sont assis l'un près de l'autre, dans leur propre monde. Elle a appuyé sa tête sur l'épaule de son mari. Un peu Emma sur moi quelques minutes auparavant. J'ai quelques difficultés à reconnaitre en cet homme amoureux et responsable, qui caresse de temps en temps l'épaule ou le ventre de sa femme, le jeune homme un peu fou de ma « jeunesse ».

Ils chuchotent pour ne pas inquiéter Emma et leurs paroles me parviennent. Rosalie s'en veut de ne pas avoir vu plus tôt la douleur de la petite fille et il faut tout le professionnalisme de son mari pour lui faire comprendre le sens de « foudroyant ». Elle a agi au mieux en prévenant son médecin de mari dès la petite Lily s'est plainte. Je comprends maintenant que pour eux Lily, comme Tom font partie de leur famille. Je saisis qu'ils les connaissent depuis leurs naissances, qu'ils ont été là pour Emma et les petits à chaque instant. Pas moi.

Je tourne en rond dans la pièce, tout en sachant que je ne peux rien faire d'autre que d'attendre.

Soudain mon portable sonne m'attirant un regard désapprobateur de l'aide-soignante quelques mètres plus loin. Je stoppe l'appel de ma sœur et, m'excusant, je sors rapidement pour la rappeler.

En quelques mots, je la mets au courant de la situation.

– J'arrive. Je suis devant chez toi avec Garrett.

Elle a pris sa décision encore plus rapidement que d'habitude, sûrement guidée par les paroles de mon fils que j'entends parler derrière elle. Il veut venir voir si Lily va bien. Je n'ai pas envie de protester. J'ai envie, besoin d'avoir mon fils à côté de moi, de sentir qu'il va bien. Nous raccrochons rapidement dès que je lui ai donné les coordonnées de l'établissement et du service.

Quelques minutes plus tard, ma petite sœur arrive tenant par la main mon jeune garçon très inquiet. Je m'avance pour faire les présentations, après avoir rassuré du regard Garrett, essayant d'alléger l'atmosphère.

– Je vous présente ma petite sœur Allison. J'espère ne pas le regretter. Allison, voici mes amis de longue date Jason et sa femme Rosalie. Le grand blond, c'est Thomas, le frère de Rosalie et... voici Emma. Tom, un des jumeaux d'Emma dort, tu ne pourras donc pas l'embêter immédiatement. Il ne manque que Lily que le médecin ne veut pas nous rendre pour l'instant tellement elle est adorable.

Je vois le regard intrigué qu'Allison jette sur les mains réunies de Thomas et d'Emma. Je serre les dents. Emma se lève et vient embrasser Allison et Garrett.

– Merci d'être venue Allison.

– De rien. J'avais hâte de te connaitre Emma. Garrett nous parle tellement de toi. Et Stephen tellement... peu. Ce qui signifie la même chose : tu es importante pour eux deux.

Emma rougit violemment, glissant un œil curieux de mon côté, avant de fuir mon regard et de secouer ses longues mèches brunes comme pour se cacher inconsciemment.

Thomas et Jason se mettent à rire. Allison dans la place, signifie bien sur la fin de ma tranquillité. Je me souviens maintenant pourquoi je ne l'ai pas présentée plus tôt à mes amis. Sur le point d'interrompre cet instant gênant, j'assiste à quelque chose d'étonnant. Les circonstances n'auraient pas été si tristes, j'éclaterais de rire.

Allison lève à ce moment les yeux sur Thomas : le regard brun de ma sœur remonte le long du corps de mon ami qui s'est levé en même temps qu'Emma, lâchant – enfin – sa main. Il s'avance vers ma sœur et leurs yeux se croisent, longuement. Bleu acier contre noir pétillant. Thomas domine Allison de toute sa taille, mais elle ne montre aucune crainte et , miracle, elle se tait. Ils nous ont oubliés. J'en suis certain. C'était comme s'ils se reconnaissent.

Je peux jurer voir des étincelles briller entre eux. Je n'ai jamais vu de coup de foudre en direct, à vrai dire j'y croyais même pas et j'ai une brève pensée de pitié pour mon ami. Allison est pas un sacré cadeau.

Puis ma sœur se retourne vers moi, blême et désarçonnée. Je ne l'ai jamais vu ainsi. Malgré son air légèrement effrayé, comme si elle vient de voir un fantôme, elle me demande d'une voix relativement sûre et peu discrète.

– Stephen ? Ton ami Thomas est-il le père de Tom et de Lily ?

– Non ! Certainement pas !

Un cri du cœur sort en même temps de la bouche des deux intéressés qui se regardent et éclatent de rire. Emma, souriant, explique à Allison que Thomas est son « grand frère », ce qui me fait autant plaisir qu'à ma sœur.

Thomas me regarde, riant encore.

– Ta sœur est toujours comme cela ?

Sans attendre de réponse, il se tourne vers celle qui lui parait décidément nettement plus intéressante que moi et saisit son coude pour l'entraîner un peu plus loin. J'ai l'impression que ces deux-là ne vont pas se quitter de sitôt.

Avec un timing parfait, la porte du bloc s'ouvre et le chirurgien en sort. Emma se retourne brutalement. Elle manque tomber d'appréhension et se rattrape à mon bras droit tandis que je passe l'autre derrière de sa taille pour la soutenir. L'air détendu du médecin décrispe immédiatement mes muscles qui se sont contractés en entendant le bruit de la porte. La main d'Emma me broie par contre le bras. Une nouvelle fois je suis secrètement ravi de lui être utile au détriment de mes membres. Cette fille a une sacrée poigne. Le médecin se dirigea vers notre petit groupe, reconnaissant Emma qu'il a rencontré juste avant l'opération de Lily.

– Monsieur, Madame Newton, votre fille va bien. Elle est en réanimation et commence déjà à s'éveiller. Tout s'est très bien passé. Vous pourrez la voir dans moins d'une petite heure.

Le corps d'Emma s'amollit contre le mien et je me demande ce que je préférais : ce corps si tendre et confiant contre moi ou l'idée que l'on prenne Lily pour ma fille.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top