Chapitre 24 Mise au point

Nathan ne savait pas quoi faire. Assis sur le toit de Kief, sur lequel Dahlia l'avait presque enfermé, il se tournait les pouces. Il s'ennuyait profondément. L'adrénaline qui lui était monté en lui un jour plus tôt dans la salle de réunion, lorsque Dahlia avait failli le tuer, qu'elle détenait son sort entre ses mains, était vite retombé. Maintenant, il vagabondait dans la tour sans réel objectif.

Il examina ses mains. Tant de sang dessus, tant de crimes insoupçonnés. Nathan était loin d'être un saint, il en était conscient. Néanmoins, il considérait les saints comme des hypocrites. Qui peut se permettre de vivre sans remords, sans regrets, sans un brin de culpabilité sur le dos ? Même la terre sur laquelle il vivait - n'avait-elle pas le plus grand remord de toute l'humanité, qui est la création des hommes ?

Ses pensées le firent oublier un instant que sa mission n'était pas terminée, et que tout ou presque dépendait de lui. Cependant, plus il restait à Bonn, plus sa culpabilité augmentait. La ville n'était pas si mal, vu du haut de la tour. L'architecture était sympathique, les rires montaient encore des quelques bars autorisés à exister. L'Istar semblait placer ses rayons pile sur la ville, pour montrer sa brillance à l'univers.

Et puis, il y avait les gens. Nathan trouvait que Dahlia n'était pas si méchante que ça, et méritait sans doute qu'on s'intéresse à elle, et qu'on lui accorde de l'affection. Guoy s'imposait directement dans son esprit comme un guide protecteur. Ash ... C'était une autre histoire. Il n'avait pas eu tellement l'occasion de parler. Ce garçon paraissait distant, sur ses gardes, suivant Dahlia dans tous ses dires.

Avec tout ça en tête, Nathan n'entendit pas la porte s'ouvrir.

- Oh, désolé, dit une voix derrière lui. Je ne pensais pas que tu serais là.

Nathan fit volte-face et réprima un sourire. Stephen allait repartir, mais son grand frère l'interpella.

- Tu ne crois pas qu'on a des choses à se dire ? demanda Nathan, qui tapotait le rebord à ses côtés pour faire signe à son frère de venir s'asseoir.

Stephen sembla hésiter, il baissa les yeux un instant puis hocha la tête. Il s'assit à côté de Nathan, en gardant ses distances.

- Ça va te paraître bête comme question mais ... tu vas bien ?

Nathan ignorait la façon dont Stephen allait réagir. Après tout, il l'avait bel et bien abandonné à son sort. Il n'avait pas pu le récupérer des bras de Falvius, et maintenant son frère jouait le chiot de ce vieux.

Son frère hocha distraitement la tête, les yeux perdus au dessus des nuages.

- Tu as peur, dis-moi ? l'interrogea Stephen.

- De quoi ?

- De cette guerre. De ces morts à profusion. De toutes ces manipulations.

- Pas tellement, répondit Nathan, avec un sourire las. Je me fiche que la mort m'emporte.

Stephen le fixa avec son œil gauche, sombre, indéchiffrable.

- Tu te fiches de beaucoup de choses, visiblement, attaqua Stephen.

- Stephen, je ...

- Ferme la, le coupa t-il. Jamais je ne te pardonnerai.

Un coup de poignard, ce fut cet effet là que ressentit Nathan. Il encaissa et ne perdit pas son sourire, mais la blessure était ouverte à présent. Une cicatrice remise au goût du jour.

- Tu devrais m'écouter, au moins, dit Nathan.

- Et puis quoi encore ? (Stephen s'était entièrement tourné face à son frère et se leva sur le rebord.) Te dire que tout va bien ? Que m'abandonner à des tueurs était la meilleur solution que tu avais ? Non, merci ! J'en ai assez de pardonner à tout va. J'en ai marre d'être le pantin que tout le monde veut que je sois !

Stephen était essoufflé. Il ne voulait pas débiter ce qu'il avait sur son cœur, c'était ses secrets, ses pensées intimes. Personne ne devait les connaître. La présence de son grand frère l'avait toujours aidé à se confier. Même aujourd'hui.

Nathan n'avait même pas cillé tant il était sous le choc. Que pouvait-il bien faire contre la haine que son frère avait envers lui ? Stephen avait raison. Nathan aurait dû se donner les moyens de les sauver.

- Tu as choisi ton camp, remarqua Nathan au bout de quelques secondes.

Stephen descendit du rebord et se dirigea vers la porte.

- Tu vas être du côté de l'Est dans la bataille, ajouta Nathan.

Son frère s'arrêta au milieu du toit.

- Oui, je vais être avec eux. Et toi ? Que vas-tu faire ?

Nathan écarquilla les yeux. Qu'allait-il faire, lui ? Son premier voeu était de sauver son frère, mais s'il permettait l'invasion ennemie, il le condamnait. Le jeune homme baissa les yeux, ne sachant plus ce que sa raison lui ordonnait.

- Je vois, soupira Stephen. Tu n'as pas ta place ici.

- Comment ça ?

Stephen le gratifia d'un regard assassin.

- Si tu n'es même pas capable de te trouver toi-même, n'essaie pas d'aider les autres. Maman disait toujours ça, c'est toi qui me le répétait sans arrêt.

Seul le vent semblait écouter. Stephen atteignit la porte, tourna la poignée et fut stoppé par Nathan, qui l'appela de nouveau.

- Je sais très bien que tu ne peux pas me pardonner. Je ne peux pas me pardonner à moi-même, alors comment le pourrais-tu ? Je voulais juste que tu saches que le temps n'est pas perdu. Même si tu me rejettes, même si tu déverses ta haine sur moi, sache que je resterai auprès de toi. Cette fois-ci, je n'échouerai pas.

Stephen ouvrit la porte et sortit en trombe. Il courut le plus vite possible, descendant les escaliers deux par deux. Le souffle court, le front en sueur, il se retrouva dans le hall de Kief, où la jeune réceptionniste le regardait avec méfiance. Elle semblait prête à appeler du renfort en cas de besoin, ou à prendre une arme planqué sous son bureau.

Sans prévenir quiconque, en faisant sursauter toute l'entrée de la tour, Stephen hurla à s'en déchirer les poumons. Il se mit à genoux et pleura sans savoir ce qu'il se passait autour de lui. Plus rien ne semblait avec d'importance.

Si seulement il pouvait haïr Nathan.

Mais non, il ne ressentait aucune haine, aucune colère, aucune rancœur. Juste une infinie tristesse et un manque qui refit surface. Il s'était efforcé d'oublier le frère qu'on lui avait volé, pendant une période, il ne pensait plus du tout à lui. Et là, son passé lui revenait droit dans la figure. Tout le manque qu'il avait ressenti, ces années à se blottir dans ses draps et à observer la lune rouge, lui faisant promettre de garder son frère a l'abri du danger. Toutes ces années où la pluie lui avait paru sombre et terne, et l'Ishtar radiant d'une vie volée. Tout ce temps à essayer d'oublier qu'une partie de lui-même avait disparue.

Nathan était revenu, comme par magie, avec son sourire fier dont Stephen avait autrefois souhaité connaître le secret. La colère s'était emparé de lui. Comment son frère avait-il pu le laisser souffrir pendant si longtemps ? Pourquoi apparaître lorsque Stephen commençait à l'oublier pour de bon ? Ce n'était pas juste.

- Veuillez respecter les autres, s'il vous plaît, lança sèchement la réceptionniste, qui le réveilla de ses pensées moroses.

La jeune femme était à présent à ses côtés, une main posée sur son épaule. Dans son tailleur bleu métallique, avec ses talons compensés noirs, sa stature imposait un certain respect, et peut-être même une crainte. La réceptionniste avait des cheveux bruns remontés en chignon impeccable. Ses lunettes rondes retombaient sur la pointe de son nez.

Stephen n'avait jamais remarqué qu'elle avait les yeux verrons, un jaune et un marron. Étrange, comme combinaison.

Sur son badge, il lut le nom Elaïs.

Stephen reniflant et se releva sans efforts particuliers.

- Navré, dit-il simplement.

- Si vous avez une quelconque peine, votre place n'est pas ici, continua Elaïs.

Le jeune homme écarquilla les yeux. C'était les paroles qu'il avait prononcé à son frère quelques minutes avant. Sa surprise poussa la réceptionniste à poursuivre.

- Les faibles ne devraient pas se trouver ici. Notre image est précieuse, vous savez. Que dirons les gens s'ils vous voyaient pleurer dans ce hall ?

- Ils diront sans doute que nous avons toujours une part d'humanité, fit Stephen, piqué au vif.

Elaïs eut un sourie charmeur, presque chaleureux. Elle enleva enfin sa main de l'épaule de Stephen. Elle retourna derrière son bureau central, et accueillit avec plaisir, sembla t-il, une foulée de touristes. Ash lui avait expliqué que les premiers étages administratifs pouvaient être visités, à un prix exagéré pour ce que la population voyait.

Sans vraiment le vouloir, Stephen dévisagea cette dizaine de touristes. Comment pouvait-il payer pour un tour de quelques étages seulement, où il n'y avait rien à voir ? Le jeune homme n'arrivait pas à comprendre.

Son regard se stoppa sur un visage qui lui semblait familier. Il plissa les yeux pour mieux l'examiner. C'était un homme, dans la vingtaine, possédant des cheveux coupés courts noirs, avec une mèche rouge dans la lignée de son nez. Son expression était détendue. Lorsqu'il tourna la tête vers Stephen et croisa son regard, l'espion du Nord frissonna. Il avait déjà vu ce visage. Cette cicatrice au coin de son œil gauche.

NDA Ce chapitre était donc centré sur Stephen, chacun son lot de pleurs. C'est une partie un peu psychologique, mais pas d'inquiétude, l'action est en cours ... :)

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