Quelques heures plus tôt ...

L'ambiance dans la salle de réunion de Kief était sérieuse. Il ne manquait aucun général, ce qui prouvait d'un point de vue politique l'importance de cette assemblée. Les généraux étaient assis sur leurs fauteuils respectifs, autour de la grande table au milieu de laquelle un écran holographique était allumé. Dahlia était en bout de table, les mains posées sur celle-ci, debout. Ash se trouvait un peu en retrait, derrière sa chef.

- Chers généraux, commença Dahlia, vous avez dû voir que la division de l'Est est devenue un centre d'opération des exécuteurs et de la division du Nord. Récemment, j'ai empêché une transaction douteuse, dont les origines et les intentions restent floues. Nous avons accueilli un espion du Nord parmi nous, sans doute un exécuteur embauché par Gudiea Gallum lui-même pour un but que nous ignorons toujours. Aujourd'hui, des éclaircissements sont à faire. Je compte sur vous, exposez moi vos découvertes. Je jugerai de leur valeur et déciderai en conséquence. C'est bien compris ?

Tous les généraux acquiescèrent. Ash croisa les bras et réprima un soupir. Combien de temps allait durer cette mascarade ? En plus, il était sûr que des zones d'ombres resteraient présentes, ce qui l'ennuyait profondément. Dahlia avait besoin de cartes en main mais, selon Ash, elle ne se rendait pas compte que son futur jeu lui vaudrait une perte probable.

Guoy remarqua l'attitude d'Ash, mais il décida de passer outre et commença son exposé.

- Floral Dimytri était donc au service des exécuteurs ...

Dahlia écarquilla les yeux.

- ... et en même temps, elle y était contrainte. Vous vous souvenez du sniper de l'immeuble ? En m'aidant des reconstitutions, j'ai remarqué que le sniper ne visait en aucun cas la jeune femme, ce qui m'a affirmé qu'il ne voulait pas la tuer, mais superviser la transaction. Sachant qu'elle n'avait rien sur elle, même pas de quoi se défendre, cette explication est la plus plausible. Elle devait donc récupérer quelque chose, malheureusement j'ai encore des doutes sur la nature de la transaction. Je dois vérifier quelques points. Mais, selon mes sources, on peut s'attendre à ce que Falvius Groom, le chef des exécuteurs, ait demandé des informations sur son employeur, Gudiea Gallum.

- En résumé, tu penses que les exécuteurs voulaient un moyen de pression sur Gudiea ? demanda Dahlia.

- C'est vérifiable, mais peu contestable. Mes sources affirment qu'un homme est venu se planquer chez eux, juste après l'explosion, et qu'il est partit pour le Sud. Il détenait, toujours selon mes sources, une carte électronique. Un peu trop bavard, il leur a confié qu'il s'agissait d'informations compromettantes sur Gudiea Gallum et qu'il devait les remettre dans le Jardin des Soupirs.

Dahlia croisa les bras à son tour.

- Tes sources sont-elles fiables ?

- Quand on les paie assez, oui. C'est pour cette raison que je dois encore vérifier quelques points.

- Donc, si je comprends bien, Falvius est engagé par Gudiea et lui envoie Stephen pour être son espion, cependant il n'a pas confiance en son employeur et cherche le moyen de faire pression sur lui pour obtenir ce qu'il veut au cas où leur plan ne fonctionne pas. Mais ces infos, il ne les aura jamais puisqu'on a intercepté la transaction et ça m'étonnerait que le lâche qui est voulu vendre ça essaie de le refaire. Floral Dimytri a failli créer une guerre divisionnaire. Sympa.

Ash constata que, si l'histoire tenait la route, la boucle serait bientôt bouclée. Néanmoins, un détail continuait à faire enrager Dahlia. Elle remercia Guoy et invita Ronan et Jydith à parler de leurs découvertes. Ronan jouait avec une de ses mèches de cheveux noir, tandis que Jydith mâchouillait un bonbon qu'il venait de sortir de sa poche.

- Celui qui a volé le sniper n'était pas un exécuteur, annonça Ronan.

- Non, non, non, souffla Jydith.

- C'était quoi, alors ? Un Serp ? plaisanta Tyfon à l'opposé.

Tyfon était le général dirigeant l'unité serpentière. Autrement dit, il contrôlait les serps, les reptiles les plus dangereux de Xi'ar K-II. Il n'avait pas une allure particulièrement impressionnante, mais ses yeux manifestaient grandement son pouvoir de persuasion, le même dont il se servait avec les serps.

- En tout cas, c'est pas un aveugle, un trisomique, un unijambiste, une mamie, ...

- Tais-toi, Ronan, soupira Dahlia.

- N'empêche, celui qui a réussit à vendre des lunettes de soleil à des aveugles est un excellent commercial, vous ne trouvez pas ?

Seul le rire de Ronan empli la pièce.

- Rien de plus ? l'interrogea Dahlia, qui mit un terme, une nouvelle fois, à la rêverie de son général.

- Non, non, répondit Jydith.

Dahlia soupira longuement. Qu'allait-elle faire si personne n'était capable de trouver cet homme ? Elle détestait échouer, encore moins quand il s'agissait d'un fait accompli dans sa propre division.

- Et concernant le type au manteau en cuir rouge ? On a des nouvelles ?

Dunbalt se manifesta alors en levant sagement la main. C'était un homme de grande taille, bien que le benjamin du groupe. Il portait très bien ses cheveux longs, ondulés et bleus. Son eye-liner qu'il prenait soin de déposer sous ses yeux faisait ressortir ses iris vertes. Il avait une longue cape marron. Il dirigeait la brigade des patrouilles de la muraille. Rien ne lui échappait. Dahlia l'autorisa à parler.

- J'ai vu l'homme dont vous parler pénétrer dans Bonn il y a longtemps. Je me souviens parfaitement de cette description. À l'époque déjà, je l'avais trouvé étrange, alors j'ai enquêté sur lui, ce qui s'est avéré très difficile. En effet, c'est le chef de l'ordre de la Kroix, Ewan Jacknesson. Vraiment très difficile de trouver son identité, ça m'a prit plus de six mois.

- Encore cet ordre ? Mais c'est qui, ces blaireaux, à la fin ? s'agaça Dahlia.

- Je propose que l'on fasse la guerre ! On les zigouille tous et on n'en parle plus ! s'exclama Vivian, dirigeant plus de deux milles hommes de l'armée.

Il avait brandit le poing en l'air, l'autre main sur son épée.

- Ne dis pas n'importe quoi, renchérit Dunbalt en croisant les bras. Aller à la guerre contre qui ? Ces types sont des vrais fantômes.

- Dunbalt a raison, une guerre ne serait pas favorable en ce moment. Ça ne ferait que nous affaiblir, ajouta Freyir, dirigeant de la brigade incendie.

- Je veux la guerre aussi, on en a marre de cette situation pourrie ! dit Jamir, le frère jumeau de Freyir, dirigeant avec lui la brigade incendie.

- Je suis en parfaite concorde avec Vivian et Jamir. On ne peut pas laisser des ennemis faire leur nid ici. On doit les décapiter un par un, leur faire voir l'enfer et les faire regretter d'être venu dans l'Est, répliqua Saktur, dirigeant l'unité d'élite.

- Ce serait une guerre qui n'a aucun sens, dit Dunbalt, perdant patience. Vous vous écoutez parler ?

Dahlia ne les écoutait plus. Elle laissa son esprit vagabonder entre les propositions, tandis que les généraux se divisaient. Ash était toujours en retrait, attentif. Cependant, il n'avait rien à en dire. Au bout d'un moment, Dahlia en eut marre, et elle hurla. Son cri résonna dans toute la pièce, faisant taire chaque général, sauf Ronan.

- ... va jusqu'au cercueil et jette un coup d'œil à l'intérieur pour voir si c'est bien ton père qui est là dedans, sembla t-il finir, puisqu'il explosa de rire.

Jydith continua à sucer son bonbon, paraissant ne pas avoir écouté un morceau de l'histoire de Ronan, pourtant il sourit un peu. Dahlia fronça les sourcils, Ronan le remarqua et se tut. Il capta enfin que plus personne ne parlait et que tous le regardaient.

- Dis-moi, Ronan, t'intéresses-tu à nos affaires ?

La voix douce de Dahlia trahissait pourtant une certaine colère. Ronan parut glousser. Jydith releva la tête.

- Bien sûr, mais ces histoires de guerre ... Sincèrement, autant nous baigner dans la boue avant l'heure.

- Pourquoi on se baignerait dans la boue ? demanda Dunbalt.

- Pour nous habituer à la terre, sourit-il.

Dahlia soupira, encore une fois. C'était toujours la même chose avec Ronan, il n'était jamais sérieux.

- Ronan, si tu continues sur cette voie, je serais obligée de reconsidérer ta position de général, expliqua Dahlia d'un ton froid, empli de reproches.

- Je comprends tout à fait, mais ça ne sera pas utile. N'est-ce-pas, Jydith ?

- Oui, oui, oui, répondit ce dernier.

Ronan se leva alors, et se mit debout sur la table sous le regard méfiant de Dahlia. Ash se massa les tempes. Ça faisait longtemps qu'une réunion regroupant tout le monde n'avait pas eu lieu, et il commençait à se souvenir qu'à chaque fois ça lui donnait la migraine.

- Cette guerre est inutile, futile, dérisoire, encombrante, stupide, ce que vous voulez pour la qualifier. Elle n'est sûrement pas bénéfique. Ce serait comme balancer un chien au milieu de requin, intéressant mais pas très productif. Comme l'a si bien dit Dunbalt, ce sont des fantômes. Cependant, n'oubliez pas que les fantômes ne sont pas invulnérables. Il suffit de trouver une faille. Je m'en chargerai personnellement, avec Jydith s'il le veut bien. Je vous rapporterai le moyen de détruire l'ordre de la Kroix et les exécuteurs d'un seul coup.

- On ne sait même pas ce que font ces types de l'Ordre, je te rappelle. Sur quelles pistes vas-tu enquêter ?

Contre toute-attente, ce fut Jydith qui répondit à Dahlia.

- L'ordre de la Kroix aident les brigands, ils sont opposés aux exécuteurs, ça nous facilitera la tâche.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que les personnes présentes dans cette pièce furent aussi choqués par sa prise de parole que par ce qu'il disait. Comment pouvait-il connaître cela ? Pourquoi ne pas l'avoir dit plus tôt ?

Jydith se remit à sucer son bonbon, l'air de rien. Ronan était le seul qui n'avait pas l'air surpris. Il lui tapota l'épaule et continua son discours.

- Vous voyez, plus simple, tu meurs. Jydith et moi, on se fait une joie d'aider dans ce sens ! Comme ça, je vous prouverais à tous que je suis digne des généraux de cette assemblée. Qu'en pensez-vous, chère chef ?

- C'est d'accord, mais en cas d'échec, tu seras remplacé à coup sûr, prévint Dahlia, aussi dure que de la roche.

Ronan lui sourit, prit Jydith par la main et les deux sortirent de la pièce.

- Du coup, j'ai pas suivi, on la fait cette guerre ? quémanda Vivian.

Le regarde de Dahlia fut assez expressif. Vivian ne dit plus rien de la séance. Le reste de la réunion portait sur la nourriture et les lois de la division, sans oublier quelques petits problèmes au sein même de Bonn.

Après cet après-midi fatiguant, Dahlia décida de se détendre avant de vouloir tuer le premier venu. Elle s'assit non sans brutalité sur un banc du Jardin des Soupirs. Elle se mit à réfléchir sur tout ce que sa division devait endurer en ce moment, à tous les problèmes depuis que l'espion était là. Était-ce réellement sa faute ? Avait-elle elle-même apporté le mal qui rongeait sa ville ? Elle ne savait plus quoi penser. Et elle détestait hésiter, en plus. Un mal de crâne commençait à arriver, ce qui l'énerva davantage.

C'est alors qu'un jeune garçon l'accosta. Il semblait à peine plus vieux qu'elle. Il avait des cheveux bruns, simples, qui semblaient résister la gravité. Dahlia fut étonnée de voir les mêmes yeux que Stephen en cette personne, des iris émeraudes sombres. Cependant, ce qui la stupéfia le plus fut ce tatouage sur son épaule, un aigle aux ailes déployées. Le symbole des exécuteurs.

Dahlia se releva si vite que le jeune homme sursauta. Elle sortit une lame bleue et lui sauta à la gorge. À califourchon sur lui, la lame contre la pomme d'Adam, plus personne ne faisait un geste.

- Qui es-tu ? Que veux-tu ? s'écria Dahlia.

- Du calme, je ne veux pas te tuer !

- Moi, j'en ai bien envie. Donne moi une raison qui m'en empêcherait ?

- Je demande asile et protection, déclara t-il.

- Quoi ... ?

Soudain, un bruit à côté d'elle la fit se redresser. Elle faillit jeter sa lame avant de s'apercevoir qu'il s'agissait de Stephen. Elle souffla, un peu sur les nerfs. Dahlia remarqua alors l'air pesant de la situation. Stephen et l'autre homme se regardait droit dans les yeux. Le premier avait l'air désemparé, les yeux écarquillés, il semblait ne pas y croire. Le deuxième avait un étonnement amoindri et essayait de sourire, mais tout ce qu'il pût faire fut un air d'une tristesse infinie.

Dahlia suivait cet affrontement de regards sans intervenir, essayant de comprendre quel lien les unissait. Elle n'eût pas à attendre longtemps avant d'avoir une réponse.

- Grand frère ... fit Stephen en sanglotant.