Chapitre 6 - partie 1

— Tu pars de quel côté Garance ?

Je réfléchis un instant à la question de Jane. Nous venons de sortir du lycée, et il est maintenant temps de rentrer chez soi. Petit problème : je ne sais absolument pas me diriger dans Paris.

Ce matin, mon père m'a accompagnée, mais là, je dois dois me débrouiller seule avec les instructions qu'il m'a données. Nous nous trouvons actuellement devant l'entrée du lycée qui donne sur une petite rue peu fréquentée par les voitures, mais plutôt par des élèves impatients de quitter cet endroit maudit.

Les gens se bousculent pour accéder à ce trottoir d'à peine quelques mètres sur lequel il est impossible de circuler sans se faire bousculer violemment. Je n'ai pas vraiment eu le loisir d'observer l'extérieur du lycée ce matin à cause de la noirceur de la nuit, mais je m'aperçois maintenant que la façade extérieure en béton peinte en jaune clair est beaucoup plus longue que je ne le pensais.

Elle doit bien mesurer une cinquantaine de mètres de long et est haute de deux étages. De nombreuses fenêtres donnant sur les classes parsèment la façade et lui donne un aspect un minimum vivant, même si les fenêtres du rez-de- chaussée possèdent des barreaux. Je me demande si c'est pour empêcher les intrus d'entrer ou pour empêcher les élèves de s'enfuir.

Je remarque soudain que je n'ai toujours pas répondu à la question de Jane.

— Hmmm... Je crois bien qu'il faut que je prenne la ligne 9 du métro vers le pont de Sèvres et m'arrêter dans quatre stations. Vous allez par là vous aussi ?

Espoir. Si ça se trouve elles prennent aussi la ligne 9 et je ne vais peut-être pas me perdre... Malheureusement, les deux filles prennent un air embêté.

— Mince... grimace Fanny. On va dans le sens opposé, nous...

Merde. C'est officiel : je vais me perdre. Et je vais devoir appeler mon père qui est le seul de la famille à connaître un peu Paris grâce à son boulot pour qu'il vienne me retrouver.

— Tu veux qu'on t'accompagne ? me demande-t-elle. On peut faire un détour pour cette fois si tu veux...

Jane fronce les sourcils lorsqu'elle entend la proposition de son amie, mais celle-ci réplique avec des yeux sévères pour lui indiquer qu'elle ne reviendra pas sur sa décision.

Cela me gênerait que ces filles que je ne connais que depuis une journée à peine fassent un détour pour moi, d'autant plus que seulement l'une des deux est d'accord.

J'ai toujours été une personne qui ne veut pas s'imposer, qui préfère passer inaperçue dans la masse plutôt que de me faire repérer. Mais en même temps, je risque de m'égarer, alors....

Je m'apprête à leur répondre par l'affirmative lorsqu'une voix masculine dans mon dos me coupe dans mon élan.

— Je l'accompagne.

A ce son, tout mon corps se pétrifie. Est-ce que quelqu'un peut m'expliquer pourquoi ce mec se trouve partout ? Mais vraiment partout ?

J'ai pu remarquer que Robin se trouve dans CHACUN de mes cours de la journée. Pourtant, Jane m'a bien expliqué qu'il est très difficile d'avoir un emploi du temps identique à celui de ses amis à cause d'une question d'option propre à chaque élève.

J'ai donc passé ma journée soit avec Fanny, soit avec Jane, soit avec les deux, et demain, j'aurai un cours avec ni l'une, ni l'autre. Donc c'est très étonnant que Robin ait exactement les mêmes cours que moi, à la même heure, et j'ai peine à croire à une coïncidence.

Jane m'a dit que ça devait être un signe du destin, mais très franchement, j'en doute. Il ne me reste qu'un espoir : le cours de mathématiques, car le professeur était absent aujourd'hui, je verrai bien les jours suivants.

Je pensais pouvoir enfin me débarrasser de Robin le soir, mais apparemment, j'ai eu tort. Je me crispe et me retourne lentement, très lentement.

Mes yeux passent du sol à son visage, en s'arrêtant un millième de seconde de trop sur son torse qui paraît musclé sous son t-shirt. J'évite de me focaliser sur ses yeux et me force à répondre.

— Pardon ?

Malheureusement, ses yeux m'attirent trop et je m'accorde un bref coup d'œil, juste pour revoir encore une fois leur magnifique teinte bleu foncé.

J'ai dû surestimer ma force de volonté car la brève seconde s'étire bien trop longtemps à cause de cette couleur qui me captive et me retient prisonnière. Robin s'en aperçoit et sourit d'un air narquois, presque mesquin.

Par chance, il ne fait pas de commentaire là-dessus, je n'en ai pas encore parlé ni à Jane ni à Fanny. Je ne sais pas pourquoi, je préfère garder cela pour moi.

— Je t'accompagne, répète le jeune homme.

Cette prise de parole me fait sursauter et me fait prendre conscience que j'ai devant moi un abruti aux beaux yeux, certes, mais surtout un abruti prétentieux qui se paye ma tête.

Il m'a bien fait comprendre qu'il ne m'aimait pas durant les deux premières heures de la journée, puis m'a ignorée le reste du temps. Et maintenant, il me propose de rentrer avec lui ? Non mais pour qui il se prend ?

Je sers mes poings pour rester calme. Je préfère encore me perdre dans Paris que de rentrer avec un gars qui me traite de chien.

— Hors de question.

Je tourne le dos à Robin pour lui faire comprendre que la discussion est close et fait face aux deux filles, ébahies.

Apparemment tourner le dos au fameux Robin Duriant n'est vraiment pas une chose convenable. Jane me fait non de la tête et Fanny lève légèrement les yeux au ciel. Puis la première me contourne et vient se planter devant Robin avec un grand sourire.

— Bien sûr qu'elle va venir avec toi ! (Jane m'attrape par le bras et me force à faire face au gars) Sinon elle va se perdre dans cette grande ville...

Je lui fais les gros yeux et retranscris ma pensée à voix haute.

— Je préfère encore me perdre dans Paris que de faire le trajet avec lui.

Je vois Robin fermer les yeux et se concentrer comme pour rester calme. A son tour d'être énervé. Au moins, il a compris que je ne me laisse pas avoir si facilement. Et il est vraiment hors de question que je fasse le trajet avec lui.

J'adresse un regard implorant à Jane, puis à Fanny qui est venue se placer à la droite de son amie, comme pour ne rien manquer du spectacle. La jeune fille rousse hausse les épaules d'un air désolé, me signifiant qu'elle ne peut rien faire contre Jane.

Je lève les yeux vers Robin, qui fait tout de même une tête de plus que moi, plante mes yeux dans les siens, fais un effort surhumain pour ignorer leur couleur et sors mon argument qui va, je l'espère, le dissuader de vouloir me raccompagner.

— De toute façon tu ne sais pas où j'habite.

Je le regarde d'un air de défis. Il hausse un sourcil comme s'il ne me croyait pas capable de répliquer ainsi.

— Faux. Je sais.

— Comment ça ? je fronce les sourcils, déstabilisée.

— Tu l'as dit ce matin quand tu t'es présentée devant la classe.

Je lève un sourcil. Je ne me souviens pas d'avoir dit ça. Je croise les bras.

— Ah oui ? Alors où ?

Je ne peux m'empêcher de blêmir lorsqu'il débite mon adresse parfaite. Je ne me souviens vraiment pas avoir dit ça ce matin. Aurais-je déjà oublié ? Je me tourne vers Jane.

— C'est vrai ce qu'il dit ? Que j'ai dit où j'habitais ?

Elle hausse les épaules.

— Aucune idée.

Merci Jane de ton soutien. Puis un autre détail me frappe de plein fouet.

— Tu n'étais pas encore arrivé quand je me suis présentée.

Les yeux de Robin se fixent soudainement plus profondément dans les miens et me dévisagent avec une telle intensité que je sens mes yeux fondre sous ce regard.

J'ai l'impression qu'il me transperce la rétine et vient fouiller chaque recoin mon cerveau. J'aimerais pouvoir me détourner, mais je sais que si je donne raison à ce désir, je risque de perdre le contrôle de la situation.

— Tu te trompes encore une fois, répond-t-il avec une voix sourde, ferme et assurée. J'étais là.

Je le regarde un instant, essayant de déceler le mensonge sur son visage. Mais celui-ci est fermé et froid. Impossible de savoir s'il ment, ou pas.

J'essaye de me raisonner. Il est impossible que Robin sache ça si je ne l'avais pas dis. Donc j'ai dû le dire devant lui ce matin, c'est évident. Malgré l'étrangeté de la situation, je m'efforce de garder la tête froide. Il ne faut pas que je perde la face.

— Et toi tu habites où ?

C'est nul, ça, Garance ! En plus, ma phrase a plus sonné d'un ton curieux que d'un ton agressif. Génial. Il va croire que je suis intéressée par sa misérable vie, maintenant. Il hausse un sourcil.

— À deux rues de chez toi...

Hein ? Avant que je n'ai eu le temps de répondre, ses yeux quittent brusquement les miens, son corps crispé se relâche, et une moue apparaît sur son visage.

— Oh, et puis merde. Je faisais ça pour être sympa parce que tu semblais être en galère... Tant pis pour toi.

Il se retourne et commence à partir. Jane m'adresse immédiatement un regard outré.

— Tu laisses passer ta chance, me murmure-t-elle, non, tes deux chances : celle de faire de lui ton copain (je lui jette un regard qui signifie "sérieux ? " qu'elle ignore), ou celle, plus rationnelle, de ne pas te perdre dans Paris.

Ok. Cette seconde raison me fait hésiter. Puis je vois Robin qui commence à bien s'éloigner, alors j'écoute mon instinct et l'appelle.

— Robin !

Ma voix est grave et marque mon manque d'enthousiasme. Je ne suis pas obligée de parler avec lui. Je pourrais seulement le suivre, garder mes distances. Cela vaudrait le coup plutôt que de faire déplacer mon père en train de bosser à cet instant même, ou de faire se déplacer deux filles que je ne connais que depuis peu.

Le gars se retourne, surpris. Je suis sûre qu'il ne s'attendait pas à ce que je le rappelle.

— J'accepte.

Avant que je ne revienne sur ma décision, j'adresse un bref salut à Jane et Fanny, puis rattrape Robin en un instant. Celui-ci me regarde impassiblement le rejoindre. Je n'arrive à pas déchiffrer cette expression et à savoir si ma réponse lui convient ou non. Mais une fois est-il que lorsque j'arrive à sa hauteur, il se remet à marcher droit devant lui sans un mot. Alors je le suis.

Je ne sais pas dans quoi je m'embarque.

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