Chapitre 2 - partie 1
C'est la lumière du jour qui me réveille. Les volets de la maison de mes grands-parents ont toujours laissé passer la lumière. Je peux distinguer nettement chaque recoin de ma chambre, comme la porte sur laquelle est accroché un porte-manteau, la grosse armoire en bois ancien qui date de mon arrière-grand-mère ou le lit de ma cousine qui dort à poings fermés. Et tout cela tient dans une toute petite pièce aux murs jaunis par le temps. Je baille le plus fort que je peux et une odeur m'emplis la bouche : celle du pain grillé. Elle me met l'eau à la bouche. Un gargouillis provenant de mon estomac fini de me convaincre. J'ai faim. Et la faim n'attend pas.
C'est alors que des images me reviennent en flash dans ma tête. Les loups. Mon cœur fait un bon dans ma poitrine, ma tête se met à me tourner et je me laisse retomber sur mes couvertures. L'image du loup me sautant dessus et de ses crocs en direction de mon visage passe en boucle devant mes yeux, comme un mauvais film. C'était un rêve. C'était forcément un rêve. Même s'il m'a paru affreusement réel. Sinon je ne serais pas dans mon lit à ce moment. Je serais morte.
Je secoue la tête, essayant de chasser l'illusion et tente de calmer les battements frénétiques de mon cœur. Je ne dois pas penser à ça. Ce n'était qu'un cauchemar. J'attrape des vêtements et file sous la douche. Je laisse l'eau chaude me couler dessus et écoute le bruit relaxant des gouttes qui tombent en rafale. C'est un son étonnant car on n'entend qu'un seul bruit en continue alors qu'il s'agit en réalité de dizaines de milliers de gouttes qui chutent et atteignent le sol en même temps après avoir ruisselé le long de mon corps.
Une fois sortie, j'enveloppe dans une serviette mes cheveux châtains mouillés m'arrivant normalement aux omoplates et je m'observe dans le miroir, moi, avec mon visage carré et mes yeux bruns-verts.
Je ne ressemble pas à toutes ces filles hypocrites qui se trouvent magnifiques, qui vous invitent à vous recouvrir de peinture pour paraître "belle". Je ne me maquille pas vraiment, si on exclu le petit coup de mascara que j'aime bien mettre tous les matins. Si les gens n'aiment pas mon apparence, ils n'ont qu'à regarder autre part. Puis, mes yeux descendent le long de mon corps, et...
Qu'est-ce que... Je passe un doigt sur le haut de ma hanche droite. Mes doigts rencontrent ma peau au niveau de ces lignes brunes longues et fines. Elles n'y étaient pas hier, j'en suis sûre. Je les observe attentivement à travers le miroir. Ces espèces de griffures irrégulières semblent partir du même point, du côté droit de mon ventre.
Elles se répandent sur un rayon d'une dizaine de centimètres tout autour du point central, très dense, de nouvelles lignes se raccordant aux autres comme les branches dénudées d'un vieil arbre. Elles ont beau partir dans tous les sens, leur bazar est comme "organisé", ces lignes semblent suivre un chemin tout tracé. D'où peuvent-elles bien provenir ? Elles ne peuvent pas être dues à un objet râpant sur lequel je me serai endormie sans m'en rendre compte. Si c'était le cas, ma peau ne serait pas blanche et lisse entre les lignes, mais rouge et irritée.
Je commence à les frotter pour les faire disparaître. Au bout d'une minute, elles sont toujours là et je commence à paniquer. Elles ressemblent un peu aux vergetures d'une femme enceinte, dans le sens où elles semblent être incrustées sous ma peau. Mais les vergetures ne sont ni aussi brunes ni aussi bien organisées. Et surtout je ne suis pas enceinte. Je demanderais à ma grand-mère, elle a toujours des remèdes naturels extraordinaires.
Cette vielle femme est très proche de la nature et m'a toujours conseillé de revenir à des médicaments plus naturels que tous ces produits chimiques que nous vendons sur le marché. Elle est la personne qui m'a emmenée faire de longues balades en forêt pour apprendre à observer et à respecter la Mère Nature, à s'émerveiller des animaux et insectes présents tout autour de nous, que ce soit le lion majestueux ou le misérable cafard. C'est également elle qui m'a appris à monter sur un cheval, à nourrir les chiens errants et à garder les miettes de pain du repas pour les donner aux petits oiseaux du jardin.
Je m'habille vite fait et rejoins la cuisine. La pièce est spacieuse et créée avec un mélange de meubles anciens et modernes. Ainsi, le carrelage est gris clair unis, le plan de travail occupant la longueur de deux murs sur quatre a été réalisé dans un bois clair et recouvert d'une couche de produit le rendant brillant et le lustre recouvrant l'ampoule du plafond ne ressemble qu'à un bout de plastique courbé. A l'inverse, mes grands-parents y ont apporté une touche de leur vieillesse, comme en témoignent les vieux placards en bois sculpté suspendus au dessus du plan de travail, ou la table ronde centrale.
Il doit être plus de neuf heures car la pièce est déjà toute illuminée en ce mois de mars. Ma grand-mère est bien là, en train de feuilleter un livre de cuisine sur la table où sont encore disposés les pots de confitures et boissons du petit-déjeuner. Ses longs cheveux blancs attachés en natte lui tombent dans le dos, courbé par la vieillesse. Lorsque j'entre, elle relève sa tête et un grand sourire illumine son visage ridé. Elle est toujours heureuse de nous voir, ses petits-enfants, et cela me réchauffe le cœur à chaque fois.
— Bonjour Garance ! m'accueille-t-elle. Tu as bien dormi, ma belle ?
— Très bien et toi ?
Je l'embrasse.
— Comme un loir. Tu as une idée de ce que tu veux manger à midi ?
Je remarque alors qu'elle porte son tablier de cuisine, celui que ma mère lui a cousu pour Noël, avec tous les prénoms de la famille brodés sur la grande poche avant.
— Tu prépares déjà le repas ? je ris en partant chercher un verre dans un des placards. Mais je n'ai pas encore pris mon petit-déjeuner !
— Oh tu sais, il faut que j'aille faire des courses et je demandais ce qui vous ferai plaisir pour...
Elle s'arrête subitement de parler, et je m'aperçois qu'elle fixe mon ventre. Ou plutôt, j'imagine, mes griffures. Vu que j'ai les bras tirés vers le haut pour attraper un verre et que mon haut de pyjama est plutôt court, elle a pleine vue sur ma peau.
— C'est quoi, ça ? demande-t-elle en les pointant du doigt.
Son expression est crispée. Surprise, je m'approche et relève un peu mon t-shirt pour qu'elle puisse mieux les observer.
— Bah justement, je voulais te demander. C'est apparu pendant la nuit, tu n'aurais pas un de tes remèdes miracle par hasard ?
Ses yeux s'arrondissent. Je ne l'ai jamais vu réagir ainsi. Et ça commence à m'inquiéter.
— C'est embêtant ou pas ?
Ma grand-mère reprend soudainement son air sérieux et retourne à son livre de cuisine, soudainement très concentrée dessus.
— Pas du tout ! Ce n'est presque rien. Ça va bientôt disparaître, ne t'inquiète pas.
Je rêve ou elle essaye de me cacher des choses à propos de ces petites griffures de rien du tout ? Mais je ne suis pas dupe. J'essaye de capter son regard fuyant.
— Alors tu n'as rien ? Même pas une de tes pommades ?
— Rien du tout ! Juste... Ne le montre à personne...
— Je... quoi ? Pourquoi ?
Soudain, la porte de la cuisine s'ouvre à la volée et ma tante apparaît.
— Vous n'auriez pas vu Anaïs pas hasard ?
Elle est affolée. Ses longs cheveux blonds sont en bataille et sa tenue est négligée. D'habitude, elle fait bien attention à ce qu'elle porte comme elle travaille dans une maison de haute couture et a déjà fait, lorsqu'elle était plus jeune, quelques défilés pour ses maisons. Ma grand-mère prend sa belle-fille haletante dans ses bras et l'oblige à s'asseoir. Il faut dire que ma tante Camille est enceinte de sept mois.
Une fois assise, ma grand-mère lui tend un verre d'eau, mais la femme ne s'en rend pas compte, les yeux dans le vide, trop affolée pour faire attention à ce qu'il se passe autour d'elle. Tout ce qu'elle veut, c'est être écoutée.
— Je la cherche depuis vingt minutes ! Elle n'était pas dans sa chambre au réveil et depuis, impossible de la trouver !
— Anaïs a disparu ? je demande en confirmation.
Ma tante acquiesce et fond en larmes. Anaïs est sa fille unique et ma petite cousine de quatre ans. Elle n'est pas la sœur de Clara.
— Ne t'inquiète pas, la rassure ma grand-mère, elle ne peut pas être bien loin.
Ma tante tente d'inspirer un coup pour surmonter ses larmes, puis nous explique que son mari, mon oncle Maxime, est parti faire le tour de la propriété lorsqu'ils se sont rendus compte que leur fille n'était pas dans le bâtiment. Mais la tâche risque d'être difficile, mes grands-parents, à l'aise financièrement, possèdent une immense propriété, incluant une petite forêt, et de surcroît, sans barrières.
Après l'avoir écoutée, ma grand-mère me demande d'aller chercher mes cousins pour qu'on essaye ensemble de trouver Anaïs. Pendant ce temps, elle va essayer de calmer ma tante et la forcer à rester assise. Dans son état, il n'est pas bon de courir dans tous les sens. Je sors, mais je me promets d'avoir une petite discussion avec elle lorsqu'on aura retrouvé ma cousine. A propos de mes griffures et du fait qu'elle me cache visiblement des choses. Elle n'aurait pas pris un tel air que je ne m'en serais pas inquiété. Mais ma curiosité cherche toujours satisfaction, et ce moment même, elle est affreusement titillée.
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