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𝘿𝙚́𝙡𝙞𝙫𝙧𝙖𝙣𝙘𝙚
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        Jisung était resté agenouillé à côté du corps de Minho pendant deux bonnes heures. Il était incapable de se relever, de quitter des yeux le magnifique visage de Minho et de s'éloigner de lui. Comment aurait-il pu ?

Du sang doré maculait les habits de Minho et les mains de Jisung. Le soleil avait traversé les nuages mais un vent glacial fouettait les cheveux de l'humain. Pourtant, Jisung s'en fichait royalement, il n'était pas prêt de bouger. Il devait rester aux côtés de Minho. Il avait toujours son regard plongé dans ses yeux foncés qui désormais, ne deviendraient jamais plus violet.
Jisung aurait du se sentir puissant en ayant réussi à tuer un ange, ce n'était pas le cas. Il était rongé par les regrets qui grignotaient chaque parcelle de son âme brisée. Il souhaitait tellement revenir en arrière, ne pas répondre aux provocations de Minho, ne pas le provoquer lui-même et plutôt ruminer sa haine au fond de lui en sachant qu'il allait se calmer et qu'il pourrait tenter d'avoir une conversation calme et réfléchie avec l'ange, sans violence. Il aurait du écouter sa raison, ne pas se laisser emporter par sa colère, mais il n'avait pas pu.
Jisung était brisé lorsqu'il avait rencontré Minho et une âme brisée ne prenait pas de bonnes décisions, elle ne savait pas où se diriger et laissait les émotions parler à sa place. Comment pouvait il vivre avec ce qu'il venait de faire ? Comment pouvait il continuer d'avancer sans Minho ? Il n'avait plus aucun but à poursuivre, plus personne à livrer aux rebelles, même si il doutait qu'il l'aurait réellement fait le moment venu. 

Il comprenait maintenant tout ce qu'il avait ressenti pour Minho. Depuis le début, il l'avait aimé, il avait refusé de le reconnaître, mais il l'avait aimé dès lors première rencontre sur les ruines de son ancien refuge. Il s'était détesté pour avoir commencé à l'apprécier alors qu'il y était destiné. En le tuant, il avait senti son cœur hurler à la mort et en regardant le corps sans vie de Minho, il s'était souvenu qu'il avait entendu sa voix dans sa tête et l'avait rejoint pendant son sommeil, par la pensée. Il s'était ensuite rappelé ce que lui avait raconté l'ange au sujet des âmes sœurs, et ce qu'ils avaient vécu ensemble en faisait parti.
Minho était son âme sœur et Jisung l'avait tué. 

Jisung était sûr et certain que Minho, au fond de lui, le savait aussi qu'ils étaient des âmes sœurs, mais qu'il avait préféré ne rien lui révéler, soit parce qu'il se voilait la face, soit parce qu'il refusait d'y croire, soit parce qu'il avait peur de la réaction de Jisung. L'humain ne saurait dire laquelle de ces propositions était la bonne, peut-être était-ce les trois en même temps ou encore une autre à laquelle l'humain n'avait pas pensé. Jisung n'était pas vraiment en état de réfléchir correctement, il ne faisait que se faire envahir par des souvenirs constitués de ses moments passés avec Minho. Il revoyait ses yeux remplis de colère, de dédain et de supériorité, mais au fur et à mesure que ses souvenirs venaient lui frapper la mémoire, il revoyait également les sourires discrets, les yeux amusés, l'air taquin qu'il avait parfois et les sourires sincères qu'il lui avait accordé. Jisung revivait tout dans les moindres détails, comme si c'était sa punition pour avoir tué son âme sœur, se souvenir sans défauts de tous les moments qu'ils avaient passé ensemble afin qu'il vivre une existence de souffrance jusqu'à sa mort. Parce que Jisung n'avait pas seulement le cœur brisé, il avait l'âme détruite à jamais, scindée en deux pour le restant de ses jours. 

La force divine qui régissait les âmes sœurs était cruelle et mesquine. Elle avait décidé de lier un ange et un humain, deux personnes qui vouaient une haine profonde envers l'espèce de l'autre. Jisung ne savait pas vraiment si c'était quelqu'un qui régissait le domaine des âmes sœurs, mais si c'était quelqu'un ou quelque chose de bien vivant, il lui ferait payer la souffrance qu'il endurait. 

Jisung se mit à rigoler, il se trouvait ridicule. Il en voulait au monde entier alors que c'était uniquement sa faute si Minho était mort, si il regardait son corps sans vie depuis plusieurs minutes. Personne ne l'avait forcé à planter cette dague dans son cœur, personne. Il était l'unique fautif de sa propre peine, de sa propre souffrance, de ce gouffre qui s'ouvrait en lui.  Il en voulait au monde parce qu'il se voilait la face, il ne voulait pas se rejeter la faute dessus. C'était bien plus simple d'accuser quelqu'un, quelque chose, une forte plus puissante que lui, de l'avoir forcé à agir ainsi, comme si il n'avait pas été conscient de son acte.
Alors que c'était tout le contraire, il se souvenait parfaitement d'avoir eu l'idée de se saisir du poignard, d'avoir senti son métal froid dans sa paume de main, de l'avoir dissimulé lorsqu'il se battait avec l'ange et d'avoir effectué le geste pour le lui plonger dans le corps. Il s'en souvenait parfaitement, mais il ne voulait pas reconnaître que c'était lui, qu'il était responsable de la mort de l'une des créatures certes les plus dangereuses du monde, mais également fascinantes et attirantes. 

           Quelques heures plus tard, Jisung avait quitté le corps de Minho. Il avait marché sans but, se forçant à ne pas regarder en arrière pour ne pas retourner s'agenouiller près de lui et se laisser mourir à ses côtés. Il s'était d'abord relevé puis avait fixé Minho sans bouger pendant une vingtaine de minutes. Il n'avait pas su quoi faire, si il devait l'enterrer, le brûler ou quelque chose du genre. Il s'était rendu compte qu'il ne savait rien des coutumes angéliques sur le sujet de l'honoration de leurs morts, peut-être parce qu'il n'y en avait pas puisque les anges n'étaient pas sensé mourir. Il avait ensuite regardé la dague planté dans le corps de l'ange, entouré du sang dorée de Minho. Il avait eu une envie monstre de vomir, mais il s'était retenu, comme si vider son estomac à côté de Minho serait une offense pour la mémoire de l'ange. Il avait été incapable de retirer l'arme, de toute manière il n'en aurait rien fait et il ne voulait plus la voir, plus jamais.

Seulement, il ne se voyait pas quitter l'ange sans avoir rien fait. C'était la dernière fois qu'il le verrait de toute sa vie, il fallait qu'il fasse les choses bien, qu'il lui fasse honneur. Il s'était donc mis à marcher, en quête de fleurs qui représenteraient parfaitement l'ange. Il n'en avait pas trouvé de particulière, mais il avait fait de nombreux allés et retours, les bras chargé de différentes espèces de fleurs. Elles représentaient toutes Minho dans la complexité de sa personnalité, à la fois soldat, ange tueur, créature vengeresse, cauchemars, protecteur, amant, charmeur, moqueur, courageux, quelques fois doux, paisible, magnifique et tiraillé par ses propres pensées. Jisung avait ensuite disposé les fleurs autour de son corps pour l'encadrer, pour créer une sorte de sépulture belle et naturelle. L'humain avait ensuite pleuré de nouveau face à sa dernière action, celle qui lui intimait de partir, de laisser Minho derrière lui pour prendre un autre chemin de vie. Puis, lorsqu'il lui avait tourné le dos, il avait senti que ses yeux vidaient toute l'eau de son corps pour la transformer en torrent de larmes. 

Et donc, quelques heures plus tard, il errait sans but dans la forêt. Bien que la réflexion suivante lui soit venue plusieurs fois en tête au cours de son voyage avec Minho, maintenant, il n'avait réellement plus rien. Son cœur, déjà bien amoché par la perte de ses deux meilleurs amis, venait de se voir complètement détruit. Il n'était même plus en milles morceaux car si cela avait été le cas, il aurait pu espérer un jours les recoller ensemble et se réparer lui-même. Là, son cœur n'existait plus, il avait disparu dans les méandres du néant, fuyant Jisung à jamais. L'adolescent se sentait vide, creux, comme une enveloppe ne renfermant aucune lettre. Il marchait parce que son corps le faisait machinalement, il respirait parce que c'était un reflexe, il gardait les yeux ouverts parce que ses larmes demandaient à sortir, mais au fond de lui, tout avait cessé de fonctionner. 

Après la perte de ses amis, il s'était senti descendre aux Enfers, il avait oublié le goût d'un rire, la sensation d'un sourire, le sentiment de tranquillité. Mais lorsqu'il avait rencontré Minho, il avait senti de l'espoir pour lui, pour son cœur meurtri. C'était peut-être cela le plus douloureux dans l'histoire, il s'était doucement senti renaître. Il n'avait pas oublié la mort de ses amis, loin de là, il survivait avec tous les jours, mais il avait commencé à l'accepter inconsciemment. Seulement l'espoir lui avait été arraché au moment où Minho avait rendu son dernier souffle, ses yeux plantés dans les siens. Jisung s'était senti rechuter vers le bas, mais cette fois il y était arrivé, il avait posé les pieds en Enfer et il savait qu'il ne s'en sortirait pas, que cette fois, c'était pour de bon. 

Plus aucun serment ne le liait à l'ange, il pouvait donc s'ôter la vie sans avoir peur de se le faire interdire. Mais il n'en avait pas la force, il n'avait plus la volonté pour rien du tout. Il savait que lorsque la nuit serait tombée, il devrait s'arrêter pour manger et se reposer. Il n'en ferait rien, il marcherait sans plus jamais manger et dormir, attendant que ses pieds en sang aient raison de lui, le fassent tomber et le force à ramper pour avancer. Puis, lorsque ses bras sans plus aucune force l'abandonneraient aussi, il arrêterait d'essayer. Il se retournerait pour admirer le ciel, l'ancien lieu de vie de Minho, et il attendrait que la mort le trouve. Il rejoindrait peut-être l'ange, peut-être ses amis, peut-être les deux ou peut-être aucun, mais il ne serait plus le seul de ses proches à errer sur terre sans but. 

       La nuit était donc tombée depuis presque une bonne heure, et Jisung restait fidèle à son plan. Il marchait sans s'arrêter, sans en ressentir le besoin puisque même ses pieds fatigués ne lui faisaient plus mal. Il ne ressentait même plus les douleurs physiques qu'il s'infligeait. 

Il venait de grimper une petite colline peuplée d'arbres quand l'idée lui vint qu'il pourrait peut-être se jeter du haut de cette colline. Il accéléra alors sa marche et arrivé en haut, il regarda ce qu'il y avait en bas pour voir si la chute le tuerait ou l'amocherait seulement. La colline n'était pas bien haute, elle était même vraiment petite et Jisung était déçu. D'autant plus que sa chute ne passerait pas inaperçue, puisque quelques mètres plus bas se trouvait un bâtiment en pierre, datant sûrement d'avant la Descente des anges, dont plusieurs personnes, des humains, entraient et sortaient. C'était la première fois que Jisung voyait autant de monde rassemblé au même endroit, il les voyait se parler, réparer des sortes de poteaux de bois, porter du linge et même s'entraîner à se battre. 

Jisung eu soudain un rire en comprenant où il se trouvait. L'endroit qu'il regardait, perché sur sa colline, était le fameux camps de résistance aux anges auquel il avait planifié de livrer Minho. L'ironie de la situation était fortement puissante, comme si le destin voulait lui faire passer un message. Si Minho avait été encore en vie, Jisung aurait rapidement du se décider si oui ou non il allait le livrer aux résistants ou si il décidait de continuer de l'aider à traquer cet ange déchu, pour lequel Jisung avait perdu tout intérêt il fallait se l'avouer. 

Les humains en contre-bas semblaient heureux d'avoir pu recréer un semblant de société. Jisung en entendait certains rire et il venait même de voir passer deux enfants en courant, s'amusant à se pourchasser. Jisung se rendit soudain compte qu'il ne pourrait plus jamais se sentir intégré quelque part, il avait perdu les seules choses qui l'avaient motivé dans les moments les plus durs. Et puis, ces gens heureux n'avaient pas besoin qu'un adolescent comme lui, morose et incapable de faire le deuil de ses amis et d'un ange, vienne gâcher leur quotidien. 

Alors qu'il allait reprendre sa marche, Jisung perçu une agitation dans le camps. En effet, tout le monde se rassemblait devant les portes et attendait en regardant au loin. Suivant leur regard, il vit qu'un groupe d'une dizaine de personne s'avançait vers eux, sûrement d'autres résistants qui rentraient de patrouille. Jisung aurait pu partir mais la curiosité l'emporta et il resta là, à regarder le petit groupe s'approcher du camps. Un amas de personne vint les encercler et pousser des cris de surprise et d'étonnement, puis, comme si quelque chose au milieu de cette petite marée humaine avait fait quelque chose de violent, les gens s'écartèrent, laissant tout le loisir à Jisung de voir ce qui avait attiré autant de monde. 

C'est avec son cœur se soulevant, que Jisung vit que l'attraction de ces gens était un ange enchaîné, se débattant dans tous les sens alors qu'il était encerclé de plusieurs liens qui semblaient être de lourdes chaînes. Les yeux de Jisung lui piquaient fortement et il ne savait pas ce qui retenait subitement ses larmes de couler, parce que Jisung avait reconnu l'ange prisonnier du camps de résistant.
Parce que Jisung avait eu envie d'hurler le prénom de Minho à l'instant où il l'avait vu. 

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