Prologue
Les dés étaient jetés.
Plus d'échappatoire, plus d'issue.
Son arrogance l'avait menée à sa perte.
Poussant un soupir vaincu, la Sidia leva la tête vers l'immense ouverture du plafond de sa vaste salle du trône. Comme toujours, la journée s'annonçait belle, ensoleillée, parfaite. À son image. Tout l'opposé de la tempête qui faisait rage en elle.
C'était la dernière fois qu'elle observait ce ciel aux tons rosés, la dernière fois qu'elle observait cette large salle de cérémonie.
Les colonnes en or massif pur se fondaient avec les plantes grimpantes et autres flores aux couleurs et textures exotiques. Le marbre blanc nacré des murs, du sol, scintillait de pierres précieuses telles des étoiles illuminant la voute céleste. Des fleurs mouvantes ondoyaient dans la pièce. Les roses se cachaient, les lys se fanaient, les œillets dépérissaient. Sur les pétales iridescents, des gouttes de rosée s'écoulaient tristement. La végétation s'agitait au fur et à mesure que l'inévitable se rapprochait.
Au pied de la Sidia, un petit chat noir aux prunelles vertes forêt bien trop grandes pour sa face l'observait. Une larme argentée ruissela le long de sa joue, humidifia son pelage. C'était la manifestation de sa douleur, de sa perte à venir alors qu'il comprenait qu'il s'agissait de leurs derniers instants.
La Sidia reporta son attention devant elle, vers les portes. Elle n'avait plus le temps, elle avait fait son choix. C'était elle qui avait allumé la mèche de ce feu insatiable, elle qui avait déclenché l'incendie. Apparemment, elle n'arriverait pas à s'en sortir indemne cette fois.
Ce désir...
L'on pense à tort que le désir naît de la volonté. Mais elle, elle savait. Ce sont des désirs que naît la volonté.
Ce n'est pas parce que l'on veut que l'on désire, c'est parce que l'on désire que l'on veut.
Pourquoi fallait-il toujours avoir besoin de plus ?
Pourtant, elle avait tout. Elle était tout. Rien ni personne ne parvenait à l'égaler.
Que ce soit à Zeruan ou dans n'importe quel monde inférieur qui vénérait les Sidias — les Dieux — nul ne pouvait la vaincre. Car nul ne pouvait aller à l'encontre de ses propres désirs. Et elle en était la maîtresse, la façonneuse, la représentation. L'ultime accomplissement.
Ses Désirs faisaient foi, ses Désirs faisaient loi.
Chaque être vivant était soumis à des besoins, des envies qui gouvernaient ses moindres faits et gestes. C'était inscrit dans les instincts les plus primaires, dans les mentalités les plus pures.
Chacun désirait. Chacun convoitait. Chacun voulait.
Les individus étaient ses marionnettes, son règne était absolu. Elle seule jouissait d'une vénération inconditionnelle.
Elle était l'Impératrice de Zeruan, cette Terre des Dieux, aussi appelée Paradis. Elle était la Déesse des Désirs, de la Volonté. La Sidia de la Beauté, des Besoins, des Obsessions.
Elle était la Sidia la plus influente, la plus importante, la plus puissante de tous les mondes.
Elle avait tout.
Mais comme toutes les personnes qui ont tout, il lui manquait quelque chose. Car elle avait beau les susciter, les combler parfois, elle aussi en ressentait.
Des désirs.
C'est un en particulier qui entama sa déchéance.
La Sidia avait été témoin de son existence, elle avait eu un aperçu de ses capacités, des années plus tôt, et c'était depuis qu'elle l'avait ressentie. Cette... incertitude.
Son pouvoir, ce qu'il parvenait à faire en manipulant l'Argia... Il pouvait la vaincre. Il pouvait véritablement et indéniablement la vaincre.
Parce qu'en sa présence, elle risquait de se perdre.
Si les désirs rendaient fou, pouvait-on désirer la folie ?
Pour la première fois de sa longue existence, elle remit en question sa toute-puissance.
Quelque chose capable de vaincre ses propres désirs... C'était possible. Elle en avait été témoin.
De là était né un besoin qu'elle s'était évertuée à assouvir. Prisonnière de ses propres démons, qui la nourrissaient au quotidien, ce besoin devint une obsession. Une obsession telle qu'elle franchit la ligne, enfreignit leur code le plus sacré.
La Sidia s'était emparée du Fil de le Destinée.
Artefact sacré, aussi immuable que le Temps lui-même, il contenait les secrets du passé, du présent, du futur. Les connaissances de milliers de mondes, les savoirs de milliers de vies. Avec lui, n'importe qui pouvait devenir omnipotent.
Avec lui, elle deviendrait réellement tout.
— Impératrice, tu dois mourir.
Les mots en Hitzord, le langage des Dieux, constitués d'Argia, la magie à son état le plus brut, le plus pur, résonnèrent dans le vaste vestibule alors que ses bourreaux approchaient.
L'Ordre des Dévoreurs, l'Autorité neutre au service du Temps, ne pouvait laisser passer un tel acte.
L'Impératrice avait été trahie. Les cinq Ordinaux n'auraient jamais pu être là aussi rapidement sans avoir été prévenus. Un autre dieu l'avait dénoncée. Elle savait qui. Et la prise de conscience fut plus déchirante encore que de savoir qu'elle courait à sa perte. Que le moment était venu.
À cause de lui, de ce traître, elle n'avait pas pu remonter le Fil. Elle n'avait pas trouvé sa réponse. Elle n'avait pas eu le temps.
— Par l'instance de Zeruan, vous êtes déchue de votre titre.
Jamais un Sidia d'une telle importance n'avait subi pareil avilissement.
— Talia De Moraz, pour acte de haute trahison, en altérant le caractère aléatoire de la Destinée, vous êtes allée à l'encontre du Temps et de l'Espace.
La sentence, la condamnation, s'abattit sur elle, irrévocable.
Inéluctable.
— Talia De Moraz, vous êtes condamnée à l'annihilation.
L'annihilation. C'était un sort pire que la mort. La Sidia ne pourrait pas se réincarner, elle ne pourrait pas renaître. Son droit divin serait anéanti, ce serait comme si elle n'avait jamais existé. Elle ne pourrait pas s'élever de nouveau, elle ne pourrait pas créer de monde.
Elle allait disparaître, purement et simplement.
Face à l'Ordre, ces créatures d'ombres et de cauchemars, la déesse resta de marbre, aussi impassible qu'une statue. Autour des gardiens, trois Sidias étaient venus se délecter de sa déchéance. Elle retint chacun de leur visage, repéra le traître. Elle ressentit un pincement au cœur qui se mua peu en peu en rage froide.
Son aura devint terrifiante.
Comment pouvaient-ils la sous-estimer à ce point ? Elle ? Après ces milliers d'années de règne ?
Croyaient-ils réellement qu'elle n'avait pas anticipé la possibilité d'être découverte ?
La Sidia n'avait certes pas atteint son but, mais elle avait entrevu une partie du Fil, un aperçu d'un futur probable. Elle avait vu son prochain face à face avec le traître. Ils se reverraient. Oh oui, ils se reverraient...
Pour parvenir à ce futur, à ce moment, elle savait ce qu'elle devait faire. Le choix était pris. Ce serait dur. Terriblement dur. Peut-être trop dur pour un être supérieur telle qu'elle. Mais son désir d'écraser ce traître, son désir de vivre était plus fort que son ego, que sa peur de l'inconnu.
Sentant son heure, quelques instants avant que les Ordinaux ne l'atteignent, avant leur face à face, elle avait entamé un ancien rituel interdit. Il était si ancien que nombre de Sidia avait oublié son existence même. Pas elle.
Le rituel des Ostajafi. Les hôtes.
La Sidia allait délier son âme de son corps. Ainsi, quand elle subirait l'annihilation, elle ne disparaîtrait pas entièrement. Car elle ne serait déjà plus là. Seule son enveloppe charnelle disparaîtrait.
Les Ordinaux l'avaient trouvée à l'instant où elle terminait l'incantation.
Les dés étaient jetés.
Plus d'échappatoire, plus d'issue
Leur sentence promulguée, la Sidia n'opposa aucune résistance. C'était inutile.
Sans sommation, elle fut arrêtée, dépouillée de son Argia, dépouillée de ses cinq sens.
Talia de Moraz resta immobile, enfermée dans un Cube de Confinement pendant trois jours et trois nuits. Bien que déchue, la Sidia trônait dans son Cube transparent à plus d'une douzaine de mètres de hauteur. Défiant la gravité qui n'existait plus au sein du confinement, elle ondulait avec le Cube, incapable de ressentir les mouvements de rotation que sa prison opérait.
Elle y resta exposée à deux rues de son propre palais, immense et ostentatoire, composée de cinq ailes différentes. La place centrale qui la brandissait tel un trophée était la plus grande place de la cité. L'agitation y régnait autant de jour que de nuit, les marchés, les représentations, les défilés s'y succédaient, continuellement. Mais pas ces jours-là. Cette vision seule suffisait.
Aucun des dieux de ce Paradis ne resta indifférent. Les partisans de l'Impératrice s'insurgèrent. Ses détracteurs se délectèrent de cet avilissement. Le chaos, l'insurrection s'empara de la cité d'argent. Des incendies, des tentatives de libération, d'assassinat, des émeutes... Il était impossible de toutes les dénombrer.
De simples Sidias spectateurs se régalèrent de cette vision. La déchéance d'une déesse parmi les déesses. La cupidité, l'arrogance menant à la perte. C'était un bon exemple. Beaucoup en retinrent des leçons.
Finalement, personne n'était intouchable.
Le quatrième jour, afin d'éviter d'autres débordements qui risquaient de mener tout Zeruan au chaos, l'exécution eut finalement lieu. L'Ordre des Dévoreurs n'attendit pas plus longtemps pour appliquer la sentence, sans avoir réussi à soutirer la moindre information à la déesse sur ce qu'elle avait pu apercevoir du Fil de la Destinée.
Toujours dans son Cube, comme si elle avait senti qu'il était temps, l'Impératrice déchue prit la parole.
Insensible, éteinte depuis sa destitution, assise sur le banc d'exécution, l'ancienne dirigeante ouvrit la bouche pour la première fois depuis trois jours et trois nuits. Sa voix rauque, douce et chantante, parla d'un ton monocorde pour adresser ses derniers mots.
— Lorsque l'envie vous consumera, lorsque le besoin vous tiraillera, rappelez-vous.
Elle marqua un silence, ses yeux intenses pourtant aveugles emplis de dévotion, de rage. C'était une promesse. Une sentence qu'elle promulguait à son tour.
— Craignez de désirer.
Des flammes noires, les Ombres Dévoreuses à formes de chimères, l'entourèrent et la dévorèrent. Ce fut bref. En un instant, un battement de cœur, Talia de Moraz disparut, consumée.
L'exécution, ce moment solennel, observée par des milliers de spectateurs, s'opéra dans le silence le plus absolu.
Les courants d'eau, qui se déplaçaient au même rythme que le vent dans les airs tout autour de Zeruan, interrompirent leur progression. Les pierres, les terres mouvantes mélangées aux sables iridescents en rotation lunaire dans les cieux se stoppèrent. Les animaux, et plus particulièrement les chats qui vénéraient la déesse, ainsi que les créatures mythiques tels que les phœnix, les licornes ou encore les renards à neuf queues sombrèrent dans l'immobilité la plus totale. Les mondes eux-mêmes cessèrent leur rotation. Le Temps lui-même se figea.
La plus grande Sidia du Paradis venait de disparaître.
Un changement majeur allait se produire. Une ère nouvelle, de chaos ou de renouveau, personne ne le savait encore, s'annonçait pour Zeruan. Chacun aurait un rôle à jouer.
La question était de savoir qui prendrait la place de la Sidia ?
Pourtant, contrairement à ce que l'annihilation laissait penser, ce n'était pas la fin de l'Impératrice. Contrairement à ce que sa déchéance et son absence auguraient, c'était le commencement de sa vengeance.
Car la Reine avait peut-être été mise en échec, mais la partie n'était pas terminée.
**--- Notes de l'auteur ---**
C'est parti !!!
Qu'avez-vous pensez de ce prologue ? Intéressant ?
Pour être tout à fait honnête, j'hésite à le garder dans la version finale. Je verrais selon les retours haha.
Rdv la semaine prochaine pour découvrir Alana ! 🤩
Merci !
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