Chapitre 8 - La Déesse des Désirs (1/2)

Entourée des plus puissants notables des environs, dans un élégant hall de cérémonie, la nourriture et les boissons en excès, je déambulais parmi les invités prestigieux et importants.

Je me fondais dans la masse, comme si j'y avais ma place, décochant des sourires charmeurs à tous les invités qui lorgnaient dans ma direction. Il fallait avouer que j'avais fourni un effort tout particulier. Une robe rouge satinée au dos nu, qui ferait assurément l'objet de plusieurs fantasmes.

Nous étions arrivés à Manten la veille et Edan avait immédiatement été invité — ou plutôt convoqué — à cette belle sauterie. C'était une parade, une vitrine pour garder les personnes influentes à l'œil et maintenir des relations sociales appréciables entre les différents pontes du royaume. Le représentant de la Fédération Populaire jouissait d'une réputation d'homme orgueilleux, rancunier. Il aurait été embêtant de décliner son invitation et de se le mettre à dos. Si bien qu'Edan n'avait eu d'autre choix que de s'y rendre.

C'était lors du dîner de la veille, alors qu'une bonne partie d'entre nous soupait tous ensemble, que Lucas s'était inquiété pour son ami.

— Je viendrais avec toi bien sûr, même je ne suis pas à l'aise dans ce genre d'environnement. Tu penses que nous serons des cibles ?

Pas à l'aise ? De qui se moquait-il ?

— C'est certain, ils feront tout pour nous discréditer, avait confirmé le maître des lieux. Nous leur avons tendu le bâton avec le fiasco du Tombeau d'Icaris.

— Une charmante soirée en perspective, avait commenté Elsa. Suis-je obligée de prendre part à cette mascarade ?

J'avais doucement ri à ses côtés.

— Tu devrais venir avec nous, Alana.

Comme s'il avait flairé du sang, le requin avait trouvé sa proie. Mon sourire s'était fané. 

— Edan ?

— Tu as le sens de la répartie. Et tu aimes ce genre d'environnement non ? Tu seras parfaite.

Est-ce qu'il souhaitait me déstabiliser ? Espérait-il un faux pas de ma part ? Je lui avais lancé un regard noir.

— Ah, cela me rassurerait si tu venais ! avait souri Lucas. Tu trouves toujours les bons mots et tu as un don pour te faire apprécier.

J'y étais allée définitivement trop fort avec lui.

— C'est vrai, ce serait beaucoup plus amusant ! s'était également enthousiasmée Elsa.

— Parfait, c'est réglé. Nous irons tous les quatre, avait conclu Edan.

— Je peux venir également ? avait demandé Alec.

Tout le monde l'avait ignoré.

Voilà donc comment je m'étais retrouvée parmi les grands de ce monde. Je me plaisais à penser qu'Edan avait su voir mon potentiel caché. D'autant que j'appréciais en effet beaucoup cet environnement luxueux. Au milieu de ces personnes importantes, puissantes, ma propre valeur n'en semblait qu'augmentée. J'aimais qu'on me regarde avec envie, qu'on me jalouse. Une satisfaction malsaine qui découlait sans aucun doute d'un complexe d'infériorité quand j'étais plus jeune. Passons.

J'attirais d'autant plus les regards que j'étais entrée au bras du Soleil Levant. Son costume trois pièces bleu océan faisait chavirer les cœurs et je n'avais pu masquer mon air crâneur à ces pimbêches qui le dévoraient du regard.

Oui, j'étais dans mon élément.

Elsa était encore plus sublime. Elle avait remonté sa longue chevelure en un chignon élaboré d'où quelques mèches s'échappaient artistiquement. Sa robe corail découvrait ses épaules nues et s'étirait en une longue traîne derrière elle. Son regard hautain et arrogant offrait une forte concurrence à tout ceux qui nous entouraient.

L'aventurière était arrivée quelques minutes avant nous, au bras d'Edan, qui était tout aussi divin.

Je n'arrivais pas à regarder le bel homme dans les yeux. Mon cœur s'accélérait sans qu'il n'ait même besoin de sourire. C'était de pire en pire. L'effet costard était fatal.

L'homme d'affaires avait opté pour un costume noir classique. Pourtant, il semblait fait sur mesure pour lui. Ce qui était sans doute le cas. Il n'aurait pas pu mieux lui aller que si on l'avait tissé à même son corps nu.

J'essayais donc d'éviter de croiser son chemin, mais c'était difficile quand l'homme à mes côtés ne cessait de lui courir après.

Tandis que nous arrivions à leur niveau, Lucas les salua et ils entreprirent de discuter.

Le regard d'Edan se posa sur moi. Pas sur son ami, mais sur moi. Il me détailla de la tête au pied. Ses yeux s'attardèrent sur mon visage, sur mes lèvres colorées de rouge sang. Il descendit sur ma taille et mes hanches moulées du tissu carmin. Je ne me trouvai soudain pas suffisamment provocante. J'aurais aimé avoir mis ma poitrine plus en valeur et le regrettai. Ce qu'il voyait semblait cependant lui plaire et une lueur étrange s'alluma dans ses prunelles émeraudes. Mon cœur s'emballa une nouvelle fois.

Au secours.

La Fuite, ma vieille amie, répondit à mon appel, et j'embarquai une coupe de champagne durant le processus. Rien de mieux que l'alcool pour se perdre.

Elsa me suivit, désireuse de fuir la bonne humeur du Soleil Levant.

Dés que la jeune femme fût repérée, nous fûmes rapidement interpellées.

Je compris la stratégie de la rouquine de m'accompagner quand, par habitude de jouer mon rôle d'aguicheuse, toutes les conversations se détournaient d'elle pour se centrer sur moi.

Nous entamâmes quelques discussions enrichissantes. Je pus faire la connaissance d'un marchand maritime aux propos passionnants. Malheureusement, comme l'avaient anticipé les aventuriers, les premières attaques ne tardèrent pas.

Absorbée dans la conversation, entourée d'une demi-douzaine d'autres convives, un nouvel arrivant fit une entrée fracassante.

— Elsa Heljin, si ce n'est pas le Crépuscule Pourpre que voici, l'interpella l'intrus. La plus puissante Maison de Saolem, incapable de protéger une insignifiante cité de province.

Je connaissais son nom. Il possédait des exploitations minières au Nord Est. Ces mots ne me le rendirent aucunement sympathique.

La Maîtresse des Epines lui jeta négligeamment un regard. Quand les conversations s'interrompirent, elle n'eut d'autres choix que de lui prêter attention.

— J'en suis mal à l'aise pour vous, ricana-t-il, entraînant à sa suite les deux moutons qui l'avaient suivi. Il faut du cran ou de la bêtise pour oser vous montrer en public après un tel échec.

Le faraud continua sa plaidoirie face au silence inintéressé que lui renvoyait la belle rousse.

— Mais j'ai oüie dire que vous aviez obtenue une partie de votre butin. J'imagine que c'est le principal.

À travers la tension qui s'élevait, outre le malaise de certains qui s'offusquaient d'une attaque si frontale, je sentais également une certaine attente. Les nobles voulaient des comptes. Ils voulaient savoir si le Crépuscule Pourpre avait enfin sourcillié, s'ils avaient une chance de les faire tomber de leur pied d'estale.

— Il paraîtrait que même le Soleil Levant a été blessé.

Comment était-il au courant ?

— Si votre étoile la plus lumineuse commence à s'éteindre, il est peut-être temps de passer le flambeau.

— Excusez-moi, qui êtes-vous ?

Pas touche à Lucas.

Mon intervention inattendue le surpris suffisamment pour le destabiliser un instant. Son attitude pédante et méprisante méritait qu'on lui rappelle qu'il n'était personne.

— Je...

Je l'interrompis.

— En fait, peu importe.

Abasourdi, son visage prit peu à peu une intense coloration tomate.

— Je préférais vous interrompre car vous commenciez à vous ridiculiser, continuai-je sans lui laisser le temps d'intervenir. J'en étais mal à l'aise pour vous.

L'apoplexie n'était pas loin. La reprise de sa tirade d'entrée de jeu lui donnait le ton.

— Je ne vous permets pas de...

— Je suis moi-même une habitante de cette cité insignifiante que vous mentionniez, figurez-vous.

Plusieurs visages surpris, intéressés, me dévisagèrent. Même le faraud eut un temps d'arrêt. Il ne l'avait pas vu venir celle-là.

Oui, une témoin du drame était présente.

— Je dois ma vie à la première Maison de Saolem, à son étoile qui, je peux vous l'assurer, n'a aucunement perdu de son éclat, et à tous ses courageux aventuriers qui ont protégé ma famille et mes amis quand la vague de monstre nous a submergés.

Grosse pensée pour Alec et Ombre, mes braves soldats.

— Et je suis loin d'être la seule, ajoutai-je. Personne à Barssa n'en veut au Crépuscule Pourpre. Nous leur sommes reconnaissants, au contraire. Que ce serait-il passé si le Tombeau avait cédé sans leur présence ? Car c'était inévitable. Sans eux, nous aurions été anéantis.

Vérité quelque peu arrangée certes. Mentionner un fait avec beaucoup de conviction le rendait tout de suite plus réaliste, il paraissait.

— Seul le Crépuscule Pourpre est venu sur nos terres reculées et insignifiantes.

À présent, des mines sévères faisaient face au faraud. Comment osait-il critiquer les sauveurs de toute une ville ?

Des regards compatissants, approbateurs, accompagnaient mon allocution.

— Je ne vous permets donc pas cette attitude grotesque visant à dévaloriser l'acte de bravoure et d'héroïsme dont le Crépuscule Pourpre a fait preuve.

Elsa s'étouffa à mes côtés, son rire coincé dans sa gorge.

D'abord hésitant à intervenir durant mon témoignage, ce qui aurait pu desservir mon opposant, l'insulte fit mouche et déclencha une riposte.

— Grotesque ? Comment osez-vous...

— D'autant plus, coupai-je en haussant la voix et en enchaînant d'une traite. Quand on sait qu'après cette tragédie, Barrsa aura besoin de rebâtir de nombreux édifices. J'imagine que pour vous c'est le plus important.

Sa société de construction profiterait certainement des contrats qui en découleraient.

— C'est faux ! riposta-t-il. CarSax se spécialise dans les temples.

Ah. Bon je n'avais pas cette information en tête. Il était temps de battre en retraite.

— Allons-nous en Elsa, dis-je en attrapant le bras de la rouquine. Je me sens nauséeuse tout à coup. Nous en avons fini.

Rendue malade par tant de prétention déplacée.

Nous plantâmes le groupe, nos mines dégoutées se retrouvant sur la moitié des auditeurs.

Victoire.

— Cabotin, murmurai-je en passant prêt de mon adversaire.

Voilà comment se terminait une scène entre un comédien doué et un artiste médiocre.

— Espèce de...

Après avoir jeté un oeil à Elsa, il se retint. L'héroïne savait quand en imposer et là, à cet instant, l'aura d'intimidation qu'elle dégageait aurait fait pâlir même les dieux.

Quelques pas plus loin, quand nous fûmes hors de portée, je levai les yeux au ciel.

— Quel imbécile...

Elsa ricana.

— Je savais que ce serait plus amusant avec toi, dit-elle en m'adressant un clin d'oeil.

Je souris crânement. Oui, ce fut un bon moment.

Après quelques combats supplémentaires pour défendre notre couleur pourpre chacun de notre côté, nous retrouvâmes nos compagnons afin de faire une pause. Par ailleurs, notre entrevue avec le représentant de la Fédération Populaire n'allait plus tarder. La fatigue commençait à se faire ressentir mais c'était une bonne fatigue. En réalité, j'avais pris plaisir à débattre avec plusieurs érudits. Bien sûr, je me serais bien passé des critiques et agressions auditives par bombardement d'âneries que j'avais reçues mais cela faisait partie intégrante de ce genre de soirée. La nature humaine était ainsi faite : tout événement dramatique faisait jaser.

Lucas nous narrait les échanges qu'ils avaient eu de leur côté. Elsa ne faisait même pas mine de l'écouter. Je portai la coupe de champagne à mes lèvres tout en hochant la tête pour l'encourager à continuer son récit.

« Comment t'es-tu retrouvée dans une soirée mondaine ? »

Je repoussai mon verre.

Talia ? Maintenant ?

Je commençai à espérer qu'elle ne revienne jamais. Cela aurait été trop beau.

Heureusement, je n'avais pas encore bu si bien que j'éloignai mon verre juste à temps.

Allais-je devoir supporter ses commentaires toute la soirée ? Une migraine pas seulement dû à l'alcool m'attendait sûrement.

« C'est quoi ça ? »

Je fronçai les sourcils. Encore étonnée par sa soudaine réapparition, je fus d'autant plus surprise par la tension dans sa voix.

« Eloigne-toi tout de suite ! Je sens des auras démentielles dans la pièce, c'est écrasant ! »

Mon estomac se noua. Ma gorge se noua. Pardon ? C'était quoi cet élan de panique ? Trop brutal. Que se passait-il ?

Cela faisait des jours que je n'avais entendu que mes propres pensées, que tout se passait tranquillement, et voilà que la déesse ressurgissait pour mettre la pagaille ?

L'urgence de son ton m'effraya suffisamment pour me déstabiliser.

« Sors de là ! »

Paniquée, je relevai la tête vers mes compagnons.

Des Kondairas ? Ici ? C'était quoi des « auras démentielles » ? Que voulait-elle dire ?

Je devais m'isoler. Bouger.

Mes yeux tombèrent sur Edan. Il était tendu, immobile, sa bouche était grande ouverte, ses yeux écarquillés. Il semblait choqué. Sa main s'était figée dans les airs alors qu'il avait entamé un mouvement pour se saisir d'un verre.

Lucas fronça les sourcils, soucieux de mon air effrayé. J'essayai de remettre un masque souriant sur mon visage.

— Alana ? Ça va ? s'enquit le héros.

Il fallait que je m'éloigne. Talia continuait d'hurler dans ma tête.

« Il y en a quatre... Trois ! Comment est-ce possible ? C'est censé être une magie oubliée ! Non... C'est différent... Ils vont me sentir. Je ne peux pas m'effacer entièrement. »

Bon sang, elle me faisait flipper. De quoi parlait-elle ? On allait encore se lancer à ma poursuite ?

Je regardai autour de moi.

— Oui, oui... Hum... Excusez-moi un moment. Je dois... Je vais aux toilettes.

— Je viens avec toi, proposa Elsa.

— Non !

Voyant que j'avais hurlé, ils se tendirent. Je me calmai et repris :

— Je vais bien, merci. Ça va aller, pardon. Je reviens dans un instant.

J'avais conscience que mes baragouinages n'arrangeaient rien, mais là tout de suite, c'était le cadet de mes soucis. Je collai mon verre dans les bras de Lucas et m'enfuis presque en courant.

— Alana, tenta le héros solaire. Attends...

J'étais déjà hors de sa portée.

« Où sommes-nous ? Pourquoi es-tu là ? Tu étais censée t'entourer des membres du Crépuscule Pourpre ! Qu'as-tu fabriqué, humaine empotée ? »

— De quoi tu parles ? chuchotai-je. C'est ce que j'ai fait ! Tu me fais peur !

« Des Sidias sont ici. Plusieurs. Où es-tu ? »

Des Sidias ? Seigneur... J'étais à deux doigts de m'évanouir. Des dieux ? Ici ? Parmi les hommes ? C'était impossible. Elle devait se tromper non ?

Une pensée encore plus terrifiante s'insinua dans mon esprit.

— Attends, tu parles de ceux qui voulaient te tuer ?

Je bousculai plusieurs personnes, m'excusant au passage. Devant mon air perdu, certains s'inquiétèrent. Un homme me tint bien trop longuement et fermement dans ses bras pour être innocent. Je lui marchai sur le pied et continuai ma route tandis qu'il jurait.

Soudain, il me sembla discerner de l'agitation dans la salle. Ma respiration s'emballa.

« Non. Mais pas des amis non plus. Ils nous ont repérés, c'est trop tard. Bon sang, sors sur ta gauche, vite. Mon égo ne survivra pas s'ils apprennent que je suis avec toi. Ils sont derrière, accélère ! »

Et maltraiter mon égo à moi ce n'était pas grave ?

J'étais terrifiée comme jamais. Je ne comprenais rien à ce qu'il se passait. J'écoutais les directives que Talia me donnait pour aller dans la direction qui me permettrait de m'en sortir. Je venais de retrouver la déesse et déjà de nouveaux dangers me tombaient dessus. Je ne voulais pas tomber sur des Sidias, des dieux, des monstres ou peu importe. Je voulais simplement profiter d'une soirée parmi les riches personnes que je rêvais de rejoindre. J'avais suivi ses consignes, j'avais rejoint le Crépuscule Pourpre. C'était censé me garder en sécurité. Comment en étais-je arrivé là ? Les larmes me montèrent aux yeux.

— Qu'est-ce que je fais maintenant ? Que te veulent-ils ? Pourquoi ils me suivent ?

« La curiosité. Je suis la Sidia de la Beauté. La déesse des Désirs. Ils le ressentent. Ils me veulent. Ils savent que je suis là. »

— Quoi ? Attends, tu veux dire qu'ils te désirent ?

C'était une plaisanterie, n'est-ce pas ? J'aimais plaire mais là...

Je me stoppai un instant, tandis que j'atteignais enfin un couloir isolé, avant de reprendre ma fuite.

— Ils me prennent pour une chatte en chaleur ?

« L'image est dégradante mais juste. »

— Je veux disparaître... Comment j'éteins ça ? Réutilise un mot de pouvoir ! Va-t-en !

Fiche le camp, maudite déesse.

« Si je fais ça, tu mourras. J'ai dépensé déjà trop d'énergie la dernière fois, c'est trop tôt. »

— Bon sang ! Tu m'as dit que si je les rejoignais, ils me protégeraient. Je devais être en sécurité ! J'étais dans leur Maison, avec le Crépuscule Pourpre ! Pourquoi ce n'est pas suffisant ?

« Il fallait que tu restes avec eux, pas que tu t'aventures dans de grandes soirées remplis d'inconnus. »

C'était ma faute maintenant ? Et pourquoi avait-il fallu qu'elle réapparaisse maintenant ?

— J'ai fait ce que tu m'as dit...

Soudain, on me saisit violemment le bras.

Je n'avais pas été assez rapide On m'avait rattrapée.

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