Chapitre 6 - Mes trois premiers soldats
Cette soirée fut... exténuante.
L'endurance de Lucas était illimitée. J'avais des mois et des mois d'entraînement, ayant perfectionné et entraîné mon corps en digne gérante que j'étais. Pourtant, face au héros, j'avais rendu les armes en premier. Cette défaite cuisante ternirait ma réputation à jamais. Les Dieux en soient remerciés, j'avais été la seule au courant de ce duel mortel. Si bien que ma défaite, mon humiliation, n'étaient sues que de moi seule.
Lucas avait dansé, chanté, entraînant toute l'auberge dans une ambiance chaleureuse et déconcertante au possible. Tout le Crépuscule Pourpre s'était joint à lui. Même Léna, l'Ombre assassine, et celui que j'avais appris être Marvel Parque, l'Archer des Ténèbres. Sa beauté n'avait d'égal que son côté taciturne. Il n'avait pas souri une seule fois, se murant dans un mutisme qui forçait l'admiration. Ses yeux bleus aussi glaçant que les océans polaires analysaient tout. Il n'avait pas bu un seul verre, comme s'il s'attendait à ce que la soirée dégénère à un moment ou un autre. Pourtant, son déhanché n'avait laissé personne indifférent.
À mon grand étonnement, Edan était également resté jusqu'au bout. Je l'avais aperçu plusieurs fois rire, plaisanter et échanger avec ses amis. Il avait l'air humain, heureux. J'en étais presque déçu. Moi qui l'imaginais principalement seul dans son bureau à compter ses lingots, un sourire machiavélique et rêveur aux lèvres. Une activité bien plus passionnante. Qui aurait cru qu'il était une personne sociable ?
Alec avait été un peu trop envahissant. L'alcool lui donnant des ailes, il avait tenté à plusieurs reprises de m'arracher un baiser. L'intervention de Elsa était la seule chose qui m'avait empêchée de faire quelque chose que j'aurais pu regretter. Comme l'assommer en le matraquant à l'aide d'une bouteille. J'avais réussi à rester bienveillante, sans jamais briser ses espoirs. Je les avais quelque peu encouragés certes, mais c'était important d'avoir un larbin dévoué. Je lui réservais ce rôle. Et il n'était pas de si mauvaise compagnie. Il lui arrivait d'être amusant, de temps en temps. Il était juste un peu trop collant.
La timide Iris était amoureuse depuis des années du propriétaire du Crépuscule Pourpre. Rien de très étonnant. En tant que serveuse, j'étais souvent au fait de ce genre de choses. J'avais servi Elsa, Ombre et Iris tandis qu'elles avaient justement une passionnante discussion à ce sujet. Je m'étais même jointe à elles, la gratifiant de mes précieux conseils.
— Tu devrais l'ignorer, les hommes aiment qu'on leur résiste.
Je l'avais énoncé de manière assurée, mais comment le saurais-je ? Je me fichais totalement de ce que ressentait les autres. Mes propres émotions étaient déjà bien assez à gérer. D'ailleurs, j'étais toujours célibataire. Peut-être existait-il une relation de causalité.
Et après tout, qui appréciait être ignoré ? En conclusion, pas mon meilleur conseil.
J'avais décidé de m'accaparer la brunette. Cette jeune femme brillante et attendrissante deviendrait ma nouvelle meilleure alliée. Hors de question de la laisser sous l'emprise de l'argent de Sac à Sous. Bien qu'il fût évident que ce n'était pas ce qui l'attirait chez lui.
J'avais donc passé la plus grande partie de ma soirée avec elle. Et bien sûr avec Lucas, qui, je devais être honnête, était d'une agréable compagnie. Sa bienveillance et sa bonne humeur étaient bel et bien contagieuses, j'en avais été témoin. Je n'étais donc pas la seule atteinte et son caractère solaire était ce qui attirait les personnes autour de lui comme des abeilles autour du miel. Il était le Soleil et nous n'étions que des planètes prises dans son champ de gravité. Volontairement.
Pour ma part, c'était plus une question de nécessité que de volonté mais je devais reconnaître que je commençais à l'apprécier.
Finalement, les armes avaient été rendues dans cet ordre : Iris, en premier. Quand les larmes avaient commencé à couler pour aucune raison valable, je l'avais raccompagnée à l'étage dans ma chambre afin qu'elle profite d'un sommeil dont elle avait grandement besoin. Alec et Ombre en deuxième position à égalité. Le balafré s'était carrément écroulé, un K.O. propre et efficace. Ombre s'était éloignée vomir tripes et boyaux et à ce moment, je n'avais rien voulu de plus qu'elle ne remette son masque. Je les avais couchés à même le sol dans mon salon. Marvel avait fini par s'impatienter. Bien qu'il ait supporté la déchéance humaine aussi longtemps qu'il l'avait pu, sa patience avait finalement atteint ses limites. Il était rentré, abandonnant le reste de ses troupes. J'avais noté qu'il avait tenté de raccompagner son patron, se détachant de toute évidence difficilement de lui. Ce dernier avait refusé et était resté aux côtés du Soleil Levant.
Elsa, Edan et Lucas étaient les grands gagnants. Il était évident qu'Elsa avait également eu sa dose et qu'elle ne rêvait que d'une chose : un bon lit. Mais je sentais que Lucas aurait pu tenir encore indéfiniment. C'était agaçant. Edan, lui, semblait juste vouloir surveiller son ami, ou s'amuser à ses dépens. Tout au long de la soirée, il lui avait lancé des défis tous plus débiles les uns que les autres tels que « Bois un verre en gardant la tête en bas » ou « Joue les boules à facettes ». Le héros les releva tous haut la main. Connaissait-il seulement le sens du mot « défaite » ?
J'avais mis tout le monde dehors, assurant aux derniers membres du Crépuscule Pourpre que je m'occuperais des indésirables qui avaient investi ma demeure jusqu'au lendemain. En vérité, il s'agissait d'otages. Avec cette garantie, j'étais certaine qu'ils ne partiraient pas sans moi.
Et le lendemain matin — c'est-à-dire aux alentours du milieu de l'après-midi puisque nous nous étions couchés à l'aube — je m'étais réveillée aux cris d'Iris.
— Seigneur ! Alana ! Je...
J'étais en sous-vêtements, allongée dans mon lit à ses côtés. Ma tête me faisait atrocement mal et je n'avais aucunement besoin de cris suraigües dès le réveil. Ou même dans la journée d'ailleurs.
Je m'étirai en recouvrant mon corps.
— Qu'est-ce qui t'arrives ? marmonnai-je. Rendors-toi, il est encore tôt.
Elle regarda, effrayée, son propre corps, également en sous-vêtements. Elle rougit.
— Nous n'avons pas... Pourquoi... Mes vêtements ?
— Hein ?
— Pourquoi suis-je... nue... dans le même lit que toi ?
Je compris où elle voulait en venir. Beaucoup de personnes aurait vendu un rein pour être à sa place, son air effaré était vexant. Je soupirai exagérément. Au secours.
— Tu étais assez mal en point, couverte d'alcool. Je t'ai ôté tes vêtements et t'ai couchée pour que tu t'endormes. C'est tout.
— Mais alors... Pourquoi es-tu également nue ?
— Je suis en sous-vêtement, pas nue. Mes vêtements me dérangeaient. Et qui dort habiller ?
Elle soupira de soulagement. Comme si c'était une réponse satisfaisante. Ce n'était même pas une justification. Mais je n'avais définitivement pas l'énergie pour plus réfléchir à ça. Encore un peu et elle m'aurait demandé ce que je faisais dans mon lit.
Vive les lendemains de soirées.
— Quelle heure est-il ? demanda la pipelette. Et les autres ? Je ne me souviens pas bien...
Malédiction. Ma grandeur d'âme me perdra un jour. Recueillez une personne mal en point chez vous et voilà comment elle vous remerciait : elle vous braillait dans les oreilles.
Je me redressai, me passai la main plusieurs fois sur le visage pour me réveiller. Apparemment, elle ne me laisserait pas dormir davantage.
— Ils sont partis. Je t'ai gardé en otage, j'attends la rançon.
C'était une bonne idée, je devrais demander à Edan combien il donnerait pour récupérer ses larbins.
Devant ses yeux ronds comme des soucoupes, je me fis la réflexion que mes filtres laissaient à désirer les matins de gueules de bois. J'ajoutai :
— Je plaisante. Alec et Ombre n'étaient pas en état non plus de pouvoir se déplacer. Ils sont dans le salon. Les autres sont rentrés. On pourra les rejoindre une fois réveillés.
Hors de question qu'ils n'empiètent plus que nécessaire dans mon espace vital. J'allais rejoindre la villa luxueuse qui m'était dû et patienter jusqu'au jour du départ confortablement. Maintenant que j'avais obtenu l'accord d'Edan, avec Lucas pour témoin, aucune chance qu'il ne revienne sur sa parole.
Mon aventure n'allait pas tarder à commencer.
— Quant à ce qu'il s'est passé, tu t'es mise à pleurer car Edan ne t'accordait aucune attention malgré tout tes efforts. Nous avons décrété avec Elsa que c'était le moment de battre en retraite pour éviter plus amples humiliations.
Elle couvrit sa bouche de ses mains, horrifiée.
— Ne t'inquiète pas, ajoutai-je, réconfortante. Il ne t'a prêté aucune attention jusqu'au bout, il n'a pas dû te voir pleurer.
Elle enfouit son visage dans ses mains, les larmes aux yeux.
Je me levai et m'enfermai dans la salle de bain.
J'avais besoin d'un saut d'eau glacé pour me remettre les idées en place et me rappeler que je devais être aimable avec le Crépuscule Pourpre.
**
Quand je fus fin prête, j'entrai dans mon salon. J'avais laissé des vêtements aguicheurs à Iris, lui assurant que cela ferait de l'effet à Edan. J'avais hâte de voir sa tête.
Alec et Ombre étaient déjà réveillés, ils s'étaient même cuisinés de quoi grignoter avec le peu d'aliments à leur disposition. Remarquable.
— Salut, beauté, me salua Alec.
Il était torse nu, ses cheveux en bataille, comme s'il se réveillait d'une nuit torride. Son regard s'attarda sur moi.
Nul doute qu'il aurait apprécié se réveiller à mes côtés, lui.
Je l'ignorai, focalisée sur mon objectif.
— Oh ! Mes dieux ! Vous avez fait à manger ?
Alec ricana.
— Sers-toi. Léna est un vrai cordon bleu. Elle manie les couteaux comme une cheffe.
Je faillis m'étouffer avec ma propre salive. Un rire nerveux m'échappa. Sans blague.
Je m'avançai jusqu'à ma table carrée et m'assis à côté d'Alec. Je n'avais aucune envie de m'asseoir en face et sentir ses pieds me caresser les jambes... Évitons les tentations inutiles de bon matin.
J'engloutis rapidement les œufs et le lard que Léna avait préparés. Je comptais le faire en silence, mais hélas, même chez moi, je ne pouvais être en paix.
— C'était super hier soir, commenta Alec, tourné vers moi. Tu sais vraiment mettre l'ambiance.
Je n'avais rien fait du tout, Lucas avait été le vrai héros de la soirée.
— Super, ouais, répondis-je.
— En tout cas, Barssa restera une ville qu'on n'oubliera pas de sitôt. J'espère qu'on repassera.
— Ce serait sympa, commenta Ombre.
Super, ouais.
Devant mon silence, Alec continua :
— J'espère qu'on te reverra également.
Je m'interrompis.
Un lent sourire pétri de fierté, d'arrogance, fendit mon visage. Les mots que je déclarais ensuite m'apportèrent un savoureux goût de victoire et je m'en délectai tout autant que mon petit déjeuner.
— En fait, je viens avec vous.
— Vraiment ? s'exclamèrent trois voix.
Iris venait d'entrer dans la cuisine, vêtue de ma robe moulante rose bonbon. Elle lui allait plutôt bien mais cela sautait aux yeux qu'elle était mal à l'aise dedans.
Le visage de la pipelette exprimait une joie que je n'étais pas sûre de saisir. Alec était ouvertement heureux de la nouvelle, il devait déjà s'imaginer ses futures opportunités pour me mettre dans son lit. Même Ombre semblait ravie.
Cela me fit chaud au cœur. Mes braves petits soldats. Mes tout premiers. J'étais émue. Je leur souris sincèrement.
— Oui, je dois me rendre à un Tombeau pour des raisons personnelles, et Edan a accepté que vous me serviez d'escorte.
— Vraiment ? s'étonna Iris, cette fois dubitative.
— Contre paiement, bien sûr.
Elle hocha la tête, rassurée.
— C'est génial ! On pourra plus apprendre à se connaître, se réjouit Alec.
Oui, génial. Apprendre à connaître tout le monde sauf toi.
— Je compte sur vous, répondis-je.
Et bizarrement, à cet instant, sans que je ne comprenne vraiment pourquoi, j'avais hâte.
**--- Notes de l'auteur ---**
Prochain chapitre : « Le Crépuscule Pourpre ». 😎
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