Chapitre 4 - Mon dieu : le capitalisme
Je n'avais jamais été aussi rapide pour me préparer.
J'avais pris un bain, pour enlever le sang qui me recouvrait. Le savon que j'avais trouvé sentait la vanille, le shampooing sentait la pêche, des odeurs qui me plaisaient. J'avais dû m'y reprendre plusieurs fois pour tout enlever, le premier décrassage ayant teinté la baignoire d'une eau pourpre.
Après m'être essuyée, essorant mes longs cheveux bruns qui bouclaient avec l'humidité, je m'habillai avec les vêtements que je trouvais : une longue robe turquoise cintrée aux fines bretelles. La taille était plus qu'approximative et ma poitrine était légèrement compressée. Nul doute qu'elle attirerait les regards. Tant mieux. J'espérais qu'Edan aimait les fortes poitrines. Mais après tout quelle personne n'y était pas sensible ?
J'allais sortir, délaissant mes cheveux emmêlés — je ne voulais pas qu'ils pensent que je m'apprêtais pour eux, même si c'était le cas — quand j'entendis du bruit dans la pièce voisine. Une discussion.
Ils étaient là.
Mon cœur s'emballa. Je tournai sur moi-même, incapable de décider quoi faire. Ok, ok, on respire. Je me regardai dans le miroir.
Aller Alana, c'était le moment de faire fureur.
Je devais absolument faire bonne impression sur le propriétaire du Crépuscule Pourpre. J'avais déjà réussi avec son héros — me semblait-il —, le riche homme était la dernière étape. La plus importante.
Mon regard tomba sur la brosse à cheveux.
Bon, autant mettre toutes les chances de mon côté.
Retardant l'inévitable, espérant trouver du courage dans les minutes qui suivirent, je démêlai mes mèches humides.
Me concentrant, je tentai de discerner leur conversation.
— Qu'est-ce qu'elle fabrique ? Elle a fait un malaise ?
J'eus un frisson à cette voix grave inconnue. Je l'imaginai murmurant des mots doux...
Comme le décompte se son compte en banque par exemple.
— Elle aurait pu défaillir une fois chez elle, combien de temps compte-t-elle profiter de notre hospitalité ?
Je faillis m'étouffer. Il m'imaginait déjà hors de sa propriété. Cela n'allait pas du tout. Je reposai la brosse. Je ne pouvais pas les faire attendre plus longtemps. Je devais intégrer le Crépuscule Pourpre. Je réfléchis à mon entrée. Mes talents d'actrice devaient être à leur apogée. J'attrapai la serviette de bain.
— Elle était couverte de sang, répondit Lucas. Tu aurais pu prendre la peine de la faire laver avant de...
J'ouvris la porte.
Essorant mes cheveux, je sortis de la salle d'eau et me stoppai net quand mes yeux se posèrent sur eux.
— Oh ! m'exclamai-je. Pardon, je...
Je m'interrompis.
Mon souffle se coupa.
Il était là.
Là où des millions de concitoyens admiraient les exploits de sacrifice, de don de soi, de bonté d'âme ou d'autres bêtises de ce genre dont les héros étaient friands, moi, ce que j'admirais, c'était cet homme.
Edan Roselli.
L'une des trois plus grandes fortunes de Saolem. Aussi riche que la famille royale elle-même. Il possédait littéralement le Crépuscule Pourpre. Il possédait d'ailleurs bien trop de choses pour pouvoir toutes les énumérer. Tellement que j'en avais le tournis. Il ne se battait pas, il ne se sacrifiait pas, non, il s'enrichissait. Encore et encore. Ses affaires fructueuses en faisaient un des hommes d'affaires les plus respectés de tout le continent. C'était mon modèle. Je voulais devenir comme lui. Je voulais avoir ce qu'il avait. Nous vénérions le même dieu : le capitalisme. L'argent. Le gain. C'était une autre forme de pouvoir. C'était celle que je visais. Celle dont je rêvais. Il était mon âme sœur, j'en avais la certitude profonde. Une âme aux mêmes désirs que la mienne. Aux mêmes aspirations. Et il était là devant moi...
Est-ce qu'il accepterait de me signer un autographe ?
J'étais à deux doigts de m'éventer. Pourquoi faisait-il si chaud dans cette pièce ?
Non seulement il était d'une richesse scandaleuse, mais son physique n'en était pas moins insolent.
Edan Roselli était un peu plus petit que Lucas, un peu moins massif. Il ne se battait pas, il prenait seulement soin de lui. Il était bien proportionné et le costume trois pièces bleu foncé qu'il portait lui allait à la perfection. Sa tignasse brune était parfaitement brossée, rabattue sur un côté. Ses prunelles intimidantes, fixées sur moi, m'évoquaient des pierres précieuses, des émeraudes qu'on aurait envie de polir, de contempler indéfiniment pour se rappeler qu'on les possédait. Tout était luxueux, luxure.
Il avait les mains dans les poches, debout au milieu de la pièce comme s'il la possédait. Et c'était le cas. C'était un tableau exquis. Délicieux. Je mourrais d'envie de tâcher, de secouer cet œuvre idyllique. Comme lorsque l'on voit une flaque d'eau et qu'on ne peut s'empêcher d'y marcher dedans, afin d'en briser la surface immaculée et immobile. Je voulais voler ses yeux, ses lèvres. Son cœur, son corps, ses boutons de manchettes. Tout. Il avait tout, et je voulais ce qu'il avait.
Un sourire rêveur se dessina progressivement sur mes lèvres. M'en rendant compte, je les pinçai aussitôt et me les humidifiai, la gorge soudainement sèche. Je déglutis.
Faire bonne impression, Alana, faire bonne impression.
J'avais surtout l'impression d'être à un entretien d'embauche.
— Alana Habert, s'exclama-t-il de sa voix voluptueuse. J'ai beaucoup entendu parler de vous.
Je collectionnais les journaux qui parlaient de vos transactions et vos capitaux. J'ai plus entendu parler de vous que vous de moi.
— Edan Roselli je présume ? C'est un honneur, répondis-je.
Un rêve, un miracle, une concrétisation.
Il se tourna entièrement vers moi et pencha la tête sur le côté, m'observant.
J'étais incapable de détacher mon regard de sa personne. Était-ce ce qu'on appelait le charisme ?
Je battis plusieurs fois des yeux, présentant mon air le plus innocent et bienveillant. Mon air d'héroïne fière. L'image que je m'en faisais tout du moins.
Lucas, habillé cette fois et debout aux côtés de son maître — de son ami — intervint, arborant son sempiternel sourire.
— Alana, nous voulions nous assurer que tu avais tout ce qu'il te fallait. Nous tenions également à te dédommager. Et je t'en prie, ne refuse pas. C'est le moins que nous puissions faire.
Refuser ? Malheureux, je risquais de t'écorcher les mains en t'arrachant les pièces.
— Me dédommager ? Ce n'était pas nécessaire... À combien s'élève la somme ?
Je m'étais peut-être un peu trop précipitée. La panique sans aucun doute. Contrôle-toi, Alana.
Lucas ouvrit la bouche pour me répondre mais fut interrompu.
— Quinze mille pièces d'or, me répondit Edan.
J'ouvrai mes yeux si grands qu'ils faillirent sortir de leurs orbites. C'était trois fois ce que valait mon auberge miteuse. Des papillons remuèrent dans mon ventre et mon cœur s'emballa. Un rire nerveux m'échappa et je couvris ma bouche de ma main.
Quinze mille pièces d'or ? C'était forcément une farce. La mine ahurie de Lucas ne me disait rien qui vaille. Mais la femme vénale en moi s'imaginait nager dans cet océan d'or, dans lequel je me serais noyée avec plaisir. Je ne devais pas me laisser berner, toutefois. Il était évident qu'il y avait anguille sous roche.
— C'est... un peu trop, si je puis me permettre, dis-je en souriant maladroitement.
Cela me coûta mais je sentais que c'était la bonne décision.
— Vous avez quelque chose de différent, déclara soudain Edan.
Il fit un pas dans ma direction, puis un autre. Intimidée, je reculai de tout autant, oubliant totalement le sujet de mon dédommagement. Ses prunelles plongèrent dans les miennes. Je déglutis. Il semblait voir, chercher au plus profond de mon âme. J'avais l'impression qu'il me connaissait, qu'il savait. Je me sentais mise à nues. Mes défenses, mon masque, s'effilochaient sous l'intensité de son inspection. Il m'avait cernée en un instant et remuait la carotte de l'argent sous mon nez pour me manipuler.
Une douce chaleur se répandit sur mes joues tandis que mon sang s'affolait dans mes veines. Mue par mon instinct, je levai une main entre nous. Me rendant compte de mon geste, je le stoppai aussitôt. Avais-je voulu l'arrêter ? L'attirer ? Je rabaissai ma main.
— Je ne vous connais pas, comment pourriez-vous le savoir ?
Mon cœur battait la chamade et je ne savais pas bien si j'avais retenu mon souffle ou si je respirais toujours.
— Je vous ai senti, reprit-il, curieux. Vous n'avez plus la même magie.
« Senti » ? Je fus suffisamment interloquée pour reprendre la maîtrise de moi-même.
De quoi parlait-il ? Parlait-il de... Talia ? Il l'avait repérée ?
Incertaine, je cherchai de l'aide auprès de Lucas. En brave héros qui se respecte, il vola à mon secours.
— Edan est sensible à toutes les formes de l'Argia. Il a senti la tienne quand tu as utilisé le mot de pouvoir.
Se tournant vers son ami, posant la main sur son épaule, le Soleil Levant continua en haussant les épaules :
— Sa magie a dû être épuisée par sa récente utilisation.
Edan s'éloigna enfin — hélas ? —, se rapprochant de Lucas. Je pus respirer de nouveau et sortir de ma fascination malsaine pour ses yeux que je mourrais d'envie d'arracher pour les revendre. Je reculai encore d'un pas, mettant de la distance entre nous. C'était dangereux.
— Possible, approuva finalement le riche homme d'affaires.
Était-il déçu ?
Il se tourna vers son héros.
— Nous avons à faire, lui dit-il. Je ne pense pas que ce soit utile qu'elle reste plus longtemps.
Une minute. Cela ressemblait beaucoup à la fin d'une discussion. J'étais en train de me faire congédier. J'intervins :
— Attendez, je...
— Mademoiselle Habert, j'espère que vous vous remettrez de vos blessures. Nous vous remercions pour votre aide précieuse. Vous pouvez rentrer chez vous.
C'était fini ? Déjà ? Mais... Et mon entrée au Crépuscule Pourpre ? La première étape pour me débarrasser du parasite dans ma tête ?
Mes espoirs se brisèrent. Et alors que les dernières parcelles d'optimisme qui se maintenaient encore ensemble survivaient, Edan les piétina sans relâche, impitoyable :
— Une calèche vous attend à l'extérieur. Prenez soin de vous.
Il quitta la pièce, sans autre forme de cérémonie, n'attendant même pas ma réponse.
J'en restai sans voix.
Je venais d'échouer lamentablement.
— Je vais te raccompagner, offrit Lucas, son indétrônable sourire aux lèvres.
— Merci, bredouillai-je.
Je le suivis. Eberluée, je ne parvins même pas à apprécier pleinement la décoration de cette villa. Les tons crème et bois gouvernaient. Le sol était d'un carrelage en marbre immaculé et plusieurs colonnes s'élevaient de ci, de là pour maintenir la grande structure ouverte. C'était un véritable palace. Comment n'avais-je pas conscience d'un tel lieu si près de Barssa ? Je ne tentai même pas de subtiliser quoi que ce soit. Après tout, j'allais bientôt être riche. Cette pensée me permit d'ailleurs de me focaliser sur un point primordial — et de nier mon cuisant échec.
— C'était sérieux ? Les quinze mille pièces d'or ? demandai-je en suivant le héros dans l'immense hall d'entrée.
— Edan ne plaisante jamais avec l'argent. Il te les donnera.
Comme je le comprenais. Une âme soeur.
— Tu avais l'air surpris, commentai-je. Ce n'était pas la somme initialement prévue.
Il se mordit les lèvres et s'excusa :
— Je suis désolé si je t'ai mise mal à l'aise, nous avions parlé de cinq mille pièces d'or mais j'imagine qu'il s'est lui aussi rendu compte de l'immense aide que tu nous as apporté. Les vies que tu as sauvées n'ont pas de prix.
Il termina par un petit sourire rapide.
— En tout cas, j'ai été ravi de faire ta connaissance, continua-t-il.
Le Soleil Levant m'ouvrit la porte sur la sortie.
Alors que je m'éloignais, l'âme en peine, j'eus une idée soudaine. Une idée brillante où, cette fois, c'est moi qui mènerais la danse.
— Quand repartez-vous ? m'enquis-je en me retournant.
— Je pense que nous resterons encore quelques jours, le temps de tout régler.
Talia n'accepterait pas que je me fasse évincée et il était hors de question que je supporte ses complaintes. Supporter sa présence serait déja bien assez éprouvant.
Je n'avais pas encore abandonnée. Le Pesant d'Or, ma chère auberge et mon gagne-pain, serait la scène de ma prochaine performance. Cette fois, la partie se jouerait sur mon terrain.
— Ça te dirait de boire un verre ce soir ?
** --- Note de l'auteur ---**
Rencontre avec Edan Roselli, le boss du Crépuscule Pourpre !
Qu'avez-vous pensez de ce face à face ?
Alana n'a pas dit son dernier mot !
Prochain chapitre : « Le Pesant d'Or (1/2) » !
Merci pour votre passage ici ! <3
À très vite !
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