Chapitre 33 - La déchéance de l'Impératrice
« Je vois que tu t'es fait plaisir en mon absence. »
De surprise, plusieurs ouvrages m'échappèrent parmi la pile qui s'accumulait dans mes bras. Trois d'entre eux atterrirent au sol. Un juron franchit mes lèvres. Un « chut » insupportablement irritant me répondit. Si mes yeux avaient pu lancer des éclairs, le monde compterait un casse-pied de moins.
Je ramassai mes livres, en prenant soin de maintenir ceux encore en place.
— Je commençai à croire que tu ne reviendrais jamais, murmurai-je.
« Si seulement. »
À qui le disais-tu.
Mes sept bouquins en main, je pris la direction du petit bureau d'étude sur lequel je m'étais établie.
Cela faisait une semaine que je m'étais remise de mon immobilisation forcée.
Une semaine que je rejoignais Edan secrètement tous les soirs dans sa chambre, bien plus spacieuse et confortable que la mienne. Une semaine que je me transformais en guimauve. C'en était franchement écœurant. Si j'en arrivais au stade à ne plus pouvoir m'éloigner de lui, à perdre la tête jusqu'à devenir une imbécile transie d'affection, je promettais de me couper la main moi-même. Comme je tenais à mon membre, j'essayais donc autant que possible de l'éviter en journée.
Mes occupations étant limitée, le devoir m'avait rapidement rattrapée. Pour mon plus grand malheur, partager la couche de mon patron ne m'avait pas permise d'échapper aux responsabilités inhérentes à la gloire – et ce n'était pas faute d'avoir tenté des négociations vigoureuses. Son « tu dois trouver un moyen de me rendre ma pierre non ? » avait fait taire mes protestations. Oui, la culpabilité était toujours présente et Sac à Sous visait toujours juste, à croire qu'il était meilleur que Marvel sur ce plan. Et alors que je me réfugiais principalement auprès des majordomes et maîtres de maison pour organiser la gestion de l'empire, mon rôle officiel d'aventurière en formation avait été prioritaire.
J'avais été renvoyé à l'Académie des héros trois jours plus tôt. Bien sûr, je me doutais que ce qu'Edan entendait par ses propos impliquait une préparation physique intense, l'exploration de futurs tombeaux étant inévitable pour trouver de nouveaux items inconcevables pour l'esprit humain. Mais si ces derniers mois m'avaient bien appris une chose, c'était que ma condition physique équivalait celle d'un mollusque. Mes forces étaient ailleurs. Et un grand sage n'avait-il pas dit que le savoir était le pouvoir ? Plutôt que de m'épuiser physiquement, pourquoi ne pas utiliser les informations recueillies par des êtres bien plus intelligents, bien plus courageux et bien plus patient que moi ? Leurs efforts méritaient mon attention, leur travail méritait ma reconnaissance.
Les ouvrages du Guérisseur fraîchement acquis avaient également rejoint ma pile à lire avec les recueils de l'Académie prêtés par Krystal.
« Qu'ai-je loupé ? »
Comme si j'allais entrer dans les détails.
« Outre tes prouesses sexuelles avec ton Sac à Sous préféré. »
Oh, pitié.
— Déçue de ne pas avoir été là pour faire fondre ma cervelle cette-fois ?
« Je n'ai jamais été aussi heureuse d'avoir la possibilité de m'éteindre et de disparaître. »
Cela pouvait être long comme discussion.
Puisque j'étais de bonne humeur – bonne humeur qui avait tout avoir avec mes lectures passionnantes et aucunement avec le retour de ce parasite – je répondis à la place à son interrogation.
— J'ai appris à quoi correspondait l'etnamia. Tu sais, cette pierre magique qui s'incruste dans la peau de son propriétaire.
Silence.
Pas une once de remord. La garce.
— Cela aurait été sympa de prévenir non ?
« Qu'est-ce que cela aurait changé ? Tout le monde la convoitait, il nous la fallait donc en notre possession. »
Raisonnement des plus déplorables. Mais souvent véridique.
« C'est un item légendaire. Je ne savais même pas qu'il existait vraiment. Et je sais beaucoup de choses. Ce sera un atout non négligeable dans notre manche. »
— Edan m'a confié ce qu'elle représentait, dis-je encore légèrement perturbée. Un univers, carrément.
« Hmm, hmm »
Autant parler à un mur.
Je soupirai. Discuter avec cette déesse était déplorable.
— Il en a besoin pour maîtriser son Argia... cannibale.
Un ricanement.
« Il t'en a parlé. C'est surprenant. »
Je fronçai les sourcils.
— Tu le savais ?
« Bien sûr. Il essaie en permanence d'absorber mon essence. C'est très pénible. »
Et elle n'avait pas pensé à me prévenir ?
Cela expliquait du moins son aversion pour le riche homme d'affaires.
Je soupirai encore une fois.
— Tu ne crois pas que c'est le genre d'informations qu'il faudrait que j'aie en ma possession ?
« Non. »
Que les dieux me préservent. Enfin, les dieux sauf elle.
« Je te l'ai déjà dit, mais les mots ont du pouvoir. D'autant plus quand ils concernent l'Argia. »
J'étais bien placée pour le savoir. Il suffisait d'articuler quelques syllabes en langue des dieux pour que je finisse alitée pendant des jours.
« Les invoquer rend leur existence d'autant plus tangible, matérielle. Tu n'entendras jamais aucun Sidia prononcer le nom d'une autre divinité, par exemple. Nous employons des titres. »
Ce n'était donc pas une sorte d'étiquette égocentrique. Au temps pour moi.
« De la même façon, si j'avais mentionné le fonctionnement de son Argia, je nous aurais ajouté de moi-même une épine dans notre pied. »
Pied déjà fortement troué, par ailleurs.
Mais je comprenais son raisonnement. En résumé, il était préférable de comprendre les choses par moi-même. Merveilleux.
Un goût amer envahit ma bouche.
— Je vois.
J'ouvris un livre du Guérisseur devant mes yeux. Je ne comprenais pas les lettres, qui s'apparentaient à des hiéroglyphes, dessinées sur ses pages. J'attendais justement le retour de mon traducteur personnel.
— En tout cas je lui ai assuré qu'en cas de... dépassement de son pouvoir, nous l'aiderions à le contrôler.
« Nous n'allions définitivement pas nous laisser nous faire dévorer. »
Elle était insupportable.
— Sinon j'ai continué mes recherches sur ton inexistence dans les archives.
« As-tu trouvé quelque chose ? »
— Regarde, c'est un des ouvrages du Guérisseur.
Je feuilletais quelques pages pour retomber sur celle qui avait titillé mon intérêt. L'illustration en son centre avait capté mon attention. Il représentait l'un de ses petits chats étranges aux yeux qui semblaient renfermer des mondes.
— Tu comprends ce qui est écrit ?
« Evidemment. »
Il fallait vraiment que je lui arrache le moindre verre du nez...
— Et ?
« Et... C'est légèrement perturbant. »
Et... Je ne pouvais pas avoir la traduction parce que... ?
« As-tu autre chose ? »
Merci, déesse de pacotille.
— J'ai repensé à ma confrontation contre Kravis, repris-je.
Bien que j'aurais apprécié l'oublier.
— Il a mentionné « les héritiers ». Cela m'a rappelé le passage de l'histoire de Zeruan mentionnant la « Montée des Héritiers ».
Je pris d'autres bouquins portant sur ledit sujet. L'un d'eux venant de l'Académie indiquait un point qui me semblait important :
— D'après ce qui est écrit ici, leur prise de pouvoir a eu lieu il y a des siècles de cela. Juste après la période dite de « Révérence ».
Je m'emparais d'un second livre de l'Académie où des descriptions appuyées de ce temps de la Révérence s'étalaient. Il y était mention d'émergence de Sidias comme de naissance de nouveaux mondes, à une vitesse jamais atteinte auparavant. Une période d'expansion, d'accumulation de richesse, de découvertes.
— Cette période a d'autant plus l'air de refléter un âge d'or pour Zeruan.
Ce qui me faisait grandement penser à ce que Talia me décrivait de son vécu au Paradis.
— Or, d'après les dires de Kravis, il semblerait que les héritiers soient les dirigeants actuels du Paradis.
Ce qui sous-entendrait qu'ils régnaient depuis des siècles.
Je revins sur l'ouvrage du Guérisseur qui m'avait interpellée lors de notre exploration. Celui contenant la carte du monde des dieux, un monde dépeint correspondant parfaitement aux souvenirs de la déesse dans ma tête.
Je ne comprenais pas les annotations qui figuraient sur l'illustration, mais si elles se construisaient de la même façon que les nôtres, la date et le lieu devaient être mentionnés en bas de pages. Deux mots isolés étaient inscrits, séparés par un trait fin.
— Que signifient ces termes ?
Talia ne répondit pas tout de suite.
« Voilà qui explique bien des choses. »
Son ton neutre ne me berna pas. Elle était surprise.
Non, pas surprise. Plus comme une réalisation. Comme si elle l'avait toujours soupçonné, mais qu'elle avait refusé de se l'admettre jusqu'à présent. Une hypothèse à présent validée par des preuves concrètes.
« Il est écrit : Révérence – Ancienne Zeruan ».
J'écarquillai les yeux quand je me souvins de ma rencontre avec Ulyss de Moraz. Il s'était présenté comme Premier Gouverneur de l'Ancienne Zeruan.
Je me tus.
Talia formula tout haut ce que nous avions compris tout bas.
« Il semblerait que la déchéance de l'Impératrice remonte à plusieurs millénaires. »
La déesse avait disparu pendant des milliers d'années.
Sa résurgence, à la suite de son annihilation, avait pris des siècles et des siècles.
S'il n'était fait aucune mention d'elle dans nos ouvrages, ce n'était pas car elle n'avait jamais existé. Ce n'était pas que son souvenir avait été effacé. C'était car il remontait à si loin que personne dans mon monde n'avait été en mesure d'en témoigner les traces. Il avait fallu des centaines de générations pour que la Sidia revienne.
Seuls les dieux se rappelait. Car leur longévité d'avait pas de limite.
— Je devrais peut-être lancer un culte en ton honneur pour rappeler ton existence, plaisantai-je nerveusement.
Je n'avais aucune idée de l'état d'esprit de la déesse à la prise de conscience que ce traître lui avait dérobé des millénaires d'existence.
À sa place, n'importe qui aurait été en rogne. Pourtant, son calme n'augurait rien de bon. L'angoisse que son silence générait me poussait à la titiller pour ne serait-ce que déclencher une infime réaction.
« Oh, ne t'inquiète pas, je serais très prochainement vénérée. »
Se rendait-elle compte que nous n'étions pas en train d'évoquer la météo ?
« Ils s'inclineront tous devant moi et demanderont pardon. Je l'ai vu, c'est la Destinée. »
Un frisson courut le long de mon échine. Une certitude. Aussi inéluctable que le Temps qui passe.
« Et quand le dernier battement de cœur précédent la fin de leur existence retentira, quand ils supplieront pour ma miséricorde et ma clémence à genoux, ils se souviendront de mon existence. »
Je revenais sur mes paroles : je préférais le silence.
« Ils regretteront d'avoir désiré ma destruction. »
Elle rit.
« Je leur ferais craindre de désirer. »
Je déglutis en me massant les tempes.
J'étais bien contente de l'avoir de mon côté.
Notre objectif était clair. Il avait toujours été le même. Nous avions trouvé des alliés pour mener le combat qui nous attendait face aux dieux. Nous avions trouvé le cœur du Guérisseur qui nous permettrait de recréer le corps matériel de Talia.
La prochaine étape, la plus difficile, était à venir. Talia voulait se venger. Moi, je devais me débarrasser de la voix dans ma tête avant que ce mal de tête divin n'ait raison de moi.
Et pour ça, j'avais le corps d'une déesse à aller trouver.
**--- Note de l'auteur ---**
Ça y eeest !
C'est fini 🎉
Le tome 1 se boucle ainsi ! Plus que l'épilogue !
Qu'avez vous pensé de cette fin ? De la révélation pour Talia ? Aviez-vous deviné ?
Merci de m'avoir lue ! N'hésitez pas à voter, commenter si cela vous a plu <3
À très vite !
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