Chapitre 31 - La pierre émeraude
« Tu t'es bien débrouillée la baratineuse. Bien joué. »
— J'ai carrément assurée oui.
Je longeai le couloir en trottinant, désireuse de rejoindre le Crépuscule Pourpre.
Le temps devait bientôt être écoulé, cela devait être une question de minutes, et nous n'avions plus un instant à perdre. Je n'osai imaginer ce qu'il adviendrait de moi s'ils partaient sans moi...
À ce stade, ils devaient avoir trouvé leur fameuse pierre. Et s'ils avaient déjà détalé ? M'auraient-ils abandonné ? Cela ne ressemblait pas à Lucas, mais ses amis étaient en danger à l'extérieur... Ce doute, cette angoisse, accéléra ma foulée claudicante. Mon bras replié contre ma poitrine me déséquilibrait légèrement, seulement il était impensable de laisser les vibrations du mouvement parcourir ma main ensanglantée. La douleur à l'arrêt était bien assez handicapante.
En quittant l'autre immense grotte vide, j'avais tenté d'interroger Talia sur son frère. Elle m'avait simplement répondu d'un « Sans commentaire » qui m'avait fait doucement rire.
Elle m'avait prise par surprise en me lâchant un compliment.
« Je n'aurais jamais cru que tu te rappellerais des mots en Hitzord. »
Compliment qui devait toujours être suivi d'une critique, c'était dans l'ordre des choses.
Me prenait-elle pour un poisson rouge ? Il y en avait eu deux, bien sûr que je m'en souvenais.
— Je me rappelle surtout que tu avais promis de ne pas m'abandonner.
« Je t'ai laissé accès à ma magie, non ? »
— La prison aurait pu le sentir, c'était dangereux.
« Son essence était plus forte. Et Kravis était le plus grand danger. Je ne fais jamais rien au hasard. »
Bien sûr que non. Je souris à ses mots.
Elle ne m'avait pas totalement laissée seule. La douce chaleur qui se répandait dans ma poitrine à cette idée, associée à la réalisation que j'étais sortie vivante d'une confrontation avec un dieu, témoignaient à la fois de ma profonde reconnaissance et de la fierté sans borne que je ressentais envers moi-même devant cet exploit. Finalement, on n'était jamais mieux servi que par soi-même. Il avait suffi que je me sache soutenue, que je sache que Talia m'en croyait capable pour que j'en acquiers la certitude profonde. L'être humain était parfois bien stupide.
Pour se jeter d'un pont, faire le grand saut, on avait besoin que quelqu'un nous y pousse. Hum, peut-être pas ma meilleure métaphore. La fatigue se faisait ressentir.
« Le Crépuscule Pourpre est encore là. »
Je soufflai de soulagement. Sortir de cet antre rempli de monstres par mes propres moyens était clairement irréaliste. Les dieux en soient remerciés, mon billet retour m'attendait au bout du chemin.
« C'est étrange. »
Je fronçai les sourcils. J'arrivais presque au bout du tunnel. Les premiers sons me parvinrent.
Quand j'avais disparu, le combat contre les géants faisaient rage. Aux sons qui m'assaillirent, mes amis avaient rencontré des difficultés supplémentaires. Des fracas de glace, de roches brisées se battaient avec des grondements de baleines, des sifflements stridents. Des bruits de chutes, d'impacts violents.
« Attends. »
Je pillai quelques instants avant d'entrée. Reprenant mon souffle, je me tassai contre le mur, à une dizaine de pas de la vaste salle.
— Que passe-t-il ? demandai-je, resserrant les bandages sur ma main.
Autant me préparer au mieux à entrer sur le champ de bataille.
« Je dirais que la situation a échappé au contrôle de tes amis. »
Je fouillai ma besace. L'oursin en glace, l'Arta du Guérisseur, y était toujours sagement rangé. D'une solidité proche de l'acier, les impacts que j'avais pu lui appliquer ne lui avaient infligé aucun dégât. Je me saisis d'un poignard, seule arme que je pouvais manier. Encore une fois, je me fis la réflexion que les cours suivis à l'Académie n'auront pas été vains. De toute évidence, il y avait du grabuge, et j'allais devoir me tracer un chemin directement vers Edan et son parchemin de sortie.
— Je peux avoir plus de détails ?
« La salle est remplie de Kondairas. Un nombre impressionnant. Dont cinq As. »
Mon sang se glaça. Qu'est-ce que cela signifiait ? Cela impliquait-il l'échec de l'équipe de diversion ? L'inquiétude serra ma poitrine. Elsa ? Alec, Justin ? Je rongeai l'ongle de mon pouce, guère rassurée par la suite du bilan de ma déesse.
« En plus des baleines, il y a d'autres serpents similaires à l'hôte de Kravis. Ils semblent s'être mis en mouvement quand ce dernier a investi le Tombeau. Il faut croire que même son hôte n'a pas masqué suffisamment sa présence. En t'emportant, il a emporté l'Arta. C'est un affront, il a essayé de piller la sépulture d'un Sidia. »
La déesse me l'avait maintes fois répété. Ulyss l'avait mentionné. Les Tombeaux étaient sacrés. Aucun Sidia n'avait le droit d'en profaner le lieu. Cela faisait partie de leurs règles les plus élémentaires.
Pourtant j'étais entrée dans le Tombeau, Talia avec moi. Nous étions entrés dans celui de de Nazar, et à notre première rencontre, elle avait voulu que l'on se rende dans celui d'Icaris, à Barssa.
Si les Sidias pouvaient y entrer, ils n'avaient apparemment pas le droit d'en dérober quoi que ce soit.
« Il n'y a plus les deux géants gardiens, les héros ont réussi à s'en débarrasser. »
Au moins une bonne nouvelle. J'étais certaine que le trou noir que j'avais laissé avait dû être utilisé à bon escient. Je croyais en toi, Lucas Alicent.
« Il y en a trois nouveau en revanche. »
Ne jamais se réjouir trop vite.
— Et Edan ? Et Lucas ? Corbeau ?
« Ils résistent. »
Je soupirai. C'était plus encourageant que « ils agonisent ». Ce qui aurait pu être le cas au descriptif de la situation.
« Je sens la pierre. Et je comprends mieux pourquoi il veut s'en emparer. »
Elle ricana, d'un rire machiavélique qui me renvoya l'image d'un méchant de conte pour enfant écartant les bras en hurlant « mouhaha » au ciel. Le frisson qui remonta le long de mon échine ne me disait rien qui vaille. Voulais-je vraiment connaître la raison de ce sadisme manifeste ?
— Bon allons-y, dis-je nerveusement. Plus vite on les rejoint, plus vite on rentre, non ?
C'était important de s'auto-motiver. Je me redressai, fin prête. Je soufflai un bon coup, fis craquer mes cervicales.
Après quelques petits sauts sur place, je m'élançai vers l'antre des monstres. J'entrai. Et je pillai.
Ma mâchoire m'en tomba.
Ce n'était pas un champ de bataille.
C'était un cimetière.
Des dizaines de cadavres jonchaient le sol. Des baleines transpercées, éventrées, aux trous encore fumants, encore rougeoyants. Certaines avaient été entièrement découpées, de manière presque chirurgicale, en deux parties entièrement symétriques. D'autres avaient été démembrées, décapitées, comme subissant une exécution.
Des flammes noires, semblables à celles du trou noir, semblables à celles du fouet d'Edan, grignotaient les corps à petit feu, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus rien, avant de s'éteindre à leur tour.
Sur les murs, les présentoirs avaient de nouveau disparus, renfermés derrière les parois rocheuses de glace, déplacés loin de ce champ de bataille. À la place, les façades subissaient la férocité de l'affrontement de plein fouet. Plusieurs impacts les dégradaient, plusieurs cavités les défiguraient. Les débris de glace, de roche, se mélangeaient à des fluides mauves étranges, à des bouts de chairs flasques. Dans les airs, trois baleines s'étaient regroupées pour former une sphère de mammifères marins.
Perçant cette prison de chair, un à un, des rayons de lumière se frayèrent un chemin. Ils grignotèrent, s'étendirent jusqu'à se rejoindre pour former des faisceaux denses. Ils grignotèrent encore, et ne supportant plus leur intensité, les baleines cédèrent pour libérer le soleil.
L'un des Kondairas s'écrasa sur la paroi, la détruisant davantage. Les deux autres rejoignirent leurs compères inertes, au sol. Le lumineux Soleil Levant, devenu une étoile filante, ne s'arrêta pas. Il n'en avait pas le temps. Dans les airs, telle une horde de piranhas, des sortes d'anguilles, des serpents de glaces aux dents de sabre aussi aiguisées que les défenses d'un éléphant, ondulaient en compagnie d'autres baleines, et fonçaient sur lui pour le terrasser.
Slalomant entre les cadavres marins qui s'échouaient sur la terre ferme, deux des nouveaux géants de glace se battaient férocement contre Edan.
Talia avait mentionné trois géants supplémentaires. L'un d'eux avait apparemment été défait. Cependant, à l'image des précédents dieux mineurs, aucun de leurs cadavres n'était en vue. Avaient-ils tous été enfermés dans une des prisons sphériques ?
Mais ce n'étaient pas les Sidias qui retinrent mon attention. Ce fut Edan.
Je l'aurais reconnu entre mille, pourtant, il était méconnaissable.
Sa peau était si pâle, si transparente, que ses veines saillantes striaient de noir son visage, son cou, ses mains. Des ombres recouvraient la pointe de ses doigts sombres, comme si sa peau avait brûlée, carbonisée. Un voile de lumière bleu intense tirant sur le vert émeraude l'entourait, concentré en une couche si fine, si dense qu'elle en devenait presque matérielle.
D'ordinaire si soigné, ses habits étaient complètement défaits, sa tunique protectrice transpercée, l'une de ses manches arrachées. Ses cheveux, ébouriffés, battaient frénétiquement l'air, au rythme de ses mouvements vifs, violents.
Ses yeux, fiévreux, rendus encore plus magnétiques par l'étrange couleur qui l'enveloppait, fixaient intensément ses opposants. Un rictus de défi les narguait.
Il n'avait pour seul arme que ses poings. Son fouet avait disparu. Son bras que j'avais cru brisé avant ma disparition, était parfaitement fonctionnel. Il ne présentait pas la moindre blessure.
En revanche, il les infligeait.
Cette vision me terrifia bien plus que tout ce que j'avais pu voir aujourd'hui.
Gêné par l'un des colosses bleu, Edan le repoussa d'un mouvement de paume à l'autre bout de la pièce, parmi un amoncellement de monstres. Il se jeta sur son opposant restant. Le géant tenta d'esquiver, mais la vitesse du jeune homme semblait décuplé. Le dieu tenta alors de parer. Prenant l'impact de plein fouet, ses bras furent broyés.
« Elle est là... »
Je revins à moi. Je me rendis compte que ma bouche était sèche, que ma gorge était sèche. Je me rendis compte que je tremblais. De tous mes membres. Je déglutis plusieurs fois, portant une main grelottante à mon visage.
« C'est comme une invitation. Comment ne pas y répondre ? »
J'étais déboussolée. J'avais du mal à assimiler ce que mes yeux me renvoyaient. Les cauchemars ne cessaient de se succéder, et la terreur n'avait pas de limites. Le Tombeau, les Kondairas, les Sidias. Edan. Était-ce ce à quoi ressemblait le monde des dieux ? Était-ce un cauchemar sans fin ?
Alors, avant de me perdre, de succomber à mes interrogations dont les réponses auraient pu me tétaniser, je fis ce que je faisais de mieux.
Je tournai la tête.
« Prends-la. »
Mes yeux trouvèrent la pierre immédiatement. Peut-être étais-je guidée par Talia, par son désir de s'en emparer, peut-être ma volonté à nier la réalité me guida-t-elle. Je ne le saurais probablement jamais. Pourtant, dès l'instant où mon regard se posa sur elle, je fus irrémédiablement et irrésistiblement attirée par cette pierre. J'étais à des dizaines de pas et je ne voyais plus qu'elle. Tout disparut. Les bruits continuaient à me parvenir, les mouvements continuaient à m'effleurer. Mais je ne les voyais plus. Je ne voulais plus les voir.
Subjuguée, le poignard m'échappa des mains. J'avançai d'un pas. De deux. Puis de plusieurs. J'avançai, focalisée sur mon objectif.
Plus je m'approchai, plus elle m'apparaissait, plus je la désirais.
Taillée en forme de larme, la pierre devait mesurer cinq centimètres sur trois à peine, mais elle accaparait toute mon attention. Elle était posée là, entourée d'éclats de glace brisée. Elle reposait dans le creux d'une des ailes du corbeau noir qui avait dû la déloger de son présentoir avant que ceux-ci ne disparaissent.
En parfait contraste avec le fond noir irisé du plumage du volatil sur lequel elle trônait, la pierre arborait une saisissante couleur émeraude. Aussi intense, aussi verte que la lumière qui auréolait Edan. Aussi belle que ses yeux magnifiques. J'avais toujours trouvé ces derniers irréels. Je me les étais toujours représenté comme des joyaux, des pierres précieuses que j'aurais voulu posséder. Que j'avais rêvé de tenir dans le creux de ma main. Et avec cette pierre, j'en avais la possibilité. Je pouvais m'en emparer.
Il me la fallait.
Une vingtaine de pas me séparaient encore d'elle. Je levai légèrement mon bras valide, aimantée.
— Arrête !
Je continuai. Sans jamais détourner le regard. Je sentis du mouvement, le vis brièvement dans mon champ périphérique. Le chant d'une baleine m'alerta. Le chant de plusieurs baleines m'alerta. Des sifflements, des crissements.
« Il va falloir se dépêcher. Une fois son propriétaire choisi, il n'y aura plus de retour en arrière. Il faut que tu sois la première. »
J'allais avoir de la concurrence.
Tout se passa très vite, pourtant, j'aurais pu rejouer la scène au détail près un millier de fois. Chaque objet, chaque être vivant, j'avais une conscience accrue de la moindre respiration, du moindre mouvement. Cela sembla une éternité, alors que seules quelques secondes s'écoulèrent.
Le Temps lui-même retint son souffle.
À qui reviendrait cette pierre si mystérieuse ?
« Il nous la faut. À tout prix. »
— Lucas ! Empare-t-en !
— Mais...
— Prends-la !
Au-dessus de moi, les baleines les plus proches entreprenaient un plongeon de haut vol.
Les cobras, les anguilles, se retournèrent et attaquèrent dans ma direction, bien plus vite.
Plus loin, bien au fond de la pièce, Lucas d'abord réticent, finit par répondre aux attentes de son ami. Entouré de monstres, il libéra toute sa puissance. La lumière émanant de lui s'intensifia, se densifia. L'arc-en-ciel se dissipa pour ne finir par former qu'une intense lueur blanche dont Lucas était le cœur. Puis le soleil explosa. Des vagues concentriques émanèrent alors de lui, désintégrant les monstres les plus proches en poussières d'étoiles, repoussant les plus éloignés rendus complètement inertes.
« On va réessayer. Ce sera plus efficace si c'est toi. Le contre-coup sera plus lent, moins puissant. »
Devant moi, derrière la pierre qui nous séparait, le géant de glace qu'Edan avait éloigné se relevait. Ses muscles se tendirent. Son regard ne me lâchait pas. En tant que Sidia, il n'était pas capable de s'emparer de la pierre. Mais en tant que gardien, il avait choisi sa proie.
Lucas récupéra sa lumière, alors que les premières vagues émises nous atteignaient.
« Répète après moi. »
Elle prononça le mot dans ma tête. Les syllabes étaient claires, limpides. Je n'eus aucun mal à le mémoriser, à le comprendre. Je souris. Nous allions y arriver. Cela pouvait marcher.
J'ouvris la bouche. Et les mots refusèrent de sortir, m'étranglèrent.
Une aura meurtrière, oppressante, m'atteignit de plein fouet, me figeant sur place. Tous les poils de mon corps se hérissèrent. La sueur me recouvrit. J'eus froid, comme si une main glacée s'apprêtait à me saisir. Comme si, enfermée dans le noir le plus complet, les sens figés, les repères détruits, les murs se resserraient, et se refermaient pour m'anéantir lentement.
Derrière moi, une autre menace approchait. Et si je prenais la pierre, elle ne me le pardonnerait jamais.
« Répète ! »
La voix de ma déesse fut accompagnée d'un sentiment d'urgence qui me permit de me ressaisir.
Les monstres s'élancèrent, féroces.
Le Soleil Levant s'élança, à sa manière digne d'une étoile filante.
Le géant s'élança, de ce déplacement presque instantané qui rivalisait avec la vitesse de la lumière du héros.
Edan, l'ombre, la présence terrifiante, s'élança, insidieuse.
Mais c'était trop tard. Mes lèvres étaient déjà en train d'articuler. Je répétai le mot.
— Kyrsetjatu.
La dernière syllabe sonna le glas. Comme un claquement de doigt annonçant le changement. Ce fut instantané. L'ordre énoncé, la sentence fut inéluctable.
Avant il y avait le bruit, les cris, la terreur. Avant il y avait l'agitation, le mouvement, le déchaînement furieux des passions destructrices.
Puis Kyrsetjatu.
« Immobilisation ».
En une dernière syllabe, les sons s'éteignirent. La glace cessa de se fendre, la roche cessa de se briser. Le silence m'entoura. Les nageoires se stoppèrent, suspendus dans les airs tels des marionnettes abandonnées. Les corps reptiliens se figèrent en une ondulation statique.
Le Soleil Levant, dans toute sa gloire lumineuse, ses yeux arc-en-ciel à la fois déterminés et incertains, stagnait dans les airs, la tête en avant visant le sol, sa main tendue vers la pierre, à quelques mètres devant lui, inatteignable. Même le géant de glace, même un Sidia, n'échappa pas à l'influence irrévocable de l'Hitzord. Bien plus près de la pierre, de moi, il l'avait dépassé et s'était statufié à mi-chemin entre l'item et moi.
« Dépêche-toi. »
Alors, dans le silence le plus total, dans l'immobilité la plus totale, je bougeai. J'avançai d'un pas, et le craquement de mon pied posé au sol, écrasant les copeaux de glace, résonna solennellement.
Les premiers étourdissements me gagnèrent. J'accélérai la cadence, dépassant le géant.
— Alana, arrête !
Un frisson me traversa.
« Il est tenace. »
Je sentis son mécontentement, son irritation. Alors même qu'un Sidia avait succombé au mot de pouvoir, bien qu'immobilisé, Edan parvenait à parler, à troubler l'immobilité.
Intriguée, je lui jetai un regard par-dessus mon épaule. À peine une seconde.
Je le regrettai aussitôt. Un intense malaise me gagna. Souhaitant m'en débarrasser, je secouai la tête, refusant cette vision, et continuai ma progression.
Mes pas devinrent vacillants, hachés. Mes jambes devenaient lourdes. Mon corps se mouvait difficilement.
Je grimaçai, alors que chaque pas devenait torture. Comme si, prisonnière de sable mouvant, je ne cessai de me débattre. Comme si j'allais à l'encontre de la gravité elle-même.
— Je t'en prie, non !
Je n'étais plus qu'à cinq mètres. Cinq mètres et j'aurais la pierre. Peu importait ce qu'elle était. Peu importait ce qu'elle représentait. Tout le monde dans cette pièce la voulait. Talia la voulait. Alors, je la voulais.
Cinq mètres et elle serait à moi.
Quatre.
Les yeux de Lucas bougèrent. Ils tombèrent sur moi. Me suivirent, pas après pas.
Trois.
Je m'effondrai, terrassée par la douleur du contre-coup.
« On y est presque, la baratineuse, on y est presque. »
Mon souffle erratique résonna. Le tintement dans mes tempes résonna. Mes oreilles bourdonnaient. Ma tête pesait une tonne. Mon corps en pesait des milliers. Mes muscles s'étaient mués en pierre.
Je rampai à quatre pattes.
Deux mètres. Deux minuscules mètres.
Une toux violente me saisit. Je crachai du sang. Je ris. Mon rire résonna dans cette immense immobilité silencieuse. Finalement, je n'avais donc pas réussi à ne pas être couverte de mon propre sang. Amère constatation.
Un.
Je tendis la main. L'éclat de la pierre m'éblouit. Je souris rêveusement.
Sublime...
— Alana !!!
Une voix brisée. Un cri de détresse.
Je l'entendis à peine. Ma main se referma.
La pierre était à moi.
« Tu peux être fière de toi. »
Je l'étais. J'avais tout donné. Et je sentais que la déesse était sincère. Une sorte de tendresse, de chaleur, se répandait dans mon cœur. Talia était fière de moi. Et c'était un sentiment indescriptible.
La douleur me terrassa. Je hurlai.
C'était le second mot de pouvoir que j'utilisai aujourd'hui. Je ne pus supporter plus.
Mon corps immobilisé, mon esprit devenu silencieux. Tout s'éteignit.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top