Chapitre 3 - Le héros dans le lit voisin
— Et vous ? répéta le Soleil Levant, en fronçant les sourcils. Vous... allez bien ?
— Oui ! me repris-je. Je vais très bien, pardon. Vous m'avez... surprise. Une fois de plus.
Je le mitraillai de mon sourire le plus charmeur et me redressai, m'asseyant convenablement sur le bord de mon lit. Je ressentais le besoin urgent de bouger, malgré mes vertiges.
Une stratégie se dessinait dans ma tête. Du moins, mes objectifs étaient clairs. C'était assurément un homme qu'il fallait que je garde de mon côté. L'homme le plus puissant de la Maison. L'opération « Infiltration du Crépuscule Pourpre » en dépendait. Tout comme ma survie en son sein.
— Je m'appelle Alana Habert. Ravie de te rencontrer.
Je passai au tutoiement aussi naturellement que possible et étudiai sa réaction. Son visage se fendit d'un large sourire. J'en déduisis que cela ne le dérangeait pas.
Je devais la jouer subtile. Ne pas devenir une énième admiratrice hystérique qui rejoindrait la catégorie « commun des mortels » dans son esprit. Il fallait miser sur la retenue, l'empathie, pour créer l'étincelle d'une amitié sincère et désintéressée.
— Tes blessures ont l'air assez sérieuses, remarquai-je. Est-ce que tu vas bien ?
— Oh, s'étonna-t-il, perdu dans ses pensées.
Le héros se racla la gorge puis baissa la tête vers son torse, comme s'il ne les remarquait que maintenant, et m'aveugla de nouveau par l'éclat de sa dentition.
— Ce n'est rien, répondit-il. À vrai dire, cela aurait pu être bien pire. C'est grâce à toi si je m'en suis sorti.
Grâce à moi ?
— Je tiens donc à te remercier, Alana. Je te dois la vie.
Avais-je mal entendu ? Lucas Alicent, le héros parmi les héros me devait sa vie ? Je réprimai le sourire qui me montait aux lèvres et ris intérieurement. Ce retournement de situation était jouissif. Pourquoi avais-je pensé que ce serait compliqué de m'en faire un allié ? Je n'avais rien eu à faire, qu'il se sentait déjà redevable envers moi. Enfin la chance tournait.
— Je pense que tu te trompes, rétorquai-je en laissant échapper un rire.
J'espérais qu'il l'attribuerait à de la gêne ou de l'humilité et non pas à la satisfaction dont il provenait.
— Je ne me souviens pas avoir fait quoi que ce soit qui mérite des remerciements, repris-je en me raclant la gorge. En fait... si tu pouvais m'expliquer ce qu'il s'est passé, je t'en serais extrêmement reconnaissante. Mes souvenirs d'avant ma perte de connaissance sont... confus.
Evidemment, puisque je n'étais pas dans mon propre corps.
Ses lèvres s'étirèrent une fois encore, attendri par ma grande modestie. Pourtant, la vision de ce sourire presque admiratif commença à m'irriter. Il me dérangeait. Est-ce qu'il n'avait jamais de crampes aux joues ?
— Crois-moi, je ne suis pas le seul que tu as sauvé, expliqua-t-il.
Son visage s'assombrit.
— Nous avons été complétement dépassés. Edan nous avait prévenu que quelque chose clochait. Que c'était différent cette fois. Mais Allie avait aperçu des jardins entiers de vilance. Nous ne pouvions pas laisser passer une telle chance.
Je déduisis qu'Allie devait être la Colombe Aux Trois Yeux, leur devineresse. Celle qui les avait guidés jusqu'au Tombeau à Barssa afin de récupérer cette plante miraculeure.
Quant à Edan... Je retins de justesse ce qui aurait pu s'apparenter à un couinement.
Edan Roselli. Le propriétaire du Crépuscule Pourpre. Il était... Il était...
Mon cœur loupa un battement.
Inconscient de mon trouble, Lucas continua :
— Ils étaient trop nombreux. L'équivalent d'une dizaine de Tombeaux. Je ne m'explique pas la raison. Nous ne les avons aperçus que trop tard et, le temps que nous le fermions, beaucoup de Kondairas étaient sortis. Je suis sorti le dernier. Je ralentissais... les As. Il ne fallait surtout pas qu'ils sortent. Mais ils semblaient tous être entrés dans une frénésie que je ne leur avais jamais vue. Ils étaient attirés dehors, comme jamais auparavant.
Attirés par moi.
Je déglutis et m'emparai d'un bout de pain. Je voulais — je devais — bouger mes doigts.
— Mais soudain...
Il leva des yeux émerveillés vers moi et sa dentition parfaite refit surface.
— Tout était fini, expliqua-t-il. Un vent, un souffle de puissante Argia s'est élevé. Il a balayé les Kondairas, les réduisant en poussière. Ils n'avaient aucun moyen de fuir, de l'éviter. La vague a déferlé, elle s'est propagée et, chaque monstre qu'elle renversait s'est désintégré, s'éparpillant et se dispersant avec elle.
C'était... effrayant.
— Il ne restait plus rien. La magie a tout détruit. Les a anéantis. Elle n'a ciblé que les Kondairas et les As, nous épargnant et nous sauvant la vie par la même occasion.
Me sauvant la vie surtout.
— Elle venait de toi, affirma-t-il. Tu as utilisé un mot de pouvoir. Tu parles la langue des dieux.
Je ne parlais rien du tout.
— Eh bien... commençai-je mal à l'aise. Je suis contente que tu ailles bien.
Qu'est-ce qu'un héros devait dire dans ce genre de situation ?
— Et les autres aussi, ajoutai-je. Si j'ai pu aider alors... tant mieux.
Ce n'était pas terrible, je devais l'avouer. Je n'étais pas habituée mais il fallait bien que je m'entraîne si j'étais amenée à rejoindre le Crépuscule Pourpre. D'ici là, il allait falloir que Talia revienne, et vite.
— Depuis combien de temps la parles-tu ? demanda Lucas, ses prunelles étincelantes. Quand Edan va l'apprendre, il va brûler de curiosité.
Oui ! Très bonne idée !
Mettons Edan dans mon camp également. S'il devenait moitié aussi admiratif de moi que je ne l'étais de lui, je n'aurais plus aucun souci à me faire. De mieux en mieux. Cette journée ne cessait de s'illuminer de minutes en minutes.
— Oh non, je ne parle pas vraiment la langue des dieux...
Et je te remercie pour ne pas avoir employé le mot horrible « Hitzord ».
— Je n'ai que quelques mots et, comme tu as pu en être témoin, cela ne se passe pas toujours bien pour moi quand je les utilise.
Pour ce que j'en savais. Ce n'est pas comme si c'était quelque chose que j'entreprenais régulièrement.
Je me grattai la tête, gênée. Pourvu qu'il ne demande pas une démonstration.
— C'est d'autant plus admirable que tu l'ais fait malgré tout ce que cela te coute, me sourit tristement Lucas. Si nous pouvons faire quoi que ce soit, n'hésites pas. Nous te devons bien ça.
Il m'attribuait beaucoup trop de crédits. Son sourire compatissant, reconnaissant et empli de générosité, de bienveillance, me mettait si mal à l'aise. J'allais finir par culpabiliser. Saletés de héros. Aux côtés d'êtres dégoulinant de perfection, nos pires défauts ressortaient. C'était désagréable.
— Eh bien, puisque tu en parles...
Fais-moi entrer au Crépuscule Pourpre. Amène-moi au Tombeau du Guérisseur. Deviens mon bouclier personnel, ma garantie de survie, mon escla... mon protecteur.
Et présente moi Edan Roselli, tant qu'on y était.
— Peux-tu me dire où nous sommes ? demandai-je en riant naïvement. Je n'ai aucune idée d'où, de quand, ou de comment j'ai atterri ici.
Gonflé à bloc par sa bonne humeur maladive, le Soleil Levant me répondit aimablement :
— Pardon, bien sûr. Nous sommes dans une des villas d'Edan.
« Une des villas ». Au pluriel. Je poussai un soupir rêveur intérieurement. Cela devait être bien d'être riche.
— Nous avons séjourné ici ces derniers jours. Nous ne sommes pas très loin du Tombeau et de Barssa. J'imagine que tu dois vouloir retourner chez toi, auprès de tes proches, ajouta-t-il en hochant la tête devant cette évidence.
Pas vraiment.
— Je vais demander qu'on t'y amène. Cela fait presque trente-six heures que tu es là, ils doivent s'inquiéter.
Qui ça ?
Et trente-six heures ? Autant de temps ?
— Quant à comment, c'est un chevalier du Crépuscule Pourpre qui t'a portée pour des soins d'urgence.
Alec sans doute.
— D'après lui, le contre-coup du mot de pouvoir t'aurait « broyée ». Tu étais couverte de sang, il gouttait de ton corps comme... un citron pressé.
Image détestable.
— Désolé pour la comparaison, ce sont ses mots.
Au moins, il en avait conscience lui aussi.
— Finalement, notre soigneur nous a assuré que tu te portais bien, je ne sais comment mais toutes tes plaies s'étaient refermées. Le contre-coup mental était le plus grave.
Je vois. Un bon résumé.
— Je vois, répondis-je à haute voix. Je te remercie pour ces informations.
— Avec plaisir. Tu as d'autres questions ?
J'évitai de justesse de lever les yeux au ciel. Il existait donc vraiment ce syndrome du héros qui voulait absolument rendre service ?
— Comment sais-tu tout cela ? demandai-je. Je croyais que tu venais de te réveiller.
— Oh non, je me suis mal exprimé, pardon, s'excusa-t-il. Je n'ai jamais été inconscient. Je suis resté allongé la plupart du temps depuis l'attaque pour récupérer plus facilement mais je n'étais pas complètement alité. Les traitements m'assoment et une petite sieste s'imposait.
Réalisant soudain une chose, il parut mal à l'aise. Il détailla mon corps et détourna le regard rapidement. Il venait de se rincer l'œil là ? C'était de bonne guerre, j'avais fait pareil un peu plus tôt.
Il s'assit dans la même position que moi sur son lit, grimaçant au mouvement trop rapide.
— Ce doit être déroutant de te réveiller dans la même chambre qu'un homme que tu ne connais pas, excuse-moi.
C'était maintenant qu'il le réalisait ?
— En fait, nous sommes dans les quartiers d'Edan, je ne séjourne pas très loin mais il préférait que je reste à proximité.
Je fronçai les sourcils. Edan voulait garder le héros près de lui ? Était-ce nécessaire de le placer dans la même chambre qu'une inconnue ?
Était-ce pour me surveiller ?
— Il est venu plusieurs fois et espérait pouvoir te rencontrer, c'est pourquoi il t'a placée dans cette pièce.
Minute. Edan était venu plusieurs fois ici ? Il m'avait vue dormir ?
J'allais défaillir.
Les mains tremblantes d'excitation, je me saisis de la carafe d'eau et me resservis. J'avais presque fini mon assiette durant notre discussion. J'avais besoin de bouger pour cacher mon malaise et la nourriture avait été une distraction plus que bienvenue.
— Je lui ai dit que ce serait étrange mais... tu verras qu'il est assez... têtu.
Je stoppai le verre alors que je le portais à mes lèvres. « Tu verras » ?
— Il n'est pas venu depuis un moment, ça m'inquiète...
Il fronça les sourcils. Pour la première fois depuis le début de notre conversation, autre chose que de la bonne humeur, une inquiétude profonde, du trouble – de l'angoisse ? – marqua ses traits.
— Excuse-moi. Je vais aller le chercher. Fais comme chez toi.
Il se leva. Il ne portait qu'un simple sous-vêtement mais n'avait nullement l'air dérangé par sa nudité. Elle ne me dérangeait pas vraiment non plus. Je pus finir mon analyse de sa corpulence. Il était grand, sans surprise, avoisinant presque les deux mètres. Ses cuisses et ses mollets étaient aussi musclés qu'on pouvait l'attendre d'un homme combattant des monstres à mains nues. Je n'avais aucune envie de me retrouver broyée entre ses jambes — au cours d'un combat, j'entends.
— Hmm...
Il sembla soudain chercher ses mots.
— Tu pourrais en profiter pour... hum... t'habiller. Tu as des vêtements dans la salle d'eau.
Effarée, je baissai les yeux sur ma tenue.
Ma jupe était déchirée en de multiples endroits et couverte de sang. Quant à ma chemise... Un trou immense, de la taille de la patte d'un Kondaira, s'étirait en son centre, dévoilant ma peau nue couverte de sang. Et une bonne partie de ma poitrine.
Je retins mon souffle.
Et j'avais passé la conversation à m'exhiber ainsi ? Ne pouvait-il pas m'en parler avant ?
Je levai la tête vers Lucas, scandalisée.
Le héros avait détallé.
**--- Notes de l'auteur ---**
Discussion et découverte de Lucas Alicent ! Le Soleil Levant de cette histoire ! Quelles sont vos premières impressions sur le héros ?
Alana parviendra-t-elle à s'en faire un allié ?
Teaser prochain chapitre :
« Chapitre 4 - Mon dieu, le capitalisme »
N'hésitez pas à voter si le chapitre vous a plu !
Merci !
À très vite !
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