Chapitre 29 - Le Tombeau du Guérisseur (2/3)

Les Kondairas le sentirent. Mes compagnons le sentirent. Je le sentis.

Iskori tout entier le sentit.

Le sol trembla. Un grondement, un craquement aussi tonitruant que le tonnerre, aussi fulgurant qu'un éclair, résonna. La glace, cette prison de glace, qui enfermait la terre sous des couches et des couches de givre, trembla. Elle s'affaissa sur elle-même, la fissure s'élargit, s'enfonça, impuissante. Puis elle explosa.

Surgissant des profondeurs abyssales du monde, longtemps asphyxiés, retenus en otage, des dizaines, des centaines de racines, de perce-neiges, d'edelweiss, s'élevèrent, révoltés.

La vie, chaude et coloré, se rebella contre ce désert, froid et terne.

Craquement après craquement, explosion après explosion, la végétation jaillit, perçant la dure glace, jusqu'à enfin atteindre la surface liberatrice. Sous la direction de la Maîtresse des Epines qui elle-même s'élevait dans les airs sur son noble trône de plantes, les racines sauvages s'élancèrent. Elles transpercèrent, emprisonnèrent, entourant leurs proies pour les étrangler, les broyer. Elle détruisit, et anéantit tout sur son passage.

En un instant, un tiers des Kondairas fut maîtrisé. Les As tombèrent les uns après les autres.

S'amassant toujours plus derrière la sorcière, se hissant toujours plus haut, la végétation créa une vague. Un mur vibrant de vie, par opposition à celui, immobile, qui lui faisait face. Les racines ondulaient pour narguer les serpents figés dans la glace.

« Certains Sidias ne parviennent jamais à atteindre à un tel niveau de maîtrise. »

Je n'avais aucun mal à le croire.

Puis la Maîtresse des Epines baissa son bras. Ses soldats chargèrent en réponse. La vague déferla sur les nouveaux monstres venus prêter main forte à ceux prisonniers des ronces et des épines. Ils furent engloutis, ensevelis. Brisés.

Quand les racines arrivèrent au pied du mur de glace, la végétation grimpa, colonisa la paroi de son enchevêtrement de plantes. Un réseau se forma, s'étendant en cercles concentriques dont l'origine n'était nul autre que la cheffe d'armée.

Incapable de repousser l'envahisseur, la glace s'inclina face à la flore.

— Je te l'avais dit.

La voix de Lucas me sortit de ma contemplation ahurie. Tout sourire, il avait lui aussi observé silencieusement le spectacle.

Je n'en revenais pas.

« C'est impressionnant, je dois le reconnaître. »

— Rappelle-moi de ne jamais énervée Elsa, dis-je, perturbée.

Quand je pensais que j'avais craint pour eux... J'eus presque pitié des pauvres Kondairas qui leur faisaient face.

Le Crépuscule Pourpre, la crème de la crème des héros, capable de maîtriser une armée de centaines de Kondairas à elle seule.

Ils semblaient imbattables. Inarrêtables.

Mais alors... comment avaient-ils fini dépassés à Barssa ?

— Allons-y, ordonna Edan. La voie est dégagée et Elsa nous a créé un escalier.

Lucas hocha la tête.

— Il faut nous dépêcher, ajouta le héros ensoleillé. Ils ne tiendront pas plus d'une heure à ce niveau, ils vont devoir ralentir.

Me détachant difficilement de ce déferlement écrasant de puissance, je suivis presque à regret mes compagnons du bataillon d'exploration. Devant nous, des plantes s'assemblaient pour former des marches, nous menant vers une des immenses entrées bulleuses du Tombeau.

Nous ne perdîmes pas plus de temps et pénétrâmes dans la sépulture. Le passage du voile opaque me fit l'effet de la traversée d'un courant d'eau, le côté mouillé en moins. L'intérieur était semblable à l'extérieur, avec les sculptures de glace le long des murs. Le plafond s'élevait à des dizaines de mètres du sol givré. L'immense salle se terminait pour se découper en six couloirs alignés les uns à côté des autres.

« C'est le moment de sortir la jacinthe, la baratineuse. »

— Lance tes oiseaux, Corbeau, ordonna Edan. Nous cherchons son laboratoire, sa salle aux trésors et s'il y en a, de l'emelite.

À ses yeux fermés et son air concentré, l'aventurier était déjà en train de les appeler.

Je sortis la jacinthe de ma poche et attendis que Talia fasse sa part.

« Je prends le contrôle. »

Quand un voile blanc traversa mes yeux, qu'un malaise passagé me tomba dessus, troublant ma vision, mes pensées l'espace d'une seconde, je sus que de l'Argia avait été libéré.

Au-dessus de moi, une nuée d'une demi-douzaine de corbeaux battaient frénétiquement des ailes. Les volatiles se dispersèrent dans différents passages, partant en éclaireurs.

Nauséeuse, je baissai la tête vers Edan, près de moi. Reprenant mes esprits, je jetai un œil à la fleur. De légères traces dorés. Dieux merci, l'honneur était sauf cette fois. Ma déesse semblait bien aux commandes.

Dans ma main, alors que j'essayai de la protéger des regards alentours, je notai une légère subtilité. L'or présent pour le moment se rassemblait sur le côté droit de la plante. Était-ce comme une boussole ?

« Il faut prendre un couloir à l'est. Approche-toi, qu'on puisse identifier lequel. »

Apparemment.

— Je dois aller dans un des couloirs à l'est, dis-je, y allant au culot. Ce que je cherche s'y trouve.

Lucas hocha la tête.

— Ton intuition, approuva-t-il, compréhensif.

Une intuition nommée « fleur divine ».

— Nous t'accompagnons, déclara le héros.

À mon grand étonnement, Edan ne protesta pas et nous nous dirigeâmes tous ensemble vers les passages.

Tandis que nous marchions – guidée par ma fausse intuition et ma réelle jacinthe – notre progression vers mon objectif fut ralentie par plusieurs obstacles.

Le premier regroupait l'ensemble des pièges que le Tombeau renfermait.

Entre flèches s'échappant des murs, serpents venimeux et autres horribles et hideux Kondairas, j'avais perdu dix ans de vie. Le coup de grâce me fut asséné lorsque, quand l'un de nous avait accidentellement actionné un énième mécanisme, le sol s'était ouvert sur un immense gosier délimité par de longues dents prêtes à nous déchiqueter. Des sortes de ventouses sorties de nulle part, comme les tentacules d'un poulpe, s'étaient emparées de nos jambes, nous attirant vers la gueule monstrueuse. C'était sous mes yeux affolés et terrifiés, que, larmoyante, tendant une main désespérée vers mon héros ensoleillé, celui-ci m'avait totalement ignoré pour se lancer au secours d'Edan.

« Ah... Cette vérité fait mal. »

Mon cœur s'était brisé, mon capital sympathie réduit au néant. Abandonnée au pire moment. J'étais anéantie. C'était Corbeau qui m'avait finalement secouru à temps.

Le second, propre au Guérisseur, témoignait effectivement de ses inventions farfelues.

Longeant le palais de glace, alors qu'encore secouée de mon étreinte récente avec la mort et ma douloureuse prise de conscience que je n'étais pas la priorité de mon héros, les façades étaient devenues si claires, si pures, que nous évoluons à présent à travers des miroirs.

Quand mon reflet ricana, je poussai un cri s'apparentant à un couinement constipé et me camouflai derrière Edan. Si je restais derrière lui, alors je serais certaine d'être protégée par Lucas. Le regard dédaigneux du riche homme d'affaires n'apaisa en rien mon angoisse.

— Mon reflet a souri ! me justifiai-je.

— C'est normal, expliqua-t-il lentement, comme s'il s'adressait à une demeurée. C'est ce que fait un reflet quand une personne le contemple. Il renvoie l'image de cette personne.

— Imbécile, grinçai-je en serrant son bras exagérément. Tu trouves que j'ai l'air souriante là maintenant, Sac à Sous ?

« Je te sens légèrement tendue. »

Va mourir, déesse de pacotille.

Mais alors la main de mon reflet s'empara de l'autre bras d'Edan. Les yeux écarquillés, il fit face à ma silhouette de glace qui s'échappait du miroir.

— Qu'est-ce que...

Voilà que je me battais contre moi-même pour obtenir Edan...

Les mouvements mécaniques, nos sosies sortirent un à un des parois, et nous attaquèrent. L'idée était apparemment de s'emparer de nos attributs qu'ils ne possédaient pas de part leur condition de statue de glace, comme nos yeux ou nos oreilles, puisqu'ils tentèrent de nous les arracher à la moindre occasion. Lucas s'en débarrassa bien vite, comme tous nos autres obstacles.

J'étais exténuée alors que je n'avais rien fait si ce n'était paniquer. Par tous les dieux, faites que cette journée se termine rapidement...

Un troisième obstacle s'opposa à nous lorsque nous atteignîmes notre première destination.

Nous avions déjà dû perdre la moitié de notre temps à déambuler à travers les différentes allées de l'immense labyrinthe que représentait le palais. En chemin, alors que je suivais la direction indiquée par ma plante-boussole, grâce à la topographie réalisée par les corbeaux, nous finîmes par atteindre le laboratoire du Guérisseur. Celui-ci me souleva l'estomac. Une fois que Lucas se fût débarrassé de la demi-douzaine de Kondairas moitié félin moitié équidé qui ravivèrent un vif traumatisme en moi, nous pûmes explorer les lieux.

« Tu possèdes le meilleur bouclier qui soit cette fois, tu ne finiras pas transpercée comme à Barssa. »

Comme si les traumatismes fonctionnaient si innocemment. Mais la vue de leur cadavres inertes et inoffensifs me soulagea quelque peu.

Tout autour de nous, enfermés dans des tubes de verres, immobilisés dans la glace, des membres, des têtes, des corps d'espèces légendaires avaient été exposés. Une tête chevaline parée d'une corne argentée sur le front. De majestueuses et immenses ailes charbonneuses de chauve-souris. Des couleuvres et des cobras si grands, si long qu'ils avaient dû être enroulés sur eux-mêmes. Et de petits chats aux yeux immenses.

« L'enfoiré. Il le paiera de sa vie éternelle. »

Edan avait utilisé deux parchemins pour ramener des élixirs de guérison d'or liquide. Finalement, le laboratoire n'était pas bien intéressant, peu riche. Entre cadavres et mixtures douteuses, rien ne bien attrayant. Cependant, de nombreux écrits sans grand sens pour moi étaient étalés un peu partout. Plusieurs d'entre eux possédaient des dessins, des croquis qui m'interpellèrent. L'un représentait des sortes d'ombres noires à forme de chimères, la gueule léonine béante. Sa vue me généra un intense sentiment de malaise, sans que je ne parvienne à savoir pourquoi. Un autre esquissait une carte, avec des représentations d'une cité, d'un palais. Me remémorant mes lectures des derniers mois, il me sembla reconnaître le Paradis des dieux. Impulsive, j'engouffrai les pages volantes dans les bouquins qui traînaient, puis utilisai mon propre parchemin pour les téléporter.

Je n'aurais qu'à signifier à Edan que j'avais perdu le mien, il m'en donnerait un nouveau. Il n'oserait tout de même pas m'abandonner pour mon incapacité... ?

Une fois notre étape terminée, nous reprîmes la route. D'après Corbeau, la salle du trésor était droit devant nous, pile la direction que la jacinthe m'indiquait. En définitive, nous nous rendions tous au même endroit.

La première chose qui me sauta aux yeux lorsque nous entrâmes dans la pièce fut la sobriété des lieux. Les façades en roche grisâtre avaient remplacé les murs de glace. La dure surface était parfaitement lisse, aucune sculpture ne l'habillait. En fait, alors que je m'étais attendue à une montagne de richesses, l'immense salle équivalente à trois pâtés de maisons était entièrement vide. Neutre. Seul un renflement, une sorte de bureau, s'étirait du mur est. Du moins, vide en ce qui concernait les trésors.

Pour protéger la demeure, les baleines bleues Kondairas serpentaient dans les airs, où le plafond s'élevait à plus de vingt mètres de haut. Aucune ouverture bulle de savon. Les lieux semblaient complètement hermétiques si ce n'était les deux couloirs, d'où nous venions et face à nous, qui étaient les seules sorties. Ce qui signifiait que les monstres restaient en permanence dans la pièce, et n'avaient pas pu être attirés dehors par la diversion de nos compagnons.

Mais ce n'était pas notre seul problème.

Au sol, notre dernier obstacle, et pas des moindres, nous ignorait royalement.

« Des Sidias mineurs. Des gardiens. Dévoués au Guérisseur. »

Je me réfugiai derrière les trois hommes qui m'accompagnaient.

Trois géants de glace à silhouette humaine se tenaient au centre de l'imposante salle. L'un d'eux, de long cheveux fillasses de neige recouvrant son crâne et tombant sur son dos et sa poitrine, était assis en tailleur à même le sol, gravant au sol des hiéroglyphes inintelligible pour la pauvre humaine que j'étais.

Un second, un heaume sur le crâne et une armure en acier inoxydable habillant son corps givré, une lance à la main, ferraillait contre le dernier, bien plus imposant, plus glaçant, plus... piquant.

Un entraînement entre dieux. Nous tombions à point nommé.

Comme si nous n'existions pas, les Sidias continuèrent leur attaque, indifférents à notre présence spectatrice.

Dans ma main pourtant, la jacinthe était pratiquement recouverte d'or, preuve que nous étions arrivés à destination. Un corbeau traversa rapidement la pièce avant de disparaître par le couloir de sortie face à nous. Maintenant qu'il nous avait mené ici, sa mission était terminée.

— Je ne pense pas que nous devrions les déranger, dis-je.

« Il le faudra bien pour récupérer la chair du Guérisseur. »

La chair ? J'allais vomir.

— Il s'agit d'une sorte de tableau de contrôle, m'ignora Corbeau en observant le bureau collé au mur de droite. Le corbeau les a vu le manipuler pour invoquer leurs armes. Ils ont fait apparaître plusieurs étagères enfoncées dans la roche qui renferment de nombreux trésors.

N'aurait-il pas pu mentionner la présence de ces géants plus tôt ?

Puis me concentrant sur les visages de mes deux autres compagnons, je compris : ils étaient au courant. Quand cette information avait-elle était partagé à l'équipe ? Pourquoi n'avais-je pas été mise dans la confidence ?

« Cela a été brièvement évoqué pendant ta crise de panique dans le laboratoire, il me semble. »

Mais qu'est-ce que je faisais là...

— Lucas, tu penses pouvoir les gérer seul ? demanda Edan.

Gérer trois dieux, seul ? Avait-il perdu l'esprit ?

— Pendant un court laps de temps cela devrait être jouable, répondit le héros ensoleillé.

— Je vais t'épauler, ajouta le propriétaire de la Maison.

Lucas hésita à protester.

— Corbeau, combien de temps te faut-il pour trouver la pierre ? continua Edan.

La pierre ? Il cherchait donc un artefact caillou ?

— J'ai étudié de nombreux recueils sur le Guérisseur, mais sans voir la structure exacte du système, il m'est difficile d'estimer un quelconque délai. Si je demande à mes six corbeaux de m'aider cela peut être rapide. Je dirais une dizaine de minutes après avoir compris l'organisation et fait apparaître la totalité des artefacts. Si l'on part du principe qu'elle est bien ici.

— Elle l'est, affirma Edan. À l'extérieur, les autres ne tiendront plus qu'une petite demi-heure, si on ne veut pas voir tous les Kondairas débarquer, il va falloir que nous soyons efficaces.

— Alana, m'interpella Lucas. Tu pourras trouver ce que tu cherches ici ?

« Avec la jacinthe, aucun problème. Nous trouverons certainement avant eux. »

Je hochai la tête.

— Bien, conclut Lucas. Faisons au mieux. Faites attention à vous.

Et le Soleil Levant s'avança calmement vers les géants bleus. Comme si ce n'était pas lui qui prenait le plus gros risque.

Edan détacha une arme de sa ceinture, une sorte de fouet, que j'avais de prime abord pris pour une corde. Le riche propriétaire me jeta un coup d'œil avant de suivre son ami.

Mon cœur se pinça de savoir qu'ils partaient affronter trois dieux. Les As me semblaient déjà horriblement hors de portée, mais se confronter à des Sidias... Même s'il s'agissait de divinités mineures, elles n'en restaient pas moins vénérer par des millions d'individus. Leur Argia était incommensurable.

Poussant un soupir, Corbeau et moi nous précipitâmes vers le fameux bureau.

Derrière nous, le combat entre les géants bleus s'étaient interrompus. Ils échangeaient des mots avec Lucas et Edan tandis que celui assis ne nous lâchait pas du regard.

L'aventurier à mes côtés entreprit d'activer la sorte d'écran qui marbrait la roche grise. Il appuya un peu partout, de manière j'en étais certaine totalement aléatoire. Après plusieurs échecs frustrants, le tableau de bord s'illumina soudainement.

Le géant assis bondit sur ses jambes puis s'élança vers nous à toute vitesse. En une seconde, il fut devant nous, prêt à nous écrabouiller de ses poings joints.

Mais une étoile filante, éblouissante, descendit du ciel tel un éclair foudroyant. Le soleil à silhouette d'homme sectionna les bras réunis en l'air. La lumière se propagea bien avant le son, et les bras tombèrent au sol alors que le corps de l'homme atterrissait entre le géant et moi. Les moignons fumants rougeoyèrent, comme une page de papier brûlée. Le Soleil Levant ceintura le Sidia démembré avant de le repousser vers ses compagnons, aussi brutalement qu'un coup de tonnerre, plusieurs dizaines de pas plus loin. Le violent souffle de l'impulsion m'obligea à lever mon bras pour me protéger.

Bouche bée, je repérai le géant aux cheveux de neige s'encastrait dans le mur du fond. Le fouet noir d'Edan, recouvert d'une lumière noire, comme faits de ténèbres ondoyant, repoussaient les deux autres Sidias, tandis que Lucas les rejoignait.

— J'ai trouvé !

Au cri de l'aventurier près de moi, sur l'entièreté des murs, des panneaux s'abaissèrent, glissèrent pour dévoiler des dizaines, des centaines de boîtes en verre, en glace, présentant les plus précieux trésors de Karaval. 



**--- Note de l'auteur ---**

Allez Lucas ! Allez Lucas !

Merci pour votre passage ! N'hésitez oas à voter, commenter si cela vous plait !

À très vite !

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top