Chapitre 24 - La représentation des aventuriers

C'était dans une longue robe bustier rouge bordeaux en satin, plantée sur des talons aiguilles me grandissant d'une bonne dizaine de centimètres que j'assistais à la succession d'aventuriers talentueux. J'avais relevé mes cheveux en un chignon élégant qui libérait quelques mèches bouclées et un fin collier ornait ma gorge nue.

Toute en élégance et méchamment sexy.

La salle de spectacle était organisée à l'image d'une arène. Au centre, une scène d'une cinquantaine de mètres carré auréolée de lumière éblouissante, pointait l'objet de notre attention. Autour, se déployant tels les rayons du soleil, des rangées de sièges s'étendaient au sol. Au-dessus, à l'image des opéras, des loges surplombaient le tout, offrant une vue panoramique sur l'ensemble de la salle.

Cette dernière était complète, pas une seule place libre ne pouvait être aperçu. Il fallait avouer que le programme était alléchant. Pas moins de cinq Maisons dont trois parmi les plus affluentes du pays proposaient des représentations ce soir. La famille royale elle-même avait fait le déplacement pour l'occasion.

La loge où je me trouvais se situait du côté est de la salle. Nous étions une dizaine dans la pièce et les représentations se succédèrent, fascinantes, sous nos yeux envoutés. J'étais appuyée contre la rambarde, légèrement penchée pour ne rien louper.

Si une personne mal intentionnée avait voulu me nuire, il lui aurait suffi de légèrement me pousser pour que je ne passe par-dessus bord. Mais, comme promis, Edan assistait au spectacle à mes côtés. Personne n'oserait donc faire quoi que ce soit. Excepté lui peut-être.

L'homme d'affaires était aussi sublime que toutes les fois où j'avais eu la chance de le voir porter un costume trois pièces. Je notais cependant qu'il n'y avait aucune accoutumance, aucune perte d'intérêt à ce spectacle-ci, peu importe le nombre de fois où on y assistait. Il était toujours saisissant.

Nos bras se frôlaient régulièrement et je me surpris à chercher son contact, saisissant sa main ou son avant-bras lorsque je voulais son attention sur moi, lui délivrant de légers coups de coude dans les côtes lorsque je la trouvais insuffisante. D'un point de vue extérieur, on aurait pu penser à une enfant en quête d'affection.

Seigneur, je me transformais en Lucas, c'était officiel.

Ce dernier était également présent, aux côtés de son élégant ami. Eblouissant la loge de sa bonne humeur, nous passâmes un agréable moment, et je fus contente d'être finalement venue. Cette parenthèse, où j'étais simplement spectatrice, où je me contentais de commenter et bavarder avec mes amis, me rappela qu'il y avait aussi ces précieux moments que je n'aurais jamais connu si l'Hitzord ne m'avait pas choisie ce jour-là.

Elsa, dans une robe sirène corail, était présente à mes côtés et je ne pouvais m'empêcher de ressentir de la tendresse pour cette femme piquante et audacieuse. La plus grande révélation de cette soirée n'avait aucunement été les prestations, mais la vision d'une Elsa énamourée relatant la demande en mariage de son amant.

— Le prince héritier ?!

J'avais tellement crié que si une personne dans la loge n'avait pas été au courant, ce n'était à présent plus le cas. La Maîtresse des Epines m'avait observée, étonnée.

— Tu ne le savais pas ?

Non, je ne savais pas.

— Je... Euh... Depuis quand ?

— Cela fait un moment, je dirais...

— Tu veux dire que tu vas être notre future souveraine ? l'interrompis-je quand je pus enfin arriver à la conclusion logique de cette annonce.

Elle éclata de rire.

— Tu devrais voir ta tête, c'est hilarant.

En quête de soutien, je me tournais vers Edan et Lucas, saisissant le bras du premier.

— Vous le saviez ?

— Bien sûr, répondit hautainement le riche propriétaire.

— Tu devrais les voir ensemble, ajouta Lucas. Elsa s'adoucit terriblement.

— Attention à ce que tu dis, rayon de soleil, si tu ne veux pas perdre tes dents éclatantes.

— Rencontrer le prince ? m'étonnai-je encore. Ce serait incroyable. Tu crois que tu peux me présenter ?

— Le retour de l'opportuniste, commenta Edan dans sa barbe.

— Tu dis ça mais tu es sans doute celui à qui cette histoire profite le plus, répondis-je.

J'imaginais que la couronne devait grandement soutenir le Crépuscule Pourpre si la future reine en faisait partie. Il ne faudrait pas qu'il lui arrive quoi que ce soit.

— Bien sûr, durant la réception si tu veux, accepta aimablement Elsa, nous ignorant royalement.

Six représentations se succédèrent. Une par Maisons participantes dont le Crépuscule Pourpre et une dernière prestation délivrée par un élève de l'Académie des héros.

Nous pûmes assister à un défilé d'œuvres d'arts qui m'émerveillèrent autant qu'elles m'emplirent de cette joie candide qui nous consume lorsque nos attentes sont surpassées.

Une tragédie romantique populaire se déroula sous nos yeux. Elle débuta tout en douceur. Les acteurs, les décors, entièrement constitués d'eau, flottaient au-dessus des sièges, manipulés par une magicienne minutieuse. Des jeux de lumières artificielles venaient complétés la magie du moment, se reflétant sur l'eau pour générer un arc-en-ciel de couleurs.

— Tu devrais voir quand c'est Lucas, me glissa Elsa, amusée de mon air ahuri. On se croirait à l'intérieur même d'un cristal réfléchissant, naviguant au milieu des aurores boréales elles-mêmes.

En réponse à la douce introduction orchestrée par les fluides mouvements aquatiques, au moment où l'action prenait le pas dans le récit, des flammes balayèrent les silhouettes, en créant de nouvelles bien plus vives. Le deuxième aventurier, membre d'une seconde Maison, prit le relais pour narrer la course poursuite pendant un temps. Les chevaux enflammés parcoururent la salle, ils passèrent si prêt des loges qu'inconsciemment je tendis la main pour tenter de l'atteindre.

Edan attrapa ma main et l'emprisonna en secouant la tête devant ma bêtise. Incapable d'être distraite, je l'ignorai et retournai au spectacle.

Le flambeau fut passé au suivant au moment où n'ayant pas réussi à rattraper sa belle enlevée par la sorcière jalouse, l'amant entreprit une expédition pour la secourir des griffes de la forêt enchantée où elle était retenue.

Les flammes se dissipèrent, et laissèrent dans leur sillage, une épaisse fumée. Un intense brouillard s'éleva alors dans toute l'assistance et il devint rapidement impossible de distinguer quoi que ce soit. Rendu aveugle, associé à un silence qui dura un instant, la tension dans toute la salle monta d'un cran. Soudain, des mains de fumées émergèrent, tentant de nous happer. Surprise, je reculai vivement, sous les regards amusés de mes compagnons.

Bientôt, des cliquetis, des gémissements, des cris de bataille résonnèrent. Le brouillard se densifia et s'étrécit, se réunissant en un cercle flottant au centre de la pièce. De ce cercle, la silhouette de l'amant apparaissait, repoussé par ses ennemis, avant qu'il ne reparte à l'assaut, incapable d'abandonner sa bien-aimée. La brume de l'amant continua, encore et encore. Il fut tellement repoussé, tellement expulsé de la sphère opaque, il repartit tellement de fois que j'arrêtais de compter après la dixième.

Ses avancées se firent plus lentes, il se relevait de plus en plus difficilement.

Et ce qui devait arriver finit par arriver : plus aucune silhouette ne s'échappa du cercle de brume.

L'amant avait-il succombé ?

Une minute s'écoula sans que rien ne se passe. Je tournai la tête vers Elsa, vers Edan, vers Lucas, impatiente. Leurs yeux braqués sur la sphère, la mine grave, la mine triste, similaire aux expressions de l'assistance, ils suivaient solennellement la scène.

Les notes d'une mélodie s'élevèrent, une voix reprit l'air, l'habillant de son timbre mélancolique. Et devant moi, alors que la brume se dispersait, une silhouette apparut.

Je me crispai et me tendis, retenant mon souffle.

Sous mes yeux se trouvait... moi-même. Allongée au sol, entourée de faune et de flore féérique sombre et fanée, je semblais endormie, isolée dans ce décor de désolation.

Je semblais... morte.

Qu'est-ce que...

C'est alors qu'une seconde silhouette me représentant sortit de derrière un bosquet, se trainant difficilement, le corps fourbu de blessures. La silhouette douloureuse s'avança vers la belle endormie et s'écrasa à ses côtés.

Et elle pleura. Inconsolable.

Perturbée, mes propres larmes brouillèrent ma vision, tandis que la silhouette au cœur brisé berçait le corps de l'endormie dans ses bras.

Mais, me surprenant autant qu'à la silhouette, l'endormie... bougea. Elle bougea et, ouvrant les yeux, la faune et la flore se ravivèrent autour d'elles, la vie se répandit de nouveau.

La mélodie s'accéléra aussi rapidement que mon cœur, et les couleurs envahirent la scène.

L'endormie se redressa. Elle se releva et majestueuse, elle emplit les lieux. Je me rendis compte que son apparence me ressembler sans me ressembler. Elle était bien plus belle, plus charismatique, plus irréelle.

Plus divine.

L'endormie prit la main de la silhouette au sol, et inclina la tête en témoignage de sa gratitude.

Les paroles de la chanson résonnèrent dans ma tête, écho du tumulte des émotions qui faisait rage en moi. J'eus alors la conviction, la certitude de savoir ce qu'il se passait.

Il s'agissait de Thalia et moi.

L'amant qui me représentait avait bravé tous les dangers pour poursuivre sa bien-aimée et la délivrer de son triste sort. C'était une métaphore de notre histoire. Braver tous les dangers pour enfin nous délivrer, l'une et l'autre, et permettre à Thalia — et moi par la même occasion — de reprendre nos vies. Il s'agissait de la conclusion de notre histoire, celle que je souhaitais, que je désirais si ardemment.

— Qu'as-tu vu ?

Edan dû répéter une seconde fois sa question afin que je revienne au présent, à cet instant, perturbée que je l'étais par ce que j'avais compris.

Clignant des yeux plusieurs fois pour me reprendre, je me tournai vers Edan. Je secouai la tête, pris une inspiration tremblante, puis essuyai rapidement mes joues humides, encore sous le choc de la représentation.

— Que veux-tu dire ? demandai-je, légèrement perdue.

— La scène finale. Qu'as-tu vu ?

Il se pencha près de moi, nos têtes se touchant presque, nous isolant du reste du monde. Il m'indiqua du doigt la scène.

Surprise, j'y vis Justin, rayonnant de bonheur.

C'était donc lui qui avait été assigné à la représentation de ce soir.

Essoufflé, l'adolescent s'essuyait le front, un sourire aux lèvres. À ses côtés, une femme aux cheveux courts arborait la même expression. Ils s'inclinèrent devant leur public qui les applaudissait et les acclamait. Justin étalait une telle fierté, une telle joie, que je compris pourquoi mes réflexions sur les représentations artistiques par les aventuriers l'avaient vexé. Il était évident que le jeune homme avait pris énormément de plaisir à faire tout ceci.

— C'est sa capacité, m'expliqua Edan. Ce qu'il est capable de faire avec l'Argia. Il crée des illusions, tirés des désirs de chacun. Associée à la capacité de Marie, qui manipule par sa voix, ils sont capables de générer des illusions individuelles à toute une assemblée.

Individuelles ?

— Chacun a donc la fin qu'il souhaite, compris-je, fascinée.

Edan hocha la tête.

— Alors, qu'as-tu vu ?

— Hmm... je... Je préfère le garder pour moi, dis-je timidement en détournant le regard.

Guettant sa réaction du coin de l'œil, je crus apercevoir un sourire attendri.

La dernière prestation, celle présentée par l'étudiant de l'Académie des héros, qui était individuel contrairement à celle des Maisons, débuta. Je n'y prêtais hélas pas beaucoup d'attention, mon esprit accaparé par la représentation dont nous venions d'être témoin. Je comprenais mieux pourquoi elles fascinaient tant, pourquoi les nobles, le peuple se battaient pour en apercevoir. Elles laissaient un souvenir indéfectible.

Par égard pour celui qui avait foulé la même Académie prestigieuse que moi, lorsque les applaudissements commencèrent à retentir, je fournis un effort et me concentrai sur la dernière prestation alors que celle-ci touchait à sa fin. L'étudiante tourna la tête vers les quatre coins de la salle, saluant le public. Quelle ne fut pas ma surprise de reconnaître Cravate Rose Bonbon. Un sourire étira mes lèvres tandis que j'imaginais sa tête quand elle allait me voir à la réception aux côtés du Crépuscule Pourpre. Après tout, peut-être ne serait-elle pas si étonnée puisqu'il était à présent actée dans toute l'Académie que j'étais en couple avec Lucas. Elle allait pouvoir conforter les rumeurs. Un ricanement m'échappa. Je n'avais aucune intention de démentir quoi que ce soit.

La salle se vida peu à peu et nous fûmes dirigés vers une immense salle de réception. De grands lustres de verres et d'or descendaient du plafond peint de blanc. Les murs crème dégoulinaient de sobriété, seulement habillés de quelques miroirs encadrés d'or de ci-de là. Des dizaines de tables élégamment dressées sur des nappes colorées ponctuaient la pièce de touche de couleur différentes. Des buffets savamment garnis encadraient le tout, mettant brillamment en lumière les coupes de champagnes et verres de vin à foison.

Au fur et à mesure que les discussions fusaient, un brouhaha grandissant envahit le banquet.

Perdue au milieu de la foule, je m'accrochai à Edan comme si ma vie en dépendait. Ce qui était sans doute le cas. Car c'était maintenant que la partie difficile de la soirée commençait.

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