Chapitre 21 - L'Académie des Héros (2/2)

Alors que j'étais toujours considérée comme la bonne dernière de la classe – quel que soit l'enseignement au vu de mes médiocres performances – et alors que j'étais en paix avec cette vérité inéluctable, je m'étais résolue à faire de mon mieux sans toutefois m'en rendre malade.

Ce fut durant le premier jour de la semaine que tout débuta. J'étais partie me reposer, m'asseyant sur un banc de bois, près de l'immense cour d'entrainement parcourue tant de fois que j'avais fini par mémoriser le nombre de foulées permettant d'en faire le tour — cinq cent soixante-dix. Je buvais, et étirais mes jambes courbaturées, quand mon quotidien morne et insipide s'était soudain illuminé à l'entente de quelques simples mots.

— Toujours en vie ?

Faisant fî de mes douleurs musculaires et articulaires qui me donnaient quarante ans de plus, je me levai d'un bond. Tout mon être se réchauffa et je souris de toutes mes dents. Je me jetai au cou de Lucas Alicent. Surpris, il me rattrapa au vol, nous stabilisant, tandis que je le laissai porter tout mon poids.

« Il est presque aussi compétent que le Sidia du Bonheur. C'est impressionnant, comment fait-il ? »

— Lucas ! m'exclamai-je, ravie. Je t'en supplie, sors-moi de cet enfer !

Le Soleil Levant explosa de rire et le son se propagea de sa cage thoracique à mon corps pressé contre lui.

— Je vois que tu es en forme, conclut-il.

À quoi voyait-il que j'étais « en forme » ? J'étais presque certaine que les larmes qui me montaient aux yeux étaient des larmes de détresse, aucunement de joie de le retrouver.

À quoi servaient les héros s'ils n'étaient pas fichus de sauver les âmes en peine ?

Je me détachai de lui pour l'observer en fronçant les sourcils, mes mains sur ses épaules. Puis je notai l'agitation qui commençait à gagner le terrain et les quelques centaines d'étudiants qui s'entraînaient sur le stade.

Je le repoussai un peu plus loin, vers le lieu des vestiaires.

— Qu'est-ce que tu fais là ? demandai-je. Comment as-tu fait pour passer inaperçu ?

Pourquoi n'y avait-il pas une horde de groupie en délire à sa suite ?

— Je sais être discret quand il le faut, répondit-il tandis qu'il se laissait entraîner à ma suite.

J'entendais presque mon professeur d'entrepreneuriat d'une maison expliquer que cela faisait partie des qualités d'un aventurier. Voilà qu'il avait presque réussi à me conditionner, quelle horreur.

— Et je venais te voir, poursuivit le Soleil Levant. Edan m'a expliqué que tu n'avais pas la grande forme, j'étais inquiet alors je suis venu te trouver.

Ne pas être attendrie Alana, ne pas être attendrie.

— Mais je suis ravi de voir que ce n'était que passager, continua-t-il, son large sourire lumineux de retour. Cela me fendait le cœur d'imaginer la toi joviale toute éteinte.

Adieu l'attendrissement. Cette fausse image qu'il avait de moi avait le don de me mettre mal à l'aise.

— Oui, hum... répondis-je gênée. Les premiers jours ont été difficiles, je dois l'avouer, mais je vais mieux maintenant.

Aucunement.

Je changeais de sujet.

— Quand es-tu rentré ?

— Hier soir.

Et il n'était venu me voir qu'aujourd'hui. Mouais. Je pariais qu'il s'était précipité voir Edan. Mais il était venu, et c'était déjà beaucoup pour quelqu'un d'aussi convoité.

Nous arrivâmes derrière le petit local de pierre qui servait de vestiaires, à l'abri des regards et je m'assis contre le mur, épuisée. Je tapotai le sol à côté de moi, tout sourire, et Lucas s'y installa.

— Et je suis également venu te rapporter ça : regarde, me dit-il en me tendant un bout de papier qu'il sortit de sa poche. Je suis certain que ça te remotivera.

Curieuse, je m'emparai du fin document qui semblait être la coupure d'une page de journal.

Dessus, je pus lire le titre suivant « Le Soleil Levant illumine de sa candeur un nouveau Tombeau ». L'auteur était mentionné à la fin du pavé d'une vingtaine de lignes qui relatait l'évènement : « Kyle Perlon ».

Kyle... Kyle le poisson ? Le journaliste présent à nos côtés durant le raid du Tombeau de Nazar ?

Lucas se pencha près de moi et m'indiqua l'avant dernière ligne.

— Ici.

Je lus la phrase qu'il indiquait. Il s'agissait de la phrase de conclusion, après une description plus qu'admirative de l'intervention de notre héros qui nous avait sauvé la mise.

« [...] Si le Soleil Levant a une fois de plus brillé par sa prestance et son altruisme, rien n'aurait été possible sans le soutien inconditionnel de ses camarades du Crépuscule Pourpre dont la loyauté envers le héros ne fait aucun doute. Leur nouveau membre, forte de ses intuitions auxquelles il convient de se fier ne tardera pas à faire parler d'elle. Sans le Soleil Levant, ayant sous-estimé la véracité de ses propos, je n'aurais pas été en mesure de vous compter cet évènement. Nul doute que le Crépuscule Pourpre redorera très rapidement son image après leur échec de Barssa [...] ».

Je relis plusieurs fois. Une minute, pour de vrai ? On parlait de moi dans le journal ? Alors... Étais-je devenue une célébrité ?

Bon mon nom n'était pas cité, mais il ne faisait aucun doute que j'étais clairement visée ! J'éclatai de rire.

— On parle de moi dans le journal ! Mes dieux, je suis célèbre, ça y est !

« Il n'avait vraiment rien d'autre à dire. »

Je l'ignorai, rien n'anéantirait mon moment de gloire.

Lucas se joignit à mes éclats.

— C'est un journal local réputé dans le Nord, mais on en retrouve quelques exemplaires qui vont au-delà, expliqua le héros. Tes exploits vont faire le tour du royaume !

Prise d'un élan d'affection et d'excitation candide, je serrai une nouvelle fois Lucas dans mes bras en riant.

— Incroyable !

Je relâchai le héros pour lui permettre de respirer normalement. Inutile de ruiner mon entrée dans le monde des héros par le meurtre par étouffement du plus puissant et aimé de tous.

— Est-ce qu'Edan l'a lu ?

J'aurais donné n'importe quoi pour voir la délicieuse frustration d'Edan à la lecture de cet article, qui confirmait qu'il n'avait plus d'autre choix que de me garder avec eux : même la presse m'associait désormais au Crépuscule Pourpre.

Encore surprise par les mots que je venais de lire, ma bonne humeur et mon égo définitivement remis, je ne pouvais plus effacer mon sourire de mon visage.

— Je n'aurais jamais imaginé être un jour cité dans un même article que le Soleil Levant !

— Alana, l'héroïne, plaisanta Lucas. Il va falloir te trouver un surnom.

— Je l'ai déjà, dis-je, fier comme un paon. Je me le suis choisi quand j'avais douze ans.

Qui n'y avait pas déjà réfléchi sérieusement ?

« Je crains le pire. »

Etonné, Lucas haussa les sourcils.

— Qu'est-ce que c'est ?

— La Beauté Fatale, avouai-je.

Le rire de Talia se mêla à celui de Lucas.

— J'avais douze ans, me défendis-je, et pour tout avouer pas énormément de talents à mon actif, donc forcément il peut être amélioré.

« Tu n'as toujours pas gagné en talents, malheureusement. »

Saleté.

— Je trouve qu'il te va comme un gant, me flatta Lucas, des larmes perlant au coin de ses yeux.

Bien sûr qu'il m'allait comme un gant.

— Enfin bref ! Raconte-moi plutôt de ton côté, demandai-je, enthousiaste. Est-ce que tout s'est bien passé ?

Etant donné qu'on ne s'était pas vu depuis des semaines et que j'avais pris l'habitude, sans que je ne m'en rende compte, de partager mon quotidien avec le héros ensoleillé, nous nous retrouvâmes à parler pendant une bonne demi-heure avant que je prenne conscience que j'étais en train de sécher mon cours.

Hilare, Lucas m'abandonna pour que j'en affronte les conséquences seule, m'assurant qu'on continuerait notre conversation le soir même à la villa où il passerait les prochains jours avant de repartir en mission. Ce petit interlude me fit le plus grand bien et, bien que trop court à mon goût, comme si j'avais pu engloutir une bonne dose de vitamines, la promesse de retrouver mon générateur de bonne humeur le soir même suffit à me donner des ailes pour affronter la fin de la journée.

Mon excuse du « j'ai eu un malaise passager » pour justifier mon absence de la dernière demi-heure auprès du professeur d'éducation physique ne fut même pas remise en question. C'était fou comme ces derniers jours, on ne cessait de malmener mon égo.

Maelina et Krystal me sautèrent presque dessus à la fin du cours.

— Alana, commença gravement Maelina en me saisissant les épaules. Ne nous mens pas, nous l'avons reconnu.

— C'était Lucas Alicent n'est-ce pas ? s'écria Krystal avant de couvrir sa bouche de sa main comme si elle n'en revenait pas d'avoir osé dire son nom.

« Ne vient-elle pas de dire qu'elles l'avaient reconnu ? »

Seul un autre fan pouvait comprendre. Je me pinçai les lèvres pour retenir mon sourire.

Si je parlais du Crépuscule Pourpre c'était foutu. Aussi, je décidai de ne mentionner que Lucas, précisant qu'il s'agissait d'une vieille connaissance.

— C'est ton petit ami ? s'écria Krystal, qui manifestement était incapable de parler de Lucas sans hurler d'hystérie.

— Chut, lui enjoignit Maelina en posant sa main sur sa bouche.

Je m'empressai de nier avant qu'il y ait le moindre malentendu.

— Non, non, c'est vraiment un ami, c'est tout.

Malheureusement les yeux perçants et les oreilles indiscrètes qui avaient vu le Soleil Levant et entendu le cri de Krystal ne tinrent pas compte de ma négation. La rumeur se répandit comme une traînée de poudre et à la fin de la semaine, toute l'académie me catalogua comme la petite amie du héros parmi les héros. Même les professeurs en vinrent à me regarder autrement, me témoignant un respect dont ils n'avaient fait montre avant l'apparition de Lucas.

J'eus beau nier, répétant inlassablement que c'était un malentendu, de nouveaux fanatiques revenaient à la charge. Les étudiants ne cessaient de m'aborder, d'échanger des mots avec moi, me saluant, me complimentant et me demandant mon avis sur tout. Alors que pour leur propre bien, il valait mieux se passer de mon opinion. Avais-je déjà mentionné l'horreur de leurs cravates colorées ?

Quand je me rendis compte que certains avaient pratiquement entrepris de former une sorte de périmètre de sécurité autour de moi, j'en restais coite. Moi qui avais toujours rêvé d'avoir des soldats dévoués à ma cause, je me retrouvais affubler d'admirateurs hystériques qui rêvaient de pouvoir apercevoir leur héros en passant par moi.

Puis finalement, j'arrêtai de démentir. Après tout, les gens n'avaient qu'à croire ce qu'ils voulaient.

Et si cela me permettait d'avoir mes propres esclaves, je n'allais pas m'en priver. Ne répétons-pas à tout bon étudiant que les relations étaient primordiales ?

C'était ainsi que j'avais pu, bien malgré moi, m'emparer de l'Académie des Héros.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top