Chapitre 21 - L'Académie des Héros (1/2)

J'eus ma réponse la semaine suivante lors de mon premier jour à la splendide Académie Goldenson : ils étaient pires.

Fondée il y avait plus de deux cents ans et réputée comme la plus compétente en matière de formation pour la maîtrise de l'Argia, l'Académie avait le plus haut taux d'étudiants s'engageant dans les Maisons après leur cursus ce qui lui valut le surnom de « Académie des Héros ». En réalité, elle formait à bien d'autres disciplines, mais les minorités n'avaient pas souvent voix au chapitre hélas.

J'étais allée récupérer mes documents d'inscriptions la veille dans le bureau d'Edan, qui m'avait remis mon emploi du temps avec un sadisme non dissimulé devant ma réticence à rejoindre ces graines de héros. Je lui avais arraché le document des mains avant de m'enfuir en claquant la porte.

D'après l'agenda, je devais assister à seulement trois enseignements différents, ce qui faisait des journées assez libres en réalité. J'étais inscrite pour « l'Autodéfense », le « Maniements des armes – niveau débutant », et « Entreprenariat dans une Maison ». Ce dernier était particulièrement intéressant, et serait d'autant plus utile quand j'aurais pris le contrôle du Crépuscule Pourpre à la place d'Edan.

Je soupirai. Les rêves nous permettaient d'avancer.

Pendant que je devais suivre mes dix-neuf heures hebdomadaires en tant qu'étudiante imposteur, mes amis du Crépuscule Pourpre avaient été dispersés un peu partout dans le royaume. Une vague de déprime s'était donc ajoutée à ma frustration d'intégrer les bancs d'une école qui s'annonçait épuisante au possible. Tellement de dons de soi semblait attendu. J'étais exténuée rien que d'y penser.

L'absence de Lucas se faisait particulièrement ressentir et j'eus une nouvelle fois la preuve qu'il représentait le cœur de cette Maison. Sa bonne humeur contagieuse disparue, la morosité s'emparait des lieux. Comme cette fois où il s'était disputé avec Edan. Toute joie de vivre semblait se mettre en pause dans l'attente du retour de la lumière.

Ecœurant de mièvrerie. Pourtant, je me retrouvai malgré moi victime de ce même mal.

Iris avait également été envoyée ailleurs. Elle avait fui avec plaisir, encore gênée de rester auprès d'Edan après sa déclaration rejetée. Elsa était toujours loin à l'Ouest, ayant rejoint les frontières, où des remous étaient apparus. La couronne avait mobilisé plusieurs Maisons pour prêter main forte aux soldats de l'armée en poste. Son absence ne faisait qu'ajouter à mon manque de motivation.

Pire, Alec était à Krimson, et ne cessait de quémander mon attention. Ses tentatives ennuyantes ajoutées à ma mauvaise humeur allaient finir par me faire l'envoyer paître.

Finalement, les seuls moments que j'appréciais se résumaient à mes discussions unilatérales avec les tombes qu'étaient Ombre et Marvel. Déprimant.

J'avais donc ressenti une pointe d'excitation pour mon premier jour chez les héros, bien que limitée par ma profonde fatigue à l'idée des efforts à fournir sur le campus. Par ailleurs, je mourrais d'envie de découvrir la fameuse bibliothèque.

C'était toute joyeuse, un masque de bienveillance collé sur le visage que je m'étais dirigée vers mon premier lieu de cours – après être passée au secrétariat déposée mon dossier et avoir repéré rapidement les lieux avec un conseiller d'éducation.

J'en avais profité pour contempler le décor. Toutes de pierre, les constructions étaient de tailles modestes, séparées par des nefs ouvertes sur l'extérieur. Comment faisaient-ils lorsqu'il pleuvait ? C'était un mystère. Par ailleurs, des fresques murales décoraient les longs couloirs et chaque salle de cours. De puissants murs soutenaient les hautes voûtes en granite de chaque pièce, permettant d'équilibrer le poids de ses lourdes toitures. Chaque angle, chaque trait présentait des arcs de cercles, des courbures. Certaines fenêtres étaient recouvertes de beaux vitraux beaucoup trop colorés qui me confirmaient que les architectes de cette cité avaient tous sans exception un sérieux problème.

L'amphithéâtre où j'entrai pour mon cours d'« Entreprenariat dans une Maison » était d'époque mais je notai que le mur du fond avait été rénové. Des dizaines de pupitres se succédaient, formant des rangées de dix sièges sur dix. La salle pouvait accueillir une centaine d'étudiants et la scène en contrebas où le professeur s'affairait à tenter de se faire écouter était assez petite. Un tableau en ardoise habillait le mur du fond neuf et un grand bureau en acajou le précédait. Dessus, supports de cours, papiers, manuels, crayons trainaient dans un désordre inéluctable.

Plusieurs étudiants étaient déjà présents, vêtus de l'accoutrement officiel de l'Académie, que je portais également. Il s'agissait d'un tailleur composé d'un élégant pantalon bleu nuit en lin, une fine chemise blanche en coton, une veste de la même couleur que le bas et pour ajouter à l'extravagance, une cravate à la couleur libre. J'avais opté pour du rouge bordeaux, somme toute assez classique.

Un concours dont je n'avais pas connaissance visant la couleur la plus criarde devait être en cours dans la salle de classe sinon quoi le sens de la mode m'échappait totalement. Ce qui était une forte possibilité. Néanmoins, cela avait le mérite de me permettre d'identifier mes camarades d'infortune bien plus efficacement.

Durant ma première heure de cours ennuyante au possible, après m'être placée au milieu de la salle, afin de me fondre dans la masse, j'avais alors pu échanger quelques mots avec un bon groupe de ma classe.

Étant la nouvelle, j'avais eu à répondre à beaucoup de questions de pourquoi je n'arrivais que maintenant, d'où je venais et pourquoi je ne suivais pas tous les cours. J'avais éludé le tout d'un « Je dois suivre des cours de rattrapages car je suis très mauvaise malgré l'obtention de mon diplôme deux ans plus tôt ». Un beau mensonge qui m'avait attiré sympathie et dégoût.

Oui, j'étais une cause perdue, laissez-moi tranquille.

J'avais pu apprendre pas mal d'informations sur mes camarades : Cravate Azur craquait pour Cravate Vert Citron qui lui-même craquait pour Cravate Jaune Citron. Cravate Rose Bonbon, la commère en chef qui me prit sous son aile, était certaine que Cravate Jaune Citron avait secrètement des vues sur elle-même. Cravate Orange Sanguine détestait les cours d'entrepreneuriat et s'était rapidement endormi au fond de la classe, n'étant qu'une « grosse brute », il ne s'intéressait qu'aux cours physique. Je compris que c'était le cancre de ce cours, chaque enseignement en ayant un. Cravate Rose Bonbon était certaine que j'allais lui plaire, il lui tardait donc de nous présenter durant le cours d'autodéfense, seul cours que nous avions en commun qu'il suivait avec intérêt.

À l'issue de ce premier cours, j'étais donc à deux doigts de me jeter d'une falaise.

Le prochain ne fut pas mieux.

J'avais suivi Cravate Rose Bonbon, telle la morte-vivante que j'étais devenue et étais arrivée au cours de maniement des armes que je subis plus que je ne participai vraiment.

Le cours d'autodéfense ne fut guère plus vivifiant. Cravate Orange Sanguine se moqua ouvertement de mon manque d'agilité et de souplesse, car d'après lui j'étais, je citais, « aussi vive que sa grand-mère de quatre-vingt-dix ans ». Si c'était sa manière de m'aborder car je lui plaisais, il allait devoir être suffisamment vif pour arrêter mes doigts quand je tenterais de lui crever les yeux.

« C'est assez dérangeant à regarder, je dois l'avouer. »

Personne ne la retenait. Que cette fichue déesse disparaisse.

C'était ainsi qu'à l'issue de ma première semaine, j'étais devenue la risée de ma classe.

Les regards compatissants des uns n'avaient d'égale que le dégoût, la profonde pitié que je générais chez d'autres. Quand ce n'étaient pas les épées trop lourdes pour mes frêles poignets, les lances trop longues pour mes muscles inexistants et les poignards trop rugueux pour ma peau d'ébène, c'étaient mes jambes qui s'emmêlaient et m'envoyaient sur les fesses.

Dénuée du moindre talent, je commençais à haïr Edan pour m'infliger cette humiliation. Il aurait mérité que je mentionne le Crépuscule Pourpre, ne serait-ce que pour lui faire ressentir le même embarras dont j'étais victime. Mais je ne voulais pas mettre à porte à faux Lucas et les autres, aussi je m'abstins de tout commentaire désobligeant sur la Maison.

Quand un soir, je croisai Edan et qu'il me demanda négligemment comment cela se passait, je m'étais levée furibonde avant de lui répondre d'un ton mielleux et courtois de dégager de ma vue. Après avoir échangé des regards confus avec Ombre, il n'avait pas insisté. Les dieux en soient remerciés, il avait flairé le danger. Je n'étais vraiment pas d'humeur. Cela ne l'avait pas empêché de ricaner ouvertement. Maudit démon.

Je me retrouvai donc fourbue de courbatures, les mains pleines de cloques et des coupures un peu partout. En permanence. Tous les jours. Je n'avais même pas eu l'occasion d'aller à la fameuse bibliothèque car, comble de l'insolence du destin à mon égard, il fallait un passe-droit. Un motif valable pour pénétrer dans cet antre du savoir.

Si la menace d'un corps fracturé ne m'avait pas retenue j'aurais immédiatement demandé à Talia de détruire cet enfer sur terre.

« Je crois que tu n'as même pas les bases physiques pour pouvoir tenir le rythme. C'est pathétique. »

Puisque je devais en plus supporter les encouragements dégradants de Talia, j'étais devenue tout bonnement incapable de jouer la comédie. Mon vrai visage ressortait, envoyant loin mon masque de bienveillance et d'intérêt polie que j'arborais les deux premiers jours. J'évitai autant que possible le contact avec tous ces prétentieux arrivistes qui mériteraient une morsure de petites singes Kondairas pour leur remettre les idées en place.

Et alors que j'avais cru que rien ne pourrait davantage ternir mon humeur déplorable, que ma lassitude profonde menaçait à tout moment d'exploser, on poignarda une nouvelle fois mon égo déjà malmené. Mon professeur d'autodéfense, confirmant les supposition de Talia, m'annonça m'avoir inscrite au cours d'« Education physique », la première unité d'enseignement que tous les nouveaux étudiants suivaient afin d'entretenir leur physique d'aventurier.

Ce cours m'ajouta donc une dizaine d'heures supplémentaires de souffrance dans ma semaine déjà remplie de torture. Endurance, musculation, exercice de souplesse... J'avais mal à tellement d'endroits que j'en oubliais mes migraines.

Je devins un robot, subissant les tortures physiques que l'on m'imposait dans l'espoir secret de leur faire regretter à tous leur regard condescendant. Malheureusement, toute progression venait de l'entraînement, et ma patience était aussi limitée que mon endurance. Ma détermination à réussir à rendre une performance qui aurait arraché à tous mes bourreaux une salve d'applaudissements dura approximativement les quinze premières minutes des exercices de musculation.

Certaines étudiantes venant à peine d'entrer à l'académie, âgés de dix-huit ans, eurent pitié et me proposèrent leur aide. J'aurais voulu les embrasser.

Krystal et Maelina devinrent donc mes meilleures amies et mes rayons de soleil de cet épuisant nouvel enseignement. Finalement, ces deux jeunes femmes étaient les plus nets de tout ce campus. Sans doute car elles n'avaient pas encore été perverties par leurs excentricités, n'étant arrivées que quatre mois plus tôt.

La semaine suivante suivit le même schéma.

Le cours d'Entrepreneuriat des Maisons était mon seul moment de repos. J'écoutais toujours d'une seule oreille, mais j'avais bien compris pourquoi j'avais été assigné à cet enseignement. Il s'agissait de l'approfondissement des bases que Justin m'avait inculquées durant notre trajet retour des Antils.

L'autodéfense restait le plus important j'en avais conscience, et il me semblait acquérir certaines bases, la fréquence de mes chutes diminuait peu à peu. Cravate Orange Sanguine se désintéressa totalement de moi, tout comme Cravate Rose Bonbon qui ne m'adressa plus que des sourires et intonations polies, à mon plus grand bonheur.

J'abandonnai le maniement des armes, seul l'arbalète et le tir à l'arc, où j'avais pu obtenir quelques conseils de Marvel, suscitaient mon intérêt. C'était toujours difficile d'accorder son attention à quelque chose qui nous dépassait et pour lequel nous n'étions pas doués. Dans mon cas, ce « quelque chose » s'appliquait simplement à beaucoup de catégories.

Enfin, je me surpris à apprécier les courses de fond en compagnie de Krystal et Maelina, où peu à peu, contrairement à mes respirations erratiques des premiers jours, j'arrivais à échanger avec elles tout en courant.

Elles m'apprirent que dans les prochains jours un politicien allait venir à la rencontre du directeur de l'Académie. Tout le campus ne parlait que de ça. Il s'agissait du ministre des Finances, désireux de faire état des infrastructures à rénover et de l'investissement à venir qui serait accordé. L'émoi que sa venue suscitait n'avait rien à voir avec son statut, mais tout à voir avec sa « belle constitution ». Ancien étudiant de l'Académie, jeune ministre en vogue, il était aussi populaire chez les jeunes de la capitale que le héros étincelant.

Au détour d'une conversation des plus banales sur leurs projets d'avenir, j'appris que Krystal avait pour objectif de s'épanouir dans les sciences tandis que Maelina souhaitait intégrer une Maison. Cette dernière avait une affinité particulière pour l'Argia qui me rappela quelque peu la maîtrise d'Elsa. Je me fis la réflexion qu'une visite de la Maîtresse des Epines aurait été un bon moyen de la remercier pour sa bienveillance à mon égard. Il allait falloir que j'en touche deux mots à la rouquine.

À ma plus grande joie, pour preuve que le destin ne s'était pas totalement ligué contre moi, Krystal m'informa qu'elle passait de longues heures perdues dans la bibliothèque dans le cadre de ses nombreux projets de recherches.

Avide de savoir, la jeune femme me proposa d'elle-même d'emprunter des livres pour moi si j'en avais besoin, témoignant par la même occasion qu'elle était coutumière de ce genre de procédure. Je la remerciai d'un grand sourire — entre deux respirations anarchiques — et lui donnai une tape amicale sur l'épaule alors que je lui mentionnai mon intérêt pour les Sidias et l'avènement des cultes qui les entouraient dans notre monde et les autres. Elle me promit de m'en ramener quelques exemplaires d'ici la fin de la semaine.

Puis la quatrième semaine marqua le début de mon ascension sociale vers le trône de l'académie.


**--- Note de l'auteur ---**

Qu'est-ce qu'elle a fait...? 😂

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