Chapitre 20 - La capitale des excentriques (2/2)

Le bel homme haussa les épaules, sa main soutenant sa mâchoire parfaitement rasée.

— J'avais envie de te voir, répondit-il, nonchalant.

« Oh, pitié... »

Les fourmis qui s'échinaient dans mon ventre n'étaient vraiment pas les bienvenues.

— Tu m'as vue, à plus.

Je remontai mon ouvrage devant ma figure pour échapper à son regard. Il rit.

— Tu m'as dit que tu voulais que l'on parle de ton contrat, expliqua-t-il. Je suis tout ouïe.

Je le lui avais demandé le premier jour de notre voyage pour arriver à Krimson. Soit il y avait presque une semaine. L'homme d'affaires était encore plus occupé qu'un ministre.

Suspicieuse, je rabaissai mon livre et le dévisageai.

— Comment tu m'as trouvée ?

J'eus une furieuse envie de réduire en miette sa dentition éclatante.

— Je te sens, dit-il. Toujours.

L'intensité soudaine dans ses émeraudes m'ébranla un instant. Je déglutis, me tortillant pour reprendre contenance.

C'était donc à cause des phéromones d'accouplement de Talia. Merveilleux. L'homme d'affaires pouvait me suivre à la trace.

Devant mon malaise évident, l'amusement le gagna à nouveau.

— Si tu repenses à toutes ces fois où tu te cachais pour me suivre en douce, je te confirme que c'était raté.

Malédiction ! Prise en flagrant délit, je ne pouvais même pas nier. Je grimaçai. Mais après tout, je n'avais rien à me reprocher. Il fallait surveiller ses ennemis, c'était une règle élémentaire.

« Nous ne sommes même pas les seules à le suivre à la trace, et tu es de loin la plus indiscrète. Il ne devrait pas se vanter de n'avoir su détecter que toi. »

Dire qu'Ombre avait réussi à le prendre en filature bien plus souvent que moi.
J'avais également beaucoup croisé Marvel durant mes passages clandestins qui m'avaient mené — par le plus grand des hasards — à la position du dirigeant.

Je me préparai à rétorquer une réponse bien piquante, mais il me devança.

— Tu fais souvent ça, commenta-t-il.

Légèrement perdue, je demandai :

— Faire quoi ?

Mentir ?

— Tenter de retenir tes sourires, dit-il. C'est à cause de ta déesse ? De ce qu'elle te dit ?

Je me fermai totalement.

« Où est passé ton talent pour la comédie ? »

Je décidai de fuir ce sujet, puisqu'il était primordial que la teneur de nos discussions intérieures reste secrète à jamais. Pour le bien de tous.

— J'ai discuté avec d'autres membres du Crépuscule Pourpre qui m'ont parlée de leur contrat, commençai-je. En plus du gîte et du couvert qui nous aient fournis, tu offres également un salaire à tes collaborateurs afin qu'ils puissent s'offrir des divertissements, accessoires ou investir dans différents domaines.

L'amusement toujours dans ses yeux, Edan ne me lâchait pas du regard. Il y ajoutait sans aucune gêne et tout à fait volontairement un je ne sais quoi qui me perturbait.

À quoi jouait-il ? Essayait-il de se venger de l'humiliation reçue au cours de notre opération Séduction après notre passage à Manten ? La rancune serait-elle tenace chez le riche propriétaire ?

— Je voudrais donc savoir si je peux également y avoir droit. Et pour les frais médicaux comment cela se passe ?

Puisque soyons réaliste, j'étais bien partie pour recevoir un abonnement à l'infirmerie.

Après un moment de réflexion qui me fit me dandiner dans tous les sens, m'empressant de refermer tous les livres sur la table pour m'occuper, il finit par répondre :

— Je te donnerai deux cents pièces d'argent, que tu pourras utiliser comme bon te semble. Je retirerai la partie nécessaire pour payer les frais médicaux, si utilisés.

Je grimaçai.

— Je viens de te donner l'idée, affirmai-je, sûre de moi.

Il dégaina son arme de destruction massive.

— Tu me donnes beaucoup d'idées, répondit-il charmeur, les sous-entendus tellement évidents que je m'en offusquai.

Wow. C'était quoi ce rentre-dedans ?

Je lui renvoyai un regard glacial.

— À quoi tu joues Sac à Sous ? cinglai-je, énervée.

— Tu ne m'as toujours pas donné ta réponse pour ma proposition.

Je faillis m'étouffer.

— Tu parles de ta proposition de prostitution ?

— Je parle de ma promesse de jouissance.

Ma mâchoire m'en tomba et mes yeux s'exorbitèrent.

— Edan...

« Ressaisis toi, sombre crétine, il veut te mettre dans son lit car cela lui permettrait de m'atteindre et de m'enfermer dans mon Vittsoa. »

Hein ? Une minute. Il pouvait faire ça ? Comment était-ce possible ? C'était quoi cette histoire ?

Mais alors tout devint plus clair. C'était donc ça... Edan avait trouvé un moyen d'enfermer Talia dans son Vittsoa, ce qui le libérerait de l'emprise de son désir. Il n'avait pas réussi à se débarrasser de moi, mais il avait trouvé le moyen de se débarrasser d'elle. Comment ? Pour y parvenir, il fallait semblait-il que nous couchions ensemble. Quelle blague. Tout ce qui touchait aux dieux était vraiment spécial. Depuis quand faire l'amour permettait d'emprisonner son partenaire ? Quoi qu'en y réfléchissant bien... Passons.

Sans doute habitué à peu de résistance, Edan ne tentait même pas de mettre les formes, aussi romantique qu'un orang-outan. Ce rituel ou quoi que ce se soit me semblait avoir des conditions bien étranges... J'aurais aimé pouvoir en demander plus à Talia.

Toujours est-il qu'il s'agissait donc d'un jeu. Très bien.

Mon humeur changea alors et un sourire goguenard fendit mon visage.

— Pour répondre à ta « promesse », Sac à Sous, je suis au regret de devoir décliner.

Je me positionnai de la même façon que lui, comme en miroir, ma main soutenant mon visage tandis que je m'avançai autant que possible au-dessus du petit bureau. Je sentis mes pieds l'atteindre, bien malencontreusement — tout à fait volontairement — et ne les retirai pas, prolongeant ce contact.

Edan haussa un sourcil, curieux.

— Cependant, je la garde en tête et nul doute que je reviendrais certainement te faire une autre proposition quand tu te languiras tellement de moi que tu en deviendras ridicule et gênant. Après tout, tu jouis d'une certaine réputation qu'il me plaira de détruire. Mais plus tard. Bien plus tard.

Tu me supplieras bien avant que je ne te supplie, Sac à Sous.

« Jamais, pas tant que je serais là. »

Un immense sourire m'échappa à la supplique abattue de la déesse.

Edan ricana.

— Il me tarde.

En haussant les épaules, il ajouta :

— J'ai tout mon temps.

« Son assurance est insupportable. Qu'il se croie plus irrésistible que nous m'irrite au plus haut point. »

J'avais bien compris.

« Si tu succombes, je fais exploser ton crâne. »

Merveilleux. Edan m'apparaissait soudain bien moins attrayant. Et la confiance que Talia plaçait en moi pour se sentir obliger de me menacer était des plus touchantes. Ou alors elle avait découvert mon admiration pas si secrète pour le riche homme d'affaires.

— Tu ne devrais pas déclarer la guerre à une déesse, dis-je. Les divinités sont très vaniteuses et revanchardes.

« Merci. »

Edan ignora ma mise en garde et porta alors attention sur les différents ouvrages autour de moi.

— J'ai l'impression que tu t'entends bien avec elle. La cohabitation forcée s'améliore.

Merci le Vittsoa.

— Tu cherches des renseignements sur les Sidias ? demanda-t-il. Sur elle ? Elle te laisse faire ?

L'égocentrisme des dieux avait du bon.

— Pas qu'elle en particulier. Sur les Sidias en général, expliquai-je. Et puis elle peut difficilement m'empêcher de faire ce que je veux.

« Je peux forcer ma prise de contrôle sur ton corps quand je le désire. Bien que le risque d'en ressortir gravement blessé reste élevé. »

Cela m'apprendra à vouloir clamer haut et fort que j'étais maîtresse de moi-même.

— Un mot en Hitzord et elle te met hors-jeu, commenta Edan, lui donnant raison.

Je fronçai les sourcils.

— Je préfère quand vous êtes en désaccord, marmonnai-je.

L'ébauche d'un sourire illumina son visage tandis qu'il attrapait La Chute du Paradis entre ses mains. Il le contempla en silence un moment avant de reprendre.

— Tu as trouvé quelque chose d'intéressant ?

— Tu peux me dire directement ce que tu sais, cela nous fera gagner du temps à tous les deux.

— Je ne crois pas que cela plairait à ta déesse. Je préfère m'abstenir. Comme tu l'as si bien dit, les divinités peuvent être revanchardes.

Comment cela pourrait déplaire à Talia ? Que pouvait-elle bien me cacher ? Était-ce lié à son annihilation et sa disparition de Zeruan ? Comment Edan pouvait-il être au courant ?

— Est-ce en rapport avec cette histoire d'espace des dieux ?

« Qu'est-ce que tu fabriques ? Ne le relance pas là-dessus. »

Je me souvenais de leur réaction quand nous en avions parlé et je ne cessais de me questionner quant à l'importance de l'information pour lui. Était-ce uniquement car il savait alors que Talia avait son propre espace et qu'il pouvait l'enfermer à l'intérieur ? Ou cela cachait-il autre chose ? Pourquoi avais-je eu ce sentiment que sa prise de conscience de l'existence du Vittsoa allait me porter préjudice ?

— Ce point-là est plus personnel, répondit-il.

Je lui arrachai le livre des mains, qu'il se reconcentre sur moi.

— Alors dis-moi quelque chose sur le Tombeau du Guérisseur, nous nous y rendrons bientôt de toute façon.

— Je n'en sais pas beaucoup, répondit Edan en haussant les épaules. Le Sidia se prénomme Karaval et est réputé pour ses grandes connaissances de l'anatomie des dieux, notamment leur essence en Argia pur. Le grand but de sa vie est d'arriver à en créer une artificielle. Personne ne sait s'il a réussi, mais c'est pour cette raison qu'il est perpétuellement chassé à chacune de ses réincarnations et assassiné.

J'étais agréablement surprise qu'il me réponde. Il aurait pu s'abstenir et c'était même la réaction que j'avais anticipé. Peut être gardait-il le secret espoir de me conquérir malgré mon précédent refus. Ou peut-être avait-il simplement pitié de mon ignorance enfantine.

— Les Sidias naissent et sont créés en réponse à un besoin, un désir, une volonté, expliqua-t-il.

« C'est la base de tout. »

J'avais bien compris, ô puissante Sidia des Désirs.

— Ils sont formés à la suite de prières, et c'est la dévotion et la croyance en ces entités chimériques qui entraîne leur création. Si un Sidia naissait d'autre chose que ces sentiments de foi inébranlable, alors quelle pourrait être son essence ? Le but de son existence ? Il ne serait jamais un dieu. Il n'aurait aucun droit divin.

— En gros, il s'agirait d'un être humain.

— Entre autres, dit-il en souriant. Ce qui, tu en conviendras, est assez banal à créer pour un Sidia qui crée des mondes comme les humains créent des royaumes.

Il ne me semblait pas que créer un royaume soit si simple, mais je ne m'attardai pas là-dessus.

— Pourquoi donc empêcher son projet ?

— Karaval a la fâcheuse habitude de jouer les alchimistes. D'utiliser sans vergogne des matières préexistantes qu'il remodèle à sa volonté.

— C'est-à-dire ?

— Il n'aura aucun scrupule à anéantir toutes les licornes d'un monde pour récupérer leur essence régénératrice par exemple.

— Un Sidia charmant.

Il hocha la tête.

— Mais c'est ce qui fait qu'il n'est pas annihilé. Chacun de ses Tombeaux représente une mine d'or. On y trouve des objets sans commune mesure, des armes divines qui feraient pâlir les dignitaires de Zeruan.

— Pourquoi les Sidias ne les détruisent-t-il pas si c'est si dangereux ?

« L'Hitzord, l'Ordre, l'Argia nous l'interdisent. »

— C'est une règle tacite : les Tombeaux sont intouchables entre dieux, confirma Edan.

— Il s'agira donc d'un Tombeau dangereux, conclus-je en rongeant l'ongle de mon pouce. Je suppose que, même s'ils ne peuvent pas le détruire, ils doivent faire en sorte de le protéger.

— En effet.

— Merveilleux, m'exclamai-je en soupirant.

Après un silence, je repris.

— Pourquoi on n'y va pas tout de suite ? Aucun passage n'est ouvert ?

Il secoua la tête.

— Tous les Tombeaux ne mènent pas au même monde, au bon monde. Le Tombeau du Guérisseur ne s'élève pas chez nous, nous devons en utiliser un qui relie le monde du Guérisseur et le nôtre. Nous n'avons cependant aucun moyen de les identifier. Nous comptons sur nos prophètes et nos devins pour pouvoir les trouver et établir une carte suffisamment exhaustive.

— Cela peut donc être rapide comme cela peut être long, compris-je, déçue.

« J'avais oublié comme les humains étaient incompétents et... limités. »

Je dévisageai un instant Edan, ravie qu'il ait été si bavard. Bien qu'il ait confirmé mes plus grandes craintes quant à la prochaine étape de ma quête pour me débarrasser de ma déesse intérieure.

— Je te trouve bien serviable, commentai-je, suspicieuse.

— Je ne doute pas que tu sauras me rendre la pareille.

Bien sûr, rien n'était gratuit. Mon sourire s'élargit encore plus. Il était définitivement mon âme sœur.

— En réalité, j'étais venu t'annoncer une nouvelle qui saura te réjouir, dit-il.

— Je me doutais que tu n'étais pas venu en personne me trouver dans le dédale de ton immense palais de huit cents mètres carrés uniquement pour le plaisir de ma compagnie.

— Neuf cents, précisa-t-il, dégoulinant de suffisance.

Je le détestais.

— Viens-en au fait, Sac à Sous, cinglai-je la jalousie transparaissant par tous mes pores.

— Nous t'avons inscrite à l'Académie Goldenson, tu y suivras des formations les temps où nous résiderons à Krimson.

Surprise — et légèrement paniquée — je me redressai et ramenai mes jambes sous ma chaise. Ce ne fut qu'à ce moment que je me rendis compte que nous étions restés les jambes entremêlées tout le long de notre discussion. En contact permanent, sans que cela ne nous dérange ni l'un ni l'autre. Cependant, l'angoisse suscitée par son « inscrite à l'Académie Goldenson » ne me permit pas de traiter cette information.

— Pour faire quoi ? demandai-je, horrifiée.

Attendait-il de moi que je participe ?

— Eh bien, d'ordinaire, une personne intègre une académie pour apprendre.

— Je pensais que je resterais en retrait, comme une civile, me défendis-je.

— Il faudra bien que tu puisses te défendre en cas de danger.

À quoi servait les héros alors ?

— Je peux rester avec toi sinon ? Je ne m'aventurerais dans le Tombeau qu'une fois que l'agitation se sera calmée.

— Ce n'est pas ce type de Tombeau, on ne peut pas le clôturer. Le maîtriser sera tout aussi compliqué, de nouveaux Kondairas seront perpétuellement envoyés. Nous aurons déjà de la chance d'arriver à récupérer certaines antiquités.

— Mais... Suivre des cours ?

— Tu peux difficilement t'en dispenser, tu es aussi ignorante qu'un nouveau-né.

Je grimaçai.

— Et je serais entourée d'apprentis héros ?

— La surprise te rend lente à la détente ?

Je serrai les dents et l'insultai tout bas.

— C'est surtout pour l'autodéfense, continua-t-il. Je ne peux pas me permettre de t'assigner quelqu'un de la Maison en permanence. Les missions continuent pour nous et je n'ai aucune nourrice à qui te confier.

— Tu étais bien plus agréable en début de conversation, me plaignis-je. Et je ne vois pas en quoi cette nouvelle devrait me réjouir.

Edan se releva, s'étant assez diverti après avoir lâché sa bombe. Il passa sa main dans ses cheveux, les ébouriffant au passage.

— Je peux recommencer ma subtile séduction si tu préfères, dit-il.

— Non merci.

— Et cela pourrait t'intéresser : notre bibliothèque n'est rien en comparaison de la leur. Quoi que tu cherches, tu trouveras sans aucun doute des réponses là-bas.

Une lueur d'intérêt s'illumina en moi. C'était bon à savoir. Une très bonne carotte même.

Après ce que j'avais découvert aujourd'hui, ou plutôt l'absence de découvertes sur ma déesse, ma soif de connaissances portant sur Talia n'avait fait que s'accentuer. De plus, ma discussion avec Edan sur le Guérisseur, Karaval, n'avait fait qu'alimenter mon angoisse déjà grandissante au fur et à mesure que nous nous rapprochions du moment de son investiture.

S'il fallait que j'aille suivre de pénibles formations pour pouvoir survivre dans des Tombeaux aussi dangereux que celui du Guérisseur ou en apprendre plus sur les Sidias, qu'il en soit ainsi.

J'espérais que les jeunes héros n'étaient pas aussi extravagants que leur cité. 

*--- Note de l'auteur ---*

Prochain chapitre : l'Académie des héros !

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