Chapitre 2 - La voix dans ma tête

« Réveille-toi la marmotte. »

« Nous devons parler. Avant que je ne m'éteigne. »

« Aller, reviens à toi. »

« Est-ce possible qu'un humain soit si fainéant ? »

« Je suis tombée sur la lie de l'humanité, comment en suis-je arrivée là... »

« DEBOUT ! »

« Il ne me reste que quelques instants. Si tu veux des réponses, c'est maintenant ou jamais. »

Je maugréai.

Revenant peu à peu à moi, la douleur me terrassa. Toutes mes terminaisons nerveuses semblaient stimulées, envoyant des messages contradictoires que mon cerveau ne parvenait pas à appréhender. J'avais froid. J'avais chaud. J'étais lourde. J'étais légère. Je ne sentais rien. Je sentais tout. J'inspirais de l'air, j'inspirais du feu, j'inspirais de l'eau. J'étouffais, je brûlais et je me noyais, tout en même temps.

Finalement, je toussai. Plusieurs fois. Des marmonnements de douleur m'échappèrent.

— Qu'est-ce que tu m'as fait... chuchotai-je.

J'étais brisée, en mille morceaux. J'attendais que quelqu'un recolle les pièces détachées de mon corps. Mon esprit, mes pensées, étaient confus. J'avais l'impression d'avoir pris la plus grosse cuite de mon existence et, sans passer par la case euphorie, j'étais allée directement à la case gueule de bois carabinée que j'aurais décidé de faire passer avec encore plus de gin. J'eus soudain des nausées.

— Oh... Mes dieux... Je me sens... mal.

Je n'avais pas d'énergie. Mes mots étaient faibles, j'étais faible.

J'ouvris les yeux et malgré l'intensité de la lumière que je peinais à supporter, je notai que j'étais seule. Ce qui n'était pas plus mal si je parlais à mon alter ego démoniaque.

« J'ai parlé l'Hitzord. La langue des dieux. Ce n'était qu'un mot mais tu n'es qu'une humaine, c'était déjà trop. »

J'étais cinglée. Les vieillards du village ne cessaient de me le répéter depuis des années et cela avait fini par arriver. Je devais vraiment devenir folle. Il n'y avait pas d'autres explications. C'était bien plus plausible que... ça.

La langue des dieux ? J'avais parlé la langue des dieux ?

Est-ce que la voix dans ma tête se moquait de moi ?

« Les mots de pouvoirs demandent une contrepartie. Toujours. Tu as demandé la Désintégration. Ton corps s'est désintégré. »

— Qu'est-ce que...

Effrayée, je levai un bras et tâtai rapidement ma poitrine, mon ventre.

« Rapidement » étant relatif. Dans la mesure où j'évoluais à la vitesse d'un escargot, la certitude que mon corps soit entier mit un certain temps à être vérifiée.

Je soupirai de soulagement.

— Mais je suis entière.

« Je t'ai reconstituée. Et j'ai absorbé une grande contrepartie. C'est pourquoi je vais bientôt m'éteindre. Sans doute pour quelques jours. Voilà pourquoi nous devons parler. Maintenant. »

Ok, ok. J'avais la tête dans le brouillard mais j'avais saisi le plus important. Si je récapitulais : j'avais utilisé la langue des dieux, l'Hitzord, et l'unique mot de pouvoir que j'avais prononcé m'avait littéralement désintégrée. Grâce à la voix dans ma tête cependant j'étais de nouveau entière. Merveilleux.

Puis je me rappelais que ce n'était pas la seule fois où j'avais été mise en pièces.

— Est-ce toi... qui m'a sauvée ? Du Kondaira.

« Tu étais mourante, c'est pourquoi je suis tombée sur toi. Je ne t'ai pas choisie. J'aurais fait en sorte de choisir quelqu'un d'autre autrement tu te doutes bien. Mais l'Hitzord interprète les choses d'une manière qu'on ne peut pas toujours appréhender. »

J'étais... perdue. Et vexée. Comment ça « choisir quelqu'un d'autre » ? Quel était le problème avec moi ?

Mais je me rendais bien compte que ce n'était pas le plus important et, maintenant que je savais grossièrement ce qui m'était arrivée et comment j'étais revenue à la vie — une seconde fois — il fallait tout d'abord que je comprenne l'origine de cette voix.

— Qui es-tu ? Pourquoi... Comment je peux t'entendre dans ma tête ?

« Sache, humaine pathétique, que tu as l'honneur de t'adresser à Talia De Moraz, l'Impératrice, Sidia de la Beauté, Déesse des Désirs. »

Wow.

D'accord.

Alors celle-là, je ne m'y attendais pas. J'en oubliai même ma colère à la suite de l'insulte.

— Dé... Déesse ?

« Impératrice » ? C'était un titre ?

La voix continua, m'ignorant. Nous ignorant, moi et mon choc titanesque.

« La raison pour laquelle tu peux entendre ma voix est que j'ai eu recours à un... rituel. Ancien. J'ai fait l'objet d'une trahison abjecte, loin d'être méritée, qui a mené, à mon grand désarroi, à mon trépas. Bien sûr, il en faut plus pour m'anéantir. J'ai réussi à échapper à mon corps mourant. Il m'en fallait donc un nouveau. Il se trouve que c'est tombé sur le tien. »

J'étais tout simplement sans voix, sans pensées, sans... Juste wow.

Des dieux s'étaient entretués dans un monde très éloigné du mien et la fuite de l'une de ces divinités l'avait menée à mon corps ? C'était délirant. Je veux dire...

— Pourquoi moi ? Tu ne pouvais pas en prendre un... vide ?

« L'Hitzord t'a choisie. Les mots m'ont menée à toi. Le pouvoir m'a menée à toi. Je n'y suis pour rien. Et je suis une Sidia, pas une nécromancienne. Je crée la vie, je ne manie pas la mort. »

Ce n'était pas vraiment une réponse satisfaisante.

— Loin de moi l'idée de me montrer grossière mais... Comment je me débarrasse de toi ? Je veux dire... Y-a-t-il un moyen pour que tu gagnes un nouveau corps ? Que je sois seule maîtresse du mien ?

« J'y viens. C'est précisément l'objet de cette conversation. Maintenant, l'humaine, écoute bien. »

Comme si mon attention ne lui était pas déjà entièrement dédiée.

— C'est Alana, mon prénom. Alana Habert.

Elle m'ignora. Encore.

« Je n'ai, moi non plus, aucune envie de partager ce corps. D'autant plus qu'il ne peut supporter ma puissance et que je ne peux donc pas me manifester sans l'anéantir. Je n'ai, de plus, aucune envie de partager tes désirs ou autres pulsions humaines. Je n'ai pas envie de te voir manger, de te voir uriner, de te voir déféquer, de te voir forniquer ou tout autres désirs primaires pathétiques auxquels vous êtes soumis, vous, les humains. D'ordinaire, je les encourage, en tant que déesse des Désirs, ils me rendent même plus forte. Mais là, tu en conviendras, inutile que nous partagions autant d'intimité. »

Non, tu crois ?

— On est d'accord.

L'idée d'avoir une voyeuse divine tandis que je me trouvais sur le trône... C'était gênant. Très gênant. Divine ou pas divine d'ailleurs.

— Alors comment ? Qu'est-ce que je dois faire ?

« Tu vas devoir te rendre à mon Tombeau. Retrouver mon Arta — mon cœur — et reconstruire mon corps à l'aide d'un fragment du Guérisseur. Le plus vite tu y parviendras, le plus vite nous nous dirons adieu. »

Pardon ?

Je n'avais rien compris. Ou plutôt, elle me perdait. Ma tête et mon esprit déjà en piteux état arrivaient à saturation. La voix parlait une langue étrangère. Hitzord, Sidia, Tombeau, rituel, Arta... Je n'avais aucune idée de ce qu'il fallait que je fasse. Je me sentais aussi futée qu'une ânesse.

— Attends, attends... Tu vas trop vite. Trouver ton Tombeau ?

« Oui. Un Tombeau s'élève à chaque fin d'un Sidia. Tu devras trouver le mien. Dans un premier temps cependant, tu dois te rendre dans celui du Guérisseur. Tu dois y soustraire un fragment de son corps. Il a des vertus inégalables, il reconstituera mon corps. Une fois que tu l'auras récupéré, trouve mon Tombeau. À l'intérieur, tu devras y chercher mon Arta. Quand tu auras réuni les deux, tu pourras rejoindre mon corps et nous procéderons au rituel. Puis nous n'aurons plus jamais à faire l'une à l'autre. Tout est bien qui finit bien. »

La fin était bien, le développement pas vraiment.

— Si j'ai bien compris c'est moi qui dois tout faire.

« Je peux difficilement aider sans corps. Tu peux me laisser le tien mais je crains que cela ne signe notre fin à toutes les deux. »

Bon argument. 

Au moins, j'étais assurée d'avoir cette déesse de mon côté. Si ma mort entraînait la sienne, nul doute qu'elle déploiera tous les moyens à sa disposition pour me maintenir en vie. C'était une bonne chose.

— Une seconde. Tu as dit que tu allais t'éteindre. Je vais devoir me débrouiller seule ? Comment je trouverai les Tombeaux ?

Et comment j'y survivrai. Par ailleurs : voler un bout de chair sur le cadavre d'une divinité ? Au secours. C'était répugnant.

« Je reviendrai vite. Mais les prochaines heures, les prochains jours, seront déterminants et je ne serais pas là. Tu dois faire en sorte de rejoindre l'équipe des humains qui t'ont aidée. J'ai senti une puissance colossale émanant de l'un d'eux. Assure-toi de t'en entourer. Ils visent le Tombeau du Guérisseur. Fais en sorte qu'ils t'y amènent également s'ils y partent durant mon absence. »

Rejoindre le Crépuscule Pourpre ? Avait-elle perdu l'esprit ?

— On ne peut pas y entrer si facilement, qu'est-ce que tu crois ? Je n'ai rien à leur offrir, ils ne m'accepteront jamais. Et comment sais-tu qu'ils viseront ce Tombeau ? A-t-il seulement déjà émergé ?

« Rends toi indispensable, couche avec l'un d'eux, ou plusieurs, ce que tu veux mais suis-les. Quant à comment je le sais, je le sais c'est tout. Ils sont destinés à l'investir. Tu dois t'assurer d'être avec eux quand ils y entreront. Tu n'as pas besoin d'en savoir plus. Je ne tiendrais pas plus, je m'éteins. »

— Attends ! C'est tellement peu clair ! J'ai besoin de plus d'informations ! En quelques heures tu veux que j'intègre la plus grande Maison de Saolem ? As-tu idée de l'aberrance de cette demande ?

« N'oublie pas : le plus important est que tu restes en vie. Nous devons trouver le fragment du Guérisseur, mon Tombeau, mon Arta puis mon corps. Dans cet ordre. Je reviens le plus vite possible. Protège-nous d'ici là. Avec un peu de chance, ce sera avant que vous n'atteigniez le Tombeau. »

— Non ! Attends !

Le vide. Je me sentais plus légère, l'étau dans ma tête s'était envolé. Comme si une migraine à laquelle je m'étais accoutumée avait soudainement disparu. On ne se rendait plus compte de sa présence puis tout à coup, elle s'éteignait et on revivait. Plus de voix.

— Talia ?

J'aurais bien aimé avoir plus de réponses. J'en avais déjà eu un paquet, et j'avais besoin de temps pour assimiler tout ça mais... Une déesse dans ma tête ? Vraiment ?

Au moins j'avais droit à un moment de répit. À peine commençais-je à m'y habituer. J'y avais eu droit quoi ? Quelques heures ?

Une pensée soudaine m'envahit. Depuis combien de temps étais-je inconsciente ? Et où me trouvais-je ? Seigneur... Et si le Crépuscule Pourpre était déjà parti ? Et la ville, quel était son état ? Le Tombeau avait-il pu être refermé ?

Je repensai également à toutes les informations que Talia m'avait données.

Elle avait été tuée. Par qui ? Est-ce que ses assassins étaient une menace pour moi ? Qui l'avait trahie ? Pourquoi les Kondairas la ciblaient-ils ?

Dans quel foutoir était-je tombée ?

Ce... Hitzord. Pourquoi m'avait-il choisie ?

Avoir la voix d'une déesse dans la tête... Je tentais d'imaginer les fois où nous partagerions une intimité loin d'être désirée mais obligatoire étant donné ma condition humaine. Manger ne devrait pas me déranger. Mais faire mes besoins en sa présence perpétuelle...

— Tu ne m'as même pas dit si tu pouvais lire dans mes pensées.

Et il y avait cette situation encore plus intime. Si j'avais le malheur d'avoir des rapports sexuels alors qu'elle était toujours dans ma tête et qu'elle lâchait le moindre commentaire, j'en mourrais de honte.

Il fallait que je me débarrasse de cette déesse au plus vite. Ce corps, c'était le mien.

— Je crois que cette cohabitation s'annonce compliquée...

Je soupirai. Je n'étais pas au bout de mes peines.

Je tournai la tête de droite à gauche, à la recherche d'un verre d'eau. J'étais assoiffée. Je n'avais pas de perfusion dans le bras et je n'avais pas faim. Cela ne devait donc pas faire trop longtemps que j'avais sombré bien que je ne puisse pas en être certaine. Je repérai de l'eau posée sur la table de chevet à ma gauche. Je me relevai en gémissant, mon corps tentant désespérément de comprendre qu'il avait été reconstitué.

— Fichus mots à la noix... « Désintégration », sérieusement... Il n'y avait pas moins douloureux ?

Portant le liquide à ma bouche d'une main tremblante, je détaillai la pièce. Elle était spacieuse, d'une trentaine de mètres carré. Mon lit trônait sur sa gauche. Les draps en coton présentaient un motif de rose sur fond vert océan. Original.

Les murs n'étaient pas entièrement blancs et il s'agissait sûrement d'une chambre. De chaque côté, des tables de chevet encadraient mon lieu de repos. Une assiette de nourriture accompagnait le verre. Du pain, des fruits, de la charcuterie. Une fenêtre se tenait sur ma droite. Elle me permettait d'apercevoir un petit jardin entretenu. Trois mètres me séparaient du lit voisin. L'homme magnifique qui y reposait m'observait, impassible. Face à lui, une penderie en bois massif vernis était entrouverte et la porte à ses côtés nous enfermait. Un tableau...

J'interrompis mon exploration et me figeai.

Une seconde.

L'homme magnifique qui m'observait ?

Je me tournai, risquant une rupture des cervicales tant je mis du cœur — de la panique — à l'ouvrage et me retrouvai face à une personne bel et bien réelle. Pas le fruit de mon imagination.

Je m'étranglai, avalant de travers.

Comment l'avais-je loupé lors de ma première inspection ? Argh. Fichus maux de pouvoirs. J'avais été si négligente.

Je toussai, tentant d'éviter de régurgiter l'eau par le nez. Je sentis mon visage chauffer en réponse à mon étouffement.

— Par les dieux, est-ce que vous allez bien ? Avez-vous besoin que j'appelle quelqu'un ?

Je levai une main pour demander au jeune homme de patienter. Je toussai encore. Il me fallut quelques secondes qui se transformèrent en minutes. Minutes que je passais honteusement à chercher à la fois de l'air et une explication plausible à cette situation délirante.

Je repris la parole quand je fus suffisamment remise.

— Je vais bien, croassai-je. Pardon.

— C'est ma faute, répondit-il en levant les mains en signe de protestation. Je ne voulais pas vous surprendre.

Je me tournai vers lui et le détaillai. Qu'avait-il entendu exactement ?

Ma première impression se confirma. Magnifique. Les énormes bandages qui enserraient son torse nu laissaient entrevoir une musculature imposante, entretenue. Sa peau mate témoignait d'une amitié de longue date avec le soleil. Ses bras, ses biceps, parfaitement sculptés levaient des avant-bras puissants qui tentaient de m'apaiser. Un drap détestable m'empêchait d'explorer la partie inférieure de son corps.

Mais heureusement pour moi, il y avait son visage.

Contentement infini pour mes yeux, j'oubliai l'œuvre d'art exposée sur le mur face à mon lit et me gorgeai de celle qui me faisait face.

Ses cheveux blonds en bataille, aux reflets d'or et de lumière, s'éparpillaient en bataille, indisciplinés. De petites boucles tombaient sur ses oreilles, sur son front, et surmontaient d'épais sourcils plus foncés. Sa mâchoire carrée, rasée de près montrait qu'il prenait soin de lui, malgré les cernes, les traits tirés qui marquaient son visage fatigué. Ses yeux azur, aussi bleus que les cieux en plein été, me fixaient avec culpabilité.

Qui était cet Apollon ?

Je refermai ma mâchoire et avalai ma salive avant de baver. Inutile de me ridiculiser davantage.

— Ce n'est rien, répondis-je. Je pensais être seule. J'ai d'ailleurs parlé à haute voix, je m'en excuse, j'espère ne pas vous avoir dérangé.

Qu'as-tu entendu beau gosse ? Est-ce que tu me crois cinglée ?

— Pas du tout, je dormais. Je viens de me réveiller. Je ne m'attendais pas non plus à vous voir éveillée mais c'est une bonne surprise.

Il sourit et j'eus l'impression de recevoir une vague d'optimisme, de joie, un rayon de soleil sur le visage. Il jouait à quoi là, monsieur le séducteur ? Il tentait de m'amadouer ?

Mais cela soulagea mes craintes : il n'avait rien entendu. Ou il le cachait très bien. En tout cas, il n'avait pas l'air curieux de ce qu'il aurait pu entendre.

Je lui renvoyai une expression radieuse  en réponse.

— Est-ce que je peux vous demander votre nom ? m'enquis-je.

Il faudra que je le surveille de près.

— Lucas, sourit-il. Lucas Alicent. Et vous ?

Ma mâchoire se décrocha pour la seconde fois.

Un instant... Le Lucas Alicent ?

Le héros légendaire du Crépuscule Pourpre, aussi connu sous le nom de Soleil Levant, était allongé dans le lit voisin au mien ?

Je...

Wow.




**--- Notes de l'auteur ---**

Des explications sur cette fameuse voix qui malheureusement disparaît bien vite (pour mieux revenir... héhé🤭) !

Et surtout rencontre avec LE héros ! Comment Alana va-t-elle parvenir à imposer sa présence dans la plus grande Maison du royaume ? Va-t-elle y parvenir ?

Merci pour votre passage, n'hésitez pas à voter, commenter si ça vous a plu,

À très vite !

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