Chapitre 19 - Des rencontres non désirées (2/2)

Ma troisième discussion notable fut bien plus pénible. Angoissante. Elle mit l'Archer des Ténèbres en scène.

J'avais fui l'attention épuisante à laquelle j'étais soumise en ma qualité de nouveauté attrayante de le Maison. J'avais trouvé refuge sur le toit de la maison en pierre sombre où nous faisions escale ce soir-là. Je m'étais faufilée par la fenêtre et avais escaladé les tuiles et les poutres pour m'asseoir à son sommet. La nuit tombait et la vue sublime m'apaisait. Le piaillement des oiseaux, les feuilles qui bruissaient, bousculés par le vent, m'apaisaient. J'appréciai de sentir ce dernier courir sur mes joues.

— Je ne m'attendais pas à trouver quelqu'un ici.

Surprise d'entendre une voix d'homme — ce qui excluait Talia — je cherchai son origine. Le beau brun ténébreux aux yeux océans aussi froid que le pôle Nord me dévisageait.

Je haussai les épaules.

— Moi non plus.

Il entreprit son ascension, bien plus élégante que la mienne, et s'assit à mes côtés, gardant entre nous suffisamment d'espace pour accueillir une troisième personne.

— Je me réfugie souvent sur les toits, m'avoua-t-il.

Étirant mes jambes jusque-là repliées, je ne pouvais que valider cette stratégie d'évitement.

— La vue y est belle, dis-je.

— Je t'imaginais plus du style à avoir le vertige.

Je haussai un sourcil et demandai en souriant, piquée :

— Pourquoi ? Tu t'imagines que j'ai peur de tout ?

— Plus ou moins, oui.

La confirmation fut plus douloureuse qu'attendu. Il était cependant vrai que beaucoup de choses m'effrayaient. Comme la plupart des gens, non ?

— Je voulais te parler, déclara-t-il après un silence.

Le taciturne archer était bien bavard ce soir, à mon plus grand malheur.

— Je t'écoute.

« Je crains que la conversation ne s'engage sur un terrain miné. »

Je le fixai, imprimant ses traits dans mon esprit, tentant d'en déchiffrer les expressions.

— À propos de ce qu'il s'est passé aux Antils.

Je ne répondis rien, pensant qu'il développerait. Quand après plusieurs minutes, il ne prononçait toujours pas un mot, je le relançai :

— Marvel ?

Il me fit finalement face et son expression tourmenté m'ébranla.

— Je ne comprends pas. Ce que j'ai vu...

Il secoua la tête.

« Il va falloir la jouer subtile, la baratineuse. »

— Au début, je pensais que tu mentais à propos de cette histoire d'intuition, mais force était de constater qu'il y avait bien quelque chose. J'ai alors pensé que c'était une sensibilité similaire à celle d'Edan, qui te permettait de ressentir les choses à un degré si fin que tu parvenais à anticiper les évènements. Puis tu nous as demandé de nous incliner devant cette statue. Après réflexion, je t'ai écouté et je sais maintenant que c'était la bonne chose à faire. Mais ensuite...

Marvel se mordit les lèvres, cherchant ses mots, avant de de nouveau me faire face.

— Qui es-tu réellement ? Quelles sont tes véritables intentions ?

Il pensait donc que je leur mentais ?

Depuis le début, tout ce que je disais était plus ou moins la vérité. J'avais simplement omis la partie sur la déesse cohabitant dans mon corps. Bon, c'était en effet une partie importante de l'histoire, mais l'important était ici de retenir que je n'avais pas littéralement menti là-dessus.

Je haussai les épaules, confuse.

— Je ne suis pas certaine de bien saisir là où tu veux en venir, répondis-je. Je suis Alana, et je vous ai dit que j'avais besoin de me rendre au Tombeau du Guérisseur pour raisons personnelles. Bien que cela ne soit pas bien difficile à imaginer au titre de la divinité.

Une maladie incurable à guérir, un membre de ma famille sur son lit de mort. Qu'il se fasse ses propres hypothèses, les pensées d'un héros allaient forcément le mener à une raison louable qui le convaincrait de me laisser tranquille. Mais je n'avais pas à faire au Soleil Levant. J'avais en face de moi l'Archer des Ténèbres.

— Comment as-tu pu ne serait-ce qu'avoir connaissance de son existence ? Comment sais-tu que son Tombeau a émergé ?

— Une intuition, répondis-je vaguement.

Ce mensonge était génial. Il marchait pour tout. J'avais vraiment été inspirée ce jour-là.

Je fonçai les sourcils au fil de mes pensées. Ne venais-je pas de me targuer mentalement de la véracité de mes propos ? J'allais finir par me déclencher un nouveau mal de tête avec ces remords alors que celui que je subissais continuellement était largement suffisant. Inutile de s'encombrer l'esprit avec ces futilités.

Marvel semblait sceptique. Était-ce du dégoût sur son visage ? C'était vexant.

— Es-tu une espionne ou quelque chose comme ça ? Es-tu en contact avec des voyants ? Des prophètes ?

Si c'était le cas, tu crois que je te le dirais ?

— Je n'arrive même pas à planifier l'heure de mes repas, plaisantai-je, il me serait difficile de ne serait-ce que tenter de me faire passer pour ce que je ne suis pas.

Talia ricana, me rappelant sa présence.

Je sais, du talent.

— Je n'ai rien à me reprocher, Marvel, et quoi que tu penses, je t'assure que mes intentions sont louables.

Ha, ha.

— Si ça peut te rassurer, je ne compte pas rester indéfiniment avec vous, ajoutai-je.

L'Archer me dévisagea, en silence. Finalement, il ajouta :

— C'était toi, mais... ce n'était pas toi... Ton visage, tes yeux...

— Que veux-tu dire ?

« Attention, la baratineuse. »

J'y travaillais, une seconde.

— Où étions-nous ? demanda Marvel.

— Où nous étions ? À l'intérieur du Tombeau.

— Quand nous nous somme figés, que nous avons disparu et que ce... cet homme nous faisait face.

— Quand nous avons disparu ? Un homme ?

« Tu comptes répéter tout ce qu'il dit ? C'est ça ta technique ? Pas de mensonges aujourd'hui ? »

J'essayais d'innover. C'était important d'avoir plusieurs flèches à son arc. Surtout contre un archer de génie. Et ma foi, c'était une technique qui permettait à la fois de gagner du temps, de passer pour une imbécile ignorante et d'irriter notre interlocuteur. En résumé, parfaite pour cette conversation.

— L'homme. En bas de l'amas d'ossements ?

— Wow... Un amas d'ossements ? De quoi tu parles ?

Je levai les mains en l'air pour l'interrompre, irritée et perdue.

— Ecoute Marvel, je ne comprends rien à ce que tu dis. Cette conversation devient gênante. Je n'ai aucune idée d'où tu veux en venir. Tu m'en veux pour m'être laissée avoir par des singes fous furieux ? Tu te demandes pourquoi ils m'ont ciblée ?

— Pas du tout, je veux savoir si...

— Je me le demande aussi ! l'ignorai-je. Sans doute car ils ont repéré la plus faible du groupe. Je m'en serais bien passée, figure-toi. Et j'ai fait mon possible pour ne pas être un fardeau, je t'assure. Je n'ai jamais voulu vous mettre dans l'embarras ou quoi que tu me reproches. Je suis désolée, si c'est le cas.

Cette tirade ne sonnait-elle pas merveilleusement contrite ?

— Non, ce n'est pas ça. Je ne te reproche rien. J'aimerais comprendre. Je... Tu ne te souviens pas ?

« Je dois avouer que je suis admirative de ta capacité à faire se sentir ton interlocuteur comme l'imbécile qu'il est. »

Merci, moi aussi.

— Me souvenir de quoi ? répondis-je. De... l'amas d'ossements ? Je n'ai rien vu de tel, je n'ai pas dû faire attention, la grande salle me semblait vide à part l'autel en son centre. Je ne me souviens que des statues et des Kondairas.

Il me dévisagea à nouveau intensément, tentant de démêler le vrai du faux.

— Était-ce une hallucination... ? murmura-t-il, plus pour lui-même.

« Bien joué, la baratineuse. Technique validée. »

Comme si j'avais besoin de sa validation. Testée et approuvée depuis des années.

Il secoua la tête, semblant lâcher l'affaire.

— Laisse tomber. Pardon de t'avoir importunée avec ça.

Il se leva, tendu et visiblement irrité de n'avoir obtenu aucune réponse et peut être même plus de questions. Je le retins.

— Attends Marvel ! Je n'ai pas bien compris, mais... explique-moi.

Calmement, sans m'accuser de trahison, par exemple.

« À quoi tu joues ? »

Je ne pouvais pas le laisser partir ainsi. Je voulais qu'il se confie à moi, ce serait plus simple pour le manipuler.

— Non, laisse tomber, refusa-t-il cependant en soupirant. Je n'aurais pas dû t'importuner avec ça. Edan m'a conseillé d'oublier de toute façon. C'est ce que je vais faire.

L'enfoiré. L'Archer avait donc tout balancé à son maître, comme je le soupçonnais.

« L'enfoiré. »

Parfois, Talia et moi ne semblions faire qu'une seule et même personne... ce qui était en fait le cas. Bref.

Je haussai les épaules, gardant un air ouvert et compréhensif.

— Eh bien, en tout cas, si je peux faire quoi que ce soit, n'hésite pas.

Il hocha la tête distraitement et s'éloigna, rejoignant la fenêtre. Je l'interpellai de nouveau, avant qu'il ne disparaisse, repensant à mon entraînement des derniers jours.

« Quoi encore ? »

— C'est peut-être présomptueux de ma part de te demander ça, dis-je, gênée, en me grattant la tête. Mais je ne progresse pas beaucoup au tir à l'arc. C'est bien plus difficile que ce que j'avais de prime abord imaginé.

J'osai le regarder et croisai son visage soupçonneux. Je lui décochai un sourire timide.

— Peut-être aurais-tu des conseils qui pourraient m'aider ?

Il se détendit, sans toutefois paraître amical.

— Je viendrai jeter un coup d'œil à tes sessions d'entraînement, répondit-il calmement.

Surprise, je faillis glisser de ma position.

— Euh... Merci ! Je n'en demandais pas tant ! rayonnai-je, enchantée.

Mais l'Archer des Ténèbres était déjà parti.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top