Chapitre 16 - Le verdict de la Maison (1/2)
Est-ce que j'avais aimé être dans les bras musclés et puissants du plus grand et beau héros du royaume ?
Bien évidemment.
Est-ce que j'en avais profité ?
Absolument. Ma tête avait reposé sur son épaule, ma joue contre sa poitrine aussi chaleureuse que les rayons du soleil du début à la fin.
Est-ce que je m'en étais vantée ?
Plutôt deux fois qu'une. À la vue de mon air le plus hautain et satisfait — en résumé, le plus insupportable — l'un des hommes du couple s'était levé dans l'optique d'en venir aux mains. Son compagnon l'avait enjoint au calme. Je fus légèrement gênée quand nous arrivâmes devant eux et que Lucas demanda au plus sanguin des deux de m'apporter les premiers soins.
Il avait bien évidemment fallu que je me mette à dos le guérisseur du groupe. C'était vraiment une sale journée.
Ce fut le seul interlude où je quittais le confort des bras de mon héros. Il refusa de s'éloigner, un masque de culpabilité sur le visage. Je ne cessais de lui assurer que rien n'était sa faute, mais les voies de l'héroïsme m'étaient hélas impénétrables.
Le guérisseur frustré ne parvint qu'à fermer partiellement mes plaies les plus profondes, évitant de teinter de rouge l'armure argenté de mon porteur. Faisant appel à l'Argia intérieur de ses patients, il n'avait pas pu faire grand-chose pour moi qui en était dépourvue. Peut-être que la guérison aurait pu être totale en présence de Talia. Malheureusement, la déesse était aux abonnés absents pour le moment.
La douleur avait également diminué et la plupart des griffures et des arrachements de ma peau avaient disparus. Mais ma cheville et ma jambe trouée restaient en relativement mauvais état. J'aurais été bien incapable de me déplacer seule.
Une fois tous dehors, je pus me rendre compte de la récolte considérable que nous avions amassée. Malgré la perte d'un chariot en fairine, nous en avions sept remplis de plusieurs kilos de matières premières alléchantes. Sans compter les richesses que chacun avait pu porter avec lui, dans des sacoches ou à même les poches. Ce qui me rappela que les miennes étaient terriblement vides. Je soupirai et cachai mon visage dans le torse de Lucas. Vraiment une sale journée.
Au moins la jacinthe était-elle en ma possession.
— Je te fais mal ? s'inquiéta mon héros.
Sa gentillesse me mettait mal à l'aise, me provoquant une chaleur inopportune dans la poitrine. Que pouvais-je répondre à un homme qui me portait depuis des dizaines de minutes avec autant de délicatesse que si j'avais été faite de cristal, prenait soin de moi et trouvait encore le moyen de s'inquiéter ? À part une demande en mariage, je voulais dire.
Je me contentai de lui sourire en secouant la tête et le remerciai.
Lucas me raconta que, de leur côté, ils avaient eu à traiter avec ses petits singes malveillants très rapidement. Comme nous, ils s'étaient retrouvés sans issue, obligés de rejoindre une petite pièce au plafond bas, avec des trous dans les murs aussi larges qu'une paume de main. C'était par-là que les Kondairas avaient jailli pour leur prendre leur butin. S'en était suivi « des chamailleries » pour garder le plus de richesses possibles avant que finalement ils ne disparaissent subitement, comme s'ils avaient été appelés ailleurs. Les aventuriers avaient alors cru être tranquilles, mais les murs s'étaient peu à peu rapprochés, tentant d'écraser leur groupe. C'était sans compter Lucas qui n'eut aucun mal à générer une sortie.
Les murs n'avaient qu'à bien se tenir.
Autre chose qui me mit mal à l'aise fut la relative admiration que mon noble sacrifice avait engendrée. Ombre me collait comme... mon ombre. Si les bras de Lucas avaient pu accueillir une deuxième personne, elle aurait repoussé sa horde de fanatiques pour y prendre place.
Iris, le visage défait, affichait une mine de chiot abattu et restait en retrait derrière nous. Je pouvais l'apercevoir par-dessus l'épaule de Lucas s'essuyer le nez de sa main de temps en temps.
Étrangement, même Marvel ne semblait pas pouvoir s'éloigner. Il prenait grand soin de ne jamais croiser mon regard, mais quand la poche de glace que le guérisseur m'avait donnée pour ma cheville tomba, il se jeta presque dessus pour me la ramasser. Je venais, semblait-il, de rallier un nouveau soldat à ma cause.
Enfin, Justin suivait car il fallait bien qu'il rentre lui aussi.
Le transport se fit en calèche. Je me serais attendu à plus luxueuse, mais elle était somme toute assez banale, toute en bois et peintes de couleurs aquarelles. Il n'y avait que quatre places, aussi Marvel monta à cheval, Ombre également, escortant mon carrosse tels mes gardes du corps.
Je montai d'abord, aidée par Lucas qui pris place à mes côtés. J'étendis ma jambe blessée et la posai sur la place en face de moi. Justin, aucunement galant, se retrouva à me fusiller du regard. Je lui rendis un air innocent, surélevai légèrement ma jambe pour qu'il puisse s'asseoir puis la reposai délicatement sur lui. Comme s'il n'y avait rien de plus normal. Après tout, j'étais blessée, je m'attendais donc à être chouchoutée. Lucas m'avait mal habituée.
Justin se tendit, mais ne me délogea pas de ses jambes, rendu impuissant par la menace du doux sourire d'approbation de Lucas. Enfin, Iris ferma notre quatuor.
— Je suis tellement désolée, répéta pour la énième fois la magicienne d'eau.
Lassée de faire le perroquet en lui affirmant que ce n'était pas sa faute — bien que ça l'était — j'optai pour une autre approche. Une qui me rendrait encore plus héroïque à leurs yeux que l'image qu'ils avaient déjà de moi. Après tout, mon jugement dernier approchait à grand pas et il allait me falloir tout le soutien possible pour affronter mon magnifique bourreau.
— Ce n'est rien du tout. Je serais remise en un rien de temps, dis-je timidement. Et je le referais sans hésiter si cela peut permettre d'éviter que mon amie soit blessée.
À ma déclaration, elle se mordit les lèvres et ses yeux s'embuèrent.
— Je croyais que tu avais simplement glissée sur de l'eau ? s'enquit Justin, incapable de saisir la gravité de la situation et l'émotion du moment.
Iris s'emporta, piquée au vif pour moi.
C'était parfait, je n'avais même plus besoin de mener mes propres combats.
— Elle m'a protégée ! Si elle n'avait pas tenté de me repousser, elle ne se serait pas blessée ! Elle aurait pu simplement reculer !
— Admettons. Pourquoi les Kondairas semblaient la cibler ? insista le jeune homme.
Je notai à présent qu'il parlait comme si je n'étais pas là. Cela ne me dérangeait pas, mon avocate allait s'en charger. Je pouvais tout de même apporter un coup de main. Je bougeai mon pied pour me rapprocher de son entrejambe.
Tu seras mal à l'aise bien avant moi, le sous-fifre.
À mon grand étonnement, un second défenseur de mon héroïsme, qui n'était même pas là au moment des faits, prit la parole.
— Sans doute car c'était une proie facile, répondit Lucas. En tout cas, une fois de plus, nous sommes tes débiteurs. Merci, Alana.
— Merci Alana, surenchérit Iris.
J'avais bien compris qu'elle était reconnaissante oui. Et désolée.
J'ignorai le perroquet et tournai la tête vers Lucas.
— Tu sais, j'ai beau avoir mal, je ne me suis jamais autant amusée qu'aujourd'hui. Avec vous tous.
C'était faux. Cela avait été une journée dangereuse, épuisante, interminable et bien trop peuplée en monstres. Ou en humains d'ailleurs. Loin de ma propre définition de l'amusement. Ou de celle du commun des mortels en général.
— Je comprends que l'on se batte pour vous rejoindre. Pour avoir envie de ça.
Je les englobai d'un geste de la main.
— Faire partie de votre grande et belle famille.
Je haussai les épaules.
— Grâce à aujourd'hui, j'aurais pu le ressentir au moins une fois. Alors merci à vous pour ça.
La profonde reconnaissance et la tendresse que je renvoyais auraient ému la plus insensible des âmes.
Lucas attrapa ma main et la serra. Iris renifla.
Justin, lui, n'osait plus bouger.
Quand nous descendîmes de la calèche pour enfin rentrer à l'élégante auberge privatisée par notre riche dirigeant, Lucas me reprit dans ses bras. Au début, je refusai poliment, puis m'empressai de grimacer ouvertement avant de finalement accepter avec gratitude face à son insistance.
La bâtisse était faite en ardoise, pour contrer les tombées de neiges hivernales. Elle s'élevait sur quatre étages et s'étendait sur un demi-hectare. La sobriété de sa devanture extérieure n'avait d'égal que l'extravagance de sa cour arrière. Des dizaines de statues de marbre, d'acier et de pierre, telle une exposition en plein air, l'animaient de représentations idylliques de héros. J'avais même pu en distinguer une à l'effigie du Soleil Levant combattant un immense Kondairas à tête de cobra. À l'avant, un grand jardin exposait en son centre une longue fontaine représentant une sirène sur un char tiré par des hippocampes, et s'entourait d'une haute grille en acier qui isolait la demeure du reste du village.
C'était donc fière comme un paon dans les bras de mon héros lumineux que j'entrai dans notre humble auberge, à la suite d'Iris qui nous ouvrit la porte. La jeune femme s'empressa de disparaître pour appeler leur guérisseur.
Lucas se dirigea vers les escaliers afin de me mener à l'étage dans une chambre où je pourrais patienter avant d'être prise en charge. Je ne le quittai pas des yeux et hochai la tête à ses mots, l'écoutant à moitié parler de leur charlatan, perturbée par la sensation d'un regard assassin sur moi.
Je tentai de ne rien laisser paraître, faisant de nouveau appel à mes talents de comédienne. Pourtant, évidemment, il avait été la première personne que j'avais remarqué en entrant dans le vaste hall d'entrée de l'auberge ostentatoire qui nous avait accueillis. L'ignorer restait difficile et pas uniquement car j'avais besoin de ma dose hebdomadaire de satisfaction oculaire. Sa présence, son aura, semblait physique, emplir les lieux. C'était toujours si perturbant. Et il avait accessoirement mon destin entre ses mains.
Comme chaque fois qu'il le voyait, Lucas interrompit son monologue et oublia tout ce qu'il était en train de dire, de faire pour se rapprocher de son maître avant de s'arrêter près de lui. S'il avait été un chien, il aurait assurément remué la queue. Seul ma maîtrise hors pair m'empêcha de lever les yeux au ciel.
Si j'avais du mal à l'ignorer, Edan n'eut aucune pitié pour moi. Il fit comme si son héros ne portait pas une ravissante jeune femme blessée dans ses bras. Il se contenta d'observer son précieux soldat, dans l'attente de son compte-rendu.
— Un incident ? demanda sa voix rauque, me provoquant un frisson indésirable.
La fatigue sans doute.
— Rien d'insurmontable, répondit Lucas en niant de la tête. La Cloison Azur a tout récupéré. Ils s'occupent de la décontamination. Notre part nous sera porté demain dans la matinée. Le Tombeau a été refermé et nous n'avons subi aucune perte.
La tristesse l'accabla et il déporta enfin son attention d'Edan pour la reporter sur moi.
— Malheureusement, nous n'en sommes pas tous sortis indemne. Alana s'est blessée.
— Rien de bien méchant, me permis-je d'ajouter.
Les émeraudes d'Edan me transpercèrent, pleines de jugement. Il haussa un sourcil.
— Tu as réutilisé un mot de pouvoir ? demanda-t-il.
Il devait sentir l'absence de Talia. Il ne se consumait plus de désir pour moi, à ma plus grande déception. Son air hautain et condescendant était de retour. C'était comme s'il m'imaginait déjà mes sacs à la main sur le pas de la porte.
— Inutile, dis-je. La situation était parfaitement sous contrôle. Ma blessure vient d'une erreur dû à mon manque d'expérience, je dirais.
Comme je commençai à comprendre comment Lucas fonctionnait, je savais qu'il était inutile que j'étale moi-même l'étendue de mes exploits.
Puisqu'il semblait incapable de me décevoir — sauf en ce qui concernait sa loyauté sans borne pour l'homme qui nous faisait face — le héros du soleil ajouta :
— Sans elle, Iris aurait fini dans un bien pire état...
Très dramatique. Il en rajoutait, mais il n'avait pas été présent donc il ne pouvait que se fier à ce qu'on lui avait rapporté. Se fier à ce que mes soldats tout à fait impartiaux avaient rapporté.
Sceptique, Edan se contenta d'un « je vois » avant de conclure la conversation par un :
— Tu pourras me raconter les détails plus tard. Va te reposer.
Il semblait évident que ces derniers mots ne m'étaient pas destinés.
Je n'aurais jamais cru penser ça depuis ce fameux jour, mais il me tardait que Talia revienne. Quelque chose me disait que j'aurais besoin de soutien pour notre prochaine confrontation.
La chambre — que dis-je, la suite — que je réquisitionnais était aussi grande que mon appartement au-dessus du Pesant d'Or. Elle était scandaleusement sobre et la décoration minimaliste m'empêchait de dérober quoi que ce soit. La tapisserie et le tissu du mobilier illuminaient les pièces de tons vert océan, offrant à la suite une énergie assez reposante. Ma première halte clopin-clopant fut la salle de bain où j'entrepris une toilette approfondie afin d'éliminer toutes les odeurs des petits primates substantielles. Je pris grand soin de la jacinthe, la gardant toujours sous mes yeux avant de la ranger précieusement dans ma poche une fois habillée. Je refusai de m'en séparer, bien que je n'eusse aucune idée de son fonctionnement.
Le guérisseur du Crépuscule Pourpre arriva peu de temps après, Iris l'ayant guidé jusqu'à moi.
J'appris que leur guérisseur n'était autre qu'Arthur, que j'avais gentiment identifié dans ma tête comme « le rouquin bavard ».
— J'ai appris pour le sauvetage d'Iris, attaqua la pipelette. C'était très courageux de ta part.
Très stupide.
— Tout le monde ne cesse de me le répéter, dis-je. Pourtant, n'importe qui aurait fait la même chose.
Cela relevait plus du réflexe que d'une action totalement réfléchie.
— Tu te trompes, nia-t-il en secouant la tête. Beaucoup de Maisons encouragent à l'excellence pour faire parler d'elles, obtenir des subventions, des contrats et s'enrichir. Mais peu d'entre elles promulguent vraiment la camaraderie, la loyauté ou l'entraide.
Cela sonnait bien triste. Loin de l'image de rêve qu'elles renvoyaient. Même si cette idéologie me parlait bien plus que son histoire de « camaraderie », de « loyauté » et d'« entraide ».
— Bien sûr, à force de vivre ensemble, des affinités se créent, mais tu ne nous connais pas depuis si longtemps et tu n'es même pas une aventurière. Tu étais censée être une cliente.
Il haussa les épaules.
— C'était donc très courageux de ta part, conclut-il à nouveau.
Contrairement au membre de la Cloison Azur, son affinité à l'Argia faisait appel non pas à l'Argia interne de ses victimes — patients — mais manipulait l'Argia environnementale en forçant l'usage des nutriments du corps pour s'autorégénérer. C'était comme s'il accélérait le processus de cicatrisation naturel en obligeant le corps à métaboliser ses sources d'énergie plus rapidement. Tout ceci avait bien sur une limite, le corps n'ayant pas une réserve illimitée en nutriments. Le guérisseur parvint à faire disparaître toute mes blessures, ne me laissant qu'une légère foulure à la cheville qui me ferait boitée quelques jours accompagnée d'une intense fatigue et d'une faim de loup.
— J'ai entendu dire que tu cherchais à investir un certain Tombeau, repris le rouquin. Que vous aviez convenu avec Edan que ce raid serait ton test d'entrée pour nous accompagner.
Je hochai la tête.
— Lucas et Marvel sont en train de lui faire un rapport, m'apprit-il en souriant. Je crois avoir entendu quelques haussements de voix en arrivant ici. Ils te défendent bec et ongles. Tu leur as fait bonne impression. Je pense que ça sent bon pour toi.
Il me fit un clin d'œil.
J'écarquillai les yeux, étonnée. Agréablement étonnée.
Alors les deux héros s'étaient ligués contre leur tyran pour me défendre ? Je souris, émue. C'était si agréable de déclencher une rébellion.
— Je dois aller le voir ensuite, intervint Iris. Je te promets que je plaiderais ta cause. Je te dois au moins ça.
Quelle douce musique à mes oreilles. Mes braves soldats. Il faudra que je trouve quelque chose pour les remercier.
— Merci Iris, je t'en serais très reconnaissante, dis-je le sourire aux lèvres.
Après m'avoir confiée une assiette avec une omelette, du pain et des pâtisseries, mes dérangeurs me laissèrent enfin seule avec moi-même. Malgré le couperet tendu au dessus de ma tête, les émotions du jour eurent raison de moi. Il ne me fallut pas plus de quelques minutes pour sombrer dans les bras de Morphée.
**--- Note de l'auteur ---**
Merci pour votre passage sur Divine Headache ! N'hésitez pas à voter, à me faire part de vos ressentis sur l'histoire !
À très vite ?! <3
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