Chapitre 15 - Le Soleil Levant (1/2)

Je rouvris les yeux. J'étais exactement dans la même position qu'avant de disparaître dans cet étrange espace hors du temps.

Ma main était toujours autour du bras de Marvel et j'étais suffisamment proche de lui pour sentir son souffle sur mon visage. Eberlué, il me regardait sans comprendre, revenu à lui. Au-delà de la surprise, je distinguai également dans ses traits de la... peur.

— C'était quoi ça ?

Perturbée, je me perdis un instant dans la contemplation de son visage d'ange et de ses yeux océans effrayés.

— Il faisait froid, et... Le noir, l'eau argenté, les... os.

Je le lâchai et m'éloignai, comme s'il me brûlait.

Minute papillon. Il m'avait suivie ? Il était venu dans cette... illusion que Talia avait créé ? Moi-même je n'étais pas certaine de comprendre ce qu'il s'était passé. Avions-nous vraiment vécu cet échange ? Était-ce notre imagination ? Était-ce réel ?

Misère, comment répondre à ça ?

— Je...

Je fus interrompue — sauvée — par le cri de mes compagnons qui revenaient un à un à eux.

— Elles bougent ! alerta le vieillard.

Comme si cela n'avait jamais eu lieu, comme si le temps ne s'était pas figé un instant, il reprit son cours, inarrêtable.

Autour de nous, les statues s'animèrent. Cette fois, elle ne se contentèrent pas de rester sur place. Elles n'attendirent pas que nous nous soyons remis de cet interlude énigmatique. Elles chargèrent.

Marvel me positionna derrière lui et plaça une flèche sur son arc. Il la décocha. Elle transperça sa cible en plein cœur et la traversa pour en ressortir et s'écraser dans la lave durcie derrière elle. La statue s'effrita, jusqu'à se retrouver réduite en cendres. Je haussai un sourcil et lâchai un petit sifflement. Impressionnant.

Il ne fut pas le seul à m'épater. Les armes teintaient les unes contre les autres.

Le vieillard se déplaça si vite, si agilement, que j'eus honte de ma propre vitesse au tiers de son âge. Ses lames tranchaient, découpaient, comme si elles ne rencontraient que du beurre. Elles ne faisaient face à aucune résistance. Les coupes étaient nettes, franches. Elles étaient si ciblées, la force si bien répartie qu'il ne semblait fournir aucun effort. La Lame de la Justice était en action. Trois statues tombèrent en morceaux sous ses assauts en quelques secondes.

Tous les aventuriers ripostaient, se défendaient, et, aux crissements des épées, s'ajouta la mélodie de la magie.

L'Argia m'enveloppa, picora ma peau, et des vagues d'eau se formèrent, prenant la forme de lionnes s'élançant vers l'ennemi. Elles griffèrent, mordirent, arrachèrent. Même blessées, coupées en deux, leur nature immatérielle les rendait invincible. Inlassablement, elles continuaient d'attaquer, féroces.

Iris Mack menait la danse et c'était diablement impressionnant.

Je revoyais tout mon jugement sur elle. Elle remontait dans le classement pour la place de meilleur bouclier et parviendrait même à atteindre le podium si elle continuait comme ça.

Marvel baissa soudain son arc, ne participant plus au combat. Il se contenta d'observer pendant un moment.

— Leurs attaques sont ciblées, déclara-t-il.

J'oubliai mon admiration pour les aventuriers et fis alors plus attention à ce que les statues faisaient. Focalisées sur un seul objectif, elles fonçaient sans détour. L'une d'elle passa près d'Iris comme s'il ne la voyait pas et continua sa course jusqu'au chauve. Plus loin, deux autres ignorèrent Ombre, qui se faufilait en traître parmi elles, et s'élancèrent vers le petit chef.

— Elles ne visent que ceux qui ne se sont pas inclinés, remarquai-je.

Cela avait donc servi à quelque chose. Un instant... J'étais donc en sécurité !

Un large sourire fendit mon visage. Le pillage de ce Tombeau me sembla soudain bien plus alléchant.

Je tournai la tête vers la plante, toujours posée sur l'autel. Comme si elle n'attendait que moi pour la cueillir.

Je pouvais profiter de l'agitation pour m'en emparer. Répondant à son invitation en amorçant mon mouvement, je fus stoppée par Marvel qui se saisit de mon poignet.

— Où vas-tu ? demanda-t-il, suspicieux.

— Je vais rassembler les chariots, mentis-je. Autant que je me rende utile. Je vais les mener vers la sortie le temps que vous vous occupiez des statues. Ainsi, on ne risque pas de perdre ou briser quoi que ce soit.

Comme pour me donner raison, la tête d'une statue découpée s'effondra sur l'un de nos trésors, détruisant le chariot et éparpillant la fairine au sol.

Nous grimaçâmes de concert. Il devait imaginer lui aussi la foudre dans le regard d'Edan quand nous lui apprendrions la somme perdue avec la disparition de cette poudre.

Pourtant, il ne me lâcha pas. Je soutins son regard, perdue.

— Marvel ?

— Fais attention, finit-il par dire après un silence.

Je hochai la tête. Qu'il ne s'inquiète pas, ma sécurité était bien entendu ma priorité. C'était son rôle à lui de s'assurer de celle d'autrui.

Pour rester dans mon personnage, je m'emparai d'un chariot rempli d'olcal en bouteille. C'était le plus fragile et sans doute ce qui se vendrait le mieux. Je slalomai entre les différentes batailles qui faisaient rage telle une mouche qui éviterait la tapette cherchant à l'écraser. J'arrivai à l'autel et me stoppai, comme si je faisais une pause pour reprendre mon souffle.

Faisant un point rapide sur la situation, je me rendis compte que toutes les statues étaient presque détruites. Finalement, ils étaient bien trop efficaces. Je n'aurais le temps que de transporter un seul chariot qu'ils se seraient débarrassés de l'intégralité des assaillants.

C'était sans compter mon fichu karma.

Au moment où je m'emparai de la jacinthe et la glissai dans mon décolleté, le Tombeau décida que la fleur était trop importante pour me la laisser.

Trop occupée que j'étais à attendre les félicitations de Talia après avoir atteint notre objectif, je ne me rendis pas tout de suite compte que la situation avait pris une nouvelle tournure. Au silence de la déesse cependant, je l'appelai tout bas.

— Talia ?

C'était étrange. J'étais à nouveau seule dans ma tête. L'utilisation de son illusion avait dû l'obliger à s'éteindre de nouveau, comme lorsqu'elle avait utilisé le mot de pouvoir.

— Alana !

Le cri d'Iris me tira de mes réflexions. Sa mine déconfite observait le pan du mur qui abritait la sortie. Suivant son regard, je l'observai à mon tour.

Telle la marée, inarrêtable, plusieurs centaines de petits chimpanzés de la taille de souris, arrivaient sur nous, descendant du mur de lave froide, descendant du plafond. De leurs petites pattes de primate, ils dévalèrent le mur, insensibles à la gravité. Ils avançaient en rang, en ligne droite, déterminés à atteindre leur objectif. Autrement dit, la vague passerait forcément par l'autel. Où je me trouvais.

Je fis volte-face si vite qu'un fuyard moins aguerri se serait rompu les cervicales. J'adressai des excuses silencieuses à l'olcal, que j'abandonnai derrière moi, en sacrifice hélas sans doute inutile. À moins que les Kondairas soient sensibles à l'alcool ?

Cherchant à rejoindre Iris, je notai une seconde chose.

Pourtant en morceaux éparpillés loin les uns des autres, chaque statue se reconstituait. Pièce après pièce. Chaque adversaire vaincu se relevait. Il retournait à l'attaque, ciblant encore et toujours les irrespectueux. Pire, quand l'une d'elle parvint à toucher un irrespectueux, celui-ci se statufia. Le premier immobilisé par la fatalité fut le chauve. Ses traits grimaçant se figèrent, son corps en position défensive insuffisante se figea. Le prix de son irrespect venait d'être payé. Nous venions de perdre un compagnon.

— Ne les laissez pas vous toucher ! hurla la Lame de la Justice.

Je déglutis.

Quelques secondes plus tôt, il me semblait que la crise était passée. A présent, je me rendis compte qu'elle venait de commencer.

Derrière moi, les Kondairas ne semblaient pas bien dangereux, mais ils avaient le nombre pour eux. Ils allaient nous submerger et je n'étais pas certaine que les respectueux soient épargnés. Et si la statue se brisait ? Il fallait donc réussir à les stopper avant qu'ils ne fondent sur nous.

— Iris ! Noie les singes ! hurlai-je.

D'ordinaire, j'aimais les petits animaux pelucheux, et en temps normal, j'aurais même tenté d'en caresser un. Mais associé à des dents de requin, mon amour tout comme leur mignonnerie disparaissaient comme neige au soleil. Au diable ces sales bestioles.

Ils étaient arrivés au sol et entamaient leur course horizontale.

L'irrespectueux et stupide Kyle le poisson qui ne m'avait pas écoutée était près d'Iris. Cette dernière était donc aux prises avec les statues qui tentaient de l'écharper. J'aurais aimé qu'elle l'abandonne à son triste – et mérité — sort pour s'occuper de moi, mais je pouvais difficilement le lui hurler sans passer pour une égoïste invétérée.

C'était sans compter sur mon fidèle soldat de l'ombre.

— Vas-y, Iris ! Je m'en occupe !

Prenant de l'élan, se faufilant sous les haches, Ombre courut le long de la jambe du chevalier, sectionna chaque articulation au passage, et atterrit sur ses épaules où elle planta ses lames dans ses orbites.

La statue continua sa progression mais bientôt, chacune des incisions chirurgicales de l'assassin de l'ombre libéra un morceau de son corps. Il s'éparpilla, perdant chaque partie de son anatomie comme les briques d'une maison qui s'effondre. Tandis que le chevalier s'affaissait, l'assassin sauta en l'air, voltigeant telle une acrobate et atterrit après un saut périlleux avant de repartir comme si de rien était sur la seconde statue entourant Kyle.

Iris arriva à mon niveau et fit plusieurs signes rapides avec ses mains qui pour moi n'avaient aucun sens. Elle posa ensuite sa main au sol et, lâchant un cri de rage, l'eau répondit à son appel.

Le sol trembla sous nos pieds, gronda. Un torrent, un flot d'eau verdâtre fractura le sol pour se libérer. Juste devant la magicienne, l'eau s'éleva et s'envola pour contrer la vague vivante qui arrivait sur nous. Dirigeant le tsunami, une chimère d'eau apparut, courant à sa surface. Sa gueule léonine poussa un rugissement bestial, ses ailes battirent sans toutefois le faire décoller, sa queue de serpent dans son sillage. Les Kondairas ne firent pas mine de ralentir. Ils chargèrent.

Quand les vagues se rencontrèrent, les petits chimpanzés furent emportés, incapables de supporter l'assaut de l'élément.

Enhardie par cette vision, j'applaudis joyeusement. Iris venait de devenir ma protectrice en chef, c'était acté !

Je me tournai vers elle, ayant presque envie de la prendre dans mes bras pour la féliciter.

— Tu as été incroyable Iris ! m'écriai-je, impresionnée.

La jeune magicienne me renvoya un sourire timide et fatigué. Elle essuya son front, moite de sueur.

— Merci, mais ce n'est pas encore terminé.

Hélas. Restons donc ensemble.

Je m'approchai d'elle, voyant qu'elle ne se relevait pas.

— Tu vas bien ? m'inquiétai-je.

Je posai ma main sur son épaule et m'accroupit devant elle. La jeune femme me sourit, se voulant rassurante.

— Ça va aller, il me faut juste quelques minutes.

Non, non. Nous n'avions pas quelques minutes. Ressaisis-toi la magicienne.

Alors que je me mordais les lèvres, insatisfaite de sa faiblesse passagère, derrière elle, j'aperçus le dos d'une statue.

Sous mes yeux, elle explosa, anéantie par un des aventuriers. Et une partie de son immense torse, des tonnes de roches volcaniques, fonça droit sur nous pour nous écraser. 

**--- Note de l'auteur ---**

Un deuxième chapitre pour la route ! Cadeaaaau !

Même si ok ça se fait pas de finir comme ça 🙈

Que va-t-il se passer ???

La suite très vite !!

Merci pour votre soutien ! <3

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