Chapitre 12 - La Cloison Azur (2/2)
— Tout d'abord, c'est un honneur et un plaisir pour nous de pouvoir partager cette aventure avec vous tous. Nous tenions à vous remercier et comptons sur vous pour prendre soin de nous.
Ce débordement de mots mielleux et faux m'aurait d'ordinaire donné envie de vomir, mais le visage brillant de sincérité et de joie pure de Lucas ne pouvait laisser personne indifférent.
Une des triplettes le siffla, le couple l'applaudit, et beaucoup sourirent à ses mots. Je me contentai de changer de jambe d'appui, blasée. Comment faisait-il ?
Reprenant un air un peu plus grave, il ajouta :
— Nous allons à présent entrer. Je tiens à tous vous rappeler que notre priorité reste la sécurité de Kyle, Marina et Alana.
Kyle et Marina devaient être les journalistes. Que Lucas ait pris le temps de s'en informer était tout à son honneur. Encore un truc de héros.
— Par ailleurs, aucune vision n'a été révélée concernant ce Tombeau, ce qui signifie que nous entrons à l'aveugle. Il s'agit d'une divinité mineure mais nous ne devons pas pour autant sous-estimer les dangers qui s'y cachent.
Le souvenir de Barssa semblait encore à vif chez l'aventurier plein de compassion. Les remords étaient si lourds à porter, mieux vallait faire appel à notre bonne vieille amie Déni.
— Nous vous demandons donc de respecter le signal de repli qui sera déclaré au moindre obstacle que Marcus, Sabine et moi jugeront trop dangereux.
Certains grimacèrent, déçus, mais la majorité hocha la tête vigoureusement.
Le signal se trouvait être tout bêtement un sifflement. Décevant. Comment ferons-nous si les hurlements des monstres et les cris de terreurs masquaient le moindre bruit ? Quoi, les héros n'avaient pas le droit d'hurler de frayeur ? Il y avait vraiment des personnes qui signaient volontairement pour ça ?
Soudain, je fronçai les sourcils, saisie d'une révélation.
— C'est quoi ton salaire exactement Iris ?
— Pardon ?
Concentrée, la jeune femme tourna la tête vers moi, surprise. Elle ne semblait pas m'avoir entendue. Je répétai :
— C'est quoi ton...
— Allons-y ! Montrons à ce Tombeau qu'ensemble rien ne nous résistera !
Un brouhaha de « Ouais !!! » répondit à cette affirmation écœurante d'entrain de Lucas.
« Demande au sourire ambulant plutôt, elle n'est que du menu-fretin. »
Sur ces bons conseils, je n'investiguai donc pas plus.
À la place, j'observai le « sourire ambulant ».
Il s'était approché des portes du Tombeau et se trouvait maintenant face à elles. Les aventuriers ne le suivirent pas, lui laissant de l'espace. Lucas expira. Le silence se fit autour de moi.
Et il dura.
S'attendaient-ils à quelque chose ?
Les visages autour de moi semblaient sereins. Le vieillard bailla. Iris m'observa du coin de l'œil et me sourit, excitée.
Je fronçai les sourcils.
Que se passait-il ?
Soudain, une lumière vive et chaleureuse s'alluma près des portes et rappela mon attention à elles.
Auréolé d'une vague de lumière, un arc-en-ciel lui courant sur la peau, Lucas posa ses mains multicolores sur la pierre grisâtre. Ses cheveux blonds se décolorèrent en un blanc argenté, ses yeux azur s'éclaircirent en un turquoise transcendant, sa peau se teinta de paillettes, comme si des étoiles y avaient été apposées.
Des éclats, des étincelles s'échappèrent dans les airs, comme des gouttes d'eau lumineuses qui flotteraient en suspension, comme des petites fées qui s'envoleraient, libérées.
Les arabesques des portes en forme de fleurs de lys, de roses et d'œillets s'animèrent, s'irisèrent.
Les portes semblèrent alors prendre vie et, s'illuminant d'un gris taupe, elles s'ouvrirent lentement.
Puis, quand le couloir derrière nous apparut enfin, quand les battants furent entièrement repoussées, comme ayant appuyé sur un interrupteur, la lumière s'éteignit.
Je fixai bêtement la porte, le temps d'assimiler les informations. Autour de moi, les conversations reprirent, le moment étant passé.
« Il aurait pu juste pousser. »
C'était un don de réussir à rendre épique l'ouverture d'une porte, il fallait le reconnaître à Lucas.
Je savais, comme tout le royaume, que la manifestation de l'Argia de Lucas avait attrait à la lumière. Mais c'était la première fois que je la voyais en vrai. L'Argia était l'énergie, la magie, qui régissait notre monde. Elle faisait partie de chacun de nous et nous reliait à tous les êtres vivants. Comme l'air, elle nous imprégnait, nous entourait. Comme l'eau, elle s'écoulait, remplissait. Comme la terre, elle façonnait, constituer. Et comme le feu, elle vacillait, s'étendait.
N'ayant moi-même aucune affinité avec cette énergie — ou avec quoi que ce soit quand j'y pensais — je n'avais eu que rarement l'occasion d'en voir de mes propres yeux l'application réelle. Pour moi, cela avait toujours été de l'ordre de l'idée, de faits. En voir une manifestation aussi simple, aussi pure, m'émue. Je ne feintais pas les étoiles dans mes yeux. J'avais l'impression d'être une enfant ayant assisté à un tour de magie. Ce qui était pratiquement le cas. Sauf pour le côté enfant bien sûr.
Passée mon admiration naturelle pour le héros ensoleillée, je jetai un œil à l'intérieur. Un long hall sombre, recouvert de la même ardoise que l'extérieur, s'étendait sans qu'on ne puisse en distinguer le bout. Lucas entra et les aventuriers l'imitèrent à tour de rôle, à sa suite.
Rien de bien effrayant pour le moment. Tout semblait calme, désert. Tant mieux. Même si j'avouais ressentir une pointe de déception, elle était très vite éclipsée par mon soulagement de n'avoir aucun Kondairas prêt à me dévorer cette fois-ci.
J'entrai dans les derniers, entourée par mon escorte. Le chauve vicelard fermait la marche. Je pouvais presque sentir son regard lubrique sur mon derrière.
Profites-en mon pote, tu observes une œuvre d'art.
— Est-ce que je dois m'inquiéter de Kondairas ? Ou... de Sidias ? murmurai-je, exploitant le mouvement et la relative solitude qu'il m'offrait.
« Non. Une fois dans le Tombeau, l'aura de la divinité éclipse tout. Personne ne me repérera ici. »
Rassurant. Je me détendis.
— Et alors beauté ? Tu cherches à être seule avec moi ? demanda une voix masculine qui m'irrita aussitôt.
— Si elle pouvait éclipser les imbéciles... marmonnai-je en levant les yeux au ciel.
« Le Tombeau serait vide. »
Je souris, puis me fis la réflexion qu'elle m'incluait sans doute avec lesdits imbéciles.
Je me tournai vers le chauve.
— Ah, tu es là, dis-je.
Je lui jetai à peine un regard, comme si j'avais louché sur une mouche puis qu'elle était sortie de mon champ de vision, et repris ma route. Simple. Efficace.
— Attends...
Je m'approchai de la journaliste au sang chaud et lui sourit, certaine, à sa grimace lors des réflexions déplacées du chauve plus tôt, que nous nous entendrions à merveille.
— Je me permets, je cherche à échapper à une discussion déplaisante, commençai-je.
— Moi aussi, dit-elle avant d'accélérer le pas et de, le plus naturellement du monde, me planter en beauté.
Ma mâchoire m'en tomba.
Oui, cela venait réellement d'arriver. Je n'étais pas en plein rêve. Elle venait d'envoyer un direct du droit à mon égo.
Dans ma tête, j'imaginai Talia se tordant de rire au sol tant ses éclats stridents m'écorchèrent les oreilles. Je grimaçai. Bien que blessant, force était de constater que c'était brillant.
Le journaliste concurrent — Kyle si mes souvenirs étaient corrects — ralentit à mon niveau.
— Elle est comme ça avec tout le monde. À croire qu'elle ne supporte pas les gens.
J'étais tenté de lui lâcher un « Moi non plus » et de tracer ma route, mais on aurait pu m'accuser de plagiat.
À la place, je la jouai Lucas Alicent et étalai la perfection de ma dentition au grand jour. Peut-être aurais-je droit à une mention dans son futur article. Ne jamais perdre le Nord.
— Eh bien, j'espère que ce n'est pas votre cas, dis-je en lançant un coup d'œil derrière nous et en baissant la voix comme si je m'apprêtais à lui confier un secret. J'aimerais éviter certains... interlocuteurs.
Mon charme l'atteignit de plein fouet et un sourire fendit son visage, ses yeux pétillants d'amusement.
— Ce serait un honneur de pouvoir vous aider.
Il ajouta à ses mots une inclinaison de la tête. Il aurait eu un chapeau qu'il l'aurait abaissé en signe de respect.
« Ses lunettes donnent l'impression de regarder les yeux d'un poisson, c'est perturbant. »
Parfois, je me demandais vraiment si elle lisait dans mes pensées.
— Alors vous séjournez avec le Crépuscule Pourpre si j'ai bien compris ? reprit-il.
— C'est ça. Je voyage avec eux. Je suis comme qui dirait en période d'essai à vrai dire, avouai-je.
Moi et ma volonté de toujours frimer. Un jour cela me perdrait.
Ses yeux s'écarquillèrent et, avec le reflet de ses verres, je faillis reculer de peur qu'ils ne sortent de leur orbite et m'atterrissent dessus.
— Impressionnant ! Je pensais que vous étiez une scientifique en recherche de nouveaux projets d'études. Je ne me serais pas douté que vous étiez aventurière !
Je n'en étais pas une, c'était donc de bonnes suppositions. Je ressentis cependant une pointe de fierté à ses mots surpris. Les scientifiques c'étaient sexy. Du moins avant d'atteindre le stade du savant fou.
— C'est mon rêve en effet, ajoutai-je timidement.
— Vous êtes magicienne ? Sorcière ? Chevalier ?
« Sorcière. Si nous devons parler l'Hitzord, ce sera plus crédible. »
Les magiciens puisaient dans l'Argia environnementale, extérieure, bien plus malléable. C'était le cas de Iris qui maniait l'eau environnante.
Les sorcières puisaient dans l'Argia vivante, intérieure, plus chaotique. Comme Elsa qui manipulait la faune.
Chacune d'elles permettait de générer des manifestations extérieures, physiques.
Les chevaliers, eux, façonnaient l'Argia pour améliorer leurs propres capacités individuelles, corporelles. Alec en faisait partie.
Chacun avait une affinité propre avec l'Argia. Chaque manifestation était donc unique. Il était dur d'appréhender ce dont une personne était capable d'autant que l'affinité évoluait avec le temps.
Par ailleurs, posséder un don pour manier l'Argia était chose rare et ne représentait que deux pour mille habitants. On racontait qu'il s'agissait de réflexes archaïques, innés à la naissance et qui disparaissaient dès les premières semaines chez la plupart d'entre nous. Certains toutefois ne les assimilaient pas et au contraire les exploitaient à leur maximum, si bien qu'en grandissant, ils parvenaient à comprendre et manier l'Argia, comme ils apprendraient à marcher, à courir, à lire ou à écrire.
Tous ne s'engageaient pas pour devenir aventuriers. À l'image par exemple de Edan qui était un homme d'affaires. À l'inverse, certaines personnes sans affinités pour l'Argia devenaient aventuriers, comme c'était le cas avec Ombre.
Et il y avait les génies comme Lucas où la manifestation était telle qu'il parvenait à manier à la fois l'Argia qui les entourait et qui les composait. Des gens talentueux, charismatiques. Des héros. Des personnes énervantes.
Je suivis les indications de Talia, optant pour la sécurité, même si je n'avais aucune intention d'utiliser des mots de pouvoirs. Le journaliste ne s'attarda pas plus sur moi, ce qui me vexa légèrement.
— Comment sont-ils dans la vraie vie ? Comment est le Soleil Levant ?
Bien sûr, journaliste un jour, journaliste toujours. Même devant une belle et délicieuse jeune femme, son objectif restait des avant-premières confidentielles sur la première Maison de Saolem. Vautour.
— Vous n'aurez rien venant de moi, inutile de s'engager sur ce terrain-là, fis-je en faisant mine de coudre ma bouche puis de jeter la clé.
— Fidèle. C'est plus rare que ce qu'on imagine, dit-il, admiratif.
Donne-moi un bon prix et je peux t'assurer que je vais rentrer dans les cases.
Devant moi, nos camarades de pillage s'étaient arrêtés. J'échangeai un regard interrogateur avec Kyle puis m'éloignai en quête de réponses. Je m'approchai de Iris.
— Qu'est-ce qu'il se passe ?
— Le chemin se sépare en trois, m'expliqua-t-elle. Nous allons envoyer des éclaireurs.
Nous allions attendre un moment je supposais. Je m'assis donc à même le sol, dos au mur. Plusieurs têtes se tournèrent vers moi.
Si vous souhaitiez vous épuiser en restant plantés comme des piquets, libre à vous, je n'étais simplement pas obligée d'être aussi stupide.
« Celui du milieu mène à un jardin souterrain rempli de fairine. L'émelite s'y trouve également. Celui de gauche abrite l'aquarite, mais elle est assez éloignée. Allez, rends toi utile. »
Ben voyons. Ne pouvait-elle pas me dire ceci avant que je ne m'assoie ?
À peine installée, je me relevais donc en soupirant. Prenant mon courage à deux mains, je me faufilais entre les aventuriers.
Me voyant partir, Iris m'interpella. Je levai mon pouce en un signe signifiant « je gère » et continuai ma progression.
Alors que j'étais en train de me dire que nous étions bien plus que les vingt personnes annoncées tellement j'avais dû lâcher de « pardon » et « excusez-moi », j'arrivai enfin à Lucas qui échangeait avec les triplettes.
— Lucas !
Son visage s'illumina d'un sourire et je me fis violence pour ne pas lever ma main afin d'en diminuer l'éclat.
— Alana ! Tout va bien ?
— Ouais, ouais, dis-je en balayant l'air de la main. Je peux te parler un moment ?
— Je termine juste les instructions pour nos éclaireurs et je suis tout à toi.
— Inutile, je sais déjà où nous devons aller. Milieu et gauche. Je t'explique ?
Il fronça les sourcils, curieux.
— Bien sûr.
Derrière moi, le couple me mitraillait de leur regard. Devant, les triplettes étaient confuses.
Eh oui, j'avais droit à un tête à tête avec le Soleil Levant, moi.
Quand nous nous fîmes suffisamment éloignés, je repris :
— Tu te souviens de cette histoire d'intuition ?
Il hocha la tête, le regard méfiant.
— Je m'en souviens.
— J'en ai une nouvelle.
Je lui partageai les informations que Talia m'avait données. Je lui proposai ensuite de nous séparer en deux groupes sur le chemin de gauche et le chemin central. J'en fis des tonnes en rajoutant des « fais-moi confiance » et « je suis sûre de moi ».
— Qu'est-ce que tu en dis ? terminai-je ma tirade en faisant un grand sourire.
S'il osait me dire qu'on enverrait quand même des éclaireurs, j'allais pleurer à chaudes larmes. J'étais certaine qu'il ne saurait pas comment réagir.
Mais c'était de Lucas dont nous parlions. Il attrapa mes mains et les serra entre les siennes, enthousiaste.
— Super Alana, merci beaucoup ! Cela nous fait gagner un temps considérable !
Il était à deux doigts de me serrer dans ses bras, j'en étais certaine.
Confuse, je demandai :
— Tu me crois ? Aussi simplement que ça ?
— Bien sûr, pourquoi mentirais-tu ?
Car j'étais une menteuse compulsive ?
« Quelle crédulité affligeante. »
Son regard s'adoucit. Sa poigne sur mes mains se relâcha, réconfortante.
— Je sais que ce raid est important pour toi, dit-il.
Son regard compatissant me rappela les enjeux qui me collaient à la peau. Je hochai la tête, le visage grave.
Oui, Lucas avait raison. L'investiture de ce Tombeau était importante. Il était primordial pour moi d'en ressortir indispensable.
C'était simple : ma vie en dépendait.
**--- Note de l'auteur ---**
On va rentrer dans le vif du sujet ça y est ! Qu'est-ce qui va bien pouvoir tomber sur notre pauvre Alana encore ? 😂
Qu'avez-vous penser de ce chapitre ?
N'hésitez pas à me faire part de vos avis !
Merci !
À très vite !
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