Chapitre 12 - La Cloison Azur (1/2)

Étais-je la seule à me sentir importante quand je me retrouvais entourée de personnes importantes ?

Devant le Tombeau de Nazar, mon égo gonflait comme un ballon de baudruche.

Le lieu de repos de la divinité tombée était comme posé au cœur même d'une vallée, complétement isolée et abandonnée. C'était simple, il n'y avait rien, si ce n'était du vert et de la pierre. La nature régnait en maître et elle prenait ses droits même sur les dieux.

Le Tombeau, long d'une dizaine de mètres sur dix, et haut de tout autant, semblait incongru, placé au milieu de la faune et la flore. Il gâchait le paysage idyllique. Tout de pierre sombre, comme de l'ardoise, il était recouvert de racines, de branches et quelques fleurs, des lys, y avaient fleuri.

On aurait pu croire qu'il était là depuis des années alors que sa présence n'avait été détectée que quelques jours plus tôt.

Les grandes portes, qui s'élevaient sur toute la hauteur du tombeau, étaient recouvertes de motifs et arabesques incompréhensibles pour les pauvres mortels que nous étions, dessinant comme des fleurs mais qui prenaient la forme plus dure et attachée de lettres. Leur beauté et leur raffinement atteignaient tous ces spectateurs, peu importe leur espèce.

Il n'y avait pas de poignée. Le Tombeau semblait fermé et je n'avais aucune idée de comment il allait être ouvert.

Autour de moi, pas moins d'une vingtaine de personnes étaient rassemblées. Tous plus intimidants les uns que les autres. Des aventuriers, des héros. Et je me trouvais parmi ces gens-là, telle l'héroïne impostrice que j'étais.

La Cloison Azur, la Maison qui siégeait dans la région des Antils et qui en était la principale responsable, faisait partie des Maisons moyennes. Elle ne possédait pas énormément de membres, à peine une cinquantaine, et n'avait pas l'ambition de s'implanter sur tout le territoire. Cette région suffisait à leur croissance et, étant isolée, ils en étaient les dignes protecteurs, ce qui leur assurait une rentrée d'argent perpétuelle. Ce jour-là, elle avait envoyé douze de ses membres.

À part le Crépuscule Pourpre, c'était la première fois que je rencontrais d'autres aventuriers. Je pris donc plaisir à les détailler, tout comme la déesse dans ma tête.

Un grand chauve à la peau sombre semblait pouvoir écraser les montagnes qui nous entouraient à mains nues. Il avait attaché dans son dos une immense hache et regardait droit devant lui, les bras croisés sur sa poitrine aux muscles gonflés.

« Il fait quoi ? Il essaie d'être intimidant ? »

Pour moi, il l'était.

À sa gauche, trois femmes, à la posture et l'apparence pratiquement identiques, de tailles moyennes, les cheveux blonds attachés en queue de cheval et les yeux en amande, discutaient entre elles. L'une portait deux épées, la seconde un arc et la troisième ne possédait pas d'arme.

« Est-ce que je vois triple ? »

J'essayai d'imaginer trois moi... puis secouai la tête.

Effrayant.

Plus loin, un couple d'hommes s'enlaçait, comme s'ils étaient seuls au monde, ce qui devait être le cas dans le leur.

« Ils cherchent un Tombeau ou une chambre ? »

Moi, j'aurais préféré chercher une chambre, c'était certain.

Au centre de ce peuple hétéroclite, deux hommes et deux femmes étaient assis à même le sol et patientaient, sans se regarder, sans parler. Ils attendaient. L'une possédait un bandeau sur les yeux, un autre avait une canne comme seule arme. La troisième était bien enrobée et le dernier aurait pu être mon grand-père.

C'était atypique.

« Un aveugle, un estropié, une boule et un vieillard. On dirait le début d'une plaisanterie. »

Je ricanai dans ma barbe.

— Le vieillard est la Lame de la Justice, marmonnai-je. Il jouit d'une certaine réputation, ce serait un bon allié.

Devant eux, plus proche de moi, un homme et une femme semblaient diriger le groupe. Ils étaient âgés d'environ une trentaine d'années chacun et arborait des armures plus neuves, plus élaborées, plus impressionnantes que les autres.

La femme n'était pas jolie. Elle avait des dents trop longues qui dépassaient de ses lèvres et un monosourcil sombre telle une chenille perdue sur le champ de bataille tentant de traverser le front — ah, ah.

« Si j'étais le miroir qui la reflétait tous les matins, je me jetterais par terre. »

L'homme était charmant sans être beau. Il était de petite taille et la lance dans son dos traînait presque au sol.

« L'humanité en est réduite à confier des armes à des enfants. Affligeant. »

Peu importait le grade, Talia restait impitoyable.

— C'est sûr qu'ils ne payent pas de mine... approuvai-je en murmurant.

Tous arboraient quelque part sur leur tenue l'emblème de leur Maison : deux mains bleu azur fermées en prières, tentant de représenter ce que j'imaginais être une cloison.

Ceux qui attiraient principalement l'attention restaient donc les cinq personnalités éblouissantes du Crépuscule Pourpre – personnalités que j'accompagnais.

L'Archer des Ténèbres, Marvel Parque, était présent. Sa tenue me rappela celle d'Ombre. Entièrement vêtu de couleurs sombres, un pourpre foncé mélangé à du noir, avec sa peau dorée et ses boucles indisciplinés, il avait tout du brun ténébreux torturé. Ses yeux océan ressortaient tels deux phares pour compléter le tableau. Ses bras nus, musclés et terriblement séduisants, tenaient un arc charbonneux aux bordures bordeaux. Dans son dos, son carquois rempli de flèches à l'embout métallique arborait le demi-cercle rouge violacée représentant le soleil crépusculaire.

« Il est beau. »

Pour toutes personnes qui avaient des yeux, il l'était assurément. Ce bel apollon aux yeux somptueux était le fantasme ultime de nombreuses femmes. Moi comprise. Mes pensées dérivèrent un instant, frôlant l'interdiction aux mineurs, puis Talia me ramena sur le droit chemin.

« Et sans doute attiré par les hommes. Ses désirs ne semblent pas tournés vers nous. On devrait tenter de le séduire pour en être certaines. »

Etant donné qu'il avait, en plus d'être magnifique, bonne réputation, l'avoir parmi mes larbins pourrait s'avérer utile. Pour remplacer Alec par exemple.

Iris Mack, ma timide future domestique personnelle éprise du ponte de sa Maison, faisait partie de l'équipe. Magicienne contrôlant l'Argia de l'eau comme j'avais pu l'apprendre au cours d'une de nos rares discussions intéressantes, elle ne possédait pas d'arme et son attirail se résumait à sa tenue simple, un pantalon et une tunique, supportée par une protection sur sa poitrine. Elle portait un masque sur son visage et le soleil pourpre de leur Maison y était gravé.

« Pourquoi avoir amené cette empotée ? »

Un peu violent, mais légitime.

Pauvre Iris.

Justin Lirot, âgé d'à peine dix-sept ans était le petit nouveau, arrivé il y avait tout juste quatre mois. Il me voyait d'un mauvais œil depuis que j'avais eu l'audace de critiquer ouvertement Edan devant lui.

Il portait une tenue similaire à celle de Marvel, mais ses bras et ses mains étaient recouverts et il n'était pas non plus armé.

J'en conclus qu'il était lui aussi un manipulateur d'Argia, sans pouvoir en deviner l'affinité. L'emblème de sa Maison s'étalait en large sur son torse.

« Un gamin à peine sorti de la puberté. Entre lui et l'empotée, je nous sens assurément en sécurité. »

L'ironie était donc parfaitement maîtrisée par les dieux. Brillant.

L'Ombre assassine, Léna Sue, avait la même apparence que la première fois que je l'avais rencontrée. Sa combinaison d'obsidienne sexy raffinée la recouvrait entièrement, ne dévoilant que la partie haute de son visage. Je n'avais pu l'apercevoir la première fois, mais le demi-cercle symbolique se retrouvait sur chacune de ses chevilles et chacun de ses poignets.

« Je me demande combien de personnes elle peut tuer en une minute. »

Je n'avais aucune envie de le savoir.

Néanmoins, j'étais rassurée d'avoir un de mes soldats avec moi, cela me faisait au moins une âme prête à se sacrifier pour moi en cas de pépin.

Quoi qu'en présence de tous ces imbéciles héroïques, cela aurait été un comble qu'il m'arrive quoi que ce soit.

Pour finir — avec le meilleur — le magnifique Soleil Levant était muni de son armure argentée, auréolé de motifs complexes dorés.

Dans son dos, l'immense motif de l'astre dont il tirait son surnom s'attachait aux autres lignes et cercles auréolés d'or qui le recouvraient. Il était le seul à ne pas posséder le symbole de fidélité à sa Maison, sans doute pour se démarquer. Recouvrant l'intégralité de son corps, son armure l'habillait d'une seconde peau et, aussi fine que résistante, elle optimisait le moindre de ses mouvements. Son visage était la seule partie de son corps découverte.

Le héros étincelant et lumineux tout droit sorti des contes pour enfants. Nul doute qu'il volerait à mon secours si nécessaire, en brave chevalier servant qu'il représentait. Il lui manquait juste la cape.

Pour terminer ce groupe d'aventuriers prochainement auréolé de gloire, trois civils les accompagnaient.

Deux journalistes, un homme et une femme, qui s'entendaient comme chien et chat, en tant que représentants de journaux rivaux, et ma motivée et courageuse personne.

Je n'avais pas eu droit à une tenue assortie à mes camarades puisque je ne faisais pas officiellement partie de la Maison. J'étais donc vêtue d'une des tenues de tous les jours qu'Ombre avait bien voulue me prêter. Le tissu sombre me moulait tellement et était si fin que j'avais l'impression d'être nue. C'était terriblement confortable. Comme un collant recouvrant l'ensemble de mon corps, je ne sentais plus la combinaison. Elle me faisait également un corps incroyable. J'espérais ne pas déconcentrer et perturber les aventuriers subjugués qui m'accompagnaient. Quoi que. C'était toujours agréable pour son égo.

J'étais donc parée pour faire semblant d'en découdre.

Mon plan était initialement de rester tranquillement en arrière pendant que les idiots ayant le goût du meurtre de monstres se déchainaient, mais j'avais révisé celui-ci après les menaces d'Edan. Je misai tout sur la découverte de trésors et richesse qui feraient tellement saliver d'envie l'homme d'affaires qu'il ne pourrait plus m'évincer s'il comptait les garder.

Je comptais sur Talia, puisqu'elle semblait en savoir beaucoup sur les merveilles que renfermaient ce Tombeau. Maintenant qu'elle était de retour à m'encombrer de ses pensées parasites, autant qu'elle se rende utile.

— Alana, m'interpella Iris, joyeuse. Je serais avec toi. Je suis assignée à votre protection.

Elle jeta un œil en direction des journalistes qui avaient cessé de se parler après une énième dispute.

Derrière elle, Lucas conversait avec les deux chefs de la Cloison Azur. Je repérai les triplettes et le couple en train de lorgner avec admiration dans sa direction.

Il fallait croire que même les aventuriers d'autres Maisons avaient entendu parler de ses exploits.

— Super, répondis-je.

M'en fichais.

L'homme chauve musclé s'approcha de notre groupe ainsi que l'aveugle et le vieillard. Le premier se rinça l'œil ouvertement et son air lubrique me provoqua une remontée acide.

— Reste avec moi, beauté, je m'occuperai de toi, déclara-t-il avec un clin d'œil.

« J'hésite entre vomir ou insulter. »

Elle n'était pas la seule.

La journaliste à mes côtés grimaça et mima un haut le cœur.

Je regardai derrière moi comme si je cherchais à qui il pouvait bien parler. Faisant mine de comprendre qu'il m'adressait la parole, j'ajoutai, étonnée :

— Oh ! Ah... Excuse-moi chéri c'est gênant mais...

Je me collai exagérément à Iris.

— Cette ravissante et puissante magicienne s'occupe déjà très bien de moi.

Le sous-entendu évident après mon accentuation du « s'occupe » fit rougir Iris et le chauve fronça les sourcils en renifla de dépit, vaincu.

Le rire de Talia résonna dans ma tête.

« Amusant d'une manière différente. »

Parce que vomir était amusant ?

— Votre attention à tous, s'il vous plaît.

Au son de la voix chantante de Lucas, tout le monde cessa les conversations en cours et se tourna vers le héros. 


**--- Note de l'auteur ---**

Silence, Lucas parle 😎

Merci pour votre lecture !

À très vite !

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