Chapitre 1 - Un battement de coeur (2/2)

— Qu'est-ce que...

« Nous pourrons prendre un thé plus tard. Tu sais, quand nous ne serons plus en danger de mort. Lève ton lourd derrière ! »

La plupart des personnes auraient pensé avoir perdu l'esprit, c'est généralement ce qui arrive quand on entend plusieurs voix dans sa tête. Ou ils auraient envisagé l'hypothèse d'être bel et bien mort et de s'être réveillé dans leur enfer personnel, guidés par une voix exécrable qui ne chercherait qu'à les pousser à bout. Ce qui personnellement me semblait une punition assez sévère même pour le plus patient des criminels.

Je réagis autrement. J'avais toujours eu l'habitude de nier les choses qui ne me plaisaient pas ou du moins de ne pas vraiment y faire face. La fuite, le déni... Il s'agissait de vieilles amies. Aussi, je décidai de me poser des questions plus tard et d'écouter la voix. Après tout, elle semblait vouloir ma survie et il se trouvait que c'était également une de mes priorités.

Je me levai. Je titubai quelque peu et réussis à me stabiliser. Je bougeai mes jambes, mes bras, mon cou. C'était bel et bien mon corps. Il fonctionnait. Je me sentais comme d'habitude, rien n'avait changé.

« Mais dépêche-toi, bon sang... quelle lenteur d'esprit ! »

À part cette voix féminine envahissante bien sûr.

— Par où dois-je aller ? demandai-je.

Je paraissais cernée par les combats. Où que mon regard ne se pose, que mes oreilles n'écoutent, le résultat était le même. Les Kondairas se battaient pour manger et leur nourriture se défendait.

« Rejoins le Tombeau, tu dois aller à l'intérieur. »

— Pardon ?

Je n'étais plus si certaine de vouloir écouter la voix.

Tandis que j'hésitais à poursuivre mon chemin selon ses instructions, un Kondaira me repéra. Il apparut sorti de nulle part et se jeta dans ma direction.

Je détalai aussitôt à l'opposée.

« Non ! De l'autre côté ! »

Je l'ignorai et traçai. Je sortis du couvert des arbres et tombai sur un terre-plein couvert de corps. Dieux merci, certains étaient encore debouts et combattaient. Des armures, synonyme de vaillants et braves guerriers, déambulaient parmi la marre de crocs et de griffes. L'une d'elles étincelante d'or et proche de moi retint mon regard. Elle n'avait pas l'air très pratique mais elle permettait de repérer l'aventurier facilement. Je n'étais pas certaine de la pertinence d'attirer l'attention quand on combattait des monstres mais je n'étais pas non plus experte dans le milieu. Cela démontrait certainement une grande assurance non ? Je décidai qu'il serait mon sauveur.

— Au secours ! Aidez-moi ! hurlai-je.

Je pris mon air le plus pitoyable, le plus terrifié, ce qui n'était pas bien compliqué en l'état actuel des choses.

Après avoir transpercé un monstre, se débarrassant par la même occasion de son opposant, il tourna la tête vers moi.

Si j'avais été un Kondaira, j'aurais pris mes jambes à mon cou. Je ne savais pas qui était le plus terrifiant de l'homme qui me faisait face ou de la bête qui me poursuivait.

Son regard aussi sombre que la nuit promettait mort et douleur. Sa peau basanée était couverte de sang sombre séché. Certaines mèches de ses cheveux bruns mi-long s'étaient détachées et collaient à son visage couvert du fluide corporel mauve des monstres. Trois énormes balafres défiguraient sa joue droite, s'élançant de sa paupière à sa lèvre supérieure.

Je me précipitai vers lui, amenant le Kondaira à sa portée. Ce dernier ne ralentit même pas, aucunement effrayé. Je fus admirative de sa stupidité. L'instinct de survie de ces créatures laissait à désirer.

Saisi de l'impulsion du héros caractéristique des membres d'une Maison, le chevalier doré vola à mon secours. Prévisible. Le cibler était une bonne décision.

Retenant un sourire tremblant — ou hystérique ? —, je le dépassai et il exécuta le monstre d'un mouvement fin de son épée, comme s'il n'avait fourni aucun effort. Impressionnant. Et terrifiant.

Exténuée et à bout de souffle, je tombai à genou, soulagée. Je m'affalai au sol et me tournai vers mon bienfaiteur. Il méritait quelques louanges. Cela plaisait aux héros. Ou à qui que ce soit d'ailleurs.

— Merci... Merci infiniment, vous m'avez sauvée la vie... J'ai cru...

Il interrompit mes baragouinages. S'approchant de moi, il me tendit la main.

— Ne reste pas là, ma belle.

Sa voix rauque et douce, contrairement à son apparence, me fit l'effet d'une caresse et malgré la situation, je pris un instant pour profiter de sa mélodie. Un peu de douceur dans ce monde de violence.

Hélas, les agréables sonorités étaient accompagnées de mots alarmistes.

— Tu dois regagner la ville, reprit-il. Il y a trop de Kondairas ici, les As sont pour le moment maintenus mais l'un d'eux pourraient s'échapper.

« Débarrasse-toi de lui et gagne le Tombeau ! »

Quelle bonne idée, me débarrasser de mon bouclier.

Tant que cette histoire n'était pas réglée, je resterai collée à ce chevalier à l'allure étincelante telle une moule sur son rocher.

Je me saisis de son poignet et le tirai vers moi, sa main prisonnière des miennes posée contre mon cœur — et contre ma peau nue puisque la moitié de mon chemisier était déchirée, transpercée par le Kondaira qui m'avait tuée.

— Ne me laissez pas, je vous en prie, suppliai-je, ma voix tremblotante.

Je déployai mon charme comme jamais. Je me savais magnifique, on me l'avait répété si souvent que j'en étais à présent convaincu. Je plaisais. Beaucoup. Je n'avais pas beaucoup de talents — pour ne pas dire aucun si ce n'est le goût de l'argent — mais je pouvais la jouer séductrice quand il le fallait. Mes yeux vert boisé pailletés d'or, rehaussées de long et épais cils noirs, illuminaient mon visage légèrement bronzé. Mon nez aquilin accompagnait les contours fins de mes pommettes rosés et mes lèvres sensuelles terminaient le tableau. J'étais exquise. Un bonbon que l'on aurait envie de goûter — dont on se rendrait compte de l'acidité trop tard, hélas. Mes cheveux bruns lâchés devaient être emmêlés mais j'aimais à penser qu'il me donnait un air sauvage à ce moment.

Si un As devait arriver, hors de question de rester seule. C'étaient les alphas des Kondairas, les chefs de leur meute, leurs atouts les plus puissants. Quand je voyais les cauchemars que représentaient les membres du troupeau, je ne voulais même pas imaginer avoir à faire face à leurs têtes de file.

Je mordis ma lèvre inférieure pour y attirer l'attention de mon sauveur.

Sa main se crispa autour de la mienne. Hésitant, il s'accroupit et m'aida à me relever, sa paume posée sur ma hanche. Je plongeai mes yeux dans les siens, suppliante, apeurée. Ses prunelles ténébreuses s'assombrirent un instant.

« Qu'est-ce que tu fabriques ? Derrière toi ! »

Je poussai aussitôt un cri en me retournant et me ramassai sur moi-même, anticipant un choc. Trois Kondairas se jetaient sur nous. Trois autres nous encerclaient. Mon héros se plaça devant moi, fidèle à son rôle et fit protection de son corps, muni de son arme.

Quand les monstres attaquèrent, il parvint à les maintenir à distance un temps. Il para, poignarda, éviscéra. Il fut blessé une fois, deux fois.

De mon côté, je me roulai au sol pour éviter les attaques, tantôt m'approchant, tantôt m'éloignant.

Un autre monstre se joignit à ses semblables. Puis un autre. Je remarquai alors qu'ils semblaient délaisser les autres attaquants pour se rapprocher de nous. Pire, certains sortaient des bois alentours et nous rejoignaient, s'écartant du Tombeau.

Pourquoi paraissaient-ils attirés par ici ?

« C'est à cause de moi. Je t'avais dit de rejoindre le Tombeau. Nous ne sommes pas en sécurité ici. Ils ont dû sentir ma présence. »

Plaît-il ?

Plusieurs choses me chiffonnaient dans cette déclaration. Comme le fait, en premier lieu, qu'elle parlait comme si elle était une personne bien identifiable à l'existence confirmée et matérielle. Or il s'agissait d'une voix dans ma tête n'est-ce pas ? Et puis, si les paroles provenaient bien de mon esprit, quand elle disait « sentir ma présence », cela ne revenait-il pas à affirmer sentir la mienne ?

Nom d'un chien, venais-je de devenir la cible de ces créatures démoniaques ? Moi ?

— Alec !

Une femme au bas du visage masqué, recouverte des pieds à la tête d'un fin tissu noir et moulant se joignit à nous, s'interposant juste à temps pour me sauver la mise. Ses longues tresses sombres tournoyaient fluidement au rythme de ses mouvements.

Une bienfaitrice de plus. Il faudrait que je la complimente plus tard et pas seulement pour sa tenue ajustée qui mettait incroyablement ses formes en valeur.

— Ils convergent tous vers ici, expliqua-t-elle. On sera bientôt submergé. Corbeau nous appelle au Tombeau. Il faut nous rapprocher des autres.

Voilà que d'autres arrivaient. De mieux en mieux.

— J'ai une civile avec moi, répondit Alec, indécis. Nous ne pouvons pas la laisser.

Essayez toujours, je ne comptais pas vous lâcher d'une semelle, les amis.

— Bon sang... marmonna la femme masquée. Le boss veut qu'on le ferme, on abandonne le trésor... On l'amène, pas le choix. On ne peut pas se permettre de détour.

— Où est Lucas ?

Lucas Alicent, le Soleil Levant du Crépuscule Pourpre, héros dont la renommée n'était plus à faire et tombeur de ses dames.

Rapprochons-nous de lui, très bonne idée. Je me sentirais tout de suite bien plus en sécurité.

— Avec les As, répondit la femme.

Oublions le héros, restons entre nous.

— Combien ?

— Trois.

Je pris une violente inspiration et portai ma main à ma bouche, horrifiée. Trois As ? Pitié, faites qu'ils ne soient pas attirés par moi...

Alec me tendit la main, me signalant de m'approcher. Je lui sautai presque dessus. Cela ne sembla pas lui déplaire et il resserra sa prise autour de ma taille.

— Ouvre la voie, demanda-t-il à sa collègue. Ma belle, je vais devoir te porter. Nous irons plus vite.

— Pardon ?

Il passa un bras sous mes genoux et m'éleva dans les airs. Déstabilisée, je me pendis à son cou, tel un koala enlaçant son arbre avant de s'endormir. Il sourit et je crus défaillir tant la vue fut terrifiante avec le sang sur son visage, ses yeux luisant d'adrénaline et ses cicatrices. On aurait dit le méchant d'une pièce de théâtre qui enlevait la jeune et belle princesse pour la faire sienne. Problème, j'étais la jeune et belle princesse. Où était mon héros ? Où était Lucas ?

Je me secouai mentalement.

Non. Alec avait été blessé par ma faute. Il avait gagné honorablement sa place pour être mon bouclier personnel. Je ne devais pas le dénigrer.

Je lui rendis timidement son sourire.

Nous détaillions comme des lapins. La femme masquée utilisait deux saïs, des armes à trois branches, pas plus longues que mon avant-bras. Aussi agile qu'une gymnaste et aussi rapide qu'un athlète, elle semblait disparaître puis réapparaître. Sa tenue lui permettait de se fondre dans le décor, elle en devenait inaccessible. Redoutable. Idéale pour les assassinats.

Je devais définitivement la remercier et me la rendre sympathique.

Alec me tenait contre lui et me secouai comme un prunier. Difficile d'éviter toutes les attaques sans me malmener et je pouvais difficilement m'en plaindre. D'autant plus que, j'en étais certaine, plusieurs attaques portèrent leurs fruits et il fut encore blessé. Pourtant, il ne me lâcha pas.

Les Kondairas se faisaient de plus en plus nombreux et, bien que deux autres aventuriers de la Maison nous rejoignissent, notre progression cessa bien avant d'avoir atteint notre destination. Même à quatre — quatre capables de combattre et moi-même — nous ne pûmes aller plus loin.

Je fus projetée au sol, Alec s'effondra après avoir été percuté par un monstre. Il se démena et je vis les mâchoires se refermaient sur sa gorge. Il hurla.

Je m'éloignai autant que possible. Je ne tenais pas à être la prochaine. Malheureusement, il n'y avait pas vraiment de lieu où fuir. Nous étions cernés. Une quinzaine de bêtes nous observaient. M'observaient.

Je déglutis. Cela risquait d'être compliqué, là.

Où étaient les renforts ? Pourquoi devions-nous les rejoindre et non l'inverse ? Les aventuriers semblaient pourtant avoir compris que les créatures nous ciblaient.

Bon sang, j'allais mourir de nouveau ? Alors que je venais à peine de revenir ?

« Écoute-moi bien la simple d'esprit. Nous n'avons plus le choix. Leur nombre va nous submerger. D'autres arrivent. Tu vas devoir me laisser prendre le contrôle un instant. Tu ne le supporteras sans doute pas. Les répercussions vont être énormes. Je vais tenter de moduler la puissance mais je te préviens, cela va faire mal. Très mal. C'est soit encaisser, soit mourir. »

Je sursautai. Je l'avais oubliée.

La voix.

Je ne savais pas qui elle était, d'où elle venait, comment je l'entendais. Je ne savais rien d'elle. Mais à cet instant, cernée de toute part, les aventuriers en difficultés, elle me parraissait être mon salut. Je lui aurais donné n'importe quoi. Et puis soit avoir mal soit mourir ? J'avais beau détester souffrir, le choix était vite fait.

— Sors-moi de là, lui ordonnai-je en hochant la tête.

Je refusais de gâcher cette seconde chance.

Je n'avais pas la moindre idée de comment « lui laisser le contrôle ». J'espérais que mon consentement oral suffirait. Est-ce que je devais actionner quelque chose ? Faire une invocation ? J'en aurais été bien incapable, dépourvue de la sensibilité propre aux individus capables de manipuler l'Argia, la magie de notre monde.

Soudain, comme balayée de mon propre esprit, j'eus l'impression de ralentir, de disparaître de ce plan du monde. Comme si je me retrouvais sous l'eau, protégée du monde extérieur par un espace opaque et apaisant dans lequel je flottais. Hors de mon propre corps. Hors du monde. J'avais l'impression de me voir à travers un écran de fumée. Comme si l'image que le miroir reflétait avait sa propre volonté.

Mon corps bougea de lui-même. Je me vis me mouvoir sans avoir rien provoqué. Je n'étais plus maître de moi. Je me levai et m'avançai devant mes deux sauveurs. Je tentai de freiner ma progression, paniquée par ce sentiment. Mon corps ne me répondit pas. Il m'ignora. Je tentai de me stopper. Je continuai d'avancer. C'était... terrifiant.

Alec, une main sur sa gorge déchiquetée, tenta de me retenir. Mon corps l'évita et je tournai la tête vers lui, le foudroyant du regard. Je ne sais pas ce qu'il y vit mais il recula, son visage perdant ses couleurs. Je me tournai vers la horde de Kondairas et tendis une main.

Desedraft, prononcèrent mes lèvres.

Je compris d'instinct le sens du mot.

« Désintégration ».

En écho à cet ordre, ce fait, cette vérité énoncée, j'explosai. 

Du moins j'en eu la sensation.

Une vague d'Argia, de pouvoir à l'état brut, explosa de ma poitrine, de mon corps, arrachant des parcelles de mon être au passage. J'eus l'impression de me fragmenter, de me... désintégrer.

Je voulus pleurer. Je voulus hurler, implorer. Peut-être y parvins-je. Peut-être pas.

Tout ce que je savais c'est que, ne supportant pas cette pression, cette douleur, cette force, mon esprit et mon corps se fissurèrent, se brisèrent.

Je sombrai dans l'inconscience.

« Tsss. Tellement faible. »

**--- Notes de l'auteur ---**

Qu'avez vous pensé de ce chapitre ?

De comment Alana gère la situation ?

La rencontre avec le chevalier doré ?

L'intervention finale de la voix ?

N'hésitez pas à voter, commenter si cela vous a plu !

Merci !

Lecturement vôtre,
À très vite

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