Chapitre 1 - Un battement de coeur (1/2)
Un battement de cœur.
« Relève-toi ! »
Un autre battement de cœur.
Une respiration. Une seconde.
Je fronçai les sourcils. Un spasme secoua mes doigts. Des picotements, des fourmillements.
De la confusion. De la douleur.
« Bouge ! »
J'ouvris les yeux.
Les douces et chaleureuses ténèbres laissèrent la place à une lumière agressive, éblouissante. Incapable de supporter cette clarté aveuglante, je refermai mes paupières tout aussi vite.
En même temps, mon corps retrouvait peu à peu des sensations, de nouveau soumis à la gravité.
Je grimaçai.
Mes oreilles bourdonnaient. Ma tête me semblait lourde, encombrée.
« Est-ce que je suis tombée sur une simple d'esprit ? »
Attendez. Pause.
Je m'autorisai un instant de réflexion.
À travers la brume qui encombrait mon esprit, je notai alors deux incohérences majeures à ma situation.
Premièrement, j'étais pratiquement certaine que je venais de mourir.
Lentement, légèrement angoissée — pour ne pas dire totalement paniquée — je fis de nouveau face à la réalité. J'ouvris une seconde fois les yeux.
Le ciel étoilé, vaste étendue charbonneuse pailletée, était taché de nuances flamboyantes, de braises virevoltant au gré du souffle du vent. Les incendies, résultats de la bataille qui faisait rage, étaient bel et bien présents. Les sons, les bruits qui m'entouraient étaient les mêmes que dans mes derniers souvenirs. Hurlements, pleurs, cris de douleurs. Choc d'armes, crissements, explosions.
La violente attaque, commencée au crépuscule, déferlait encore sur la plaine.
Combien de temps s'était écoulé ?
Bon. Un petit récapitulatif s'imposait. Je devais remettre de l'ordre dans mes pensées confuses. Je réfléchis.
Tout avait commencé sept jours plus tôt, quand le Crépuscule Pourpre était arrivé dans ma ville, Barssa.
Les Maisons étaient nos gardiens, nos protecteurs face à tout ce qui venait des autres mondes. C'étaient les remparts, les boucliers face aux monstres qui s'en réchappaient.
Elles rassemblaient en leur sein des aventuriers tous plus courageux les uns que les autres, prêts à risquer leur vie pour nous autres, pauvres assistés paresseux se complaisant dans notre quotidien monotone.
Les Maisons rassemblaient en leur sein de véritables héros dont l'admiration qu'ils suscitaient n'avait d'égale que leur courage inébranlable.
Le Crépuscule Pourpre était la Maison la plus puissante, la plus réputée et surtout la plus riche de Saolem.
En conséquence, une frénésie fanatique s'était emparée de Barssa à la nouvelle de leur arrivée.
Qui n'avait pas rêvé d'apercevoir, d'effleurer les flamboyants cheveux écarlates de la Maitresse des Epines, cette sublime sorcière commandant la végétation ?
Qui n'avait pas fantasmé sur les prunelles océans du ténébreux Archer des Ténèbres, dont la flèche dérobait les cœurs — dans tous les sens du terme ?
Qui n'avait pas imaginé ce que cela ferait d'apercevoir le sourire, d'échanger un mot, de contempler le visage et le corps somptueux du plus grand héros de notre nation, le Soleil Levant, Lucas Alicent ?
Pas moi, en tout cas.
Leur renommée, leurs exploits face aux légions des Kondairas, ces monstres venus d'ailleurs qui ne cessaient de chercher à nous envahir, berçaient les récits de nos soirées. Leur réputation était vantée dans tous les établissements où l'alcool coulait à flot.
Alors, bien sûr, pour moi, Alana Habert, vénale propriétaire de l'auberge Pesant d'Or, il s'agissait d'une aubaine. Ce n'était pas tant leur renommée qui m'enchantait mais leurs poches bien remplies. Avec de telles célébrités dans notre ville, nous nous devions de fêter leur présence comme il se devait. Et qui disait fête pour des taverniers, disait profits.
Ces derniers jours avaient été fructueux. Bien plus fructueux que toutes les autres périodes de ma vie depuis que j'avais ouvert mon établissement, deux ans plus tôt.
Je m'imaginais déjà étendue sur mon lit moelleux aux draps de soie, recouverte d'un duvet de pièces fraîchement dégotées, à la sueur de mon front. Même l'augmentation de mes tarifs, triplés pour mes plus grands crus, ne m'avait valu que quelques remontrances de mes plus fidèles clients, ne réussissant pas à ternir l'excitation et la bonne humeur collective qui s'étaient emparées de mes concitoyens.
À mon grand désarroi, le Crépuscule Pourpre n'avait pas logé dans mon auberge miteuse, dont la réputation n'était hélas pas des plus élégantes. La faute à tous ces ivrognes qui, à mon grand dam, me permettaient de vivre convenablement. Qui était-je pour priver autrui d'un des plaisirs de la vie ? J'étais une personne pleine de compassion et ouverte d'esprit. Chaque individu était libre de ses choix. Et comme je le disais toujours : un foie détruit pour l'un permettait un ventre rempli pour d'autres. D'autant plus quand il s'agissait du mien.
Je n'avais donc pas eu l'occasion d'apercevoir ces idoles, bien qu'au détour de conversations j'avais pu engrener quelques informations.
S'ils restaient dans le coin, c'était uniquement dû à la prédiction de leur Colombe Aux Trois Yeux. Cette prêtresse aux dons divinatoires avait prédit l'émergence d'un Tombeau dans la région. Elle n'avait ni la date, ni la localisation exacte mais tout laissait penser que ce serait pour avant les premières grosses chaleurs.
Les Tombeaux étaient des portes directes vers notre monde pour les Kondairas, tous plus bestiaux les uns que les autres. Aussi, des Maisons étaient systématiquement employées pour les gérer. En vérité, elles se battaient pour les explorer. En plus des monstres qu'ils renfermaient, ces Tombeaux étaient remplis de richesse et trésors des anciens temps, d'anciennes divinités et d'autres mondes. Certains avaient permis des avancées considérables pour notre société. Les joyaux d'émélites, un minéral capable de stocker l'énergie solaire, étaient devenus notre principale source d'énergie, nous fournissant électricité et chaleur, même en hiver. La plante vilance, qui n'existait pas dans notre monde, avait des propriétés curatives inégalables et les remèdes qui en découlaient permettaient de sauver nombre de vies.
Il ne fallait pas être un génie pour comprendre que leur rareté et leurs propriétés relevant de la magie en faisaient des produits de luxe que j'étais loin de pouvoir m'offrir mais qui avaient le mérite d'attiser la curiosité.
Comme son nom l'indiquait, un Tombeau était à l'origine un lieu de repos éternel. Mais pas pour n'importe qui. Ceux-ci renfermaient la sépulture de divinités d'anciennes civilisations, les Sidias. Les lieux s'imprégnaient alors de leur pouvoir, de leur puissance, rendant les fascinants Tombeaux dangereux et mortels. De plus, en digne lieu de recueillement, nombre d'offrandes les recouvraient, résultats de prières et vœux sans aucun doute ignorés.
Piller une tombe n'était pas quelque chose de bien vu pour n'importe quelle civilisation. Même pour nous, cet acte était illégal et puni par nos lois. Pourtant, cela ne dérangeait personne quand il s'agissait d'une autre espèce. Si l'on découvrait que j'avais subtilisé les pièces d'or déposées dans le cercueil du vieux Claude enterré le mois dernier j'aurais fini en prison mais quand il s'agissait de héros pillant un Tombeau tout allait bien. Cette hypocrisie m'avait toujours beaucoup amusée.
Je n'avais pas plus suivi les aventures de nos célébrités. J'étais le genre de personne à me détacher facilement de la réalité quand celle-ci ne me concernait pas directement. J'avais donc écouté d'une oreille les dernières histoires et exploits du Crépuscule Pourpre et j'avais continué à mener ma vie comme je l'entendais. Ma bourse se remplissait et c'était la seule chose que j'avais besoin de savoir.
Alors quand, à la surprise générale, le Crépuscule Pourpre avait échoué, cela avait été l'hécatombe.
Personne n'avait imaginé que la Maison numéro un du pays, regroupant les plus grands guerriers, aventuriers, magiciens et j'en passais, ne puisse être débordée.
Pourtant, c'était arrivé. Les Kondairas avaient envahi Barssa, tombant sur ses habitants comme une pluie battante qu'on ne peut éviter.
Nous avions tenté de fuir, de rester à l'abri. Certains audacieux avaient tenté de se battre avant d'être déchiquetés.
Les Kondairas étaient de plusieurs types. Ceux auxquelles nous avions eu à faire ressemblaient à un mélange malsain de félin et d'équidé. Leurs mâchoires, couvertes de crocs qui auraient fait pâlir n'importe quel crocodile, avaient déchiqueté une personne en deux sous mes yeux.
Cela avait été mon signal de départ.
J'avais couru, ma trajectoire aléatoire du moment qu'elle m'éloignait le plus possible de ces créatures meurtrières. Le chaos s'était emparé de ma ville mais je n'avais pas jeté un seul regard en arrière. J'avais encore de belles années à vivre devant moi, je ne voulais pas mourir ici. Je refusais d'attendre la mort en un acte stupide pour faire front, qui serait plus tard qualifié de courageux lors d'un discours mielleux à mes funérailles, et accompagné de quelques larmes à sa mention. Quoi que je ne fusse pas bien certaine que quelqu'un pleure ma mort. Certainement pas mes amants que j'avais jetés comme de vieilles chaussettes. Ni mes soi-disant amis que j'avais depuis longtemps fuis, lassée de leurs conversations abrutissantes. De mauvais acteurs réussiraient certainement à verser quelques larmes hypocrites cependant. Peut-être les ivrognes de la ville ressentiraient-ils un brin de tristesse. Même si ce serait plus dû à la disparition de leurs boissons fétiches que la mienne.
Toujours est-il que le karma avait peut-être fini par me rattraper puisque ma fuite qui, comme la définition le laisser entendre, devait s'apparenter à mettre de la distance entre un danger et soi-même, m'avait en réalité menée droit vers l'entrée du Tombeau.
Je m'étais rapidement retrouvée cernée et, incapable que j'étais de me défendre contre des monstres — ou contre qui que ce soit d'ailleurs — la mort m'avait vite rattrapée.
J'avais pleuré, imploré, suppliant qu'on m'épargne. Du moins, c'était la vision que j'en avais eu. En réalité, j'avais insulté, crié à l'injustice et sans doute marmonné de manière totalement incompréhensible entre deux sanglots pitoyables.
Finalement, une patte entière m'avait embrochée. Elle avait transpercé ma poitrine et j'avais vu les énormes griffes ressortir devant mes yeux. J'avais à peine senti la douleur, mon souffle s'était coupé et tout s'était éteint. La vie m'avait quittée.
Sauf que... la vie ne m'avait pas quittée ?
J'étais à présent seule, étalée au sol comme un sac de pommes de terre renversé. Un fracas assourdissant se faisait entendre autour de moi ainsi qu'une agitation telle que je compris que peu de temps s'était écoulé. Peut-être seulement quelques minutes. Le Kondaira ne m'avait pas transpercée ?
Je touchai ma poitrine. Entière. Pas de trou. Pas de sang.
C'était quoi ce bordel.
Si moi, Alana Habert, j'avais été choisie pour ressusciter, nous étions bel et bien tous perdus.
Non pas que je ne m'en pensais pas digne, mais je voulais dire, un bref aperçu de ma personnalité suffisait pour comprendre que... et bien disons que je n'étais pas le genre à aider mon prochain, à moins que cela ne m'apporte quelque chose. Je n'étais pas certaine que ce fût une grande qualité, ou même considéré comme une qualité tout court. Il ne me viendrait donc pas à l'idée de me qualifier moi-même de « bonne personne ».
Il fallait qu'on m'explique. Comment étais-je en vie ?
Et ce n'était pas tout.
« Ne reste pas là imbécile ! Tu tiens tant à mourir ? »
Il ne s'agissait pas de mes propres pensées. J'avais assez de considération envers moi-même pour ne pas m'insulter mentalement. Du moins, pas souvent.
Ce qui m'amenait à mon second problème.
J'entendais maintenant une voix dans ma tête.
**-- Notes de l'auteur --**
Lecteurs et lectrices, je vous présente Alana !
Qui se retrouve bien malgré elle entraînée dans une galère sans nom dont elle se serait bien passée !
Comment va-t-elle se sortir de ce pétrin ?
Quelle est cette voix ? Comment Alana est-elle en vie après avoir été transpercée ?
Merci pour votre passage sur l'histoire ! N'hésitez pas à voter, commenter si ça vous a plu !
À très vite !
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