Chapitre 10 : Ekaitz
L'heure du déjeuner, je marche dans les vastes couloirs, ignorant ostensiblement les regards aguicheurs, admiratifs ou encore curieux. Les mains dans les poches, une unique bretelle de mon sac sur le dos.
Encore une année à courir d'université en université à la recherche de cette fille, attendant désespérément que son Signe ne daigne faire surface avant de décamper autre part. Je lâche un soupir d'exaspération.
La trouverais-je seulement un jour ? Ne ferais-je pas mieux de l'attendre tout bonnement et tranquillement dans mon palais ? Est-ce que je perds mon temps ? Rien ne me dit qu'elle se trouve plus dans cette université dans une autre... ou plus dans ce pays que dans un autre. Si ça se trouve, elle est au beau milieu de l'Antarctique et je ne fais que brasser éternellement de l'air. Et puis, qui me dit qu'elle soit déjà née, hein ? Je ne sais rien de son âge, de sa vie. Je ne sais rien de la Reine. Personne ne sait.
Elle a probablement dépassé la majorité et est déjà promise à quelqu'un. Elle a sans doute une famille avec une âme sœur et des enfants... et aura le bonheur puis le malheur de tous les voir grandir. Les uns après les autres.
Comment lui dirais-je que sa véritable place n'est pas du tout au côté de cet homme ou de cette femme ? Comment lui annoncer que c'est avec moi qu'elle est censée être le restant de sa vie ?
Et si, à l'inverse, ce n'était encore qu'une enfant, une simple petite fillette qui ne connait encore rien à la vie. Je serais alors dans l'obligation de devoir l'attendre. L'attendre imperceptiblement, sans rien pouvoir faire d'autre.
Dans le flot d'étudiant qui s'en va pour aller manger, une fille me bouscule légèrement par mégarde, puis devient écarlate et pars en courant sans autre forme de procès. Je soupire une nouvelle fois.
C'est dans ce genre de moment que je ne sais plus pourquoi je reste ici, dans ce genre d'endroit. Ne ferais-je pas mieux de m'infiltrer dans un lycée, un collège, une école, ou carrément une crèche ? Je ne sais pas.
Et puis d'ailleurs, pourquoi me fatiguer à faire le travail moi-même, alors que je possède une escadrille d'espions de choix pour faire tout cela à ma place ? À la moindre parole que je prononce, je n'ai plus à m'occuper de cette affaire.
Pourtant, même si je doute, même si les réponses à mes innombrables questions ne semblent pas pointer le bout de leur nez, je sais au fond de moi que je ne dois pas me laisser abattre. Je n'ai pas gaspillé des années de ma vie à parcourir toute l'Amérique pour abandonner maintenant. Je dois juste me montrer patient et attendre qu'elle pointe le bout de son nez, les réponses à mes tourments sans ses mains. Cela finira bien par arriver un jour... et je serais le premier à le savoir. Ce n'est pas uniquement pour les chiens que l'on dit tout vient à point à qui sait attendre.
De toutes manière, la seule solution qui s'offre à moi pour le moment est d'attendre ... Attendre et ne rien faire d'autre. Si je ne la trouve pas ici, je partirais sans demander mon reste.
Puis je partirais ailleurs.
Encore.
De toute façon, cela m'est complètement égale de m'en aller en catimini, cela m'est d'ailleurs bénéfique. Les gens ne savent rien de moi. À leurs yeux, je ne suis qu'un milliardaire avide de sensations fortes et de dépenses extravagantes. Un solitaire qui n'a pas besoin d'une troupe pour se faire remarquer mais qui collectionne les filles comme les timbres.
Je ne peux que confirmer ses informations... Sauf la dernière. Je n'ai rien collectionné d'autre mis à part des milliers de livres. J'ai quand même des principes.
J'aime bien cette image que les gens se sont faite de moi. Ainsi personne ne vient me tenir compagnie pendant que je la cherche. Ou plutôt pendant que j'essaye de trouver sa trace. Rester seul me convient très bien.
En me dirigeant vers des arbres éloignés dans la cour centrale, je vis Hortensy discuter puis rire avec une autre fille, près de la cafétéria. Sans doute une énième autre amie temporaire.
Elle avait de longs cheveux noirs aussi emmêlés qu'on aurait dit qu'elle le faisait exprès, et semblait se dissimuler entièrement sous un vieux pull gris. De plus, même si je n'étais pas assez proche d'elle pour la décrire en détail - et que je n'en avais pas franchement envie - je pouvais distinguer sans peine ses chaussures usées par le temps, et un petit sourire timide au coin de ses lèvres. N'établissez pas de lien entre les deux, il n'y en a pas.
Hortensy aussi voyage avec moi. En revanche, elle, préfère le contact humain, l'amitié et tous ces genres de chose que je trouve, à mon goût, futile et stupide. Elle n'aime vraiment pas la solitude, alors à chaque fois que nous devons partir, ça lui fend le cœur. Elle réussit je ne sais comment à s'entourer constamment d'amis un jour... pour les quitter le lendemain. Quant à moi, je reste dans mon coin. Même si de temps en temps nous restons ensemble.
Hortensy s'éloigne alors, le téléphone aux oreilles. La fille la regarde patiemment mais je remarque que l'une de ses mains se cramponne à la bandoulière de son sac à dos.
Je m'éloigne encore un peu de sorte que je ne sois plus dans leur champ de vision.
Les gens nous croient la majeure partie du temps ensemble, Hortensy et moi. Ce n'est évidemment pas le cas, et j'ignore d'où leur vient cette idée, mais elle et moi voyons cette étiquette comme une protection supplémentaire à notre identité, un moyen de se fondre un peu plus profondément dans la masse afin d'éviter au mieux ces... crapules. Alors soit. Jouons ce rôle, nous n'avons rien à y perdre mais tout à y gagner.
Hortensy et moi, ainsi que les dix autres divinités de l'Olympe, représentons la famille la plus puissante et la plus influente que cette planète n'ait jamais connu, les membres les plus riches de tous les cinq continents. Il nous suffit de claquer des doigts pour avoir tout ce que nous désirons. Notre vie est rythmée par des vols en jet privé, des séjours sur des îles qui portent notre nom, des affaires aux quatre coins du monde et des journées reposant sur le luxe. Rien que ça.
Malheureusement à l'arrière de ce rideau aux étoffes somptueuses se cache un décor bien plus lugubre, qui ne présente que conflits, trahison, désolation pression insoutenable et fatigue intense... Pour faire court, notre coquille en diamant nous sert de protection et nous redonnent confiance. Parce que nous en avons besoin, tout simplement... Mais depuis quelque temps, cette coquille semble vouloir se fissurer plus vite que l'on ne pensait jusque-là.
Je réussis enfin à trouver un endroit sans personne, puis, je m'assis à une des tables en bois.
J'espère alors, comme chaque début d'année, que celle-ci sera la bonne.
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