Chapitre 9 : Une étreinte, un frisson 4/4

     Tout le monde se regarde, éberlués par le tournant que prend ce meurtre qui s'est produit dans la faction la plus calme d'entre les cinq. Johanna a effacé son sourire et semble perturbée par ce qu'elle vient d'apprendre.

- Y avait-il des différends entre les deux frères Johanna ? Questionne Carla qui enregistre depuis le début les propos de chacun.

- Non, nous sommes chez les Fraternels. Aucuns conflits existent en ces lieux et même s'il y en a, ça n'amènerait jamais un de nos membres à produire l'irréparable. C'est sûrement une erreur, ça ne peut être possible.

- Nous allons devoir aller l'interroger tout de suite. Les preuves sont accablantes pour lui mais je n'ai aucune idée de ce que peut-être le mobile... Se demande Stuart qui se lève brusquement.

- Je vais vous demander d'être discret, je ne veux pas de remue-ménage au sein de ma faction. Vous allez affoler tout le monde avec vos élans d'inspecteurs. Argumente Johanna.

- On effectue notre travail, vous n'allez pas nous en empêcher pour préserver le pacifisme de vos congénères. Il y a eu un meurtre ici, il n'y a pas de traitements de faveur... Comment s'appelle le frère de Monsieur Bloch ? Y-a-t-il des informations que l'on doit savoir à son sujet ?

- Il s'appelle Léon. Il a un léger trouble autistique qui le rend étrange quelques fois voire violent. Mais c'est arrivé qu'en de très rares occasions, c'est quelqu'un de bienveillant et de calme en général.

- Et vous cherchez à le défendre ?! S'exclame Carla. Amenez-nous rapidement à lui sinon vous serez inculpée dans cette affaire. Couvrir quelqu'un est passible d'emprisonnement.

Johanna devient pâle et nous dirige vers l'homme recherché. Stuart me prend à part pour m'indiquer de garder sous sceller ce que je vais apprendre aujourd'hui. Je sens la pression monter d'un cran quand il me regarde droit dans les yeux en me serrant fort le bras. Je lui jure de garder silence afin qu'il me lâche. J'ai un mauvais pressentiment...

Nous arrivons devant un chalet que Stuart et Carla s'empressent d'envahir. Ils n'ont pas vu qu'un homme se cachait grossièrement derrière un tas de bois. Je n'ai pas pu l'éviter du tout avec ses vêtements rouges et la façon dont il gesticulait. Découvert, il se met à déguerpir.

- Il est là ! Aidez-moi ! Hurlé-je avant de taper un sprint et de le maintenir la face collée au sol.

Il ne courrait pas bien vite, j'ai pu le rattraper et l'immobiliser en un éclair. C'était trop simple, j'ai cru qu'il se foutait de moi ! Qui courre aussi lentement pour échapper à des forces de l'ordre ? Menotté et traîné à l'intérieur de chez lui à la demande de Johanna pour l'interrogatoire, il semble paniqué par la situation. On va peut-être enfin comprendre le pourquoi du comment.

- Je vais être cash, je n'ai pas envie de me faire chier à tourner autour du pot. En plus, tu t'enfuis donc tu dois bien savoir la cause de notre présence. On a trouvé ton frère mort dans silo la semaine dernière et ton ADN était présent sous ses ongles. De plus, il est mort d'une intoxication à la scopolamine. C'est un médicament qui t'est prescrit vraisemblablement. Donc, as-tu tué ton frère ? Et pourquoi ?

- Il est vrai qu'on s'est battu un matin avant qu'il meurt mais je ne voulais pas le tuer. J'avais une ration de pain supplémentaire offerte tous les jours par le boulanger que je stockais chez moi. Je suis sûr que c'est lui qui me volait sans arrêt ! Je cachais ça dans une boîte sous mon lit, mais ça faisait une semaine qu'elle était vide au moment où je voulais l'utiliser. Ce fumier volait mon pain ! C'était mon pain ! Hurle-t-il en agitant ses mains menottées.

- Du pain ? Il est sérieux ? Rit Stuart.

- Je voulais lui faire cracher le morceau avec ces médicaments. Je sais qu'ils peuvent rendre manipulable sans être dangereux car je ne souhaitais pas lui faire du mal. Mais cet abruti a bu tout son verre et il est tombé de sommeil sur sa chaise pendant qu'on mangeait. J'ai voulu le réveiller mais il est tombé. Sa tête a cogné très fort, ça a craqué. J'ai dû me débarrasser de lui, je ne veux pas aller en prison pour rien.

- Parce que tu appelles ça rien ?! Tu as tué une personne. Et cette histoire de pain ne tient pas la route. Tu te fous de ma gueule ! Tuer pour du pain ! Pour du putain de pain. Ce n'est pas possible, c'est un canular. Et comment as-tu fais pour foutre ce corps dans le silo ?! Tu as vu le poids de ton frère ?! Hurle Stuart, fou de rage à l'écoute de telles sornettes.

- Je l'ai mis dedans avec une corde que j'ai fait coulisser grâce à l'échelle. Mais je ne veux pas aller en prison, je ne voulais pas le tuer. Il volait mon pain. C'était un voleur et il devait dire qu'il me volait. Je devais savoir qu'il volait mon pain.

Léon est en train de partir en panique, il répète sans arrêt son histoire de pain puis suivre le déroulé du crime est complexe à cause des détails découpés qu'il nous fournit. Ça se voit qu'il a un trouble mental, il se dandine sur sa chaise et continue de se débattre en bougeant ses mains. Il bégaye de plus en plus et cligne des yeux irrégulièrement, sûrement un toc... J'ai peut-être une explication à ce pain qui rend dingue et je décide d'arrêter Stuart et Carla pour qu'on s'éloigne de Johanna et du meurtrier.

- Laur', j'espère que tu as une excellente raison pour m'interrompre de cette sorte. Ce cinglé me rend déjà dingue, n'en rajoute pas une couche.

- Je suis une native Érudite, j'ai été éduquée là-bas donc j'ai baigné dans toutes les rumeurs qui circulent pour chacune des cinq factions. J'ai entendu maintes fois que les Fraternels droguaient leur pain afin de rendre leur membre aussi sage que des petits chatons sans défense. Comment l'humain peut être aussi pacifique sans être shooté ? Allez, tu as sûrement entendu parler de ce ragot.

- En effet, j'en ai vaguement entendu parler... Ça expliquerait pourquoi il est devenu totalement barge à cause de son pain. Il n'avait plus sa dose de came quotidienne et s'en est donc pris au principal suspect qu'il a sélectionné. Réfléchis Stuart qui gratte la terre avec ses chaussures.

- Si c'est vraiment ça, l'enquête revient aux leaders. Ça devient politique s'il y a une information confidentielle à protéger. Parce que si le pain contient vraiment de la drogue, c'est qu'il y a une raison... En soit, il n'a pas l'air si dangereux que ça cet homme, mais c'est son autisme et le fait d'être en manque qui le rende incontrôlable. On ne peut pas faire de vrai déclaration papier sur ce que l'on vient d'apprendre avant d'avoir exposé le problème à Max et à Éric. Je vais appeler les Sincères pour qu'il le mette en garde à vue mais je ne leur donnerai pas d'éléments.

- Votre décision me va parfaitement. Déclare une voix derrière nous, celle de Johanna. Je ne voudrais pas que ce genre d'incident s'ébruite et mette à mal l'image de ma faction. Indique-t-elle en croisant les bras.

- Vous avouez donc la présence de psychotrope dans le pain ? Interroge l'Audacieux qui me supervise.

- Je ne vous donnerai pas de réponse à cette question. Faites emmener Monsieur Bloch et laissez les leaders se charger de la continuité des investigations. Vous avez déjà fait beaucoup.

Je ne pensais pas que cet après-midi allait se dérouler de cette sorte. Je me retrouve mêlée à des recherches sur un homicide causé par un choix politique. Tranquilliser les gens grâce à la nourriture pour en faire de bons Fraternels... Totalement dingue... Cette histoire va gentiment disparaître et passer inaperçue grâce aux dirigeants qui vont sans aucun doute dissimuler ce meurtre ou lui trouver un autre mobile moins croustillant pour les médias. Stuart et Carla contacte un à un Max, Éric, Jacob et Ethan pour avoir leurs ordres et ils me font attendre puis réceptionner les Sincères en charge de l'incarcération du tueur. Ils ont fait exprès de m'éloigner, je ne devrais pas être enchevêtrée avec eux dans une enquête pareille. Je pense qu'ils ne s'attendaient pas à ça...

Au bout de vingt minutes d'attente, j'accueille trois Sincères armés. Leur façon de parler sans filtre me fait penser à Alex. J'ai eu le droit à pas mal de questions auxquelles je n'ai pas répondu de peur de mettre en péril la confidentialité du crime. J'ai rencontré des difficultés à leur faire comprendre que je n'étais qu'une stagiaire, que je n'avais pas à donner d'éléments sur l'individu qu'ils vont enfermer.

Écartée de toutes discussions, j'attends de rentrer avec impatience. En plus, il se fait tard et la nuit commence à pointer le bout de son nez. Assise contre un tronc d'arbre, mes superviseurs viennent me chercher pour que l'on rentre. Le trajet jusqu'au secteur Audacieux est moins long que pour l'aller, sûrement à cause de ma fatigue qui me donne une notion anormale du temps.

- Il est certainement inutile de t'indiquer de garder cette journée pour toi. Je crois que tu as compris l'impact politique que pourrait avoir cette enquête si elle devenait publique. Me déclare Stuart avec une clope à la bouche.

- Je suis consciente des répercussions néfastes sur les Fraternels s'ils venaient à découvrir qu'ils sont drogués. Je ne dirai rien, c'est pour le bien de la société. Rassuré-je l'Audacieux qui fume frénétiquement sa cigarette comme si elle pouvait le revigorer.

- Protéger les factions, c'est ce qu'un Audacieux doit aussi faire. Tout ne tient qu'à un fil ici et garder ce type d'information, c'est préserver la population de polémiques qui pourraient faire imploser les factions. J'ai notifié Max et Éric le fait que tu aies fais le rapprochement entre le pain et les rumeurs Érudites, ils sauront te récompenser je pense. Je ne sais pas s'ils vont te remettre avec nous pour suivre notre travail mais sache que la porte de la brigade te sera toujours ouverte. Tu peux avoir un grand avenir au sein des Audacieux donc saisis l'opportunité et n'attends pas qu'elle s'offre à toi, ça ne se fera pas. Il faut se battre pour avoir ce que l'on veut ici.

- Merci pour tes conseils Stuart. Je serai leader, c'est mon objectif et j'y arriverai. Lui annoncé-je en m'adossant contre le mur du quai qui borde le chemin de fer.

- Je ne te connais pratiquement pas mais je savais déjà que tu convoitais le poste de leader. Puis, Max et Éric n'auraient pas choisi d'embrigader une blessée avec nous si tu n'étais pas un élément intéressant. Tu as tes chances de réussir et je te le souhaite. J'espère qu'on se recroisera et qu'ils te laisseront être stagiaire pour nous jusqu'à la fin de ta convalescence. À plus tard Laur'.

Stuart écrase son mégot avec la semelle de sa chaussure et le ramasse pour le mettre à la poubelle. Je ne lui ai répondu que par un signe de tête et l'ai regardé partir avant de rejoindre la cafétéria pour y manger brièvement un bout. Aaron, Haley et Alex ne me posent pas de questions indiscrètes et s'en vont rapidement au dortoir au vu de l'heure déjà bien avancée. Éric ne m'a toujours pas fait signe donc je décide d'aller le voir pour qu'il me donne les clés. Je suis totalement claquée, je n'en peux plus d'attendre. Je dois dormir, c'est une nécessité. Je viens m'asseoir entre lui et Jacob en m'adossant à la table.

- Je suis exténuée, tu peux me donner les clés ? Je veux rentrer. Demandé-je sans parler trop fort.

Surpris et énervé par mon irruption impromptue, il me tend les clés d'un air dédaigneux. Je caresse le bras de mon frère et l'embrasse sur la tête avant de partir. Je sens que je vais me faire engueuler pour l'affiche que je viens de faire à Éric.

Je change mon bandage. Ma blessure n'a pas l'air d'aller mieux puis le liquide jaune est de plus en plus dense. Je désinfecte et pars me coucher. Eric arrive en trombe trente minutes après que je me sois allongée, ce qui me réveille en sursaut.

- La discrétion, tu connais ? Non parce que c'est bien de fermer sa gueule par rapport au crime chez les Fraternels mais tu pourrais faire de même quand ça parle de nous.

- Ho parce qu'il y a un « nous » désormais ? Ravie de l'apprendre. Donne-moi un double de tes clés et ta petite popularité de leader totalement dénué de sentiments ne sera pas mise à mal. Le provoqué-je sans bouger d'un poil.

Je jubile en l'entendant s'énerver contre chaque objet qu'il rencontre. Je souris, j'ai enfin pu avoir le dernier mot. Je ne prête plus attention à lui pour que le sommeil ne tarde pas à me gagner.

J'ai hâte et j'angoisse quand j'imagine le paysage des peurs de Quatre. Demain matin, je serais plongée dedans avec lui et je devrais les vivre une à une alors que je vis une peur par jour dans l'initiation, ce qui est déjà prodigieux pour moi... Il faut que je dorme... Cette journée a été éreintante à un point incommensurable...

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