Chapitre 9 : Une étreinte, un frisson 3/4

     J'aperçois Alex avec Aaron à l'autre bout de la cafétéria. Haley s'anime directement et le regarde avec amour. Je trouve ça fabuleux de pouvoir observer comment les gens se contemplent quand ils s'aiment. Les paroles sont moins puissantes que les caresses d'un regard épris.

Nous mangeons tous ensemble sans évoquer leur histoire même si ça me démange de faire chier Aaron. Je discute beaucoup avec Haley, c'est la première fois que je suis si proche d'une fille. Les Érudites étant pour moi que des connasses bien arrogantes, je n'ai jamais eu donc de lien d'amitié avec une nana. Haley ne se prend pas la tête. Elle est elle même et ne se vante pas. Une Audacieuse quoi...

- D'ailleurs ta blessure guérit ? Me demande-t-elle inquiète.

- Oui, j'ai moins mal mais ça saigne souvent.

- C'est bizarre, normalement les saignements auraient dû cesser... Tu as eu ta cicatrisation ?

- Euh... Oui, oui. Ne t'inquiète pas, vu la profondeur de la blessure c'est normal que ça mette du temps à se soigner. Lui fais-je croire en me justifiant.

- C'est vrai, ça devrait aller mieux dans une semaine ou deux. Bon, tu es satisfaite de ton choix ? Ça te plaît la vie chez les Audacieux ?

- Oui, je suis vraiment heureuse ici. J'ai fait le bon choix. Cette faction me correspond tellement bien. Ça change des Érudits et de leurs soirées lectures...

- Ah ouais des soirées lectures ?! Vous devez bien vous amuser. Ironise-t-elle.

- Oui, je me faisais chier comme un rat mort... J'ai une tête à passer ma vie à lire ?

- Avec des lunettes et un chignon bien serré, ça passerait. Plus sérieusement, je te vois plus en train casser la gueule à des Sans-Factions que de dépouiller des bouquins en tout genre à dix-neuf heures avec tout un tas d'intellos binoclards.

- Nous sommes d'accord. Puis rester avec des gens qui font que la ville est pleine de corruption... Non merci hein...

- Tu as bien raison. Les Érudits et leur petite guerre avec les Altruistes ça va bien deux minutes... Je ne vois pas pourquoi les Érudits veulent prendre le pouvoir. Les factions ont été créés comme ça. Pourquoi les changer ?

- Les Érudits et leur soif de pouvoir... Cherche pas, ils croient que leur intelligence peut résoudre chaque problème que détient Chicago. En fait, la solution à leurs yeux c'est Eux : les Érudits. Nombriliste cette faction ? À peine ! Ajouté-je en baissant le ton au vu des regards inquisiteurs de certains membres des Audacieux.

- Moi et moi et moi... À croire que Narcisse est une référence pour ces gens-là.

- Maintenant tu sais pourquoi les Érudits et les Audacieux ne s'entendent pas...

- Je n'irai pas jusqu'à dire ça Laur'... Nos leaders semblent de mèche avec les dirigeants des Érudits. Il se trame quelque chose car Janine est de plus en plus présente ici depuis que Max est à la tête des Audacieux. On ressent cette pression qu'il y a entre toutes les factions. Je crains que ça explose un jour. Me confie Haley.

- Ce n'est pas rassurant ce que tu me dis. Janine qui fréquente la police de notre ville, ça sent mauvais. Elle manipule merveilleusement bien cette femme. Max est dans ses filets, il va se passer une chose terrible, c'est certain. Mais ce n'est pas à notre âge que nous allons changer ça...

- Tu as raison. Puis il vaut mieux se concentrer sur notre initiation. C'est notre problème numéro un en ce moment.

- Sans blagues. Je préfère ne pas y penser ! Vivement que tout soit terminé.

Stuart et Carla de la brigade criminelle coupent notre conversation. Il y a un changement dans le programme, nous devons finalement nous rendre chez les Fraternels. Le compte rendu du médecin légiste sera approfondi auprès du porte-parole de la faction d'où vient la victime : Johanna Reyes. Les deux enquêteurs, en charge de ma supervision, semblent pressés. Je peine à les suivre et suis obligée de pratiquement courir derrière eux. Ma plaie me fait mal, elle est de plus en plus douloureuse. Je sens la chair s'ouvrir puis se refermer et j'ai pourtant bien serré mon bandage. À croire que l'on m'a mal recousu.

Nous arrivons aux voitures Audacieuses et nous installons rapidement. Je monte à l'arrière car il n'y a que deux places à l'avant malgré la largeur excessive du véhicule. Six roues, carrosserie blindée, tout terrain, cette machine est un monstre de mécanique. Le moteur vrombit et les secousses me baladent la tête malgré la ceinture de sécurité bouclée. Tous ces tremblements me donnent la nausée et accentuent mes souffrances dues à ma blessure. L'habitacle est dépourvu de fenêtre et les petites LEDS rouges et blanches qui parsèment le plafond éclairent qu'en partie mon environnement. Ma peur des petits espaces clos commence à prendre le dessus sur moi... Ma respiration s'accélère en même temps que les pulsations de mon cœur puis mes mains deviennent moites. L'angoisse grimpe au fur et à mesure que le temps s'écoule. Elle va me noyer si je ne retrouve pas rapidement un milieu plus ample et plus lumineux. La voiture s'arrête avec fracas, le frein à main se serre puis j'entends les portières se fermer violemment. J'entrevois enfin le ciel bleu et le visage de Stuart qui m'ouvre les deux portes à l'arrière de l'engin. L'air frais s'engouffre dans mes poumons, je me sens enfin libérée de cette peur étouffante.

Mes pieds foulent le sol terreux du secteur des Fraternels. Je scrute le paysage qui est composé de vergers, d'étendues d'herbe et de fleurs avec au loin le dôme en bois et en verre servant de lieu de restauration à cette faction. Une carriole tirée par deux chevaux gris nous attend. J'observe ce qui m'entoure, c'est revigorant d'être sous les rayons du soleil, entourée de la nature. Le béton et la noirceur chez les Audacieux, ça me pèse chaque jour...

Les ruines d'un ancien pont servent d'aire de jeu à des enfants. Une petite fille est sur une balançoire fixée par des anneaux vissés dans le mortier du vestige délabrée. Le lierre est venu s'entortiller au niveau des fondations, empêchant la glycine de s'installer à sa convenance. Les gamins s'amusent à arracher quelques tiges pour les nouer afin d'en faire des couronnes. Leurs rires résonnent jusqu'à moi, leur innocence me frappe car elle me manque parfois. Ces angéliques petites frimousses vivent dans le jeu, dans l'inconscience de ce que peut abriter comme lot d'infamies l'être humain. Ils sont dénués de méchanceté, ils sont purs. En nous apercevant, ils accourent vers nous en implorant à Stuart de lancer un pétard ou deux.

- Ne me dis pas que tu en as encore sur toi de ces conneries là. S'énerve Carla.

- J'avais prévu le coup, ça les fait tellement marrer. Comment ne pas céder ? J'adorais ça aussi quand j'étais gosse. Répond-il en s'affairant pour sortir deux explosifs de taille moyenne.

- Ce sont des Fraternels ici, pas des Audacieux. Les explosions, ce n'est pas trop ce dans quoi ils sont éduqués.

- Carla, cesse d'être rabat-joie et relâche un peu la pression.

Stuart allume à l'aide d'un briquet les mèches des pétards et les lance loin de l'attroupement. Les deux détonations, aux quelques secondes d'intervalle, créent une euphorie explosive auprès des enfants qui d'ores et déjà, réclament davantage de bruits.

Johanna est sur le pas de la grange qui lui sert de bureau et d'écurie. Elle a dû être alarmée par les explosions mais paraît sereine et pas du tout agacée par les évènements. Elle nous sourit puis nous invite à la suivre en indiquant la direction avec sa main. Je souffle un bonjour lorsque je passe devant elle puis suis mes coéquipiers qui semblent connaître le chemin. Nous montons un grand escalier en colimaçon qui grince sous le poids de nos corps. Il débouche sur un lumineux bureau aux larges baies-vitrées et au mobilier boisé. Un Érudit siège déjà dans la pièce, il semble être absorbé par son ordinateur car il ne prête guère attention à notre arrivée. Un écran est projeté contre le mur, on y voit un corps inerte avec toutes les indications personnelles de la victime. Ce doit être le médecin légiste, ça ne peut qu'être lui en fait. Il lève les yeux sur moi, son visage exprime l'étonnement.

- Bonjour Laur'. Je ne m'attendais pas à voir un Scott ici. M'annonce-t-il en me serrant la main ainsi que celles de Stuart et de Carla.

Je ne lui réponds même pas car ce nom de famille me rappelle de trop mauvais souvenir. Désormais, je suis uniquement Laur'. Je ne souhaite plus être rattachée à mon père et encore moins aux Érudits. On s'installe enfin pour traiter cette affaire qui semble bien étrange à cause des circonstances de la mort de l'homme. Retrouvé mort dans un silo à grains alors que l'entretien se fait à deux pour éviter ce genre d'incident justement... Bizarre.

- Alors... Voyons le compte rendu des analyses sur le corps de Monsieur Bloch. Il n'avait pas de maladie particulière donc pas de traitements médicamenteux. J'ai toutefois trouvé la forte présence d'une molécule : la scopolamine. Elle est utilisée pour faire le sérum de vérité qu'utilisent les Sincères lors de leur procès. Il semblerait que la victime ait ingéré le produit au vu des analyses de ce qu'il y avait dans son estomac. Il y a eu une dose si forte qu'il en est mort... Et ce n'est donc pas le sérum qui est en cause car il est fait avec un cocktail de plusieurs molécules et il s'injecte. C'est donc forcément un médicament qui a causé le décès. Je n'ai pas trouvé d'ordonnance prescrite pour cet homme et il n'y a qu'une seule et unique personne qui a eu ce genre de prescription ces derniers mois. Étrange, c'est le frère du défunt... Comme vous pouvez l'observer sur cette image radiographique, il y a une fracture du crâne et j'ai retrouvé de l'ADN sous les ongles du mort. Je vous laisse faire vos conclusions, je n'ai pas observé d'autres lésions, ni d'autres éléments intéressants pour vos recherches.

- Dites-moi que vous avez analysé l'ADN recueilli s'il vous plaît. Ça va mettre des semaines avant d'obtenir un résultat au vu des autres affaires que l'on a sur le dos. Cette enquête est loin d'être prioritaire. Explique Stuart qui a bu avec intérêt les observations données pas l'Érudit.

- J'ai en effet les conclusions de l'étude ADN. Il appartient au frère de Monsieur Bloch.

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