Chapitre 9 : Une étreinte, un frisson 2/4
Les sourires des gens, leurs rires et leurs façons de me regarder. Je n'aime pas ça ! Je serre les poings et enfoncent mes ongles dans la paume de mes mains à cause du désir meurtrier qui me dévore. Je souhaite tous les massacrer. J'encaisse cette colère mais ne la digère pas. Je me dépêche de rejoindre les novices qui attendent devant la salle de simulation.
- Ça n'a pas l'air d'aller toi ce matin ? Me questionne Aaron, la main posée sur mon épaule.
J'ai eu envie de lui répondre « ta gueule » ...
- Si, je suis juste fatiguée. Indiqué-je sèchement en retenant l'énervement qui bout en moi.
Il m'adresse qu'un simple sourire et ça me va. Il a dû comprendre... Très bien, car je ne suis pas d'humeur à taper la discussion ce matin. Quatre sort de la salle et me fait un signe de tête pour que je le suive. J'entre et m'installe sur le siège sans dire un mot.
- Tu as l'air frustré ce matin.
- Vous allez être combien à me faire la remarque ? M'énervé-je en dressant mon buste pour pouvoir dévisager mon interlocuteur de plus près.
- ... Et bah ! Cache ta joie ! Je suis là si ça ne va pas hein... Tu peux me parler si tu en as le besoin et la volonté.
- Je sais merci Quatre.
- C'est Éric ? Demande-t-il dans un chuchotement, comme pour ne pas éveiller davantage mon mécontentement.
Je me lève brusquement et commence à tourner en rond comme un lion en cage... Comment a-t-il deviné ?
- Laur'... Il t'a fait quoi ? Demande-t-il la voix sombre.
- Rien, rien. C'est juste qu'il a eu des paroles blessantes.
- Ça ne m'étonne pas de lui, il n'est qu'un abruti sans cœur. Il se délecte de la souffrance qu'il engendre. Viens dormir à la maison cette nuit si tu veux, je t'offrirai une meilleure compagnie.
- Non, je ne veux pas déranger. Puis c'est quand même étrange de squatter chez toi... Enfin, ce que je veux dire, c'est que tu es mon instructeur.
- Ce ne sera jamais aussi bizarre qu'avec Éric. Avec moi, tu n'auras pas le stress qu'il te fait subir chaque jour. Mes intentions sont claires, je veux juste te tendre la main et non pas te séduire et te torturer l'esprit avec des gestes intraduisibles. En tout cas, sache que ma porte te sera toujours ouverte.
- Merci... Je vais peut-être y réfléchir... Laisse-moi voir comment évolue les choses avec le dragon aux piercings. Blagué-je pour soulager les préoccupations de Quatre.
Je me rassois et l'aiguille introduit le sérum de simulation dans mon corps. Quelle peur va m'apparaître ? J'ouvre les yeux, je suis chez les Érudits, et plus précisément chez moi, dans ma cuisine. Ma mère est à côté de la fenêtre, elle porte son tablier bleu et me paraît pensive. Quand elle se tourne vers moi, je découvre un visage blême qui ne montre aucune émotion. Il y a un problème, ce n'est pas une réaction normale. Elle qui me sourit dès qu'elle en a le pouvoir. Elle qui est de coutume si pétillante. On dirait que la noirceur de mon père a provoqué le génocide de toutes les émotions positives qu'un humain peut avoir au cours de sa vie. Richard entre dans la pièce, il a un air terrible qui ferait dresser les poils du dos d'un chat. Il tient fermement sa ceinture dans sa main droite. Il affiche ce sourire satisfait. Il est abominable. Mes jambes sont en train de se liquéfier, je ne sais même pas comment elles font pour soutenir mon corps tant l'horreur me frappe. J'inspire et expire pour me calmer. Ma mère... Pourquoi ne bouge-t-elle pas ? Pourquoi n'entame-t-elle pas une diversion ? Elle me regarde droit dans les yeux, son regard est obscur comme si le diable venait de prendre possession d'elle.
- Je sais ce qu'il te fait endurer, tu le mérites. Affirme-t-elle avec un ton empli de dégoût. Tu le mérites Laur' ! Répète-t-elle en hurlant de rage.
Dès que ces mots ont été prononcés, mon père s'est rué sur moi. J'essaie de me défendre mais je n'y arrive pas. Il est beaucoup trop fort, puis mes bras son lourd et mes jambes aussi. Je n'arrive pas à bouger du tout. Et le plus terrible dans tout ça, c'est que ma mère observe la scène sans rien dire et elle semble même prendre plaisir à me voir crier de douleur. Ça me rend dingue de la voir si passive. Je sais de quelle phobie il s'agit ici. Ma plus grande peur est que ma mère ait toujours été témoin de ce que mon père nous faisait subir puis qu'elle adhérait à cette maltraitance. Et là, elle voit, elle admet savoir et approuve ce supplice. Se tenant à quelques mètres de moi, elle tourne les talons et reprend ses tâches ménagères. L'affliction est plus forte que les coups de pied de mon père, elle me torture à m'en faire oublier le calvaire que mes muscles, os et organes vivent. Elle est dans l'indifférence totale, il n'y a pas de sourire, ni même de sourcils froncés. Ma mère ne montre simplement aucune émotion. Comme si ce qui est en train de se produire lui semble banal. Les coups de mon père sont de plus en plus fort, j'ai du sang partout. Les larmes me brûlent les joues comme si elles creusaient des sillons dans ma chair. Mes ongles se plantent dans la paume de mes mains et prennent profondément racines jusqu'à appeler le sang. La fusion de mes genoux avec le sol me permet de ne pas être ébranler par la tempête qui fait rage autour de moi. Je peine à retrouver la pleine maîtrise de mes émotions. Je ne parviens toujours pas à repousser les poings serrés de l'homme qui s'acharne sur mon corps, on pourrait croire que ma force a subitement disparu. Je pense à Quatre et à ses conseils : « Combats ta peur, combats ta peur Laur'. » Si je ne peux pas utiliser la force pour le battre, je dois faire preuve d'intelligence et le mettre hors d'état de nuire de façon ingénieuse. Je lui échappe et courre vers la porte d'entrée afin de sortir de cet enfer. Je me stoppe net, ma mère a besoin de mon aide... Il faut que j'aille la chercher. Grave erreur, je reviens à la réalité et me souviens brutalement qu'elle est de mèche avec Richard dans ce monde. Il faut que je ne pense qu'à moi, pas aux autres. C'est une abomination d'abandonner celle qui m'a fait naître, c'est encore plus ignoble de la voir avec ce visage impassible. Je ne la reconnais pas et je besogne pour visser à mon cerveau l'idée que je suis dans une fichue simulation. Je me débats et réussi une fois de plus à me délivrer des chaînes que forment les bras de mon père. Je me rue vers la porte et presse la poignée en m'affalant dessus pour lui donner toute la force suffisante afin qu'elle puisse m'offrir l'opportunité de m'évader. Je me réveille apeurée auprès de Quatre visiblement inquiet et gêné. Encore sous l'effet du sérum, je me sens désorientée et peine à comprendre ce qui m'est arrivée. Je regarde mes mains dépourvues de sang pour me persuader que je suis sortie d'affaire.
- Tu veux savoir pourquoi tu as raison à propos de mon père ? Me demande Quatre, en enchevêtrant ses doigts.
- Pourquoi cette question ? Demandé-je troublée et encore essoufflée.
- Il est comme le tiens.
Mon regard interrogateur est accablant pour lui, il fuit mon regard. J'ai compris en cherchant dans ma mémoire et en essayant d'avoir des pensées lucides. Marcus... Je ne pensais pas avoir raison sur cet homme et j'aurai préféré avoir tort.
- Je suis désolée Quatre...
- Ce n'est pas grave. C'est une libération d'être ici, c'est le passé désormais. Être Audacieux est la meilleure chose qu'il me soit arrivé. Ethan m'avait dit que votre père était le diable incarné et je craignais le moment où j'allais te voir lui faire face dans l'une de tes peurs.
- Je me doutais un peu que je devrais affronter ça vu le but des simulations. Mais ma vraie peur ce n'est pas mon père mais ma mère. J'ai une angoisse ardente qu'elle ait connaissance que Richard nous frappait.
- Je conçois que cette crainte te hante. En tout cas, c'est bien, tu as surmonté ta peur. Tu progresses et tu arrives à dissimuler ta divergence. Tu as un très bon temps mais bon c'est typique des divergents ça.
- Je ne sais pas comment j'ai réussi... J'ai une question Quatre. As-tu vaincu toutes tes peurs ?
- Non pas vraiment et encore moins celle où apparaît mon père. J'ai encore du mal à lui faire face, je reste paralysé comme tu l'étais tout à l'heure.
- Mais comment tu fais alors ?
- Je combats mes peurs, je ne les fuis pas comme tu as fait. Ce n'est pas un reproche, c'est juste que tu peux faire face au lieu de battre en retraite sans même avoir essayer de vaincre ton agresseur. Il faut que les autres passent, tu peux y aller. Je t'attendrai à côté de chez Éric un matin à six heures dans cinq semaines, juste avant la fin de l'initiation pour que tu viennes dans mon paysage de peurs. Je te le rappellerai mais sois ponctuelle s'il te plaît.
- Reçu ! Ce n'est pas pour demain mais j'ai hâte.
Je sors de la pièce et me dirige vers la cafétéria. Je m'assois seule. Je surprends Éric, assit deux tables plus loin, qui me regarde. Surpris que je l'ai aperçu, il sursaute légèrement en me lançant un regard noir. Sacré énigme cet homme-là... S'il croit m'impressionner en faisant le lunatique, il se trompe en tous points.
- Je te cherchais partout ! Tu es parti super vite après ta simulation, je n'ai même pas eu le temps de voir où tu allais. S'écrit Alex en se mettant dans mon champ visuel.
- Excuse-moi Al', j'avais la tête ailleurs. Ça va ? Ça se passe bien les simulations ?
- Oui et toi ? Bah écoute, je ne suis pas fan d'avoir à faire face à mes peurs. J'ai eu les insectes aujourd'hui, c'était infâme. M'explique-t-il en frissonnant.
- Je vais bien, merci. Et moi, j'ai eu le vide. Je ne sais même pas comment j'ai fait pour m'en sortir.
Je lui mens mais c'est parce que je n'ai pas trop envie de dévoiler la facette maltraitance qui tâche ma vie, surtout à mes amis. Au moins, il n'aura pas pitié de moi...
Je repense à Quatre et à son père... C'est quand même bizarre que mon pressentiment soit vrai envers cet homme. Marcus Eaton est donc bien un monstre. Les Érudits avaient pour une fois raison. C'est rare quand ça parle de personnalités influentes... Quatre aussi s'est donc forgé une armure à cause de son enfance et c'est sûrement pour ça qu'il paraît dur alors qu'au fond il est submergé par ses peurs. Je devrai faire pareil, personne ne m'embêterait...
- Salut les gens ! J'ai une trop bonne nouvelle ! S'exclame Haley qui surgit de nulle part.
- Quoi ? Vous vous êtes enfin embrassés avec Aaron ? Demandé-je en faisant mine de savoir.
- Bah, il vous l'a déjà dit ? S'étonne-t-elle en s'asseyant face à moi.
- Non, pas du tout. Je m'en doutais un peu vu les rapprochements qui ne sont pas passés inaperçus ces derniers jours.
- Bon bah je vais vous laisser les filles. Les sujets croustillants sur les relations amoureuses ne me passionnent pas plus que ça. Je vais préférer la version de Aaron, ça sera sûrement plus court. Dit-il déjà prêt à partir.
Alex s'en va, nous laissant entre filles. J'ai hâte d'avoir quelques détails sur les prémices de cette histoire d'amour.
- Alors, je te raconte ! Hier soir, je n'étais pas dans mon assiette du tout après notre petit repas sur le toit de la Flèche. Avant d'aller au dortoir, il m'a demandé de le suivre. Nous sommes allés au Gouffre. Un peu basique comme endroit pour un Audacieux mais la sympathie du lieu ne m'a pas déplu. Surtout qu'on a choisi de descendre au niveau des rochers et la brume participait à cette ambiance si particulière. J'en ai encore le ventre débordant d'angoisses et de joie ! On s'est donc assit, il était super bizarre et il bégayait. C'était hilarant de le voir dans cet état inhabituel. Il m'a dit que je ne le laissais pas indifférent et que je lui plaisais beaucoup. Après quelques secondes de regards complices entre lui et moi, il m'a embrassé puis est venu coller son front contre ma tempe. C'est à ce moment-là qu'il m'a dit « je t'aime ». Je sentais tout son stress et son désir ardent de m'avoir dans ses bras. C'est assez déstabilisant de le voir depuis ce baiser. Je crois que je suis en flippe total Laur'... Je n'ai eu que des amourettes de gamin avant lui. Je sens que c'est réel avec lui, que c'est sérieux et c'est ce que je souhaite. Mais je ne sais pas, j'ai peur... Tout devient plus compliqué quand il y a des sentiments. Tu en penses quoi ?
- Tu sais, il y a des sentiments dans toutes relations. Qu'elle soit amoureuse ou amicale. Aimer, c'est prendre le risque de se faire éclater le cœur en mille morceaux, mais je pense que ça vaut le coup. C'est palpable l'amour que tu éprouves pour lui donc vis cette histoire à fond même si elle doit durer deux mois ou vingt ans. La vie est trop courte pour se restreindre dans ses émotions amoureuses.
- Hum... Tu as sans nul doute raison. Ça n'empêche pas que j'ai la frousse ! S'empresse-t-elle de me répondre.
- Mange, ça réduira la peur qui te ronge les tripes. Proposé-je en déposant une pomme devant elle.
- Non, merci. Je n'ai pas spécialement faim avec tout ce chamboulement qui se passe dans ma tête.
- Haley ? Tu refuses de la bouffe ? J'appelle les secours ou tu vas croquer dans ce fruit ?
Elle me lance un regard noir accompagné d'un sourire et accepte de se nourrir un peu.
- Je préfère ! M'exclamé-je
La façon dont elle m'a raconté ce qui s'est passé hier m'a faite sourire. Ça se voit tellement qu'elle est folle de lui. Puis sa peur démontre encore plus qu'elle l'aime sinon elle foncerait tête baissée sans réfléchir une seule seconde. J'aimerai que ça m'arrive... Ça doit être si intense, si brûlant...
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