Chapitre 8 : Divergence, synonyme de mort 4/4
Je vais chez Éric pour mettre un nouveau tee-shirt et changer le bandage, il n'est pas question que je me laisse manipuler par des soi-disant infirmiers. Je suis apte à me prodiguer des soins, même si c'est une réelle épreuve physique. Ma plaie est de plus en plus laide. Je me déshabille et entre dans la cabine de douche pour appliquer le désinfectant. Ça saigne beaucoup, je suis obligé d'appuyer une bonne trentaine de minutes de manière à endiguer l'hémorragie. Les larmes me brouillent la vue, je tremble de douleur et je me sens vraiment de plus en plus faible. Ça fait une heure que je suis enfermée dans la salle de bain, et je viens de discerner ce qui se passe. Un point a simplement lâché, je choisis de faire un pansement plus serré en prenant soin d'enlever les impuretés dont le pus qui s'est agglutiné dans la blessure et qui s'écoule à l'ouverture. Ce n'est rien d'alarmant, les globules blancs sont bons signes et il suffit de compresser la contusion afin d'aider à la vascularisation. J'entends la porte d'entrée s'ouvrir et quelqu'un entrer. C'est Éric, je reconnais son pas lourd et régulier. J'essaie de ne pas faire de bruit et encercle mon ventre d'un bandage bien sanglé. Je sèche mon visage du mieux que je peux et sors en évitant son regard.
- Es-tu allée à l'infirmerie ?
- Oui. Claironné-je tout haut pour qu'il me lâche les basques.
- Leurs soins étaient mieux que ceux d'hier ? Dans le cas inverse, je suis habilité à les faire si tu veux bien. C'était d'ailleurs convenu avec le médecin...
- Leur résultat est satisfaisant, merci quand même. Exposé-je dans un ton âpre.
Je me faufile derrière lui mais il me retient en empoignant mon bras.
- Plus de contact physique devant qui que ce soit. OK ?
- Oui, lâche-moi maintenant. Ordonné-je en me libérant de son emprise.
Je sors vite de chez lui avant qu'il ne m'afflige encore d'autres remarques ou questions dont je ne saurai répondre que par des mensonges.
Je me sens très seule, je ne peux pas partager ce que je vis et ce que je ressens avec quelqu'un. Cela mettrait ma vie en danger et irait contre les ordres d'Éric, qui a exigé de moi que je ne dise rien sur le fait qu'il m'héberge. Je m'adosse au mur et porte mes mains sur mon visage. L'envie de crier est forte, j'aimerais tant pouvoir sortir toute la douleur et la peur qui me torturent.
- Et bah... Tu es dans un piteux état Laur' Scott. Dit une voix masculine venant de l'obscurité du couloir à ma gauche.
La personne s'approche de moi, je la reconnais rapidement grâce à sa silhouette. Alex, ou le premier ami que je me suis fait en atterrissant ici. Celui qui m'a fait péter une durite, celui qui m'a fait rire, celui à qui je pense secrètement en culpabilisant de l'avoir viré de ma vie.
- Si tu es venu pour te régaler de me voir ainsi, tu peux dégager et aller faire part aux autres de ma faiblesse grandissante. Ils seront ravis...
- Je ne suis pas un vautour, je ne me nourris pas de la souffrance des gens. Je suis venu ici pour m'excuser, ce qui est un acte d'une grande noblesse quand on connaît mon égo surdimensionné.
- T'excuser ? Tu rigoles ?
- J'aime blaguer mais là, je suis sincère. Oui, un peu comme ma faction de naissance... Bref, trêve de plaisanterie. Je viens te voir pour renouer les liens avec toi car je t'apprécie puis observer ta désolation m'est très désagréable. Donc, je te prie d'accepter mes excuses pour avoir été trop envahissant et excessivement possessif.
Sans réfléchir une minute, je viens l'enlacer. Je sens la tension de ses muscles se relâcher, il passe un bras dans le haut de mon dos et soupire.
- J'ai cru que tu ne m'accorderais pas ton pardon. Merci Laur'...
- Merci à toi, je n'aurais jamais eu l'idée de ravaler ma fierté pour venir te voir. Je suis vraiment bête d'avoir été si aigrie et méchante avec toi. Je suis désolée si je t'ai causé du tort.
- C'est oublié, n'ait crainte petite Audacieuse.
Ça fait du bien de pouvoir prendre quelqu'un dans ses bras. Je m'en veux de m'être engueulée aussi lamentablement avec lui. Il ne méritait pas que je sois aussi dure, c'est quelqu'un de bien. Je tiens à lui et je l'ai laissé de côté juste pour une broutille. Je suis pitoyable parfois... Même s'il m'avait bien énervé sur l'instant, j'aurais pu essayer de tirer les choses au clair quelques temps après ça. Mais je n'ai rien fait, égoïste que je suis. J'ai du mal à me mettre à la place des gens, l'empathie m'est de plus en plus étrangère. Je pense que je me voile la face afin que le désespoir des personnes autour de moi n'entache pas ma vie. C'est une sorte d'autoprotection et c'est très lâche. Digne d'un Érudit, mais eux n'ont aucune idée de ce que peut être la compassion. Nous sommes restés un moment blotti l'un contre l'autre, cherchant un gramme de réconfort au travers de cette initiation périlleuse. Je sens le cœur d'Alex battre, il a un rythme régulier et lent, signe de paix intérieur.
- Tu peux m'attendre ici, j'aimerais t'emmener quelque part mais je dois d'abord aller chercher un truc.
- Euh... D'accord. Dépêche-toi, je ne porte pas dans mon cœur ces néons blancs et bleus... Lâché-je anxieuse et curieuse de découvrir ce lieu qu'il semble heureux de me montrer.
Il acquiesce, me laisse attendre une dizaine de minutes et revient avec un sac à dos et une clé. Alex m'invite à le suivre, commence alors une longue marche qui finit devant l'ascenseur de la Flèche. La plus haute tour des Audacieux, cent mètres de hauteur avec un toit terrasse d'où l'on peut observer les étoiles. C'est la première fois que je vais y mettre les pieds, j'ai hâte et simultanément peur à cause de ma phobie du vide.
- Ne me demande pas comment je suis parvenu à obtenir les clés. Je les ai emprunté pour utiliser l'ascenseur, sinon, on aurait dû grimper les escaliers. Dans ton état, ça me semble déconseillé.
- Merci pour ta bienveillance. Il est clair que je n'aurais pas été capable de monter autant de marches...
L'ascenseur gravit les étages à une vitesse fulgurante. Je ferme les yeux, les endroits clos provoquent chez moi de grandes angoisses et j'ai déjà eu ma dose en claustrophobie aujourd'hui. La simulation m'a mise dans une situation extrême qui m'a sûrement un peu désensibilisée car je parviens à apprivoiser ma phobie en gonflant très lentement mes poumons.
Lorsque les portes s'ouvrent, l'air frais s'engouffrent dans la cabine puis soulèvent quelques mèches de mes cheveux. Je découvre une vaste étendue de gravillons parsemés de petites plantes poussants où bon leur semblent. Pointant le ciel avec son index, Alex m'incite à lever le nez. Les constellations sont perceptibles et les étoiles, par milliers, luisent telles des lucioles immobiles. Mon ami sort de son sac, un repas fait de petites tomates, de tranches de pain beurrées agrémentées de lamelles de saucisson ainsi que des fruits en guise de dessert.
- J'aime venir ici, ça me permet de pouvoir réfléchir. Il n'y pas de bruit et aucune personne pour venir entraver ma tranquillité. M'explique Alex en m'offrant à manger.
- Quel choix de malade que de venir chez les Audacieux. J'ai aussi ce besoin de quiétude solitaire mais j'ai uniquement pu avoir ce temps de calme cet après-midi, au bord de la rivière du Gouffre.
- On va s'en sortir, même si on nous met des bâtons dans les roues. Je compte bien à ce que ton agression soit la dernière qui te soit infligé. Je ne parle pas à grand monde mais j'écoute beaucoup même si je dois jouer l'espion.
- Tu n'es pas obligé de faire ça. Je pense qu'ils ont eu une bonne leçon, ils ne recommenceront pas. Du moins, ils ne m'auront pas une seconde fois vu comment ma méfiance s'est émancipée après l'incident. Je serais en sécurité que quand j'aurais le titre d'Audacieux.
- Ça va vite arriver... Je l'espère. S'inquiète Alex en poussant le gravier avec le talon de ses chaussures. D'ailleurs, ta plaie va un peu mieux ? Et tu dors où ? Désolé pour ma curiosité, je veux simplement m'assurer que tu es en sécurité.
- J'ai un point de suture qui a lâché tout à l'heure, mais rien de bien grave car j'ai fait un pansement compressif. Et je ne peux pas te dire où je dors. La seule information que je peux te donner, c'est que je suis hébergée par un Audacieux. Ne m'en demande pas plus, c'est confidentiel.
- Ne t'inquiète pas, je me sens soulagée de te savoir en lieu sûr et en bonne santé. Cependant, tu es sûr que ce n'est pas grave pour ta blessure ? Tu ne peux pas te faire recoudre ?
- Ça ira comme ça et s'il n'y a pas d'amélioration dans les jours qui viennent, j'irai consulter.
Soudain, un bruit sourd retentit derrière nous et deux personnes débarquent de derrière une porte. Je reconnais rapidement Haley grâce à sa carrure et ses cheveux coupés en carré. Elle est suivie de Aaron, qui arbore un franc sourire.
- Haley ?
- En chair et en os ! Hurle-t-elle en posant sa main droite sur sa hanche. Alex a créé un plan de dingue pour essayer de se faire pardonner. On l'a suivi sans aucune hésitation !
- Ah bon ? Dis-je en haussant les sourcils vers mon camarade pour montrer mon étonnement.
- Il me fallait bien un coup de main. Sans eux, je n'aurais jamais eu les clés et la lumineuse idée du dîner.
- Bon ! Ce n'est pas tout mais j'ai la dalle !
- Haley... Y-a-t-il un moment où ton ventre ne crie pas famine ?
- Oui, quand je dors ! S'exclame-t-elle en faisant mine de réfléchir.
- On a plus que des pommes, ça ira? L'interroge Alex.
- Ho, c'est parfait ! Quoique... Je n'aurais pas dit non à une pomme d'amour. Vous savez ? Avec plein de caramel. Ho que c'est bon ça !
- C'est plein de sucre et ça colle aux dents. Ça tuerait un diabétique... Lance Aaron en grand diététicien.
- Justement, c'est ça qui est bon. Tout plein de glucides, un vrai délice pour devenir obèse et crever d'un infarctus à quarante-cinq ans ! Ce qui ne m'arrivera pas étant donné que je suis Audacieuse !
- Plus cinglée que toi, il n'y a pas. Tu sais qu'il y a des métiers d'Audacieux où tu ne bouges pas de ta chaise de la journée ? Genre agent de sécurité à la salle de contrôle. Explique Aaron pour tenter de la raisonner.
- Je ferais en sorte d'intégrer une unité qui bouge à fond, afin de pouvoir garder la forme tout en bouffant comme quatre. J'ai tout planifié !
- Manger, manger et manger. Objectif original dis-donc ! Plaisante Alex avant de croquer dans un fruit.
Nous sommes peut-être restés une heure à rire et à parler de tout et de rien. Ça vide la tête ces instants où le temps semble s'arrêter. Haley et Aaron partent en premier, nous décidons de quitter les lieux quelques minutes après eux. Je me suis aperçue qu'Éric allait commencer à m'attendre, j'aimerais éviter de passer un mauvais quart d'heure pour clôturer la journée. Pratiquement en retard, je me réjouis de la vivacité de l'ascenseur même si la sensation de tomber dans le vide n'est pas des plus attrayante. En guise d'au revoir, Alex me presse contre lui et part pour le dortoir. Éric, qui a vu toute la scène, me lance un regard noir et tourne les talons.
- Dépêche-toi !
- Oui, c'est bon. Soufflé-je en grognant.
- Tu es au courant que ça faisait plus de dix minutes que je t'attendais pour rentrer.
- Pardon. Je n'ai pas fait attention à l'heure.
- Sans blague, je n'avais remarqué... La prochaine fois que ça arrive, tu te démerderas pour dormir quelque part. Mais vaut mieux pas que ça se reproduise, sinon je te fous vraiment dehors. Je ne supporte pas attendre surtout quand ce n'est pas dans mon intérêt.
Il continue sur sa lancée de tyran mal-aimable. Je n'y prête pas attention et ne lui adresse pas la parole du tout. Et moi qui voulait m'excuser de ne pas avoir été sympa avec lui... Il peut rêver maintenant.
En deux trois temps mouvements, je passe dans la salle de bain pour resserrer mon bandage et me changer. Je me jette sous la couette et ferme directement les yeux afin d'éviter le plus possible la foudre de sa mauvaise humeur. Trop d'émotions aujourd'hui, je vais finir par faire une crise cardiaque si je continue à avoir un rythme de vie aussi vorace en énergie. Le sommeil ne tarde pas à venir, j'en ai grandement besoin.
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